OEUVRES DE
DESCARTES,
PUBLIÉES:
LETTRES
René Descartes, M. Thomas
(Antoine Léonard)
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DE DESCARTES.
TOME DIXIÈME.
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DE L'IMPRIMERIE DE LACHEVARDIERE FILS,
RUE DU COLOMBIER, If° 3o , A PARIS.
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ŒUVRES
DE DESCARTES,
PUBLIÉES
PAR VICTOR COUSIN.
TOME DIXIÈME.
A PARIS,
CHEZ F. G. LEVKAULT, LIBRAIRE,
RUE DES FOSSÉS-MOHSIEUR-LE-PRINCE , W° 3l ;
ET A STRASBOURG, RUE DES JUIFS, H° 33.
M. DCCC. XXV.
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LETTRES.
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ANNÉE l647-
A M. CHANUT.
(Lettre 35 du tome I.)
Monsieur,
L'aimable lettre que je viens de recevoir de
votre part ne me permet pas que je repose jus-
qu'à ce que j'y aie faijt réponse, et bien que vous
y proposiez des questions que de plus savants que
moi auroient bien de la peine à examiner en peu
de temps , toutefois à cause que je sais bien qu'en-
core que j'y en employasse beaucoup jene les pour-
rois entièrement résoudre, j'aime mieux mettre
promptement sur le papier ce que le zèle qui m'in-
cite me dictera , que d'y penser plus à loisir , et
n'écrire par après rien de meilleur.
Vous voulez savoir mon opinion touchant trois
choses : t° ce que c'est que l'amour; 20 si la seule
lumière naturelle nous enseigne à aimer Dieu ;
5° lequel des deux dérèglements et mauvais usages
est le pire , de l'amour ou de la haine.
4 LETTRES.
Pour répondre au premier point, je distingue
entre l'amour qui est purement intellectuelle ou
raisonnable, et celle qui est une passion; la pre-
mière n'est, ce me semble, autre chose sinon que,
lorsque notre âme aperçoit quelque bien, soit pré-
sent, soit absent, qu'elle juge lui être convenable,
elle se joint à lui de volonté, c'est- à-dire elle se con-
sidère soi-même avec ce bien-là comme un tout
dont il est une partie , et elle l'autre ; en suite de
quoi, s'il est présent, c'est-à-dire si elle le possède,
ou qu'elle en soit possédée, ou enfin qu'elle soit
jointe à lui non seulement par sa volonté, mais
aussi réellement et de fait, en la façon qu'il lui
convient d'être jointe, le mouvement de sa volonté
qui accompagne la connoissance qu'elle a que ce lui
est un bien, est sa joie; et-, s'il est absent, le mou-
vement de sa volonté qui accompagne la connois-
sance qu'elle a d'en être privée, est sa tristesse;
mais celui qui accompagne la connoissance qu'elle
a qu'il lui seroit bon de l'acquérir, est son désir.
Et tous ces mouvements de la volonté auxquels
consistent l'amour, la joie, et la tristesse, et le dé-
sir, en tant que ce sont des pensées raisonnables,
et non point des passions, se pourroient trouver en
notre âme, encore qu'elle n%ut point de corps; car,
par exemple, si elle s'apercevoit qu'il y a beaucoup
de choses à connoître en la nature qui sont fort
belles, sa volonté se porteroit infailliblement à ai-
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LETTRES. 5
mer la connoissance de ces choses, c'est-à-dire à la
considérer comme lui appartenant ; et si elle re-
marquoit avec cela qu'elle eût cette connoissance,
elle en auroit de la joie; si elle considéroit quelle
ne l'eût pas, elle en auroit de la tristesse; si elle
pensoit qu'il lui seroit bon de l'acquérir, elle en
auroit du désir. Et il n'y a rien eu tous ces mou-
vements de sa volonté qui lui fût obscur , ni dont
elle n'eût une très parfaite connoissance , pourvu
qu'elle fit réflexion sur ses pensées. Mais pen-
dant que notre âme est jointe au corps, cette
amour raisonnable est ordinairement accompa-
gnée de l'autre , qu'on peut nommer sensuelle ou
sensitive, et qui, comme j'ai sommairement dit
de toutes les passions , appétits et sentiments, en
la page 46 1 de mes Principes françois, n'est autre
chose qu'une pensée confuse excitée en l'âme par
quelque mouvement des nerfs, laquelle la dispose
à cette autre pensée plus claire en qui consiste
l'amour raisonnable. Car, comme en la soif, le
sentiment qu'on a de la sécheresse du gosier est
une pensée confuse qui dispose au désir de boire ,
mais qui n'est pas ce désir même ; ainsi en l'amour
on sent je ne sais quelle chaleur autour du cœur,
et une grande abondance de sang dans le poumon,
qui fait qu'on ouvre même les bras comme pour
embrasser quelque chose, et cela rend l'âme en-
cline à joindre à soi de volonté l'objet qui se pré*
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6 LETTRES;
sente. Mais la pensée par laquelle l'âme sent cette
chaleur est différente de celle qui la joint à cet
objet; et même il arrive quelquefois que ce sen-
timent d'amour se trouve en nous sans que notre
volonté se porte à rien aimer , à cause que nous
ne rencontrons point d'objet que nous pensions
en être digne. Il peut arriver aussi , au contraire ,
que nous connoissions un bien qui mérite beau-
coup , et que nous nous joignions à lui de volonté ,
sans avoir pour cela aucune passion , à cause que
le corps n'y est pas disposé. Mais pour l'ordinaire
ces deux amours se trouvent ensemble : car il y a
une telle liaison entre l'une et l'autre , que lorsque
l'âme juge qu'un objet est digne d'elle, cela dispose
incontinent le cœur aux mouvements qui excitent
la passion d'amour , et lorsque le cœur se trouve
ainçi disposé par d'autres causes , cela fait que l'âme
imagine des qualités aimables en des objets où
elle ne verroit que des défauts en un autre temps.
Et ce n'est pas merveille que certains mouvements
de cœur soient ainsi naturellement joints à cer-
taines pensées , avec lesquelles ils n'ont aucune
ressemblance; car de ce que notre âme est de telle
nature qu'elle a pu être unie à un corps, elle a
aussi cette propriété que chacune de ses pensées
se peut tellement associer avec quelques mouve-
ments ou autres dispositions de ce corps, que
lorsque les mêmes dispositions se trouvent une
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LETTRES. 7
autre fois en lui , elles induisent lame à la même
pensée , et réciproquement lorsque la même pen-
sée revient, elle prépare le corps à recevoir la
même disposition. Ainsi , lorsqu'on apprend une
langue, on joint les lettres ou la prononciation de
certains mots qui sont des choses matérielles, avec
leurs significations qui sont des pensées : en sorte
que lorsqu'on oit après derechef les mêmes mots,
on conçoit les mêmes choses ; et quand on conçoit
les mêmes choses , on se ressouvient des mêmes
mots. Mais les premières dispositions du corps qui
ont ainsi accompagné nos pensées lorsque nous
sommes| entrés au monde ont dû sans doute se
joindre plus étroitement avec elles que celles qui
les accompagnent par après. Et pour examiner
l'origine de la chaleur qu'on sent autour du cœur,
et celle des autres dispositions du corps qui ac-
compagnent l'amour , je considère que dès le pre-
mier moment que notre âme a été jointe au corps,
il est vraisemblable qu'elle a senti de la joie , et
incontinent après de l'amour , puis peut-être aussi
de la haine et de la tristesse ; et que les mêmes dis-
positions du corps qui ont pour lors causé en elle
ces passions , en ont naturellement par après ac-
compagné les pensées. Je juge que sa première pas-
sion a été la joie , pourcequ'il n'est pas croyable
que l'âme ait été mise dans le corps , sinon lors-
qu'il a été bien disposé, et que lorsqu'il est ainsi
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8 LETTRES.
bien disposé, cela nous donne naturellement de la
joie. Je dis aussi que l'amour est venue après , à
cause que la matière de notre corps s'écoulant sans
cesse, ainsi que l'eau d'une rivière , et étant besoin
qu'il en revienne d'autre en sa place, il n'est guère
vraisemblable que le corps ait été bien disposé , qu'il
n'y ait eu aussi proche de lui quelque matière fort
propre à lui servir d'aliment , et que l'âme se joi-
gnant de volonté à cette nouvelle matière , a eu
pour elle de l'amour ; comme aussi par après s'il
est arrivé que cet aliment ait manqué , l'âme en a
eu de la tristesse ; et s'il en est venu d'autre en sa
place qui n'ait pas été propre à nourrir Iç corps ,
elle a eu pour lui de la haine.
Voilà les quatre passions que je crois avoir été
en nous les premières , et les seules que nous avons
eues avant notre naissance ; et je crois aussi qu'elles
n'ont été alors que des sentiments ou des pensées
fort confuses, pourceque l'âme étoit tellement at-
tachée à la matière , qu'elle ne pouvoit encore va-
quer à autre chose qu'à en recevoir les diverses
impressions ; et bien que quelques années après
elle ait commencé à avoir d'autres joies et d'autres
amours que celles qui ne dépendent que de la
bonne constitution et convenable nourriture du
corps , toutefois ce qu'il y a eu d'intellectuel en
ses joies ou amours a toujours été accompagné
des premiers sentiments qu'elle en avoit eus, et
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LETTRES. 9
même aussi des mouvements ou fonctions natu-
relles qui étoient alors dans le corps; en sorte que
d'autant que l'amour n'étoit causée avant la nais-
sance que par un aliment convenable qui , entrant
abondamment dans le foie, dans le cœur et dans
le poumon , y excitoit plus de chaleur que de cou-
tume, de là vient que maintenant cette chaleur
accompagne toujours l'âme, encore qu'elle vienne
d autres causes fort différentes. Et si je ne craignois
d'être trop long, je pourrois faire voir par le
menu que toutes les autres dispositions du corps
qui ont été au commencement de notre vie avec
ces quatre passions les accompagnent encore; mais
je dirai seulement que ce sont ces sentiments con-
fus de notre enfance qui, demeurant joints avec
les pensées raisonnables par lesquelles nous aimons
ce que nous en jugeons digne, sont cause que la
nature de l'amour nous est difficile à connoître. A
quoi j'ajoute que plusieurs autres passions , comme
la joie, la tristesse, le désir, la crainte, l'espé-
rance , etc. , se mêlant diversement avec l'amour ,
empêchent qu'on ne reconnoisse en quoi c'est pro-
prement qu'elle consiste. Ce qui est principale-
ment remarquable touchant le désir; car on le
prend si ordinairement pour l'amour , que cela est
cause qu'on a distingué deux sortes d'amours:
l'une qu'on nomme amour de bienveillance, en
laquelle ce désir ne paroît pas tant; et l'autre
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ÎO LETTRES»
qu'on nomme amour de concupiscence , laquelle
n'est qu'un désir fort violent, fondé sur une amour
qui souvent est foible.
Mais iifaudroit écrire un gros volume pour trai-
ter de toutes les choses qui appartiennent à cette
passion; et bien que son naturel soit de faire qu'on
se communique le plus que l'on peut, en sorte
qu'elle m'incite à tâcher ici de vous dire plus de
choses que je n'en sais , je me veux pourtant rete-
nir, de peur que la longueur de cette lettre ne vous
ennuie. Ainsi je passe à votre seconde question ,
savoir, si la seule lumière naturelle nous enseigne
à aimer Dieu, et si on le peut aimer par la force
de cette lumière. Je vois qu'il y a deux fortes rai-
sons pour en douter. La première est que les attri-
buts de Dieu qu'on considère le plus ordinaire-
ment sont si relevés au-dessus de nous, que nous
ne concevons en aucune façon qu'ils nous puissent
être convenables , ce qui est cause que nous ne
nous joignons point à eux de volonté ; la seconde
est qu'il n'y a rien en Dieu qui soit imaginable, ce
qui fait qu'encore qu'on auroit pour lui quelque
amour intellectuelle, il ne semble pas qu'on en
puisse avoir aucune sensitive, à cause qu'elle de-
vroit passer par l'imagination pour venir de l'en-
tendement dans le sens. C'est pourquoi je ne m'é-
tonne pas si quelques philosophes se persuadent
qu'il n'y a que la religion chrétienne qui, nous en-
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LETTRES. 11
seignant le mystère de l'incarnation par lequel
Dieu s'est abaissé jusqu'à se rendre semblable à
nous, fait que nous sommes capables de l'aimer;
et que ceux qui, sans la connoissance de ce mys-
tère, ont semblé avoir de la passion pour quelque
divinité , n'en ont point eu pour cela pour le vrai
Dieu, mais seulement pour quelques idoles qu'ils
ont appelées de son nom; tout de même qu'Ixion,
au dire des poètes, embrassoit une nue au lieu de
la reine des dieux. Toutefois je ne fais aucun doute
que nous ne puissions véritablement aimer Dieu
par la seule force de notre nature. Je n'assure point
que cet amour soit méritoire sans la grâce, je laisse
démêler cela aux théologiens ; mais j'ose dire qu'au
regard de cette vie c'est la plus ravissante et la plus
utile passion que nous puissions avoir, et même
qu'elle peut être la plus forte, bien qu'on ait be-
soin pour cela d'une méditation fort attentive, à
cause que nous sommes continuellement divertis
par la présence des autres objets. Or, le chemin
que je juge qu'on doit suivre pour parvenir à l'a-
mour de Dieu est qu'il faut considérer qu'il est un
esprit ou une chose qui pense, en quoi la nature
de notre âme ayant quelque ressemblance avec la
sienne, nous venons à nous persuader qu'elle est
une émanation de sa souveraine intelligence, et di-
vinœ quasi parlicula aura*. Même, à cause que notre
connoissance semble se pouvoir accroître par de-
12 LETTRES.
grés jusqu'à l'infini, et que celle de Dieu étant in-
finie, elle est au but où vise la nôtre; si nous ne
considérons rien davantage, nous pouvons venir à
l'extravagance de souhaiter d'être dieux , et ainsi ,
par une très grande erreur, aimer seulement la di-
vinité au lieu d'aimer Dieu. Mais si avec cela nous
prenons garde à l'infinité de sa puissance par la-
quelle il a créé tant de choses dont nous ne som-
mes que la moindre partie; à l'étendue de sa pro-
vidence, qui fait qu'il voit d'une seule pensée tout
ce qui a été, qui est, qui sera et qui sauroit être; à
l'infaillibilité de ses décrets , qui , bien qu'ils ne trou-
blent point notre libre arbitre , ne peuvent néan-
moins en aucune façon être changés; et enfin d'un
coté à notre petitesse, et de l'autre à la grandeur de
toutes les choses créées, en remarquant de quelle
sorte elles dépendent de Dieu, et en les considérant
d'une façon qui ait du rapport à sa toute-puissance,
sans les enfermer en une boule , comme font ceux qui
veulent que le monde soit fini : la méditation de
toutes ces choses remplit un homme qui les entend
bien d'une joie si extrême, que tant s'en faut qu'il
soit injurieux et ingrat envers Dieu jusqu'à souhai-
ter de tenir sa place, il pense déjà avoir assez vécu,
de ce que Dieu lui a fait la grâce de parvenir à de
telles connoissances ; et , se joignant entièrement à
lui de volonté, il l'aime si parfaitement qu'il ne dé-
sire plus rien au monde , sinon que la volonté de
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LETTRES. iS
Dieu soit faite; ce qui est cause qu'il ne craint plus
ni la mort • ni les douleurs , ni les disgrâces, pour-
cequ'il sait que rien ne lui peut arriver que ce que
Dieu aura décrété; et il aime tellement ce divin
décret, il l'estime si juste et si nécessaire, il sait
qu'il en doit si entièrement dépendre, que même
lorsqu'il en attend la mort, ou quelque autre mal,
si par impossible il pouvoit le changer, il n'en au-
roit pas la volonté. Mais s'il ne refuse point les
maux ou les afflictions pourcequ'elles lui viennent
de la providence divine, il refuse encore moins
tous les biens on plaisirs licites dont il peut jouir
en cette vie, pourcequ'ils en viennent aussi; et les
recevant avec joie sans avoir aucune crainte des
maux, son amour le rend parfaitement heureux.
Il est vrai qu'il faut que l'âme se détache fort du
commerce des sens pour se représenter les vérités
qui excitent en elle cet amour, d'où vient qu'il ne
semble pas qu'elle puisse la communiquer à la fa-
culté imaginative pour en faire une passion. Mais
néanmoins je ne doute point qu'elle ne lui com-
munique; car, encore que nous ne puissions rien
imaginer de ce qui est en Dieu, lequel est l'objet
de notre amour, nous pouvons imaginer notre
amour même, qui consiste en ce que nous voulons
nous unir à quelque objet, c'est-à-dire au regard
de Dieu , nous considérer comme une très petite
partie de toute l'immensité des choses qu'il a créées,
l4 LETTRES.
pourceque, selon que les objets sont divers, on se
peut unir avec eux ou les joindre à soi en diverses
façons; et la seule idée de cette union suffit pour
exciter de la chaleur autour du cœur , et causer
une très violente passion. Il est vrai aussi que
l'usage de notre langue et la civilité des compli-
ments ne permettent pas que nous disions à ceux
qui sont d'une condition fort relevée au-dessus de
la nôtre, que nous les aimons, mais seulement que
nous les respectons, honorons et estimons, et que
nous avons du zèle et de la dévotion pour leur
service, dont il me semble que la raison est que
l'amitié d'homme à homme rend égaux en quel-
que façon ceux en qui elle est réciproque; et
ainsi que pendant que Ton tâche à se faire ai-
mer de quelque grand, si on lui disoit qu'on l'aime,
il pourroit penser qu'on le traite d'égal et qu'on lui
fait tort. Mais pourceque les philosophes n'ont
pas coutume de donner divers noms aux choses
qui conviennent en une même définition , et que
je ne sais point d'autre définition de l'amour, sinon
qu'elle est une passion qui nous fait joindre de vo-
lonté à quelque objet, sans distinguer si cet objet
est égal, ou plus grand, ou moindre que nous , il
me semble que, pour parler leur langue, je dois dire
qu'on peut aimer Dieu. Et si je vous demandois en
conscience si vous n'aimez point cette grande reine
auprès de laquelle vous êtes à présent, vous auriez
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LETTRES. l5
beau dire que vous n'avez pour elle que du res-
pect, de la vénération et de l'étonnement, je ne
laisserois pas déjuger que vous avez aussi une très
ardente affection, car votre style coule si bien
quand vous parlez d'elle, que, bien que je croie
tout ce que vous eu dites, pourceque je sais que
vous êtes très véritable, et que j'en ai aussi ouï
parler à d'autres, je ne crois pas néanmoins que
vous la pussiez décrire comme vous faites si vous
n'aviez beaucoup de zèle, ni que vous puissiez
être auprès d'une si grande lumière sans en rece-
voir de la chaleur. Et tant s'en faut que l'amour
que nous avons pour les objets qui sont au-dessus
de nous soit moindre que celle que nous avons
pour les autres; je crois que de sa nature elle est
plus parfaite, et qu'elle fait qu'on embrasse avec
plus d'ardeur les intérêts de ce qu'on aime. Car la
nature de l'amour est de faire qu'on se considère
avec l'objet aimé comme un tout dont on n'est
qu'une partie, et qu'on transfère tellement les soins
qu'on a coutume d'avoir pour soi-même à la con-
servation de ce tout , qu'on n'en retienne pour soi
en particulier qu'une partie aussi grande ou aussi
petite qu'on croit être une grande ou petite partie
du tout auquel on a donné son affection ; en sorte
que, si on s'est joint de volonté avec un objet qu'on
estime moindre que soi, par exemple, si nous ai-
mons une fleur, un oiseau, un bâtiment, ou chose
,6 LETTRES.
semblable, la plus haute perfection où cette amour
puisse atteindre, selon son vrai usage, ne peut faire
que nous mettions notre vie en aucun hasard pour
la conservation de ces choses, pourcequ'elles ne
sont pas des parties plus nobles du tout qu'elles
composent avec nous, que nos ongles et nos che-
veux sont de notre corps; et ce seroit une extra-
vagance de mettre tout le corps au hasard pour la
conservation des cheveux. Mais quand deux hom-
mes s'entr'aiment, la charité veut que chacun
d'eux estime son ami plus que soi-même; c'est pour-
quoi leur amitié n'est point parfaite, s'ils ne sont
prêts de dire en faveur l'un de l'autre: Même adsum
qui feci, inme converlite ferrum, etc.Tout de même,
quand un particulier se joint de volonté à son
prince ou à son pays, si son amour est parfaite, il
ne se doit estimer que comme une fort petite
partie du tout qu'il compose avec eux, et ainsi ne
craindre pas plus d'aller à une mort assurée pour
leur service , qu'on craint de tirer un peu de sang
de son bras pour faire que le reste du corps se
porte mieux. Et on voit tous les jours des exemples
de cette amour, même en des personnes de basse
condition , qui donnent leur vie de bon cœur pour
le bien de leur pays, ou pour la défense d'un grand
qu'ils affectionnent. Ensuite de quoi il est évident
que notre amour envers Dieu doit être sans com-
paraison la plus grande et la plus parfaite de toutes.
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LETTRES. 17
Je n'ai pas peur que ces pensées métaphysiques
donnent trop de peine à votre esprit , car je sais
qu'il est très capable de tout; mais j'avoue qu'elles
lassent le mien , et que la présence des objets sen-
sibles ne permet pas que je m'y arrête long-temps.
C'est pourquoi je passe à la troisième question ,
savoir , lequel des deux dérèglements est le pire ,
celui de l'amour ou celui de la haine. Mais je me
trouve plus empêché à y répondre qu'aux deux
autres , à cause que vous y avez moins expliqué
votre intention , et que cette difficulté se peut en-
tendre en divers sens, qui me semblent devoir être
examinés séparément. On peut dire qu'une passion
est pire qu'une autre , à cause qu'elle nous rend
moins vertueux, ou à cause qu'elle répugne da-
vantage à notre contentement , ou enfin à cause
qu'elle nous emporte à de plus grands excès, et
nous dispose à faire plus de mal aux autres hommes.
Pour le premier point , je le trouve douteux ;
car, en considérant les définitions de ces deux pas-
sions , je juge que l'amour que nous avons pour
un objet qui ne le mérite pas nous peut rendre
pires que ne fait la haine que nous avons pour un
autre que nous devrions aimer ; à cause qu'il y a
plus de danger d'être joint à une chose qui est
mauvaise et d'être comme transformé en elle,
qu'il n'y en a d'être séparé de volonté d'une qui
est bonne. Mais quand je prends garde aux incli-
10. *
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ï8 LETTRES.
nations ou habitudes qui naissent de ces passions,
je change d'avis; car voyant que l'amour, quel-
que déréglée quelle soit, a toujours le bien pour
objet, il ne me semble pas qu'elle puisse tant
corrompre nos mœurs que fait la haine, qui ne
se propose que le mal. Et on voit par expérience
que les plus gens de bien deviennent peu à peu
malicieux, lorsqu'ils sont obligés de haïr quel-
qu'un ; car, encore même que leur haine soit juste,
ils se représentent si souvent les maux qu'ils re-
çoivent de leur ennemi, et aussi ceux qu'ils lui
souhaitent , que cela les accoutume peu à peu à
la malice. Au contraire, ceux qui s'adonnent à ai-
mer, encore même que leur amour soit déréglée
et frivole, ne laissent pas de se rendre souvent
plus honnêtes gens et plus vertueux que s'ils oc-
cupoient leur esprit à d'autres pensées. Pour le
second point, je n'y trouve aucune difficulté; car
la haine est toujours accompagnée de tristesse et
de chagrin, et quelque plaisir que certaines gens
prennent à faire du mal aux autres , je crois que
leur volupté est semblable à celle des démons ,
qui , selon notre religion , ne laissent pas d'être
damnés , encore qu'ils s'imaginent continuellement
se venger de Dieu en tourmentant les hommes dans
les enfers. Au contraire, l'amour, tant déréglée
qu'elle soit , donne du plaisir, et bien que les poètes
s'en plaignent souvent dans leurs vers , je crois
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LETTRES. 19
néanmoins que les hommes s'abstiendroient natu-
rellement d'aimer, s'ils n'y trouvpient plus de
douceur que d'amertume ; et que toutes les af-
flictions dont on attribue la cause à l'amour ne
viennent que des autres passions qui l'accom-
pagnent, à savoir, des désirs téméraires et des
espérances mal fondées. Mais si Ton demande la-
quelle de ces deux passions nous emporte à de
plus grands excès , et nous rend capables de faire
plus de mal au reste des hommes, il me semble
que je dois dire que c'est l'amour, d'autant qu'elle
a naturellement beaucoup plus de force et plus de
vigueur que la haine, et que souvent l'affection
qu'on a pour un objet de peu d'importance cause
incomparablement plus de maux que ne pourroit
faire la haine d'un autre de plus de valeur. Je prouve
que la haine a moins de vigueur que l'amour, par
l'origine de l'une et de l'autre : car s'il est vrai que
nos premiers sentiments d'amour soient venus de ce
que notre cœur recevoit abondance de nourriture
qui lui étoit convenable, et au contraire que nos pre-
miers sentiments de haine aient été causés par un
aliment nuisible qui venoit au cœur , et que main-
tenant les mêmes mouvements accompagnent en-
core les mêmes passions, ainsi qu'il a tantôt été
dit , il est évident que lorsque nous aimons , tout
le plus pur sang de nos veines coule abondamment
vers le cœur , ce qui envoie quantité d'esprits ani-
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20 LETTRES.
maux au cerveau, et ainsi nous donne plus de
force, plus de, vigueur et plus de courage ; au lieu
que si nous avons de la haine , ramertume du fiel
et l'aigreur de la rate se mêlant avec notre sang,
est cause qu'il ne vient pas tant ni de tels esprits au
cerveau , et ainsi qu'on demeure plus foible, plus
froid et plus timide. Et l'expérience confirme mon
dire ; car les Hercules , les Rolands , et générale-
ment ceux qui ont le plus de courage, aiment
plus ardemment que les autres ; et au contraire ,
ceux qui sont foibles et lâches sont les plus en-
clins à la haine. La colère peut bien rendre les
hommes hardis , mais elle emprunte sa vigueur de
l'amour qu'on a pour soi-même, laquelle lui sert
toujours de fondement, et non pas de la haine,
qui ne fait que l'accompagner. Le désespoir fait
faire aussi de grands efforts de courage , et la peur
fait exercer de grandes cruautés , mais il y a de la
différence entre ces passions et la haine. Il me
reste encore à prouver que l'amour qu'on a pour
un objet de peu d'importance peut causer plus
de mal étant déréglée que ne fait la haine d'un
autre de plus de valeur. Et la raison que j'en donne
est que le mal qui vient de la haine s'étend seule-
ment sur l'objet haï, au lieu que l'amour déré-
glée n'épargne rien, sinon son objet, lequel n'a
pour l'ordinaire que si peu d'étendue , à compa-
raison de toutes les autres choses dont elle est
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LETTRES. 2 1
prête de procurer la perte et la ruine, afin que
cela serve de ragoût à l'extravagance de sa fureur.
On dira peut-être que la haine est la plus pro-
chaine cause des maux qu'on attribue à l'amour ,
pourceque si nous aimons quelque chose, nous
haïssons par même moyen tout ce qui lui est con-
traire : mais l'amour est toujours plus coupable
que la haine des maux qui se font en cette façon,
d'autant qu'elle en est la première cause , et que
l'amour d'un seul objet peut ainsi faire naître la
haine de beaucoup d'autres. Puis, outre cela, les
plus grands maux de l'amour ne sont pas ceux
qu'elle commet en cette façon par l'entremise de
la haine ; les principaux et les plus dangereux sont
ceux qu'elle fait, ou laisse faire, pour le seul plai-
sir de l'objet aimé , ou pour le sien propre. Je me
souviens d'une saillie de Théophile , qui' peut être
mise ici pour exemple ; il fait dire à une personne
éperdue d'amour :
Dieux! que le beau Paria eut une belle proie!
Que cet amant fit bien
Alors qu'il alluma l'embrasement de Troie ,
Pour amortir le sien !
Ce qui montre que même les plus grands et les
plus funestes désastres peuvent être quelquefois ,
comme j'ai dit, des ragoûts d'une amour mal ré-
glée , et servir à la rendre plus agréable , d'autant
qu'ils en enrichissent le prix. Je ne sais si mes
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22 LETTRES.
pensées s'accordent en ceci avec les vôtres ; mais
je vous assure bien qu'elles s'accordent en ce que,
comme vous m'avez promis beaucoup de bienveil-
lance, ainsi je suis, avec une très ardente pas-
sion , etc.
D'Egmond, le i<r février 1647.
A MADAME *** ».
(Lettre 2a du tome II.)
Madame,
La satisfaction que j'apprends que votre altesse
reçoit au lieu où elle est fait que je n'ose souhai-
ter son retour , bien que j'aie beaucoup de peine à
m'en empêcher, principalement à cette heure que
je me trouve à La Haye; et pourceque je remar-
que par votre lettre du 2 1 février qu'on ne vous
doit point attendre ici avant la fin de l'été , je me
propose de faire un voyage en France pour mes
affaires particulières , avec dessein de revenir vers
l'hiver; et je ne partirai point de deux mois?
. « Comme Descartes répond à une lettre du ai février, il n'y a pas de
doute que cette lettre ne soit écrite du i5 mars 1647 » car M. Descartes
parle du livre de Régius, qui n'a été achevé d'imprimer qu'au i5 sep-
tembre 1646.»
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LETTRES. 2J
afin que je puisse auparavant avoir l'honneur de
recevoir les commandements de votre altesse , les-
quels auront toujours plus de pouvoir sur moi
qu'aucune autre chose qui soit au monde. Je loue
Dieu de ce que vous avez maintenant une parfaite
santé; mais je vous supplie de me pardonner si
j'ose contredire à votre opinion touchant ce qui
est de ne point user de remèdes, pourceque le mal
que vous aviez aux mains est passé; car il est à
craindre, aussi bien pour votre altesse que pour
madame votre sœur, que les humeurs qui se pur-
geoient en cette façon aient été arrêtées par le froid
de la saison, et qu'au printemps elles ne ramènent
le même mal, ou vous mettent en danger de quel-
que autre maladie, si vous n'y remédiez par une
bonne diète, n'usant que de viandes et de breuvages
qui rafraîchissent le sang et qui purgent sans aucun
effort; car pour les drogues, soit des apothicaires,
soit des empiriques, je les ai en si mauvaise es-
time que je n'oserois jamais conseiller à personne
de s'en servir. Je ne sais ce que je puis avoir écrit à
votre altesse , touchant le livre de Régius, qui vous
donne occasion de vouloir savoir ce que j'y ai ob-
servé; peut-être que je n'en ai pas dit mon opi-
nion, afin de ne pas prévenir votre jugement en cas
que vous eussiez déjà le livre ; mais , puisque j ap-
prends que vous ne l'avez point encore, je vous
dirai ici ingénument que je n'estime pas qu'il mé-
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34 LETTRES.
rite que votre altesse se donne la peine de le lire.
Il ne contient rien touchant la physique, sinon mes
assertions mises en mauvais ordre et sans leurs
vraies preuves, en sorte qu'elles paroissent para-
doxes , et que ce qui est mis au commencement ne
peut être prouvé que par ce qui est vers la fin. Il
n'y a inséré presque rien du tout qui soit de lui,
et peu de choses de ce que je n'ai point fait impri-
mer ; mais il n'a pas laissé de manquer à ce qu'il me
devoit, en ce que, faisant profession d'amitié avec
moi, et sachant hien que je ne désirois point que
ce que j'avois écrit touchant la description de l'ani-
mal fût divulgué, jusque là que je n'avois pas voulu
lui montrer, et m'en étois excusé sur ce qu'il ne se
pourroit empêcher d'en parler à ses disciples s'il
l'avoit vu , il n'a pas laissé de s'en approprier plu-
sieurs choses; et, ayant trouvé moyen d'en avoir
copie sans mon su, il en a particulièrement trans-
crit tout l'endroit où je parle du mouvement des
muscles, et où je considère, par exemple, deux des
muscles qui meuvent l'œil , de quoi il a deux ou
trois pages qu'il a répétées deux fois de mot à mot
en son livre, tant cela lui a plu. Et toutefois il n'a
pas entendu ce qu'il écrivoit, car il en a omis le
principal , qui est que les esprits animaux qui cou-
lent du cerveau dans les muscles ne peuvent re-
tourner par les mêmes conduits par où ils viennent,
sans laquelle observation tout ce qu'il écrit ne vaut
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LETTRES. 25
rien; et pourcequ'il n'avoit pas ma figure, il en a
fait une qui montre clairement son ignorance. On
m'a dit qu'il a encore à présent un autre livre de
médecine sous la presse , où je m'attends qu'il aura
mis tout le reste de mon écrit, selon qu'il aura pu
le digérer. Il en eût sans doute pris beaucoup d'au-
tres choses , mais j'ai su qu'il n'en avoit eu une
copie que lorsque son livre s achevoit d'imprimer.
Mais comme il suit aveuglément ce qu'il croit être
de mes opinions en tout ce qui regarde la physique
ou la médecine, encore même qu'il ne les entende
pas, ainsi il y contredit aveuglément en tout ce
qui regarde la métaphysique, de quoi je Tavois
prié de n'en rien écrire, pourceque cela ne sert
point à son sujet, et que j'étois assuré qu'il ne
pouvoit en rien écrire qui ne fût mal. Mais je n'ai
rien obtenu de lui , sinon que, n'ayant pas dessein
de me satisfaire en cela, il ne s'est plus soucié de
me désobliger aussi en autre chose. Je ne laisserai
pas de porter demain à mademoiselle la P. S. un
exemplaire de son livre, dont le titre est Henrici
regii fundamenta physices, avec un autre petit livre
de mon bon ami monsieur de Hogelande, qui a
fait tout le contraire de Régius, en ce queRégius
n'a rien écrit qui ne soit pris de moi, et qui ne soit
avec cela contre moi, au lieu que l'autre n'a rien
écrit qui soit proprement de moi (car je ne crois
pas même qu'il ait jamais bien lu mes écrits); et
26 LETTRES.
toutefois il n'a rien qui ne soit pour moi , en ce
qu'il a suivi les mêmes principes. Je prierai ma-
dame L. de faire joindre ces deux livres, qui ne
sont pas gros, avec les premiers paquets qu'il lui
plaira envoyer par Hambourg, à quoi je joindrai
la version françoise de mes Méditations, si je les
puis avoir avant que de partir d'ici, car il y a déjà
assez long-temps qu'on m'a mandé que l'impres-
sion en est achevée. Je suis , etc.
A M. DESCARTES.
(Lettre 19 du tome II. Version.)
Monsieur,
Nous n'avons pas plus tôt reçu les lettres que
vous avez pris la peine de nous écrire dligmond
le quatrième de ce mois, que nous avons donné
jour au recteur de l'académie, et aux professeurs
en théologie et philosophie, et aussi aux recteurs
du collège de théologie, pour comparoître devant
nous; et nous leur avons défendu très expressé-
ment à tous , et à chacun d'eux en particulier, de
faire dorénavant aucune mention de vous, ni de
vos opinions, dans leurs leçons, disputes, ou au-
tres exercices académiques, et leur avons ordonné
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I
LETTRES. J*7
de s'en taire entièrement ; en quoi ayant satisfait ,
comme nous pensons, autant que nous avons pu
à votre désir, nous ne doutons point que de votre
côté vous ne correspondiez au nôtre. C'est pour-
quoi nous vous prions aussi de tout notre pouvoir
de vous abstenir de parler et d'agiter davantage
cette question, que vous dites avoir été impugnée
par les professeurs de notre académie, par un ré-
gent de notre collège et par nos théologiens , de
peur des inconvénients qui en pourroient arriver
de part et d'autre, que nous jugeons être de notre
devoir et du bien de la république de prévenir.
Enfin, nous prions Dieu qu'il veuille vous conduire
par son esprit et vous conserver en santé. Donné
à Leyde le i3 des calendes de juin 1647.
Par les curateurs de l'académie, et les consuls de
la ville de Leyde. Par leur secrétaire, Jean de We-
velichoven.
A M. DESCARTES.
(Lettre 20 du tome II. Version.)
Monsieur,
Puisque , dans le même temps que vous
avez bien voulu exposer les sujets de vos plaintes
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2b LETTRES.
à MM. les curateurs de l'académie, et à MM. les
consuls de la ville de Leyde, vous m'avez aussi
fait l'honneur de m écrire, j'ai cru que, pour
répondre à votre attente, il étoit de mon devoir
d'accompagner leurs lettres publiques des miennes;
et je me suis acquitté d'autant plus volontiers de
cette partie de mon devoir, que j'ai reconnu que
vous aviez quelque confiance en moi et en ma re-
commandation; non que pour cela je veuille me
vanter que le soin que j'ai apporté en cette affaire
vous ait en aucune façon été utile ; car ce n'est qu'à
vous seul, et à l'équité de MM. les curateurs
et de MM. les consuls, que vous devez attri-
buer ce dont votre courtoisie me vouloit aussi être
redevable. Mais pourceque je vois par là que je
puis avoir quelque espérance de pouvoir vous
rendre service quand l'occasion s'en présentera ,
c'est pourquoi je prie Dieu qu'il vous conserve
toujours en bonne santé. A La Haye, le 1 3 des ca-
lendes de juin 16^7.
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LETTRES. 29
A MESSIEURS LES CURATEURS
DE L'ACADÉMIE ET DE LA VILLE DE LE Y DE»
(Lettre 21 du tome II. Version.)
Messieurs,
Comme je tiens à très grand honneur la faveur
que vous m'avez faite d'avoir eu quelque égard à
mes lettres, et d'y avoir répondu avec tant d'hon-
nêteté ; de même aussi je m'étonne fort de ce que
je ne puis comprendre votre pensée , ou plutôt de
ce que je n'ai pu exposer la mienne assez claire-
ment pour vous donner à entendre ce que je dési-
rois de vous : car je vois que vous me priez que je
m'abstienne de parler et d'agiter davantage cette
question que j'ai dit avoir été impugnée par deux
de vos théologiens. Mais permettez -moi de vous
dire que je ne sache point avoir jamais dit qu'ils
aient impugné aucune de mes opinions, ou, du
moins, aucune dont j'aie fait bruit et dont je me
sois vanté; mais je me suis plaint de ce que, par
une calomnie noire et tout-à-fait inexcusable,
ils m'ont attribué à dessein dans leurs thèses
des choses que je n'ai jamais écrites ni pensées.
Par exemple, j'ai écrit que Dieu est très grand, et
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30 LETTRES.
plus grand sans comparaison que toutes les créa-
tures; et votre régent, au contraire, feint que j'aie
écrit que l'idée de notre libre arbitre est plus
grande que l'idée de Dieu, ou bien que notre libre
arbitre est plus grand que Dieu même; et, par
cette médisance puérile, il m'attribue plus que le
pélagianisme. De plus, j'ai écrit que Dieu n'est point
trompeur, et même qu'il répugne entièrement qu'il
puisse être trompeur; et votre principal régent de
théologie assure que je tiens Dieu pour un impos-
teur et pour un trompeur, et ainsi il me fait passer
pour un blasphémateur : voilà de quoi je me suis
plaint. Ce n'est pas que je ne veuille bien que mes
opinions soient examinées par vos professeurs, ou
par toute autre sorte de personnes; car au con-
traire, lorsque je les ai données au public , j'ai sup-
plié toutes les personnes de lettres de se donner
la peine de les examiner, afin que, si j etois tombé
dans quelque erreur, elles me fissent la faveur de
me les montrer; ou, si j'avois rencontré la vérité en
quelque chose, qu'elles n'en eussent point de ja-
lousie. Or, voyant que vos deux théologiens n'im-
pugnoient aucune de mes opinions, mais seulement
qu'ils m'en attribuoient quelques unes qui sont
fort éloignées de ma pensée, j'ai bien cru qu'il
m'étoit permis de leur répondre par un écrit pu-
blic, et, par ce moyen, de faire connoître à tout le
monde leur malice et leur calomnie. Car je ne
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1 LETTRES. 3l
pense pas qu'ils soient venus à ce point d'orgueil,
que de croire qu'il leur soit permis , ou même qu'il
leur ait été permis de nous attaquer par des écrits
publics , et de nous charger d'injures outrageuses
sans qu'à nous autres, chétifs et misérables, il nous
soit presque permis d'ouvrir la bouche pour la
juste et légitime défense de notre honneur ; cela
seroit contre tout droit des gens, et l'on n'a même
jamais vu, dans pas un siècle, ni parmi aucune na-
tion, du moins qui se vantât d'être libre, qu'il fût
permis à des personnes d'en calomnier d'autres
publiquement sans qu'il leur fût aussi permis de
les accuser publiquement de leurs calomnies. Mais
d'autant que j'aurois pu négliger de si lâches et de
si ridicules calomniateurs, n'étoit qu'ils sont parmi
vous dans des emplois qui leur donnent quelque
autorité; et par conséquent, quand j'aurois voulu
mépriser leurs propres noms (que je ne rendrai
jamais plus célèbres en les attaquant à découvert,
de peur que l'amour d'un pareil châtiment n'en
portât d'autres à une semblable médisance), il me
les eût toujours fallu désigner par ceux qui leur
donnent chez vous cette autorité; j'ai cru que cela
ne pou voit être honorable à votre académie ; c'est
pourquoi j'ai mieux aimé vous donner avis de ce
qui se passoit , non que cela me fût avantageux ,
car je pouvois bien toujours me venger de telles
injures par d'autres voies très faciles et très justes;
32 LETTRES. *
mais, pour ne rien faire qui vous pût déplaire, et
pour vous témoigner qu'après de si grandes inju-
res reçues, je me contenterois d'une médiocre sa-
tisfaction, pourvu seulement qu'elle fût telle qu'elle
réparât le tort qui a été fait à mon honneur. Mais
pardonnez-moi si je dis que je ne puis reconnoître
la moindre ombre de satisfaction dans vos lettres;
car vous me mandez avoir expressément défendu
à tous , et à chacun de vos professeurs en particu-
lier, de faire le moins du monde mention de moi
ou de mes opinions dans leurs exercices académi-
ques. Je ne pense pas avoir rien fait qui mérite
cela de vous; et je n'ai jamais cru qu'aucune de
mes opinions fût si abominable, et, qui plus est,
si infâme ; et je n'ai jamais aussi ouï dire que les
autres les aient tenues pour telles qu'il ne fût pas
même permis d'en parler. Il n'y a que les person-
nes détestables et les scélérats de la terre qu'on
tienne pour des infâmes, c'est-à-dire pour des per-
sonnes dont il n'est pas même permis.de proférer
le nom. Croyez-vous donc que désormais je doive
être estimé pour tel parmi tous vos professeurs :
cela même ne me peut encore tomber en la pen-
sée; mais plutôt je me persuade que je ne com-
prends pas bien le sens de vos lettres. De même
aussi, lorsque vous demandez que je m'abstienne
de parler et d'agiter davantage cette question que
vous dites avoir été impugnée par les vôtres, je
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LETTRES. 33
ne puis encore comprendre votre demande. Vou-
driez-vous donc que je ne crusse pas que Dieu est
plus grand que toutes les créatures ensemble, et
qu'il ne peut être trompeur ; car c'a toujours été
mon opinion, et je n'en ai jamais parlé autrement;
ou bien voudriez-vous que je ne me défendisse
point de ces monstres d'opinion qui m'ont été
faussement attribués par les vôtres; car, comme
j'en ai toujours été très éloigné, on ne sauroit dé-
sirer de moi que je m'abstienne d'en parler da-
vantage et de les publier. C'est pourquoi je vous
conjure autant que je puis que , si je ne conçois
pas bien encore le sens de vos paroles, vous ne
vous rebutiez point, en me l'expliquant, de soula-
ger la tardiveté de mon esprit. Et si , par ci-devant,
je ne me suis pas assez expliqué sur ce que je dé-
sirois de vous, je vous prie maintenant de le bien
comprendre, et de ne pas croire que, pour m'ètre
plaint à vous des injures que l'on m'a faites, il soit
juste que j'en reçoive encore de plus grandes. Or,
ce que je demande de votre justice et de votre
clémence est que vos deux théologiens soient
obligés de se dédire, et de me décharger des ca-
lomnies atroces et tout-à-fait inexcusables que j'ai
ici marquées , et qu'ils m'en fassent une satisfac-
tion qui soit égale à leur crime et à leur médisance.
Et remarquez, je vous prie, qu'il n'est ici nulle-
ment question de la doctrine, mais seulement d'un
10. 3
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LETTRES.
fait, qui est de savoir si ce qu'ils feignent que j'ai
écrit se trouve ou non dans mes écrits , ce que
toute personne qui entend tant soit peu la langue
latine peut très aisément reconnoître. Vous saurez
aussi que je me soucie fort peu que l'on fasse
désormais mention de moi dans votre académie,
ou que l'on n'en fasse point; mais, comme je ne
m'étudie qu'à avoir des opinions très vraies, et que
je compte même entre mes opinions toute sorte
de vérités connues, je n'estime pas qu'on les puisse
bannir d'aucun lieu, si l'on ne veut en même temps
que la vérité en soit bannie; ni aussi qu'on puisse
défendre à personne de bien parler de celui dont
il a bonne estime, à moins que ceux qui font cette
défense le tiennent pour un scélérat et pour un
infâme , ou qu'ils le veuillent eux-mêmes charger
d'injures et d'ignominie. Enfin, pourceque je sais
assurément n'avoir point mérité cela de vous, j'at-
tendrai, s'il vous plaît, de votre courtoisie une
autre explication de vos lettres, et de la part de
mes adversaires une autre satisfaction des injures
qu'ils m'ont faites. Et cela étant, je serai toute ma
vie, etCt
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L ETTR ES.
35
A M. WEVELICHOVEN.
(Lettre a a du tome II. Version.)
Monsieur,
Je vous suis bien obligé de ce que vous avez eu
la bonté de joindre vos lettres à celles de MM. les
curateurs ; et l'offre que vous me faites de nou-
veau de votre service, si jamais l'occasion se pré-
sente que j'en aie besoin, est une faveur qui accroît
de beaucoup mes premières obligations; et, pour
ne vous rien dissimuler, je vous dirai qu'il s'en
présente déjà une où vous me pouvez beaucoup
servir; car vous verrez par la réponse que j'ai faite
à MM. les curateurs que je ne comprends pas
bien le sens de leur lettre , à cause que , sachant
la bonté, la justice et la prudence qu'ils observent
en toutes choses, je ne puis m'imaginer que, pour
m'être plaint à eux des injures que j'ai reçues, et
dont je pouvois très aisément et avec justice me
venger par une autre voie , ils aient eu dessein
de m'en faire de plus grandes : c'est pourquoi
je les supplie de me vouloir expliquer plus ouver-
tement leur pensée; et d'autant que la dextérité
que vous apportez dans les affaires, et le crédit
3.
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36 LETTRES.
que vous avez auprès de MM. les consuls , me
fait croire que vous aurez la meilleure part à tout
ce qu'ils résoudront, je vous aurai aussi le plus
d'obligation de tout ce qui sera résolu par eux à
mon avantage, et en attribuerai la plus grande par-
tie à l'affection que vous avez pour moi. Je suis, etc.
A MONSIEUR *** \
(Lettre 114 du tome II.)
Monsieur,
La générosité, la franchise, l'amour de la vérité
et de la justice, que j'ai éprouvées être en vous, et
que j'y estime d'autant plus que je vois que ce
sont des qualités inconnues à plusieurs autres, sont
cause que j'ai derechef recours à vous à l'occasion
d'une lettre que j'ai reçue ce matin de MM. les
curateurs de l'université de Leyde. Vous en trou-
verez ici la copie avec celle de la réponse que
j'y ai faite à l'heure même, par où vous verrez de
quelle façon je suis traité, et comment, après avoir
été calomnié par leurs théologiens, et leur en avoir
demandé justice, au lieu de me la faire , ils me met-
* « Cette lettre est écrite par Descartes à un de ses intimes amis dont
nous ignorons le nom , mais qui était protestant. Elle est datée , comme
le» ate et aae, du aa mai, 1647. •
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LETTRES. O7
tent au nombre des Érostrates et des plus infâmes
qui aient jamais été au monde, en défendant qu'on
ne parle de moi ni en bien ni en mal. Je n'avois
pas attendu d'eux une telle réponse, et l'affaire est
maintenant en tel point qu'il est nécessaire qu'on
me fasse raison, ou bien qu'on déclare publique-
ment que messieurs vos théologiens ont droit de
mentir et de calomnier, sans que les personnes de
ma sorte en puissent aucunement avoir justice
en ce pays. Et je vous prie de remarquer ces mots
en la lettre de MM. les curateurs , ab opinione, quant
a professoribus academiœ, et régente collegii theolo-
gis impugnatam retulistî; car le mot opinio, mis en
telle sorte, semble signifier quelque hérésie; et en
parlant en pluriel, de professoribus theologis, bien
que je ne me fusse plaint que d'un seul qui soit
professeur, ils semblent insinuer que toute la fa-
culté théologique de Leyde a souscrit aux calom-
nies dont je me suis plaint. Si cela est, et que la
chose demeure en ce point, c'est principalement
m'avertir que j'ai vos théologiens en corps pour
ennemis , et ainsi que je dois dorénavant étudier
les controverses et faire trois pas en arrière, afin
de me mettre en mesure pour me défendre. C'est à
quoi je serois très marri d'être contraint , bien
qu'il me seroit peut-être plus avantageux que la
complaisance dont j'ai usé jusqu'à présent. Au
reste, ce n'est point que je désire qu'on parle de
38 LETTRES.
moi en leur académie ; je voudrois qiiïl n'y eût
aucun pédant en toute la terre qui sût mon nom ;
et si entre leurs professeurs il se trouve des chats-
1 niants qui n'en puissent supporter la lumière, je
veux bien que, pour favoriser leur foiblesse, ils
mettent ordre en particulier que ceux qui jugent
bien de moi ne le témoignent point en public par
des louanges excessives : je n'en ai jamais recher-
ché ni désiré de telles; au contraire, je les ai tou-
jours évitées ou empêchées autant qu'il a été en
mon pouvoir; mais de défendre publiquement
qu'on ne parle de moi ni en bien ni en mal , et ,
qui plus est, de m'écrire qu'on a fait cette défense,
et vouloir que je cesse de maintenir les opinions
que j'ai, comme si elles avoient été bien et légiti-
mement impugnées par leurs professeurs, c'est
vouloir que je me rétracte après avoir écrit la vé-
rité, au lieu que j 'attend ois qu'on fît rétracter ceux
qui ont menti en me calomniant; et, au lieu de
me rendre la justice que j'ai demandée, ordonner
contre moi tout le pis qui puisse être imaginé.
Voilà, monsieur, les sentiments que j'ai touchant
la lettre qu'on m'a envoyée, et je les déclare ici en
confidence, à cause que je sais que vous m'aimez, et
que vous aimez aussi la raison et la justice. J'ajoute
que je vous demande conseil et assistance, comme
ayant toujours éprouvé votre secours très prompt,
très utile et très efficace. Le chemin que j'estime le
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LETTRES. 39
plus court pour sortir que bien que mal de cette
affaire , si tant est que MM. les curateurs aient tant
soit peu d'envie de ne me pasentièrement désobliger,
c'est que, sur ce que je leur mandai que je n'en-
tends pas le sens de leur lettre, ils pourroient ré-
pondre que leur intention n'est point de condam-
ner mes opinions, ni de bannir mon nom de leur
académie, mais que, pour maintenir la paix et l'ami-
tié entre leurs professeurs, ils ont trouvé bon de
leur défendre de disputer dorénavant dans leurs
thèses, ou autres exercices, touchant ce qui est ou
ce qui n'est pas en mes écrits, afin qu'ils s'occupent
seulement à examiner ce qui est ou ce qui n'est
pas vrai , plutôt que ce qu'un tel a dit ou n'a pas
dit; et que, pour les deux théologiens dont je me
suis plaint, ils ont eu tort de m'attribuer des opi-
nions directement contraires à celles que j'ai écrites,
et qu'ils leur en ont fait une telle réprimande qu'ils
jugent que j'en dois être content. C'est, selon mon
avis, toute la moindre satisfaction que je doive
avoir d'eux pour y pouvoir acquiescer ; et s'ils m'en
veulent donner un grain de moins , j'aime mieux
n'en recevoir point du tout; car ma cause sera
d'autant meilleure que le tort qu'on m'aura fait
sera plus grand. Si donc vous approuvez en cela
mon opinion, je vous prie de vouloir prendre la
peine de communiquer le tout à M. Brasset, auquel
je n'aurai loisir d'écrire que trois lignes, et d'agir
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l\0 LETTRES.
avec lui envers MM. les curateurs , ou autres,
afin que les choses aillent comme elles doivent. Je
n'ajoute point ici de compliments, car je n'en sais
point qui ne soient fort au-dessous de ce que je
vous dois , et je suis déjà plus que je ne dois expri-
mer, etc,
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etc.
(Lettre 19 du tome h)
Madame,
Encore que je pourrai trouver des occasions qui
me convieront à demeurer en France, lorsque j'y
serai, il n'y en aura toutefois aucune qui ait la force
de m'empècher que je ne revienne avant l'hiver,
pourvu que la vie et la santé me demeurent , puis-
que la lettre que j'ai eu l'honneur de recevoir de
votre altesse me fait espérer que vous retournerez
à La Haye vers la fin de 1 été. Mais je puis dire que
* « Cette lettre n'est pas datée, mais comme elle est écrite huit (jours
après la lettre anx curateurs de Ley de, datée du 4 mai 1647, cette lettre
est datée du 1 a mai 1647. »
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LETTRES. 41
c'est la principale raison qui me fait préférer la de-
meure de ce pays à celle des autres; car, pour le
repos que j'y étois ci-devant venu chercher, je pré-
vois que dorénavant je ne l'y pourrai avoir si en-
tier que je désirerois, à cause que, n'ayant pas en-
core tiré toute la satisfaction que je devois avoir
des injures que j'ai reçues à Utrecht, je vois qu'elles
en attirent d'autres, et qu'il y aune troupe de théo-
logiens, gens d'école, qui semblent avoir fait une
ligue ensemble pour tâcher à m'opprimer par ca-
lomnies ; en sorte que , pendant qu'ils machinent
tout ce qu'ils peuvent pour tâcher de me nuire, si
je ne veillois aussi pour me défendre, il leur seroit
aisé de me faire quelques affronts. La preuve de
ceci est que, depuis trois ou quatre mois, un cer-
tain régent du collège des théologiens de Leyde ,
nommé Révius, a fait disputer quatre diverses thè-
ses contre moi , pour pervertir le sens de mes Mé-
ditations, et faire croire que j'y ai mis des choses
fort absurdes et contraires à la gloire de Dieu,
comme, qu'il faut douter qu'il y ait un Dieu, et
même que je veux qu'on nie absolument pour quel-
que temps qu'il y en ait un, et choses semblables.
Mais pourceque cet homme n'est pas habile, et
que même la plupart de ses écoliers se moquoient
de ses médisances, les amis que j'ai à Leyde ne dai-
gnoient pas seulement m'avertir de ce qu'il faisoit,
jusques à ce que d'autres thèses ont aussi été faites
42 LETTRES.
parTrigl. \ leur premier professeur en théologie,
où il a mis ces mots fff. Sur quoi mes amis ont
jugé, même ceux qui sont aussi théologiens, que
l'intention de ces gens-là, en m 'accusant d'un si
grand crime comme est le blasphème, n'étoit pas
moindre que de tâcher à faire condamner mes opi-
nions comme très pernicieuses, premièrement par
quelque synode où ils seroient les plus forts, et en-
suite de tâcher aussi à me faire faire des affronts
par les magistrats, qui croient en eux; et que, pour
obvier à cela, il étoit besoin que je m'opposasse à
leurs desseins : ce qui est cause que depuis huit jours
j'ai écrit une longue lettre aux curateursr rte l'aca-
démie de Leyde, pour demander justice contre les
calomnies de ces deux théolog' as. Je ne sais point
encore la réponse que j'en aurai ; mais , selon que
je connois l'humeur des personnes de ce pays , et
combien ils révèrent, non pas la probité et la vertu,
mais la barbe, la voix et le sourcil des théologiens,
en sorte que ceux qui sont les plus effrontés et qui
savent crier le plus haut ont ici le plus de pouvoir
(comme ordinairement en tous les états populai-
res), encore qu'ils aient le moins de raison, je n'en
attends que quelques emplâtres, qui, n'ôtant point
la cause du mal, ne serviront qu'à le rendre plus
long et plus importun ; au lieu que de mon côté
je pense être obligé de faire mon mieux pour tirer
* « Triglandius. »
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Lettres. 43
une entière satisfaction de ces injures, et aussi par
même occasion de celles d'Utrecht; et, en cas que
je ne puisse obtenir justice (comme je prévois qu'il
sera très malaisé que je l'obtienne ) , de me reti-
rer tout-à-fait de ces provinces. Mais, pourceque
toutes choses se font ici fort lentement, je m'assure
qu'il se passera plus d'un an avant que cela arrive.
Je ne prendrois pas la liberté d'entretenir votre al-
tesse de ces petites choses, si la faveur qu'elle me
fait de vouloir lire les livres de M. Hoguelande, et
de Régius, à cause de ce qu'ils ont mis qui me re-
garde, ne me faisoit croire que vous n'aurez pas
désagréable de savoir de moi-même ce qui me tou-
che, outre que l'obéissance et le respect que je vous
dois m'obligent à vous rendre compte de mes ac-
tions. Je loue Dieu de ce que ce docteur, à qui votre
altesse a prêté le livre de mes Principes, a été long-
temps sans vous retourner voir, puisque c'est une
marque qu'il n'y a point du tout de malades à la
cour de madame l'électrice; et il semble qu'on a un
degré de santé plus parfait quand elle est générale
au lieu où l'on demeure, que lorsqu'on est envi-
ronné de malades. Ce médecin aura eu d'autant
plus de loisir de lire le livre qu'il a plu à votre al-
tesse de lui prêter, et vous en aura pu mieux dire
depuis son jugement. Pendant que j'écris ceci, je
reçois des lettres de La Haye et de Leyde, qui m'ap
prennent que l'assemblée des curateurs a été dif*
44 LETTRES.
férée, en sorte qu'on ne leur a point encore donné
mes lettres; et je vois qu'on fait d une brouillerie
une grande affaire. On dit que les théologiens en
veulent être juges, c'est-à-dire me mettre ici en
une inquisition plus sévère que ne fut jamais
celle d'Espagne, et me rendre l'adversaire de leur
religion ; sur quoi on voudroit que j'employasse
le crédit de M. l'ambassadeur de France , et
l'autorité de M. le prince d'Orange , non pas
pour obtenir justice, mais pour intercéder et em-
pêcher que mes ennemis ne passent outre. Je crois
pourtant que je ne suivrai point cet avis, je de-
manderai seulement justice, et si je ne la puis
obtenir, il me semble que le meilleur sera
que je me prépare tout doucement à la retraite;
mais, quoi que je pense ou que je fasse, et en
quelque lieu du monde que j'aille , il n'y aura ja-
mais rien qui me soit plus cher que d'obéir à vos
commandements, et de témoigner avec combien de
zèle je suis , etc.
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LETTRES. 45
A M. CHANUT.
( Lettre 36 du tome I. )
Monsieur,
Comme je passois par ici pour aller en France,
j'ai appris de M. Brasset qu'il m'avoit envoyé de
vos lettres à Egmond , et bien que mon voyage
soit assez pressé, je me proposois de les attendre;
mais ayant été reçues en mon logis trois heures
après que j'en étois parti , on me les a incontinent
renvoyées. Je les ai lues avec avidité. J'y ai trouvé
de grandes preuves de votre amitié et de votre
adresse. J'ai eu peur en lisant les premières pages ,
où vous m'apprenez que M. Durier avoit parlé à
la reine d'une de mes lettres , et qu'elle demandoit
de la voir. Par après je me suis rassuré étant à l'en-
droit où vous écrivez qu'elle en a ouï la lecture
avec quelque satisfaction; et je doute si j'ai été
touché de plus d'admiration de ce qu'elle a si faci-
lement entendu des choses que les plus doctes es-
timent très obscures , ou de joie, de ce qu'elles ne
lui ont pas déplu. Mais mon admiration s'est re-
doublée , lorsque j'ai vu la force et le poids des ob-
jections que sa majesté a remarquées touchant la
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46 LETTRES.
grandeur que j'ai attribuée à l'univers. Et je sou-
haiterois que votre lettre m eût trouvé en mon sé-
, jour ordinaire, pourceque, y pouvant mieux re-
cueillir mon esprit que dans la chambre d'une
hôtellerie, j'aurois peut-être pu me démêler un peu
mieux d'une question si difficile, et si judicieuse-
ment proposée. Je ne prétends pas toutefois que
cela me serve d'excuse; et pourvu qu'il me soit
permis de penser que c'est à vous seul que j'écris,
afin que la vénération et le respect ne rendent point
mon imagination trop confuse, je m'efforcerai ici
de mettre tout ce que je puis dire touchant cette
matière.
En premier lieu , je me souviens que le cardinal
de Cusa et plusieurs autres docteurs ont supposé
le monde infini , sans qu'ils aient jamais été repris
de l'église pour ce sujet; au contraire, on croit que
c'est honorer Dieu que de faire concevoir ses œu-
vres fort grands; et mon opinion est moins difficile à
recevoir que la leur, pourceque/je nedis pas que le
monde soit infini, mais indéfini seulement. En quoi
il y a une différence assez remarquable : car pour
dire qu'une chose est infinie, on doit avoir quel-
que raison qui la fasse connoître telle , ce qu'on
ne peut avoir que de Dieu seul ; mais pour dire
qu'elle est indéfinie, il suffit de n'avoir point de
raison par laquelle on puisse prouver qu'elle ait
des bornes. Ainsi il me semble qu'on ne peut prou-
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LETTRES. 47
ver , ni même concevoir qu'il y ait des bornes en
la matière dont le monde est composé. Car en exa-
minant la nature de4 cette matière, je trouve qu'elle
ne consiste en autre chose qu'en ce qu elle a de
l'étendue en longueur , largeur et profondeur , de
façon que toutce qui a ces trois dimensions est une
partie de cette matière, et il ne peut y avoir aucun
espace entièrement vide , c'est-à-dire qui ne con-
tienne aucune matière, à cause que nous ne sau-
rions concevoir un tel espace , que nous ne conce-
vions en lui ces trois dimensions, et par conséquent
de la matière. Or , en supposant le monde fini , on
imagine au-delà de ses bornes quelques espaces
qui ont leurs trois dimensions, et ainsi qui ne sont
pas purement imaginaires, comme les philosophes
les nomment, mais qui contiennent en soi de la ma-
tière , laquelle ne pouvant être ailleurs que dans le
monde , fait voir que le monde s'étend au-delà des
bornes qu'on avoit voulu lui attribuer. N'ayant
donc aucune raison pour prouver et même ne
pouvant concevoir que le monde ait des bornes,
je le nomme indéfini; mais je ne puis nier pour
cela qu'il n'en ait peut-être quelques unes qui sont
connues de Dieu, bien qu'elles me soient incom-
préhensibles : c'est'pourquoi je ne dis pas absolu-
ment qu'il est infini.
Lorsque son étendue est considérée en cette
sorte, si on la compare avec sa durée, il me sem-
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48 LETTRES.
ble qu'elle donne seulement occasion de penser
qu'il n'y a point de temps imaginable avant la créa-
tion du monde auquel Dieu n'eût pu le créer, s'il
eût voulu ; et qu'on n'a point sujet pour cela de
conclure qu'il l'a véritablement créé avant un
temps indéfini , à cause que l'existence actuelle ou
véritable que le monde a eue depuis cinq ou six
mille ans n'est pas nécessairement jointe avec
l'existence possible ou imaginaire qu'il a pu avoir
auparavant; ainsi que l'existence actuelle des es-
paces qu'on conçoit autour d'un globe (c'est-à-dire
du monde supposé comme fini ) est jointe avec
l'existence actuelle de ce même globe. Outre cela ,
si de l'étendue indéfinie du monde on pouvoit infé-
rer l'éternité de la durée au regard du temps passé ,
on la pourroit encore mieux inférer de l'éternité
de la durée de l'avenir. Car la foi nous enseigne
que bien que la terre et les cieux périront , c'est-à-
dire changeront de face, toutefois le monde, c'est-
à-dire la matière dont ils sont composés, ne périra
jamais; comme il paroît de ce qu'elle promet une
vie éternelle à nos corps après la résurrection, et
par conséquent aussi au monde dans lequel ils se-
ront; mais de cette durée infinie que le monde
doit avoir à l'avenir, on n'infère point qu'il ait été
ci-devant de toute éternité , à cause que tous les
moments de sa durée sont indépendants les uns des
autres.
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LETTRES. 49
Pour les prérogatives que la religion attribue
à l'homme, et qui semblent difficiles à croire, si
l'étendue de l'univers est supposée indéfinie , elles
méritent quelque explication : car bien que nous
puissions dire que toutes les choses créées sont
faites pour nous , en tant que nous en pouvons tirer
quelque usage, je ne sache point néanmoins que
nous soyons obligés de croire que l'homme soit la
fin delà création. Mais il dit que omnia propter ip-
sum (Deum) fada sunt, que c'est Dieu seul qui
est la cause finale, aussi bien que la cause efficiente
de l'univers; et pour les créatures, d'autant qu'elles
servent réciproquement les unes aux autres, cha-
cune se peut attribuer cet avantage, que toutes
celles qui lui servent sont faites pour elle. Il est
vrai que les six jours de la création sont tellement
décrits en la Genèse , qu'il semble que l'homme en
soit le principal sujet; mais on peut dire que cette
histoire de la Genèse ayant été écrite pour l'homme,
ce sont principalement les choses qui le regardent
que le Saint-Esprit y a voulu spécifier, et qu'il n'y
est parlé d'aucunes,qu'en tant qu'elles se rapportent
à l'homme. Et à cause que les prédicateurs ayant
soin de nous inciter à l'amour de Dieu, ont coutume
de nous représenter les divers usages que nous ti-
rons des autres créatures, et disent que Dieu les
a faites pour nous, et qu'il ne nous faut point
considérer les autres fins pour lesquelles on peut
10. 4
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5o LETTRES.
aussi dire qu'il les a faites, à cause que cela ne sert
point à leur sujet, nous sommes fort enclins à
croire qu'il ne les a faites que pour nous. Mais les
prédicateurs passent plus outre, car ils disent que
chaque homme en particulier est redevable à Jésus-
Christ de tout le sang qu'il a répandu en la croix,
tout de même que s'il n'étoit mort que pour un
seul; en quoi ils disent bien la vérité; mais comme
cela n'empêche pas qu'il n'ait racheté de ce même
sang un très grand nombre d'autres hommes ; ainsi
je ne vois point que le mystère de l'incarnation ,
et les autres avantages que Dieu a faits à l'homme,
empêchent qu'il n'en puisse avoir fait une infinité
d'autres très grands à une infinité d'autres créa-
tures. Et bien que je n'infère point pour cela qu'il
y ait des créatures intelligentes dans les étoiles, ou
ailleurs, je ne vois pas aussi qu'il y ait aucune rai-
son par laquelle on puisse prouver qu'il n'y en a
point; mais je laisse toujours indécises les ques-
tions qui sont de cette sorte, plutôt que d'en rien
nier ou assurer. Il me semble qu'il ne reste plus ici
autre difficulté, sinon qu'après avoir cru long-
temps que l'homme a de grands avantages par-des-
sus les autres créatures, il semble qu'on les perd
tous lorsqu'on vient à changer d'opinion. Mais
je distingue entre ceux de nos biens qui peuvent
devenir moindres, de ce que d'autres en possèdent
de semblables, et ceux que cela ne peut rendre
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LETTRES. 5l
moindres. Ainsi un homme qui n'a que mille pis-
toles seroit fort riche s'il n'y avoit point d autres
personnes au monde qui en eussent tant , et le
même seroit fort pauvre s'il n'y avoit personne qui
n'en eût beaucoup davantage ; et ainsi toutes les
qualités louables donnent d'autant plus de gloire
à ceux qui les ont, qu'elles se rencontrent en moins
de personnes; c'est pourquoi on a coutume de
porter envie à la gloire et aux richesses d'autrui.
Mais la vertu, la science, la santé, et généralement
tous les autres biens étant considérés en eux-mêmes,
sans être rapportés à la gloire, ne sont aucunement
moindres en nous de ce qu'ils se trouvent aussi
en beaucoup d'autres ; c'est pourquoi nous n'avons
aucun sujet d'être fâchés qu'ils soient en plusieurs.
Or les biens qui peuvent être en toutes les créa-
tures intelligentes d'un monde indéfini sont de ce
nombre , ils ne rendent point moindres ceux que
nous possédons : au contraire lorsque nous aimons
Dieu, et que par lui nous nous joignons de volonté
avec toutes les choses qu'il a créées, d'autant que
nous les concevons plus grandes, plus nobles, plus
parfaites, d'autant nous estimons-nous aussi davan-
tage, à cause que nous sommes des parties d'un
tout plus accompli; et d'autant avons-nous plus de
sujet de louer Dieu , à cause de l'immensité de ses
œuvres. Lorsque l'Écriture sainte parle en divers
endroits de la multitude innombrable des anges,
4.
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52 LETTRES.
elle confirme entièrement cette opinion : car nous
jugeons que les moindres anges sont incompara-
blement plus parfaits que les hommes. Et les as-
tronomes, qui en mesurant la grandeur des étoiles
les trouvent beaucoup plus grandes que la terre,
la confirment aussi : car si de l'étendue indéfinie
du monde on infère qu'il doit y avoir des habi-
tants ailleurs qu'en la terre , on le peut inférer
aussi de l'étendue que tous les astronomes lui at-
tribuent, à cause qu'il n'y en a aucun qui ne juge
que la terre est plus petite au regard de tout le
ciel , que n'est un grain de sable au regard d'une
montagne.
Je passe maintenant à votre question, touchant
les causes qui nous incitent souvent à aimer une
personne plutôt qu'une autre, avant que nous en
connoissions le mérite; et j'en remarque deux , qui
sont , l'une dans l'esprit , et l'autre dans le corps.
Mais pour celle qui n'est que dans l'esprit, elle pré-
suppose tant de choses touchant la nature de nos
âmes, que je n'oserois entreprendre de les déduire
dans une lettre; je parlerai seulement de celle du
corps. Elle consiste dans la disposition des parties
de notre cerveau , soit que cette disposition ait été
mise en lui par les objets des sens, soit par quel-
que autre cause : car les objets qui touchent nos sens
meuvent par l'entremise des nerfs quelques parties
de notre cerveau , et y font comme certains plis,
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Ï.ETTRliS. 53
qui se défont lorsque l'objet cesse d'agir; mais la
partie où ils ont été faits demeure par après dispo-
sée à être pliée derechef en la même façon par un
autre objet qui ressemble en quelque chose au pré-
cédent, encore qu'il ne lui ressemble pas en tout.
Par exemple , lorsque j etois enfant, j'aimois une
fille de mon âge, qui étoit un peu louche; au moyen
de quoi , l'impression qui se faisoit par la vue en
mon cerveau, quand je regardois ses yeux égarés,
se joignoit tellement à celle qui s'y faisoit aussi pour
émouvoir en moi la passion de l'amour, que long-
temps après en voyant des personnes louches, je
me sentois plus enclin à les aimer qu'à en aimer
d'autres , pour cela seul qu'elles avoient ce défaut;
et je ne sa vois pas néanmoins que ce fut pour cela;
au contraire , depuis que j'y ai fait réflexion , et
que j'ai reconnu que cetoit un défaut, je n'en ai
plus été ému. Ainsi lorsque nous sommes portés à
aimer quelqu'un sans que nous en sachions la cause,
nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a
quelque chose en lui de semblable à ce qui a été
dans un autre objet que nous avons aimé aupara-
vant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est ;
et, bien que ce soit plus ordinairement une perfec-
tion qu'un défaut qui nous attire ainsi à l'amour ,
toutefois à cause que ce peut être quelquefois un
défaut, comme en l'exemple que j'ai apporté, un
homme sage ne se doit pas laisser entièrement al-
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54 LETTRES.
1er à cette passion avant que d'avoir considéré le
mérite de la personne pour laquelle nous nous sen-
tons émus. Mais à cause que nous ne pouvons pas
aimer également tous ceux en qui nous remarquons
des mérites égaux , je crois que nous sommes seu-
lement obligés de les estimer également; et que le
principal bien de la vie étant d'avoir de l'amitié
pour quelques uns , nous avons raison de préférer
ceux à qui nos inclinations secrètes nous joignent,
pourvu que nous remarquions aussi en eux du
mérite. Outre que lorsque ces inclinations secrètes
ont leur cause en l'esprit, et non dans le corps, je
crois qu'elles doivent toujours être suivies ; et la
marque principale qui les fait connoître , est que
celles qui viennent de l'esprit sont réciproques , ce
qui n'arrive pas souvent aux autres. Mais les preu-
ves que j'ai de votre affection m'assurent si fort
que l'inclination que j'ai pour vous est réciproque,
qu'il faudroit que je fusse entièrement ingrat, et
que je manquasse à toutes les règles que je crois
devoir être observées en l'amitié, si je netois pas
avec beaucoup de zèle , etc.
A La Haye, le 6 juin 1647.
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LETTRES
A MADAME ÉLIZ ABETII ,
PRINCESSE PALATINE, etc. ».
(Lettre 20 du tome I. )
Madame,
Passant par La Haye pour aller en France, puis-
que je ne puis y avoir l'honneur de recevoir vos
commandements , et vous faire la révérence, il me
semble que je suis obligé de tracer ces lignes, afin
d'assurer votre altesse que mon zèle et ma dévo-
tion ne changeront point, encore que je change de
terre. J'ai reçu depuis deux jours une lettre de
Suède , de monsieur le résident de France qui est là ,
où il me propose une question de la part de la reine,
à laquelle il m'a fait connoître en lui montrant ma
réponse à une autre lettre qu'il m'avoit ci-devant
envoyée; et la façon dont il décrit cette reine, avec
les discours qu'il rapporte d'elle, me la font telle-
ment estimer, qu'il me semble que vous seriez di-
gnes de la conversation l'une de l'autre ; et qu'il y
' « Cette lettre es» du 7 juin 1647 1 car clic est écrite 1« lendemain
de la 3<ic du touie I , adressée à M. Chanut, et fixement daîéc du 6
juin 16/17. "
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56 LETTRES.
en a si peu au reste du monde qui en soient dignes,
qu'il ne seroit pas malaisé à votre altesse de lier
une fort étroite amitié avec elle; et qu'outre le con-
tentement d'esprit que vous en auriez, cela pour-
roit être à désirer pour diverses considérations.
J'avois écrit ci-devant à ce mien ami, résident en
Suède , en répondant à une lettre où il parloit d'elle,
que je ne trouvois pas incroyable cequ'ilm'en disoit,
à cause que l'honneur que j'avois de connoître votre
altesse , m'avoit appris combien les personnes de
grande naissance pouvoient surpasser les autres, etc.
Mais je ne me souviens pas si c'est en la lettre
qu'il lui a fait voir, ou bien en une autre précé-
dente ; et pourcequ'il est vraisemblable qu'il lui
fera voir dorénavant les lettres qu'il recevra de moi,
je tâcherai toujours d'y mettre quelque chose qui
lui donne sujet de souhaiter l'amitié de votre al-
tesse, si ce n'est que vous me le défendiez. On a
fait taire les théologiens qui me vouloient nuire ,
mais en les flattant, et en se gardant de les offen-
ser le plus qu'on a pu , ce qu'on attribue mainte-
nant au temps; mais j'ai peur que ce temps durera
toujours, et qu'on leur lairra prendre tant de pou-
voir, qu'ils seront insupportables. On achève l'im-
pression de mes Principes en françois , et pource-
que c'est l'Épître qu'on imprimera la dernière , j'en
envoie ici la copie à votre altesse , afin que s'il y
a quelque chose qui ne lui agrée pas, et qu'elle
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LETTRES. f>7
juge devoir être mis autrement, il lui plaise me
faire la faveur d'en avertir celui qui sera toute sa
vie, etc.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, CtC.
(Lettre 21 du tome I.)
Madame ,
Mon voyage ne pouvoit être accompagné d'au-
cun malheur, puisque j'ai été si heureux en le fai-
sant que d'être en la souvenance de votre altesse :
la très favorable lettre qui m'en donne des mar-
ques est la chose la plus précieuse que je pusse
recevoir en ce pays. Elle m auroit entièrement rendu
heureux, si elle ne m'a voit appris que la maladie
qu'avoit votre altesse auparavant que je partisse
de La Haye lui a encore laissé quelques restes d'in-
disposition en l'estomac. Les remèdes qu'elle a choi-
sis, à savoir la diète et l'exercice, sont à mon avis
» « Il est constant, par la fin de cette lettre, qu'elle est datée de Pari»;
et comme il partit de Paris vers le i5 juillet pour la Bretagne et le
Poitou, il est clair que cette lettre a été écrite de Paris vers le 10
juillet 1647. "
58 LETTRES.
les meilleurs de tous, après toutefois ceux de lame,
qui a sans doute beaucoup de force sur le corps ,
ainsi que montrent les grands changements que la
colère, la crainte et les autres passions excitent
en lui. Mais ce n'est pas directement par sa volonté
qu'elle conduit les esprits dans les lieux où ils peu-
vent être utiles ou nuisibles , c'est seulement en
voulant ou pensant à quelque autre chose : car la
construction de notre corps est telle , que certains
mouvements suivent en lui naturellement de cer-
taines pensées; comme on voit que la rougeur du
visage suit de la honte, les larmes de la com-
passion , et les ris de la joie. Et je ne sache point
de pensée plus propre pour la conservation de la
santé, que celle qui consiste en une forte persua-
sion et ferme créance que l'architecture de nos
corps est si bonne , que lorsqu'on est une fois
sain , on ne peut pas aisément tomber malade ,
si ce n'est qu'on fasse quelque excès notable , ou
bien que l'air ou les autres causes extérieures nous
nuisent ; et qu'ayant une maladie, on peut aisément
se remettre par la seule force de la nature, prin-
cipalement lorsqu'on est encore jeune. Cette per-
suasion est sans doute beaucoup plus vraie et plus
raisonnable que celle de certaines gens qui , sur
le rapport d'un astrologue ou d'un médecin, se font
accroire qu'ils doivent mourir en certain temps ,
et par cela seul deviennent malades, el même en
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LETTRES. 59
meurent assez souvent, ainsi que j'ai vu arriver à
diverses personnes. Mais je ne pourrois manquer
detre extrêmement triste, si je pensois que l'indis-
position de votre altesse durât encore; j'aime mieux
espérer qu'elle est toute passée; et toutefois le dé-
sir d'en être certain me fait avoir des passions ex-
trêmes de retourner en Hollande. Je me propose
de partir d'ici dans quatre ou cinq jours pour pas-
ser en Poitou et en Bretagne, où sont les affaires
qui m'ont amené; mais sitôt que je les aurai pu
mettre un peu en ordre, je ne souhaite rien tant
que de retourner vers les lieux où j'ai été si heu-
reux que d'avoir l'honneur de parler quelquefois
à votre altesse : car bien qu'il y ait ici beaucoup de
personnes que j'honore et estime, je n'y ai toute-
fois encore rien vu qui me puisse arrêter. Et je suis
au-delà de tout ce que je puis dire , etc.
A LA REINE DE SUÈDE.
(Lettre ire du tome III.)
Madame,
J'ai appris de M. Chanut qu'il plait à votre ma-
jesté que j'aie l'honneur de lui exposer l'opinion
60 LETTRES.
que j'ai touchant le souverain bien, considéré au
sens que les philosophes anciens en ont parlé; et
je tiens ce commandement pour une si grande
faveur, que le désir que j'ai d'y obéir me dé-
tourne de toute autre pensée, et fait que sans
excuser mon insuffisance , je mettrai ici en peu
de mots tout ce que je pourrai savoir sur cette
matière. On peut considérer la bonté de chaque
chose en elle-même , sans la rapporter à autrui ,
auquel sens il est évident que c'est Dieu qui est
le souverain bien, pourcequ'ii est incomparable-
ment plus parfait que les créatures; mais on peut
aussi la rapporter à nous , et en ce sens je ne vois
rien que nous devions estimer bien, sinon ce qui
nous appartient en quelque façon , et qui est tel
que c'est perfection pour nous de l'avoir. Ainsi
les philosophes anciens, qui, n'étant point éclai-
rés de la lumière de la foi, ne savoicnt rien de
la béatitude surnaturelle , ne considéroient que
les biens que nous pouvons posséder en cette
vie , et c'étoit entre ceux là qu'ils cherchoient le-
quel étoit le souverain, c'est-à-dire le principal
et le plus grand. Mais afin que je le puisse déter-
miner, je considère que nous ne devons estimer
biens à notre égard que ceux que nous possé-
dons, ou bien que nous avons pouvoir d'acqué-
rir; et cela posé, il me semble que le souverain
bien de tous les hommes ensemble est un amas
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LETTRES. 6l
ou un assemblage de tous les biens , tant de lame
que du corps et de la fortune , qui peuvent être
en quelques hommes ; mais que celui d'un cha-
cun en particulier est tout autre chose, et qu'il
ne consiste qu'en une ferme volonté de bien
faire , et au contentement qu'elle produit : dont
la raison est que je ne remarque aucun autre
bien qui me semble si grand , ni qui soit entiè-
rement au pouvoir d'un chacun. Car pour les
biens du corps et de la fortune , ils ne dépendent
point absolument de nous: et ceux de l'âme se
rapportent tous à deux chefs, qui sont; l'un de
connoître , et l'autre de vouloir ce qui est bon ;
mais la connoissance est souvent au-delà de nos
forces; c'est pourquoi il ne reste que notre vo-
lonté dont nous puissions absolument disposer.
Et je ne vois point qu'il soit possible d'en disposer
mieux , que si l'on a toujours une ferme et con-
stante résolution de faire exactement toutes les
choses que Ton jugera être les meilleures , et d'em-
ployer toutes les forces de son esprit à les bien
connoître ; c'est en cela seul que consistent tou-
tes les vertus; c'est cela seul qui, à proprement
parler, mérite de la louange et de la gloire; en-
fin, c'est de cela seul que résulte toujours le plus
grand et le plus solide contentement de la vie :
ainsi j'estime que c'est en cela que consiste le sou-
verain bien. Et par ce moyen je pense accorder les
6'2 LETTRES.
deux plus contraires et plus célèbres opinions des
anciens, à savoir celle de Zénon , qui Ta mis en la
vertu ou en l'honneur , et celle dTÈpicure , qui l'a
mis au contentement auquel il a donné le nom
de volupté. Car comme tous les vices ne viennent
que de l'incertitude et de la foiblesse qui suit l'i-
gnorance, et qui fait naître les repentirs; ainsi la
vertu ne consiste qu'en la résolution et la vigueur
avec laquelle on se porte à faire les choses qu'on
croit être bonnes, pourvu que cette vigueur ne
vienne pas d'opiniâtreté , mais de ce qu'on sait les
avoir autant examinées qu'on en a moralement
de pouvoir; et bien que ce qu'on fait alors puisse
être mauvais, on est assuré néanmoins qu'on fait
son devoir; au lieu que si on exécute quelque ac-
tion de vertu, et que cependant on pense mal faire,
ou bien qu'on néglige de savoir ce qui en est , on
n'agit pas en homme vertueux. Pour ce qui est de
l'honneur et de la louange, on les attribue souvent
aux autres biens de la fortune; mais pourceque
je m'assure que votre majesté fait plus d'état de sa
vertu que de sa couronne , je ne craindrai point
ici de dire qu'il ne me semble pas qu'il y ait rien
que cette vertu qu'on ait juste raison de louer.
Tous les autres biens méritent seulement d'être
estimés, et non point d'être honorés ou loués, *si
ce n'est en tant qu'on présuppose qu'ils sont acquis
ou obtenus de Dieu , par le bon usage du libre ar-
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LETTRES. G3
bitre ; car l'honneur et la louange est une espèce
de récompense , et il n'y a rien que ce qui dépend
de la volonté qu'on ait sujet de récompenser ou
de punir. Il me reste encore ici à prouver que c'est
de ce bon usage du libre arbitre que vient le plus
grand et le plus solide contentement de la vie , ce
qui me semble n'être pas difficile, pourceque con-
sidérant avec soin en quoi consiste la volupté ou
le plaisir, et généralement toutes les sortes de con-
tentements qu'on peut avoir, je remarque en pre-
mier lieu qu'il n'y en a aucun qui ne soit entière-
ment en l'âme, bien que plusieurs dépendent du
corps ; de même que c'est aussi 1 ame qui voit , bien
que ce soit par l'entremise des yeux. Puis je re-
marque qu'il n'y a rien qui puisse donner du con-
tentement à l'âme, sinon l'opinion qu'elle a dépos-
séder quelque bien , et que souvent cette opinion
n'en est qu'une représentation fort confuse, et
même que son union avec le corps est cause qu'elle
se représente ordinairement certains biens incom-
parablement plus grands qu'ils ne sont; mais que
si elle connoissoit distinctement leur juste valeur,
son contentement seroit toujours proportionné à
la grandeur du bien dont il procéderoit. Je remar-
que aussi que la grandeur d'un bien à notre égard
ne doit pas seulement être mesurée par la valeur
de la chose en quoi il consiste, mais principale-
ment aussi par la façon dont il se rapporte à nous;
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64 .LETTRES.
et qu'outre que le libre arbitre est de soi la chose
la plus noble qui puisse être en nous, d autant
qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu ,
et semble nous exempter de lui être sujets, et que
par conséquent son bon usage est le plus grand de
tous nos biens , il est aussi celui qui est le plus
proprement nôtre, et qui nous importe le plus;
d'où il suit que ce n'est que de lui que nos plus
grands contentements peuvent procéder ; aussi voit-
on , par exemple , que le repos d'esprit et la satis-
faction intérieure que sentent en eux-mêmes ceux
qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur
mieux , tant pour connoître le bien que pour l'ac-
quérir, est un plaisir sans comparaison plus doux ,
plus durable et plus solide que tous ceux qui vien-
nent d'ailleurs. J'omets encore ici beaucoup d'au-
tres choses , pourceque me représentant le nombre
des affaires qui se rencontrent en la conduite d'un
grand royaume , et dont votre majesté prend elle-
même les soins, je n'ose lui demander plus longue
audience; mais j'envoie à monsieur Chanut quel-
ques écrits où j'ai mis mes sentiments plus au
long touchant la même matière , afin que s'il plaît
à votre majesté de les voir, il m'oblige de les lui
présenter , et que cela aide à témoigner avec com-
bien de zèle et de dévotion je suis , etc.
D'Egraond, ce ao novembre 1G47.
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L KTTRES.
65
A M. CHANUT.
-
(Lettre 2 du tome II.)
Monsieur,
*
II est vrai que j'ai coutume de refuser d écrire
mes pensées touchant la morale , et cela pour deux
raisons : l'une, qu'il n'y a point de matière d'où
les malins puissent plus aisément tirer des prétex-
tes pour calomnier ; l'autre , que je crois qu'il n'ap-
partient qu'aux souverains, ou à ceux qui sont au-
torisés par eux , de se mêler de régler les mœurs
des autres. Mais ces deux raisons cessent en l'oc-
casion que vous m'avez fait l'honneur de me don-
ner en m'écrivant , de la part de l'incomparable
reine auprès de laquelle vous êtes, qu'il lui plaît
que je lui écrive mon opinion touchant le souve-
rain bien ; car ce commandement m'autorise assez,
et j'espère que ce que j'écris ne sera vu que d'elle
et de vous : c'est pourquoi je souhaite avec tant de
passion de lui obéir que, tant s'en faut que je me
réserve , je voudrois pouvoir entasser en une lettre
tout ce que j'ai jamais pensé sur ce sujet. En effet,
j'ai voulu 'mettre tant de choses en celle que je me
suis hasardé de lui écrire, que j'ai peur de n'y avoir
66 LETTRES.
rien assez expliqué; mais, pour suppléer à ce dé-
faut, je vous envoie un recueil de quelques autres
lettres, où j'ai déduit plus au long les mêmes cho-
ses; et j'y ai joint un petit Traité des Passions, qui
n'en est pas la moindre partie : car ce sont princi-
palement elles qu'il faut tâcher de connoître pour
obtenir le souverain bien que j'ai décrit. Si j'avois
aussi osé y joindre les réponses que j'ai eu l'hon-
neur de recevoir de la princesse à qui ces lettres
sont adressées, ce recueil auroit été plus accom-
pli ; et j'en eusse encore pu ajouter deux ou trois
des miennes , qui ne sont pas intelligibles sans cela :
maisj'aurois dû lui en demander permission , et elle
est maintenant bien loin d'ici. Au reste, je ne vous
prie point de présenter d'abord ce recueil à la
reine, car j'aurois peur de ne pas garder assez le
respect et la vénération que je dois à sa majesté,
si je lui envoyois des lettres que j'ai faites pour
une autre personne , plutôt que de lui écrire à elle-
même ce que je pourrai juger lui être agréable;
mais si vous trouvez bon de lui en parler, disant
que c'est à vous que je les ai envoyées , et qu'après
cela elle désire de les voir, je serai libre de ce scru-
pule ; et je me suis persuadé qu'il lui sera peut-
être plus agréable de voir ce que j'ai ainsi écrit à
une autre, que s'il lui avoit été adressé, pource-
qu'elle pourra s'assurer davantage que je n'ai rien
changé ou déguisé en sa considération. Mais je
i
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LETTRES. 67
vous prie que ces écrits ne tombent point, s'il est
possible , en d'autres mains, et de vous assurer que
je suis autant que je puis être, etc.
D'Egmont, ce ao novembre 1647.
A MADAME ÉLIZABEÏH,
• »
PRINCESSE PALATINE, etC. ».
(Lettre 3i du tome I.)
Madame,
Puisque j'ai déjà pris la liberté d'avertir votre
altesse de la correspondance que j'ai commencé
d'avoir en Suède, je pense être obligé de continuer,
et de lui dire que j'ai reçu depuis peu des lettres
de l'ami que j'ai en ce pays-là,par lesquelles il m'ap-
prend que la reine ayant été à Upsal, où est l'aca-
démie du pays, elle avoit voulu entendre une ha-
rangue du professeur en l'éloquence qu'il estime
pour le plus habile et le plus raisonnable de cette
académie, et qu'elle lui avoit donné pour son su-
jet à discourir du souverain bien de cette vie : mais
1 • Comme la lettre à la reine de Suède est écrite du ao novembre
1647, et que celle-ci est écrite le lendemain ou deux jours après, on
peut aisément s'en convaincre par la seule lecture de celle lettre, je la
fixe an ao novembre 1647. »
5.
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68 LETTRES,
qu'après avoir ouï cette harangue, elle a\ oit dit
que ces gens-là ne faisoient qu'effleurer les ma-
tières, et qu'il en faudroit savoir mon opinion ; à
quoi il lui avoit répondu qu'il savoit que j'étois
fort retenu à écrire de telles matières; mais que,
s'il plaisoit à sa majesté qu'il me la demandât de sa
part, il ne croyoit pas que je manquasse à tâcher
de lui satisfaire ; sur quoi elle lui avoit très expres-
sément donné charge de me la demander, et lui
avoit fait promettre qu'il m'en écriroit au prochain
ordinaire; en sorte qu'il me conseille d'y répon-
dre, et d'adresser ma lettre à la reine, à laquelle il
la présentera, et dit qu'il est caution quelle sera
bien reçue. J'ai cru ne devoir pas négliger cette
occasion; et considérant que , lorsqu'il m'a écrit
cela , il ne pouvoit encore avoir reçu la lettre où
je parlois de celles que j'ai eu l'honneur d écrire à
votre altesse louchant la même matière , j'ai pensé
que le dessein que j'avois en cela étoit failli, et qu'il
le falloit prendre d'un autre biais : c'est pourquoi
j'ai écrit une lettre à la reine, où, après avoir mis
brièvement mon opinion, j'ajoute que j'omets beau-
coup de choses, parceque, me représentant le nom-
bre des affaires qui se rencontrent en la conduite
d'un grand royaume , et dont sa majesté prend
elle-même les soins, je n'ose lui demander plus
longue audience; mais que j'envoie à M. Chanut
quelques écrits où j'ai mis mes sentiments plus au
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LETTRES. 6l)
long touchant la même matière, afin que, s'il lui
plaît de les voir, il puisse les lui présenter. Ces écrits
que j'envoie à M. Chanut sont les lettres que j'ai
eu l'honneur d'écrire à votre altesse touchant le
livre de Sénèque, De Vita beata , jusques à la moi-
tié de la sixième, où, après avoir défini les passions
en général , je mets que je trouve de la difficulté à
les dénombrer; en suite de quoi je lui envoie aussi
le petit Traité des Passions , lequel j'ai eu assez de
peine à faire transcrire sur un brouillon fort con-
fus que j'en avois gardé ; et je lui mande que je ne
le prie point de présenter d'abord ces écrits à la
reine, pourceque j'aurois peur de ne pas garder
assez le respect que je dois à sa majesté si je lui en-
voyois des lettres que j'ai faites pour une autre, plu-
tôt que de lui écrire à elle-même ce que je pourrois
juger lui être agréable; mais que, s'il trouve bon
de lui en parler, disant que c'est à lui que je les ai
envoyées, et qu'après cela elle désire de les voir, je
serai libre de ce scrupule; et que je me suis per-
suadé qu'il lui sera peut-être plus agréable devoir
ce qui a été ainsi écrit à une autre que s'il lui étoit
adressé, pourcequ'elle pourra s'assurer davantage
que je n'ai rien changé ou déguisé en sa considéra--
tion. Je n'ai pas jugé à propos d'y mettre rien de
plus de votre altesse, ni même d'en exprimer le
nom, lequel toutefois il ne pourra ignorer à cause
de mes lettres précédentes; mais considérant que ,
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70 LETTRES.
nonobstant qu'il soit homme très vertueux et grand
estimateur des personnes de mérite , en sorte que
je ne doute point qu'il n'honore votre altesse au-
tant qu'il doit, il ne m'en a toutefois parlé que ra-
rement en ses lettres, bien que je lui en aie écrit
quelque chose en toutes les miennes , j'ai pensé
qu'il faisoit peut-être scrupule d'en parler à la
reine, pourcequ'il ne sait pas si cela plairoit ou
déplairoit à ceux qui l'ont envoyé. Mais, si j'ai
dorénavant occasion de lui écrire à elle-même , je
n'aurai pas besoin d'interprète; et le but que j'ai
eu cette fois en lui envoyant ces écrits est de tâ-
cher à faire quelle s'occupe davantage à ces pen-
sées , et que si elles lui plaisent, ainsi qu'on me fait
espérer, elle ait occasion d'en conférer avec votre
altesse ^de laquelle je serai toute ma vie, etc.
A MONSIEUR * *\
(Lettre 99 du tome I.)
Monsieur,
Sans user aujourd'hui de l'autorité que vous avez
sur moi, qui seroit capable (si vous me le comman-
* « Remarques à l'occasion d'an placard imprimé aux Pays-Ras vers la
fin de l'année 1647. Ces remarques sont du 20 décembre iô4f. »
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LETTRES. 71
diez) de me faire supprimer des choses que j'aurois
estimées les plus justes et les plus raisonnables, je
vous prie de ne faire intervenir que votre raison
au jugement que je vous demande sur la réponse
que j'ai faite à un certain placard qui contient une
vingtaine d'assertions touchant Yâme raisonnable.
Mon écrit que je vous envoie vous fera connoître
les raisons qui m'ont porté à y faire réponse; et,
quoique leur auteur ait supprimé son nom, je ne
doute point que vous ne le reconnoissiez par le
style, ou même que vous ne l'appreniez du bruit
commun , ainsi que je l'ai appris et reconnu moi-
même; mais, puisqu'il a tâché de se mettre à cou-
vert , je ne vous le décèlerai point. Seulement je
vous demande un peu de patience pour cette lec-
ture , et beaucoup d'attention ; car j'attends votre
jugement pour me déterminer si je le dois donner
au public, et pour cela je vous l'envoie tel que je
rne propose de le faire paroître, si vous ne Tiin-
prouvez point.
REMARQUES DE RENÉ DESCARTES
SUR UN CERTAIN PLACARD
IMPRIMÉ AUX PAYS-BAS VERS LA FIN DE l' ANNEE 1647.
Il m'a été mis depuis peu de jours deux livrets
entre les mains, dans l'un desquels on s'attaque
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L K TT R ES.
ouvertement et directement à moi, et dans l'autre
on ne s'y attaque que couvertement et indirecte-
ment. Pour le premier1, je ne m'en tourmente pas
beaucoup : au contraire, je rends grâces à son au-
teur de ce que, ne l'ayant rempli que d'inutiles ca-
villations, et de calomnies si noires quelles ne
pourront être crues de personne, il montre par là
clairement qu'il n'a pu rien trouver en mes écrits
qu'il pût justement reprendre; et ainsi il en con-
firme mieux la vérité que s'il les avoit publique-
ment loués , et cela aux dépens de sa réputa-
tion. Pour l'autre , je m'en mets davantage en
peine; car, bien qu'il ne contienne rien qui s'a-
dresse ouvertement à moi , et qu'il paroisse sans
aucun nom, ni de l'auteur ni de l'imprimeur, tou-
tefois, pourcequ'il contient des opinions que je
juge être très pernicieuses et très fausses, et qu'il a
été imprimé en forme de placard, afin qu'il pût
être commodément affiché aux portes des temples ,
et ainsi qu'il fût exposé à la vue de tout le monde ;
et aussi pourceque j'ai appris qu'il a déjà été une
autre fois imprimé en une autre forme, sous le nom
d'un certain personnage qui s'en dit l'auteur que
la plupart estiment n'enseigner point d'autres opi-
nions que les miennes; je me trouve obligé d'en
découvrir les erreurs , de peur qu'elles ne me soient
■ « Intitulé , Consideratio Reviana , composé par Revins, théologien
de Leyde. »
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LETTRES. 70
imputées par ceux qui, n'ayant pas lu mes écrits,
pourront par hasard jeter les yeux sur de telles
affiches.
Voici maintenant le placard , tel qu'il a paru la
dernière fois.
EXPLICATION DE L'ESPRIT HUMAIN,
OU DE L'AME RAISONNABLE,
OU XL EST MONTRÉ CE QU'ELLE EST ET CE QUELLE PEUT ETRE.
(Version.)
Art. Ier L'esprit humain est ce par quoi les actions de la
pensée sont immédiatement exercées dans l'homme; et il ne
consiste précisément que dans ce principe interne, ou dans
cette faculté que l'homme a de penser.
II. Pour ce qui est de la nature des choses , rien n'empêche,
ce semble , que l'esprit ne puisse être , ou une substance , ou
un certain mode de la substance corporelle; ou, si nous vou-
lons suivre le sentiment de quelques nouveaux philosophes,
qui disent que l'étendue et la pensée sont des attributs qui
sont en certaines substances, comme dans leurs propres su-
jets , puisque ces attributs ne sont point opposés , mais sim-
plement divers , je ne vois pas que rien puisse empêcher que
l'esprit, ou la pensée, ne puisse être un attribut qui convienne
à un même sujet que l'étendue, quoique la notion de l'un ne
soit point comprise dans la notion de l'autre : dont la raison
est que tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi être ;
or est-il que l'on peut concevoir que l'esprit humain soit
1 « Leroi. »
74 LETTRES.
quelqu'une de ces choses, car il n'y a en cela aucune contra-
diction , et partant il en peut-être quelqu'une.
III. C'est pourquoi ceux-là se trompent qui soutiennent
que nous concevons clairement et distinctement l'esprit hu-
main comme une chose qui actuellement et par nécessité est
distincte réellement du corps.
IV. Mais maintenant qu'il soit vrai que l'esprit humain soit
en effet une substance, ou un être distinct réellement du
corps, et qu'il en puisse être actuellement séparé, et subsister
de soi-même sans lui , cela nous est révélé en plusieurs lieux
de la sainte Écriture ; et ainsi ce qui de sa nature peut être
douteux pour quelques uns ( au moins si nous ne nous con-
tentons pas d'une légère et morale connoissance des choses ,
mais si nous en voulons rechercher exactement la vérité ) nous
est maintenant devenu certain et indubitable, par la révéla-
tion qui nous en a été faite dans les saintes lettres.
V. Et cela ne fait rien de dire que nous pouvons douter
de l'existence du corps, mais que nous ne pouvons aucune-
ment douter de celle de l'esprit ; car cela prouve seulement
que pendant que nous doutons de l'existence du corps, nous
ne pouvons pas alors dire que l'esprit en soit un mode.
VI. Quoique l'esprit humain ou l'âme raisonnable soit une
substance distincte réellement du corps, néanmoins pendant
qu'elle est dans le corps elle est organique en toutes ses ac-
tions : c'est pourquoi, selon les diverses dispositions du corps,
les pensées de l'âme sont aussi diverses.
VII. Comme elle est d'une nature différente du corps et
de ses diverses dispositions, dont elle ne peut tirer son ori-
gine, elle est incorruptible.
VIII. Et comme la notion que nous en avons ne nous fait
concevoir en elle aucunes parties ni aucune étendue, c'est
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LETTRES. 7D
en vain que Ton demande si elle est tout entière dans le tout ,
et tout entière dans chaque partie.
IX. Comme les choses qui ne sont qu'imaginaires peuvent
aussi bien faire impression sur l'esprit, ou sur l'âme, que
celles qui sont vraies , il s'ensuit qu'il est naturellement in-
certain si nous apercevons véritablement aucun corps ( au
moins si , comme il a déjà été dit , nous ne voulons pas nous
contenter d'une légère et morale connoissance de la vérité,
mais que nous veuillons connoître les choses avec certitude ).
Mais la révélation qui nous a été faite dans les saintes lettres
nous a encore relevés de ce doute; car elle nous apprend
certainement que Dieu a créé le ciel et la terre , et toutes les
choses qui y sont contenues, et qu'il les conserve encore à
présent.
X. Le lien qui tient l'âme unie et conjointe au corps
n'est autre que la loi de l'immutabilité de la nature, qui est
telle , que chaque chose demeure en l'état qu'elle est pendant
que rien ne la change.
XI. Comme elle est une substance , et que dans la généra-
tion de chaque homme en particulier il s'en produit une nou-
velle, ceux-là sans doute ont très bonne raison qui disent
que l'âme raisonnable est produite par une immédiate créa-
tion de Dieu.
XII. L'esprit n'a pas besoin d'idées, ou de notions, ou
d'axiomes qui soient nés ou naturellement imprimés en lui ;
mais la seule faculté qu'il a de penser lui suffit pour exercer
ses actions.
XIII. Et partant toutes les communes notions qui se trou-
vent empreintes en l'esprit tirent toutes leur origine, ou de
l'observation des choses , ou de la tradition.
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76 LETTRES.
XIV. Bien plus, l'idée même de Dieu a été mise en l'esprit,
ou par la révélation divine, ou par la tradition, ou par l'ob-
servation des choses.
XV. La notion que nous avons de Dieu , ou cette idée de
Dieu qui est existante en notre esprit , n'est pas un argument
assez fort et convaincant pour prouver que Dieu existe ,
puisqu'il est certain que toutes les choses dont nous avons
en nous les idées n'existent pas actuellement, et qu'il est cer-
tain aussi que cette idée , étant une conception de notre es-
prit, et même une conception imparfaite, n'est pas plus au-
dessus de la portée de notre esprit, ou de notre pensée, et
n'excède pas davantage la vertu naturelle que nous avons de
penser, que l'idée d'aucune autre chose que ce soit.
XVI. La pensée de l'esprit est de deux sortes, à savoir,
l'entendement et la volonté.
XVII. L'entendement est la perception et le jugement.
XVIII. La perception est le sentiment , la réminiscence et
l'imagination.
XIX. Tout sentiment est une perception de quelque mou-
vement corporel , laquelle ne demande point l'entremise d'au-
cunes espèces intentionnelles : et le lieu où se fait le senti-
ment n'est pas l'organe extérieur du sens, mais le cerveau
seul.
XX. La volonté est libre , et indifférente à se déterminer
aux choses opposées, à l'égard des choses naturelles, comme
nous le savons par notre propre expérience.
XXI. C'est elle-même qui se détermine. Et elle ne doit pas
être dite aveugle , non plus que l'œil ne doit pas être appelé
sourd.
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LETTRES. 77
II n'y en a point qui parviennent plus aisément à une haute
réputation de piété que les superstitieux et les hypocrites.
EXAMEN DU SUSDIT PLACARD.
(Version.)
REMARQUES SUR LE TITRE.
Je remarque que par le litre on ne promet
pas de simples assertions ou propositions tou-
chant l'âme raisonnable, mais qu'on en promet
une entière explication; de sorte que nous devons
croire que toutes les raisons, ou du moins les prin-
cipales de celles que l'auteur a eues, non seulement
pour prouver mais même pour expliquer les cho-
ses qu'il a proposées, sont contenues dans ce pla-
card, et qu'il n'y a pas d'apparence d'en attendre
jamais de lui de meilleures. Quant à ce qu'il ap-
pelle Vâme raisonnable du nom d'esprit humain, je
lui en sais bon gré : car par ce moyen il évite l'équi-
voque qui est dans le mot d'âme ; et je puis dire
qu'en cela il m'a voulu imiter.
■
REMARQUES SUR CHAQUE ARTICLE.
Dans le premier article , il semble vouloir défi-
nir cette âme raisonnable; mais il le fait fort im-
parfaitement, car il en omet le genre, à savoir
qu'elle est ou une substance, ou un mode, ou quel-
que autre chose; et il en donne seulement la diffé-
rence, laquelle il a empruntée de moi : car per-
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78 LETTRES.
sonne que je sache n'a dit avant moi qu'elle ne con-
siste précisément que dans ce principe interne, ou
dans cette faculté que l'homme a de penser.
Dans le second article, il commence à chercher
quel est son genre, et dit en ce lieu-là qu'il sem-
ble quil ne répugne point à la nature des choses que
l' esprit humain puisse être , ou une substance, ou un
certain mode de la substance corporelle.
Laquelle assertion enferme une contradiction
qui n'est pas moindre que s'il avoit dit qu'il ne
répugne point à la nature des choses qu'une mon-
tagne soit sans vallée ou avec une vallée : car il
faut bien prendre garde de faire distinction entre
ces choses qui de leur nature sont susceptibles de
changement, comme, que j'écrive maintenant ou
que je n'écrive pas; qu'un tel soit prudent, un au-
tre imprudent ; et celles qui ne se changent jamais ,
comme sont toutes les choses qui appartiennent à
l'essence de quelque chose, ainsi que tous les phi-
losophes demeurent d'accord. Et de vrai, il n'y a
point de doute qu'à l'égard des choses contingen-
tes, on peut dire qu'il ne répugne point à la nature
des choses qu'elles soient d'une façon ou d'une au-
tre : par exemple, il ne répugne point que j'écrive
maintenant ou que je n'écrive pas ; mais lorsqu'il
s'agit de l'essence d'une chose, il est tout-à-fait ab-
surde et même il y a de la contradiction de dire
qu'il ne répugne point à la nature des choses
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LETTRES. 79
qu'elle soit d'une autre façon qu'elle n'est en effet ;
et il n'est pas plus de la nature d'une montagne de
n'être point sans vallée , qu'il est de la nature de
l'esprit humain d'être ce qu'il est, à savoir d'être
une substance, si en effet il en est une, ou d'être
un certain mode de la substance corporelle, s'il est
vrai qu'il soit un tel mode. Et c'est ce que notre
auteur tâche ici de persuader; et pour le prouver
il ajoute ces mots, ou si nous voulons suivre le sen-
timent de quelques nouveaux philosophes, etc., par
lesquelles paroles il est aisé à connoître que c'est
de moi de qui il entend parler; car je suis le pre-
mier qui ai considéré la pensée comme le principal
attribut de la substance incorporelle , et l'étendue
comme le principal attribut de la substance corpo-
relle : mais je n'ai pas dit que ces attributs étoient
en ces substances comme en des sujets différents
d'eux. Et il faut bien prendre garde que par ce
mot $ attribut , que je donne à la pensée et à l'é-
tendue, nous n'entendons ici rien autre chose que
ce que les philosophes appellent communément un
mode ou une façon ; car il est bien vrai qu'à parler
généralement nous^ pouvons donner le nom d'at-
tribut à tout ce qui a été attribué à quelque chose par
la nature , et en ce sens le nom d'attribut peut con-
venir .également au mode, qui peut être changé,
et à l'essence même d'une chose, qui est tout-à-fait
immuable. Mais ce n'est pas ainsi universellement
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80 LETTRES.
que je l'ai pris quand j'ai considéré la pensée et
l'étendue comme les principaux attributs des sub-
stances où elles résident, mais au sens qu'on le
prend d'ordinaire, et quand par ce mot d'attribut
on entend une chose qui est immuable et insépa-
rable de l'essence de son sujet , comme celle qui
la constitue , et qui pour cela même est opposée au
mode. C'est en ce sens-là qu'on s'en sert quand
on dit qu'il y a en Dieu plusieurs attributs, mais
non pas plusieurs modes. C'est ainsi que l'un des
attributs de chaque substance, quelle qu'elle soit,
est qu'elle subsiste par elle-même. De même aussi
l'étendue d'un certain corps en particulier peut
bien à la vérité admettre en soi une variété de mo-
des : car, par exemple , quand ce corps est sphéri-
que , il est d'une autre façon que quand il est
carré, et ainsi être sphérique et être carré sont
deux diverses façons d'étendue ; mais l'étendue
même qui est le sujet de ces modes , étant considé-
rée en soi, n'est pas un mode de la substance cor-
porelle, mais bien un attribut qui en constitue l'es-
sence et la nature. Ainsi enfin la pensée peut rece-
voir plusieurs divers modes ; car assurer est une
autre façon de penser que nier, aimer en est une
autre que désirer, et ainsi des autres; mais la pen-
sée même, en tant qu'elle est le principe interne
d'où procèdent tous ces modes , et dans lequel ils
sont comme dans leur sujet, n'est pas conçue
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LETTRES. 8l
comme un mode, mais comme un attribut qui
constitue la nature de quelque substance; et la
question est maintenant de savoir si cette sub-
stance quelle constitue est corporelle ou incor-
porelle.
Il ajoute que ces attributs ne sont pas opposés,
mais simplement divers ; en quoi il y a encore une
contradiction : car lorsqu'il s'agit d'attributs qui
constituent l'essence de quelques substances, il
ne sauroit y avoir entre eux de plus grande op-
position que d'être divers ; et lorsqu'il confesse que
l'un est différent de l'autre, c'est de même que s'il
disoit que l'un n'est pas l'autre ; or être et n'être
pas sont opposés. Il poursuit : puisqu'ils ne sont pas
opposés , mais divers , Je ne vois pas que rien puisse
empêcher que l'esprit ne puisse être un attribut qui
convienne à un même sujet que l'étendue, quoique la
notion de l'un ne soit point comprise dans la notion
de l'autre. Dans lesquelles paroles il y a un mani-
feste paralogisme : car il conclut de toutes sortes
d'attributs ce qui ne peut être vrai que des mo-
des proprement dits; et néanmoins il ne prouve
nulle part que l'esprit , ou ce principe interne par
lequel nous pensons, soit un tel mode; mais au
contraire je prouverai tout maintenant, par ce qu'il
dit lui-même dans le cinquième article, que ce
n'en est pas un. Pour ce qui est de ces autres sor-
tes d'attributs qui constituent la nature des choses ,
10- 0
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82 LETTRES.
on ne peut pas dire que ceux qui sont divers, et
qui ne sont en aucune façon compris dans la no-
tion l'un de l'autre, conviennent à un seul et même
sujet : car c'est de même que si l'on disoit qu'un
seul et même sujet a deux natures diverses ; ce qui
enferme une manifeste contradiction, au moins
lorsqu'il est question, comme ici, d'un sujet simple ,
et non pas d'un sujet composé. Mais il y a ici trois
choses à remarquer , lesquelles si cet écrivain eût
bien entendues, jamais il ne seroit tombé en des
erreurs si manifestes.
La première est qu'il est de la nature du
mode que bien que nous puissions concevoir
aisément la substance sans lui , nous ne pouvons
pas toutefois réciproquement concevoir claire-
ment le mode sans concevoir en même temps la
substance dont il dépend et dont il est le mode ,
comme j'ai expliqué en l'article soixante-unième
de la première partie de mes Principes; et en cela
tous les philosophes conviennent. Or il est mani-
feste que notre auteur n'a pas pris garde à cette
règle, par ce qu'il dit en l'article cinquième; car
il avoue lui-même en ce lieu-là que nous pouvons
douter de l'existence du corps , lors même que nous
ne doutons point de l'existence de l'esprit : d'où
il suit que l'esprit peut être conçu sans le corps, et
partant que ce n'en est pas un mode.
La seconde chose que je désire que Ton remar-
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LETTRES. 83
que ici, est la différence qu'il y a entre les êtres
simples et les êtres composés; car cet être-là est
composé, dans lequel se rencontrent deux ou plu-
sieurs attributs, chacun desquels peut être conçu
distinctement sans l'autre ; car de cela même que
Pan est ainsi conçu distinctement sans l'autre ,
on connoît qu'il n'en est pas le mode, mais qu'il
est une chose ou l'attribut d'une chose qui peut
subsister sans lui. L'être simple au contraire est
celui dans lequel on ne remarque point de sem-
blables attributs : d'où il paroît que ce sujet -là
est simple, dans lequel nous ne remarquons que la
seule étendue, et quelques autres modes qui en
sont des suites et des dépendances, comme aussi
celui dans lequel nous ne reconnoissons que la
seule pensée, et dont tous les modes ne sont que
des diverses façons de penser ; mais que celui-là est
composé , dans lequel nous considérons 1 étendue
jointe avec la pensée, c'est à savoir l'homme, qui
est composé de corps et d'âme , lequel notre au-
teur semble ici avoir pris seulement pour le corps,
dont l'esprit est un mode.
Enfin il faut remarquer ici que dans les sujets
qui sont composés de plusieurs substances, sou-
vent il y en a une qui est la principale, et qui est
tellement considérée que tout ce que nous lui
ajoutons de la part des autres n'est à son é^ard
autre chose qu'un mode , ou une façon de la con-
84 LETTRES.
sidérer. Ainsi un homme habillé peut être consi-
déré comme un certain tout composé de cet
homme et de ses habits; mais être habillé* au
regard de cet homme, est seulement un mode
ou une façon d'être sous laquelle nous le consi-
dérons, quoique ses habits soient des substances.
C'est ainsi que notre auteur a pu dans l'homme,
qui est composé de corps et d'âme, considérer le
corps comme la principale partie, au respect de
laquelle être animé y ou être capable de penser , n'est
rien autre chose qu'un mode ; mais il est ridicule
d'insérer de là que l'âme même, ou ce principe
par lequel le corps est dit être capable de penser,
n'est pas une substance différente du corps.
Il tâche après cela de confirmer ce qu'il a dit
par ce syllogisme : Tout ce que nous pouvons conce-
voir peut aussi être. Or est-il que nous pouvons
concevoir que l'esprit humain soit9 ou une substance,
ou un mode de la substance corporelle; car il n'y a
en cela aucune contradiction : donc l'esprit humain
peut être l'une ou l'autre de ces deux choses. Sur
quoi il faut remarquer que cette règle, à savoir,
Que tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi
être, quoiqu'elle soit de moi, et véritable toutes
et quantes fois qu'il s'agit d'une conception claire
et distincte, laquelle enferme la possibilité de la
chose qui est conçue, à cause que Dieu est capable
de faire tout ce que nous sommes capables de con-
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LETTRES. 85
cevoir clairement comme possible ; cette règle ,
dis-je, ne doit pas être témérairement usurpée ,
pourcequ'il peut aisément arriver que quelqu'un
croira entendre et apercevoir clairement quelque
chose, laquelle néanmoins, à cause de quelques
préjugés dont il est prévenu et comme aveuglé,
il n'entendra et n'apercevra point du tout. Et c'est
ce qui est arrivé à cet auteur, lorsqu'il a prétendu
qu'il n'y avoit point de contradiction qu'une seule
et même chose eût l'une ou l'autre de deux natu-
res entièrement diverses , c'est à savoir, qu'elle fût
ou une substance ou un mode. A la vérité s'il eût
seulement dit qu'il ne voyoit point de raison pour-
quoi l'esprit humain dût plutôt être estimé une
substance incorporelle qu'un mode de la sub-
stance corporelle, son ignorance auroit pu être
excusée. Si d'ailleurs il avoit dit qu'il n'est pas
possible à la raison humaine de trouver jamais
aucune preuve par laquelle on puisse démontrer
que l'esprit humain soit l'un plutôt que l'autre,
certes son arrogance seroit blâmable , mais du
moins il n'y auroit point de contradiction en ses
paroles. Mais en disant, comme il fait, qu'il ne
répugne point à la nature des choses qu'une
même chose soit une substance ou un mode, il dit
des choses qui se contredisent , et fait paroître en
cela l'absurdité de son esprit.
Dans le troisième article, il expose le jugement
86 LETTRES.
qu'il fait de moi ; car c'est moi qui ai écrit que l'es-
prit humain peut être clairement et distinctement
conçu comme une substance différente de la sub-
stance corporelle : et quoique cet auteur n'al-
lègue point d'autres raisons que celles que j'ai fait
voir en l'article précédent enfermer tant de con-
tradictions , il ne laisse pas de prononcer hardi-
ment que je me trompe. Mais je ne veux pas m'ar-
rêter à cela, ni m amuser à examiner ces mots
d'actuellement ou par nécessité \ lesquels contien-
nent quelque ambiguïté, car ils ne sont pas de
grande importance.
Je ne veux pas non plus examiner les choses
qui, dans i 'article quatrième , concernent la sainte
Écriture, de peur qu'il ne semble que je me veuille
attribuer le droit de juger de la religion d'autrui.
Mais je dirai seulement qu'il y a trois genres de
questions qu'il faut ici bien' distinguer. Car, il y
a des choses qui ne sont crues que par la foi, comme
sont celles qui regardent le mystère de l'incarna-
tion, de la trinité, et semblables. Il y en a d'au-
tres qui , bien qu'elles appartiennent à la foi , peu-
vent néanmoins être recherchées par la raison
naturelle, entre lesquelles les théologiens ont cou-
tume de mettre l'existence de Dieu et la distinc-
tion de 1 ame humaine d'avec le corps ; enfin il y
en a d'autres qui n'appartiennent en aucune façon
à la foi , mais qui sont seulement soumises à la re-
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LETTRES. 07
cherche du raisonnement humain, comme la qua-
drature du cercle , la pierre philosophale , et au-
tres semblables. Et comme ceux-là abusent des
paroles de la sainte Écriture , qui , par quelque
mauvaise explication qu'ils leur donnent, croient
en pouvoir déduire ces dernières; de même aussi
ceux-là dérogent à son autorité, qui entrepren-
nent de démontrer les premières par des argu-
ments tirés de la seule philosophie : mais néan-
moins tous les théologiens soutiennent que Ton
peut entreprendre de montrer que celles-là même
ne répugnent point à la lumière de la raison , et
c'est en cela qu'ils mettent leurs principales étu-
des. Mais pour les secondes, non seulement ils
estiment qu'elles ne répugnent point à la lumière
naturelle , mais même ils exhortent et encoura-
gent les philosophes de faire tous leurs efforts
pour tâcher de les démontrer par des moyens
humains , c'est-à-dire tirés des seules lumières
de la raison. Mais je n'ai encore jamais vu per-
sonne qui assurât qu'il ne répugne point à la
nature des choses qu'une chose soit autrement
que la sainte Écriture nous enseigne qu'elle est,
si ce n'est qu'il voulut montrer indirectement
qu il ajoute peu de foi à cette Écriture. Car comme
nous avons été premièrement hommes, il n'est
pas croyable que , faits chrétiens , quelqu'un em-
brasse sérieusement et tout de bon des opinions
88 LETTRES.
qu'il juge contraires à la raison qui le fait homme,
pour s'attacher à la foi par laquelle il est chrétien.
Mais peut-être aussi que notre auteur ne dit pas
cela , car il dit seulement que ce qui de sa nature
peut être douteux pour quelques uns , nous est main-
tenant devenu certain et indubitable par la révéla-
tion qui nous en a été faite dans les saintes lettres;
dans lesquelles paroles je trouve encore deux
contradictions : la première , en ce qu'il suppose
que l'essence d'une seule et même chose est dou-
teuse de sa nature, et par conséquent sujette au
changement; car il répugne que l'essence d'une
chose ne demeure pas toujours la même , à cause
que si l'on suppose qu'elle devienne autre qu'elle
n'étoit, de cela même ce ne sera plus la même
chose , mais une autre, qu'il faudra appeler d'un
autre nom. La seconde est clans ces mots pour quel-
ques uns, d'autant que tous les hommes ayant une
même nature, ce qui ne peut être douteux que
pour quelques uns n'est pas douteux de sa na-
ture.
L'article cinquième doit plutôt être rapporté au
second que non pas au quatrième ; car notre au-
teur ne parle point en cet article de la révélation
divine, mais de la nature de l'esprit, savoir s'il est
une substance ou un mode ; et pour montrer que
l'on peut soutenir qu'il n'est autre chose qu'un
mode, il tache de résoudre une objection qui est
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LETTRES. 89
prise de mes écrits. Car j'ai écrit en quelque en-
droit que nous ne pouvions nous-mêmes douter
de l'existence de notre esprit, parceque de cela
même que nous doutons, il suit nécessairement
que notre esprit existe ; mais que dans ce temps-
là même nous pouvions douter qu'il y eût aucun
corps au monde: d'où j'ai inféré et démontré que
nous concevions clairement notre esprit comme
une chose existante , ou comme une substance , en-
core que nous ne conçussions aucun corps comme
existant, ou même que nous niassions qu'il y en
eût aucun dans le monde ; d'où il suit que la no-
tion de l'esprit ne contient rien en soi qui ap-
partienne en aucune façon à la notion du corps.
Et toutefois notre auteur pense comme dissiper
et réduire en fumée tout ce raisonnement, et en
faire voir suffisamment la foiblesse , lorsqu'il dit
que cet argument prouve seulement que pendant
que nous doutons de l'existence du corps, nous ne
pouvons pas alors dire que l'esprit en soit un mode >
où il fait voir qu'il ignore entièrement ce que les
philosophes entendent par le nom de mode; car
c'est en cela que consiste la nature du mode , de ne
pouvoir aucunement être conçu, sans enfermer
dans sa notion celle de la chose dont il est le
mode, comme j'ai déjà expliqué ci-dessus; cepen-
dant il demeure d'accord que l'esprit peut quel-
quefois être conçu sans le corps, à savoir, lors-
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90 LETTRES.
qu'on doute de l'existence du corps: d'où il suit
que pour lors au moins il ne peut être dit un
mode du corps. Or est-il que ce qui est une fois
vrai de l'essence ou de la nature d'une chose est
toujours vrai; et néanmoins il ne laisse pas d'assu-
rer qu'il ne répugne à la nature des choses que l'es-
prit soit seulement un mode du corps; mais il est
évident que ces deux choses se contrarient.
Je ne comprends point ce qu'il veut dire dans le
sixième article par ces paroles : Quoique l'esprit
humain ou l'âme raisonnable soit une substance dis-
tincte réellement du corps, néanmoins, pendant qu' elle
est dans le corps, elle est organique en toutes ses ac-
tions. Je me souviens bien d'avoir autrefois ouï
dire dans les écoles, que l'âme est l'acte du corps or-,
ganique ; mais qu elle-même soit organique , je
confesse que je ne l'avois point encore ouï dire
jusqu'à présent : c'est pourquoi , comme je n'ai ici
rien de certain que je puisse écrire, je supplie
notre auteur de me permettre d'exposer ici mes
conjectures, que je ne donne pas pour quelque
chose de vrai , mais seulement pour telles qu'elles
sont.
Il me semble que j'aperçois en ce qu'il dit
deux choses qui se contrarient. L'une desquelles
est que l'esprit humain est une substance réelle-
ment distincte du corps; et j'avoue que notre au-
teur le dit ouvertement : mais il dissuade aiftant
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LKTT11ES. 91
qu'il peut par ses raisons de le croire , et soutient
que cela ne peut être prouvé que par le témoignage
seul de la sainte Écriture. L'autre est que ce même
esprit humain en toutes ses actions est organique ,
ou ne sert que d'instrument, comme n'agissant
point de soi-même, mais dont le corps se sert,
comme il fait de la conformation de ses membres,
et des autres modes corporels; et ainsi, s'il ne le
dit de paroles , il assure néanmoins en effet que
l'esprit n'est rien autre chose qu'un mode du corps ;
comme aussi ne semble-t-il avoir disposé toutes
ses raisons que pour la preuve de cela seul. Or ces
deux choses sont si manifestement contraires, à sa-
voir, que l'esprit humain soit une substance et
un mode , que je ne pense pas que cet auteur
veuille que ses lecteurs les croient toutes deux
ensemble , mais bien qu'il les a ainsi à dessein
entremêlées pour contenter les simples, et satis-
faire en quelque façon ses théologiens sur l'auto-
rité de l'Ecriture sainte, mais néanmoins pour
faire en sorte que les plus clairvoyants puissent
reconnoître que ce n'est pas tout de bon qu'il
dit que l'esprit ou lâme est distincte du corps, et
qu'en effet son opinion est qu'elle n'est rien autre
chose qu'un mode.
Dans les septième et huitième articles , il semble
continuer à dire les choses autrement qu'il ne les,
pense, et se sert encore de cette figure de rhétori^
92 LETTRES.
que, qu'on nomme ironie, vers la fin du neuvième
article; mais au commencement il ajoute la raison
de ce qu'il avance : c'est pourquoi il y a lieu de
croire qu'en cet endroit-là il parle tout de bon,
et qu'il agit de bonne foi. Voici ce qu'il dit : 11
est naturellement incertain si nous apercevons véri-
tablement aucun corps; et la raison qu'il en apporte
est que les c/ioses qui ne sont qu imaginaires peu-
vent aussi bien faire impression sur l'esprit que
celles qui sont vraies. Mais cette raison ne peut
être bonne, si l'on suppose que nous ne pouvons
en aucune façon nous servir de cette faculté que
les philosophes appellent d'un nom propre l'en-
tendement, mais seulement de celle qu'ils nom-
ment le sens commun, dans laquelle les images des
choses soit vraies soit imaginaires sont reçues pour
toucher l'esprit, et qu'ils disent nous être commune
avec les bêtes. Mais certes ceux qui ont de l'enten-
dement, et qui ne ressemblent pas tout-à-fait aux
chevaux et aux mulets, encore qu'ils ne soient
pas seulement touchés par les images que la pré-
sence des choses vraies imprime dans le cerveau,
mais aussi par celles que d'autres causes y excitent,
comme il arrive dans les songes; ceux-là, dis-je,
discernent néanmoins très clairement par la lu-
mière de la raison les unes d'avec les autres. Et
j'ai expliqué si nettement et si exactement dans
mes écrits par quel moyen cela se peut infaillible-
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LETTRES. 93
ment reconnoitre , que je m'assure qu'il n'y a per-
sonne, qui ait un peu d'entendement, qui après
les avoir lus puisse être encore en cela scep-
tique.
Dans les dixième et onzième articles, il y a encore
lieu de soupçonner qu'il ne parle pas tout de bon :
car si l'on croit que lame soit une substance, il
est ridicule et impertinent de dire que le lien qui
tient l'âme unie et conjointe au corps n'est autre que
la loi de l'immutabilité de la nature, qui est telle,
que chaque chose demeure en Vètat qu'elle est : car
les choses qui sont séparées , aussi bien que celles
qui sont conjointes, demeurent dans leur même
état, pendant que rien ne le change; mais ce n'est
pas de quoi il s'agit en ce lieu-là, mais bien de sa-
voir comment et par quel moyen l'esprit est joint
avec le corps, et n'en est pas séparé. Mais si l'on
suppose que l'âme soit un mode du corps , c'est
bien répondre que de dire qu'il ne faut point
chercher d'autre lien par quoi elle lui soit con-
jointe, sinon qu'elle demeure dans le même état
où elle est ; d'autant que les modes n'ont point
d'autre état ou d'autre manière d'être que celui
d'être attachés ou inhérents aux choses dont ils
sont les modes.
Dans le douzième article, je trouve qu'il n'est
différent de ce que je dis qu'en la manière de
s'exprimer : car quand il dit que Yesprit n'a pas
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94 LETTRES.
besoin d'idées, ou de notions, ou d'axiomes qui soient
nés y ou naturellement imprimés en lui, et que ce*
pendant il lui attribue la faculté de penser, c'est-
à-dire une faculté naturelle et née avec lui, il dit en
effet la même chose que moi, quoiqu'il me sem-
ble ne le pas dire. Car je n'ai jamais écrit ni jugé
que l'esprit ait besoin d'idées naturelles qui soient
quelque chose de différent de la faculté qu'il a de
penser: mais bien est-il vrai que, reconnoissant
qu'il y avoit certaines pensées qui ne procédoient
ni des objets du dehors, ni de la détermination de
ma volonté, mais seulement de la faculté que j'ai
de penser, pour établir quelques différence entre
les idées ou les notions qui sont les formes de ces
pensées, et les distinguer des autres qu'on peut
appeler étrangères, ou faites à plaisir, je les ai
nommées naturelles; mais je l'ai dit au même sens
que nous disons que la générosité, par exemple,
est naturelle à certaines familles, ou que certaines
maladies, comme la goutte ou la gravelle, sont
naturelles à d'autres , non pas que les enfants qui
prennent naissance dans ces familles soient tra-
vaillés de ces maladies aux ventres de leurs mères,
mais pareequ'ils naissent avec la disposition ou
la faculté de les contracter.
Mais remarquez, je vous prie, la belle consé-
quence que, dans l'article treizième, il tire du pré-
cédent. Il avoit dit en cet article que l'esprit n'a
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LETTRES. 95
pas besoin d'idées qui soient naturellement imprimées
en lui, mais que la seule faculté quil a de penser lui
suffit pour exercer ses actions; c'est pourquoi, con-
clut-il dans celui-ci, toutes les communes notions
gui se trouvent empreintes en l'esprit tirent toutes
leur origine ou de l'observation des choses ou de
la tradition : comme si la faculté de penser qu'a
l'esprit ne pouvoit d'elle-même rien produire, et
qu'elle n'eût jamais aucunes perceptions ou pen-
sées que celles qu'elle a reçues de l'observation des
choses ou de la tradition , c'est-à-dire des sens. Ce
qui est tellement faux, que quiconque a bien com-
pris jusqu'où s'étendent nos sens, et ce que ce
peut être précisément qui est porté par eux jus»
qu'à la faculté que nous avons de penser , doit
avouer au contraire qu'aucunes idées des choses
ne nous sont représentées par eux telles que nous
les formons par la pensée; en sorte qu'il n'y a rien
dans nos idées qui ne soit naturel à l'esprit, ou à la l'a-
cuité qu'il a de penser ; siseulement on excepte cer-
taines circonstances qui n'appartiennent qu'à l'ex-
périence. Par exemple, c'est la seule expérience qui
fait que nous jugeons que telles ou telles idées,
que nous avons maintenant présentes à l'esprit,
se rapportent à quelques choses qui sont hors de
nous; non pas, à la vérité , que ces choses les aient
transmises en notre esprit par les organes des sens
telles que nous les sentons, mais à cause qu'elles
90 LETTRES.
ont transmis quelque chose qui a donné occasion
à notre esprit , par la faculté naturelle qu'il en a ,
de les former en ce temps-là plutôt qu'en un autre.
Car, comme notre auteur même assure dans l'ar-
ticle dix-neuvième , conformément à ce qu'il a ap-
pris de mes Principes , rien ne peut venir des ob-
jets extérieurs jusqu'à notre âme, par l'entremise
des sens, que quelques mouvements corporels;
mais ni ces mouvements mêmes , ni les figures qui
en proviennent , ne sont point conçus par nous
tels qu'ils sont dans les organes des sens, comme
j'ai amplement expliqué dans la Dioptrique; d'où
il suit que même les idées du mouvement et des
figures sont naturellement en nous. Et, à plus forte
raison, les idées de la douleur, des couleurs, des
sons, et de toutes les choses semblables, nous doi-
vent-elles être naturelles, afin que notre esprit, à
l'occasion de certains mouvements corporels avec
lesquels elles n'ont aucune ressemblance, se les
puisse représenter. Mais que peut-on feindre de
plus absurde que de dire que toutes les notions
communes qui sont en notre esprit procèdent de
ces mouvements, et quelles ne peuvent être sans
eux. Je voudrois bien que notre auteur m'apprît
quel est le mouvement corporel qui peut former
en notre esprit quelque notion commune; par
exemple , celle-ci , Que les choses qui conviennent à
une troisième conviennent entre elles , ou telle autre
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LETTRES. 97
qu'il lui plaira; car tous ces mouvements sont par-
ticuliers , et ces notions sont universelles , qui n'ont
aucune affinité ni rapport avec le mouvement.
Néanmoins, dans V article quatorzième y appuyé
sur ce beau fondement, il continue d'assurer que
l'idée même de Dieu qui est en nous ne vient pas
de la faculté que nous avons de penser, comme
une chose qui lui soit naturelle , mais qu'elle vient
delà révélation divine y ou de la tradition, ou de
l'observation des choses. Et, pour mieux reconnoître
l'erreur de cette assertion , il fout considérer qu'on
peut dire en deux façons qu'une chose vient d'une
autre; à savoir, ou parceque cette autre en est la
cause prochaine et principale, sans laquelle elle ne
peut être, ou parcequ'elle en est la cause éloignée
et accidentelle seulement, qui donne occasion à la
principale de produire son effet en un temps plu-
tôt qu'en un autre. C'est ainsi que tous les ouvriers
sont les causes principales et prochaines de leurs
ouvrages , et que ceux qui leur ordonnent de les
faire, ou qui leur promettent quelque récompense
s'ils les font, en sont les causes accidentelles et
éloignées, à cause que peut-être ils ne les feroient
point si on ne leur commandoit. Or, il n'y a point
de doute que la tradition, ou l'observation de3 cho-
ses, ne soit souvent la cause éloignée qui fait que
nous venons à penser à l'idée que nous pouvons
avoir de Dieu, et à la rendre présente à notre es-
io. 7
<j8 LETTRES.
prit ; mais que c'en soit la cause prochaine, et effec-
trice de cette idée, cela ne se peut dire que par ce-
lui qui croit que nous ne concevons jamais rien
autre chose de Dieu, sinon quel est ce nom-là,
Dieu, ou quelle est la figure corporelle sous la-
quelle il nous est ordinairement représenté par les
peintres. Car, de vrai, si l'observation s'en fait par
la vue, elle ne peut d'elle-même représenter autre
chose à l'esprit que des peintures, et même des
peintures dont toute la vérité ■ ne consiste que
dans celle * de certains mouvements corporels,
comme notre auteur même l'enseigne ; si elle se fait
par l'ouïe, elle ne peut représenter que des sons et
des paroles; que, si c'est par les autres sens qu'elle
se fasse, une telle observation ne sauroit rien conte-
nir qui puisse être rapporté à Dieu. Et certes , c'est
une chose si véritable que la vue ne représente de
soi rien autre chose à l'esprit que des peintures,
ni l'ouïe que des sons et des paroles, que personne
ne le révoque en doute; si bien que tout ce que
nous concevons de plus que ces paroles et ces pein-
tures, comme les choses signifiées par ces signes,
doit nécessairement nous être représenté par des
idées, qui ne viennent point d'ailleurs que de la
faculté que nous avons de penser, et qui par con-
séquent sont naturellement en elle, c'est-à-dire sont
V
• Les éditions : variété.
, » Les éditions : celles.
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LETTRES. 99
toujours en nous en puissance ; car être naturelle-
ment dans une faculté ne veut pas dire y être en
acte, mais en puissance seulement, vu que le nom
même de faculté ne veut dire autre chose que puis-
sance. Or personne, s'il ne veut passer ouverte-
ment pour un athée, et même pour un homme qui
a perdu le sens , ne peut assurer que nous ne sau-
rions rien connoître de Dieu que le nom ou la
figure corporelle dont les peintres ou les sculpteurs
se servent pour nous le représenter.
Après que notre auteur a exposé l'opinion qu'il
a touchant la manière dont nous pouvons con-
noître Dieu, il réfute, dans l'article quinzième, tous
les arguments par lesquels j'ai démontré son exis-
tence; où je ne puis que je n'admire la grande
confiance ou présomption de cet homme de croire
qu'il puisse, avec tant de facilité et en si peu de
paroles, renverser tout ce que j'ai composé après
une longue et sérieuse méditation , et que je n'ai pu
expliquer que dans un livre entier. Toutes les rai-
sons que j'ai apportées pour cette preuve se rap-
portent à deux. La première est que nous avons
une connoissance de Dieu ou une idée qui est
telle, que, si nous faisons bien réflexion sur ce
qu'elle contient, si nous l'examinons avec soin, en
la manière que j'ai montré qu'il failoit faire, la
seule considération que nous en ferons nous fera
connoître qu'il ne se peut pas faire que Dieu
7-
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ÎOO LETTRES.
n'existe, d'autant que sa notion ou son idée ne
contient pas seulement une existence possible ou
contingente , ainsi que celles de toutes les autres
choses, niais bien une existence absolument né-
cessaire et actuelle. Cependant l'auteur de ce pla-
card, pour réfuter cette preuve, que plusieurs
grands personnages, éminents par-dessus les au-
tres en esprit et en science, après l'avoir diligem-
ment examinée, tiennent aussi bien que moi pour
une certaine et très évidente démonstration, em-
ploie ce peu de paroles : La notion que nom avons
de Dieu, ou cette idée de Dieu qui est existante en
notre esprit, n'est pas un argument assez fort et con-
vaincant pour prouver que Dieu existe, puisqu'il
est certain que toutes les choses dont nous avons en
nous les idées n'existent pas actuellement. Par où il
faut voir, à la vérité, qu'il a lu mes écrits; mais,
par même moyen, il témoigne qu'il n'a pu en au-
cune façon les entendre, ou du moins qu'il ne l'a
pas voulu; car la force de mon argument n'est pas
prise de la nature de cette idée , considérée en gé-
néral , mais d'une propriété particulière qui lui
convient , laquelle est très évidente en l'idée que
nous avons de Dieu , et qui ne se peut rencontrer
dans l'idée de quelque autre chose que ce soit;
c'est à savoir, de la nécessité de l'existence qui est
requise pour le comble et l'accomplissement des
perfections sans lequel nous ne saurions concevoir
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LETTRES. 101
Dieu. L'autre argument par lequel j'ai démontré
qu'il y a un Dieu, est pris de ce que j'ai évidem-
ment prouvé que nous n'aurions point eu la fa-
culté de connoître et de concevoir toutes ces per-
fections que nous reconnoissons en Dieu, s'il n'é-
toit vrai que Dieu existe , et que nous avons été
créés par lui. Mais notre auteur pense l'avoir abon-
damment réfuté en disant, que l'idée que nous avons
de Dieu n'est pas plus au-dessus de la portée de notre
esprit ou de notre pensée, et n'excède pas davantage
la vertu naturelle que nous avons de penser, que l'idée
d'aucune autre chose que ce soit. Toutefois, si par là
il entend seulement que l'idée que nous avons de
Dieu , sans le secours surnaturel de la grâce , ne
nous est pas moins naturelle que le sont toutes les
autres idées que nous avons des autres choses, il est
de mon avis, mais on ne peut de là rien conclure
contre moi : que s'il estime que cette idée de Dieu
ne contient pas plus de perfection objective que
toutes les autres idées prises ensemble, il erre
manifestement ; or , c'est de ce seul excès de
perfection , dont Vidée que nous avons de Dieu
surpasse toutes les autres, que j'ai tiré mon argu-
ment.
Dans les six autres articles il ne dit rien qui mé-
rite d'être remarqué, sinon que, voulant distinguer
les propriétés de l'âme les unes d'avec les autres,
il en parle en termes fort confus et fui t impropres.
102 LETTRES.
Il est vrai que j'ai dit en quelque endroit qu'elles
se rapportent toutes à deux principales, à savoir à
la perception de l'entendement et à la détermina-
tion de la volonté; mais notre auteur les appelle
d'un nom fort impropre l'entendement et la vo-
lonté, après quoi il divise ce qu'il a appelé enten-
dement en perception et jugement; en quoi il s'é-
loigne de mon opinion : car pour moi, voyant
qu'outre la perception, qui est absolument requise
avant que nous puissions juger, il est encore be-
soin d'une affirmation ou d'une négation pour éta-
blir la forme d'un jugement ; et prenant garde que
souvent il nous est libre d'arrêter et de suspendre
notre consentement, encore que nous ayons la
perception de la chose dont nous devons juger,
j'ai rapporté cet acte de notre jugement, qui ne
consiste que dans le consentement que nous don-
nons, c'est-à-dire dans l'affirmation ou dans la
négation de ce dont nous jugeons, à la détermina-
tion de la volonté, plutôt qu'à la perception de
l'entendement. Après cela, faisant le dénombre-
ment des espèces de perception, il ne compte que
le sentiment s la réminiscence, et l'imagination :
d'où l'on peut inférer qu'il n'admet aucune in-
tellection pure, c'est-à-dire aucune intellection
qui soit indépendante de toute image corporelle ;
et partant on peut penser qu'il est de cette opinion,
qu'on ne peut avoir aucune connoissance de Dieu
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LETTRES. 103
ni de l'âme humaine, ni d'aucune autre chose
incorporelle; de quoi je ne puis m'imaginer d'au-
tre cause , sinon que les pensées qu'il a de ces cho-
ses sont si confuses, qu'il n'en conçoit aucune qui
soit pure et entièrement détachée de toute image
corporelle.
Enfin , après tous ces articles, il a ajouté ces pa-
roles, qu'il a tirées d'un de mes écrits 1 : // n'y en
a point qui parviennent plus aisément à une haute
réputation de piété que les superstitieux et les hypo-
crites; par lesquelles je ne puis deviner ce qu'il a
voulu dire, si ce n'est peut-être qu'il a imité les
hypocrites, en ce que souvent il a dit les choses
autrement qu'il ne les pensoit; mais je ne pense
pas qu'il puisse jamais parvenir par ce moyen à
une grande réputation de piété.
*
Au reste , je suis ici contraint de confesser
que j'ai beaucoup de confusion d'avoir autrefois
loué ■ cet auteur comme un homme d'un esprit
fort vif et pénétrant , et d'avoir écrit en quel-
que endroit que je ne pensois pas qu'il ensei-
gnât aucunes opinions que je ne voulusse bien
reconnoître pour miennes. Il est vrai que pour
lors je n'avois encore vu de lui aucun écrit
où il n'eût été un fidèle copiste , si ce n'est peut-
être en un seul mot qu'il s'étoit hasardé de dire
1 « Épître dédicatoire à la princesse ÉHzabcth , en tête des Principes. «»
* « Lettre à G. Voëtins. »
104 LETTRES.
de lui - même , mais qui lui avoit si mal suc-
cédé, et dont il avoit été si sévèrement repris par
ses collègues, que cela me faisoit croire qu'il n'en-
treprendroit plus rien de semblable; et pourceque
je voyois qu'en tout le reste il embrassoit avec
grande affection des opinions que j'estimois être
très véritables, j'attribuois cela à la force et à la
vivacité de son esprit. Mais maintenant plusieurs
expériences m'obligent de croire que c'est plutôt
l'amour de la nouveauté que œlle de la vérité qui
l'emporte. Et d'autant qu'il trouve trop vieux et
trop hors d'usage tout ce qu'il a appris d'autrui ,
et que rien ne lui paroît assez nouveau que ce
qu'il tire de sa propre cervelle, et aussi qu'il est si
peu heureux en ses inventions, que je n'ai jamais
remarqué aucun mot en ses écrits ( si ce n'est qu'il
l'eût tiré de ceux des autres) que je ne jugeasse
contenir quelque erreur ; je me sens obligé d'aver-
tir ici tous ceux qui le tiennent pour un grand dé-
fenseur de mes opinions qu'il n'y en a presque
aucune, non seulement en ce qui concerne les
choses métaphysiques, où il ne feint point de me
contredire ouvertement, mais aussi en celles qui
concernent les choses physiques, qu'il ne propose
mal, et dont il ne corrompe le sens. De sorte que
je suis plus indigné de voir qu'un tel docteur s'in-
gère d'enseigner mes opinions, et prenne à tâche
d'interpréter mes écrits et d'y faire des cojnmen-
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LETTRES. 105
taires, que d'en voir quelques autres qui les com-
battent avec aigreur et animosité.
Car je n'en ai encore vu pas un qui ne m ait
attribué des opinions tout-à-fait différentes des
miennes, et même si absurdes et si impertinentes,
que je n'appréhende pas qu'on puisse jamais per-
suader à des personnes tant soit peu raisonnables
que je sois l'auteur de telles opinions. C'est ainsi
qu'à ce moment même que j'écris, on me vient
d'apporter deux libelles tout nouvellement compo-
sés par un écrivain de cette farine , dans le premier
desquels il est dit qu'il y a certains novateurs gui
tâchent doter toute la créance que l'on peut avoir
aux sens, et qui soutiennent qu'un philosophe peut
nier qu'il y ait un Dieu, et douter de son existence,
après avoir admis d'ailleurs que l'idée, l'espèce et
la connoissance actuelle de Dieu est naturellement
empreinte en notre esprit. Et dans l'autre il est dit
que ces novateurs prononcent hardiment que Dieu
ne doit pas être dit seulement négativement , mais
même positivement la cause efficiente de soi-même.
Voilà tout ce dont il s'agit dans l'un et dans l'autre
de ces libelles, qui ne contiennent rien de plus,
sinon un ramas d'arguments pour prouver , premiè-
rement, que les enfants dans le ventre de leurs mères
n'ont aucune connoissance actuelle de Dieu, et par-
tant , que nous n'avons aucune idée ou espèce ac-
tuelle de Dieu naturellement empreinte en notre es-
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106 LETTRES.
prit; secondement, qu'il ne faut pas nier qu'il y ait
un Dieu, et que ceux-là qui le nient doivent être
tenus pour des athées, et sont punissables par les lois;
enfin, que Dieu n'est pas la cause efficiente de soi-
même. Tontes lesquelles choses je pourrois à la vé-
rité dissimuler, comme n'étant point écrites contre
moi , à cause que mon nom ne se trouve point
dans ces écrits, et qu'il n'y a pas une opinion de
celles qui y sont impugnées que je ne tienne pour
très fausse et tout-à-fait absurde : mais néanmoins,
pourcequ elles ressemblent fort à quelques unes
qui m'ont déjà été plusieurs fois faussement im-
putées par des gens de cette robe, et qu'on n'en
connoît point d'autres à qui on les puisse attribuer;
et aussi pourceque tout le monde sait que c'est
contre moi que ces libelles ont été faits, je pren-
drai ici occasion d'avertir leur auteur , première-
ment, que lorsque j'ai dit que l'idée de Dieu est
naturellement en nous , je n'ai jamais entendu
autre chose que ce que lui-même, dans la sixième
section de son second livre, dit en termes exprès
être véritable, c'est à savoir, que la nature a mis
en nous une faculté par laquelle nous pouvons con-
nollre Dieu ; mais que je n'ai jamais écrit ni pensé
que telles idées fussent actuelles oif qu'elles fussent
des espèces distinctes de la faculté même que nous
avons de penser. Et même je dirai plus, qu'il n'y a
personne qui soit si éloigné que moi de tout ce
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LETTRES. IO7
fatras d'entités scolastiques ; en sorte que je n'ai pu
m'empêcher de rire quand j'ai vu ce grand nom-
bre de raisons que cet homme, sans doute peu
méchant, a ramassées avec grand soin et travail,
pour montrer que les enfants n'ont point la con-
noissance actuelle de Dieu tandis quils sont au ven*
tre de leur mère, comme si par là il avoit trouvé
un beau moyen de me combattre. Secondement ,
que je n'ai aussi jamais enseigné qu'il falloit
nier qu'il y eût un Dieu, ou que Dieu pouvoit
nous tromper; ou qu'il falloit révoquer toutes cho-
ses en doute ; ou que l'on ne deooit donner
aucune créance aux sens; ou que le sommeil ne se
pouvoit distinguer de la veille > et autres choses
semblables qui m'ont quelquefois été objectées
par des calomniateurs ignorants ; mais que j'ai re-
jeté toutes ces choses en paroles très expresses, et
que je les ai même réfutées par des arguments
très forts, et j'ose même dire plus forts qu'aucun
autre ait fait avant moi : et afin de le pouvoir faire
plus commodément et plus efficacement , j'ai pro-
posé toutes ces choses comme douteuses au com-
mencement de mes Méditations; mais je ne suis
pas le premier qui les ai inventées; il y a long-
temps qu'on a les oreilles battues de semblables
doutes proposés par les sceptiques. Mais qu'ya-t-il
de plus inique que d'attribuer à un auteur des
opinions qu'il ne propose que pour les réfuter?
lo8 LETTRES.
Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre
qu'on les propose, et qu'elles ne sont pas encore
réfutées, et partant que celui qui rapporte les ar-
guments dont se servent les athées est lui-même
un athée pour un temps ? Qu'y a-t-il de plus puéril
que de dire que s'il vient à mourir avant que d'a-
voir écrit ou inventé la démonstration qu'il espère ,
il meurt comme un athée ; et qu'il a enseigné
par avance une pernicieuse doctrine, contre la
maxime communément reçue, qui dit qu'il n'est
pas permis de faire du mal pour en tirer du bien, et
choses semblables? Quelqu'un dira peut-être que
je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme
venant d'autrui, mais comme miennes; mais
qu'importe cela? puisque dans le même livre où
je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées;
et même qu'on peut voir aisément par le titre du
livre que j'étois fort éloigné de les croire, puis-
que j'y promettois des démonstrations touchant
l'existence de Dieu. Et peut-on s'imaginer qu'il y
en ait de si sots, ou de si simples, que de se per-
suader que celui qui compose un livre qui porte
ce titre ignore , quand il trace les premières pa-
ges, ce qu'il a entrepris de démontrer dans les sui-
vantes? De plus, la façon d'écrire que je metois
proposée, qui étoit en forme de méditations, et
que j'avois choisie comme fort propre pour ex-
pliquer plus clairement les raisons que j'avois à
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LETTRES. 109
déduire, mobligeoit de ne pas proposer ces ob-
jections autrement que comme miennes. Que si
cette raison ne satisfait pas ceux qui se mêlent de
censurer mes écrits , je voudrois bien savoir ce
qu'ils disent des Écritures saintes, avec lesquelles
nuls autres écrits qui viennent de la main des
hommes ne doivent être comparés, lorsqu'ils y
voient certaines choses qui ne se peuvent bien
entendre, si Ton ne suppose qu'elles sont rappor-
tées comme étant dites par des impies, ou du
moins par d'autres que par le saint Esprit ou les
prophètes; telles que sont ces paroles de l'Ecclé-
siastique, chapitre second : Ne vaut-il pas mieux
boire et manger et faire goûter à son âme des fruits
de son travail? et cela vient de la main de Dieu. Qui
est-ce qui en pourra dévorer autant, ou qui pourra
se gorger de plaisirs autant que moi? Et au cha-
pitre suivant: J'ai souhaité en mon cœur, pensant
aux enfants des hommes, que Dieu les éprouvât, et
fît connoitre qu'ils sont semblables aux bêtes. C'est
pourquoi, l'homme et les chevaux périssent de même
façon, leur condition est pareille; comme l'homme
meurt, ceux-ci meurent; ils ont tous une pareille res-
piration, et l'homme n'a rien de plus que le che-
val, etc. Pensent-ils que le saint Esprit nous en-
seigne en ce lieu-là qu'il faut faire bonne chère,
qu'il n'y a qu'à se donner du bon temps, et que
nos âmes ne sont pas plus immortelles que celles
IIO LETTRES.
des chevaux? Je ne pense pas qu'ils soient enragés
et perdus à ce point; mais aussi ne doivent-ils pas
me calomnier, si je n'ai pas gardé en écrivant des
précautions qui n'ont jamais été observées par au-
cun autre qui ait écrit, non pas même par le Saint-
Esprit.
Et en troisième lieu, je donne avis à l'auteur de
ces libelles que je n'ai jamais écrit que Dieu ne
doit pas être dit seulement négativement, mais même
positivement la cause efficiente de soi-même, ainsi
qu'il assure fort inconsidérément en la page 8 de
son dernier livre. Qu'il cherche dans mes écrits ,
qu'il les lise , qu'il les parcoure d'un bout à l'au-
I
trouvera tout le contraire. Et il n'y a pas un de
ceux qui ont lu mes écrits, ou qui me connois-
sent tant soit peu, ou du moins qui ne me tien-
nent pas tout-à-fait pour un fat ou pour un in-
sensé, qui ne sache que je suis fort éloigné d'avoir
des opinions si monstrueuses. Et c'est ce qui fait
que j'admire grandement quel peut être le dessein
de ces calomniateurs; car s'ils prétendent de per-
suader aux hommes que j'ai écrit des choses tou-
tes contraires à celles qui se trouvent dans mes
écrits, ils devroient auparavant prendre le soin de
supprimer tous ceux que j'ai publiés, et même d'ef-
facer de la mémoire de ceux qui les ont lus tout
ce qu'ils en ont retenu; car tandis qu'ils ne le font
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LETTRES. ill
point, ils se nuisent plus qu'à moi. J'admire aussi
qu'ils s'élèvent si fort , et avec tant de chaleur et
d'animosité, contre une personne qui ne les a ja-
mais ni attaqués, ni nui en aucune chose, mais qui
pourroit peut-être bien leur nuire s'ils m'avoient
irrité; et que cependant ils ne disent mot à plu-
sieurs autres qui ont réfuté leur doctrine par des
livres entiers , et qui se sont moqués d'eux ,
comme de gens simples et extravagants. Je ne veux
pourtant rien ajouter ici qui puisse davantage les
détourner du dessein qu'ils peuvent avoir de m'at-
taquer par leurs libelles; c'est avec plaisir que je
vois qu'ils m'estiment assez pour m'attaquer de la
sorte ; mais cependant je souhaite qu'ils revien-
nent en leur bon sens.
Ceci a été écrit à Egraont, en Hollande, sur la fin du mois de dé-
cembre en l'année 1647.
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1 12
LETTRES.
A MONSIEUR ***
(Lettre 112 du tome III.)
Monsieur,
Il semble, je crois, au pèreMersenne que je sois
encore soldat, et que je suive l'armée , puisqu'il
m'adresse les lettres qu'il vous écrit. Celle que
vous trouverez avec celle-ci a été huit jours à ve-
nir de Leyde ici, et si vous êtes parti de La Haye,
ainsi que la gazette me fait croire, je ne sais quand
elle vous pourra atteindre. Le principal est qu'il
n'y a rien dedans d'importance; car, m'ayant été
envoyée ouverte , j'ai eu le privilège de la lire;
et pourcequ'il y philosophe principalement de
la propriété de l'aimant, je joindrai ici mon avis
au sien , afin que ma lettre ne soit pas entièrement
vide. Je crois vous avoir déjà dit que j'explique
toutes les propriétés de l'aimant par le moyen d'une
certaine matière fort subtile, et imperceptible, qui
sortant continuellement de la terre , non seule-
ment par le pôle, mais aussi par tous les autres
t « M. Huygens de Zuitlichem. » Cette lettre n'est datée ni dans l'im-
primé ni dans l'exemplaire de la bibliothèque de l'Institut. Je la mets ici
très arbitrairement avec la 1 18e.
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LETTRES. 1 1 5
endroits de l'hémisphère boréal, passe de là vers
l'hémisphère austral par tous les endroits du-
quel elle entre derechef dans la terre; et d'une au-
tre pareille matière, qui sort de la terre, par l'hé-
misphère austral , et y rentre par le boréal ; à cause
que les parties de ces deux matières sont de telle
figure, que les pores de la terre, ou de l'aimant,
ou du fer touché de l'aimant, par où peuvent passer
celles qui viennent d'un hémisphère, ne peuvent
donner passage à celles qui viennent de l'autre hé-
misphère, comme je pense démontrer dans ma phy-
sique, où j'explique l'origine de ces deux matières
subtiles, et les figures de leurs parties, qui sont lon-
gues et entortillées en forme de vis, les boréales au
contraire des australes. Or ce qui cause la déclinai-
son des aiguilles qui sont parallèles à l'horizon; est
que la matière subtile qui les fait mouvoir, sortant
des parties de la terre assez éloignées de là , vient
quelquefois plus abondamment des lieux un peu
éloignés de pôles, que des pôles mêmes laquelle
cause cesse en partie lorsque les aiguilles sont per-
pendiculaires sur l'horizon; car alors elles sont
principalement dressées par la matière subtile qui
sort de l'endroit de la terre où elles sont; mais à
cause que l'autre matière subtile, qui vient du pôle
opposé, aide aussi à les dresser, je crois bien
qu'elles doivent moins décliner que les autres;
■ Figure i. — " Figure a.
m. 1
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1 l4 LETTRES.
mais non pas quelles ne déclinent point du tout,
et si l'expérience exacte s'en peut faire , je serai
bien aise de la savoir. Pour la raison qui fait que
ces aiguilles perpendiculaires se tournent toujours
vers le même côté, je l'explique quasi comme
le père Mersenne; car je crois qu elle vient de ce
que le fer a quelque latitude, et que la matière
subtile qui passe par dedans ne monte pas tout
droit de bas en haut, mais prend son cours en
déclinant du pôle boréal vers l'austral en cet
hémisphère; comme si l'aiguille est ACBD, 1 la ma-
tière subtile qui sort de la terre se forme des pores
dans cette aiguille qui sont penchés de B vers A;
et l'acier est de telle nature que ses pores peuvent
ainsi être disposés à recevoir cette matière subtile,
par l'attouchement d'une pierre d'aimant, et qu'ils
retiennent après cette disposition. Mon papier
finit, et je crains de vous ennuyer. Je suis, etc.
1 Figure 3.
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LETTRES
»i5
AU R. P. MERSENNE.
(Lettre 118 du tome II. )
Mon révérend pere,
Je n'ai lu que les quinze premières pages de IV-
crit que vous avez voulu que je visse , pourceque
c'est seulement jusque là que vous m'avez dit
que j'y étois réfuté; mais je vous avoue que je les
ai admirées, en ce que je n'y ai trouvé aucune
chose qui ne fut fausse, excepté celles qui se trou-
vent en mes écrits, et que l'auteur montre en
avoir tirées, d'autant qu'il se sert de mes propres
paroles pour les exprimer , et s'il en change quel-
ques unes, comme lorsqu'il nomme l'impression
ce que je nomme la vitesse , et la direction ce que
je nomme la détermination à se mouvoir vers un cer-
tain côté y cela ne sert qu a l'embrouiller. L'une des
principales fautes est à la fin de la seconde page ,
où ayant mis pour maxime une conclusion qui
est de moi , à savoir , que dans le cercle GBFI , le
mobile qui vient de G vers B tend vers C, il le
prouve ridiculement , en disant que la nature ne
• Figure 4.
8.
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1
ll6 LETTRES.
souffre rien d'indéterminé, et qu'il n'y a point
d'autre ligne que BC qui soit ici déterminée : car
qui empêche de dire que le mobile ira de B vers
H plutôt que vers C, vu que BH est aussi bien
déterminé que BC, et qu'on sait que le mobile
tend à s'éloigner en ligne droite du centre A.
Dans la page neuvième il y a une distinction ab-
surde entre deux sortes d'impressions; l'une par
laquelle les corps sont chassés , et l'autre par la-
quelle ils sont attirés; car il n'y a aucune attrac-
tion telle qu'il l'imagine. Et si ce qu'il nomme l'im-
pression est la vitesse du mouvement dans le
corps qui se meut, ainsi qu'on le doit prendre
pour donner quelque sens à tout ce qu'il dit, il est
certain qu'il n'y en a que d'une sorte ou espèce,
et qu'elle est tout de même dans l'aimant ou dans
le fer que dans les autres corps.
Mais la principale de ses fautes est dans la page
dixième, où il prend pour principe une chose qui
est apertement fausse , à savoir , que si A mû
vers D par une ligne perpendiculaire rencontre l'ob-
stacleBC , il sera réfléchi en telle sorte, que s'il ne
communique rien de son impression à l'obstacle , il
reviendra précisément en A , etc ; car bien que les
corps pesants retournent à peu près en cette sorte
lorsque leur seule pesanteur les porte directement
vers le centre de la terre , c'est une chose absurde
d'en faire un principe, pourceque ce n'est pas
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LETTRES. 117
l'impression qu'ils ont étant au point D' qui les
fait ainsi retourner, mais l'action de leur pesan-
teur qui continue en eux pendant qu'ils remon-
tent; et le même n'arrive point quand la ligne
BC n'est pas parallèle à l'horizon, ni quand le
mobile est poussé d'A vers D par une autre force
que sa seule pesanteur. Et son absurdité paroît
encore mieux dans les trois pages suivantes, où,
par le moyen de ce faux principe, il prétend dé-
montrer la quantité des réflexions et des réfrac-
tions d'une façon que l'expérience contredit évi-
demment. Car, par son prétendu raisonnement,
en supposant que la balle qui vient d'À vers B ren-
contre la superficie CBE qui lui ôte la moitié de
son impression ou de sa vitesse, il dit que si on
fait BE égal à CB, et qu'on prenne El égal à
la moitié de AC% la réfraction fera aller cette
balle de B vers I. En sorte que , de quelque gran-
deur que soit l'angle d'incidence ABH, AC, qui
est la tangente de son complément, sera toujours
double de El, qui est la tangente du complément
de l'angle rompu GBI, d'où il suit que les pro-
portions qui seront entre les sinus de ces deux
angles ABH et GBI doivent être différentes, se-
lon que l'angle d'incidence ABH est supposé plus
grand ou plus petit, et qu'il ne peut être supposé
1 Figure 5.
» Figure 6. n
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Il8 LETTRES.
si grand, que le mobile ne passe au-dessous de la
superficie CBE. Au lieu que l'expérience montre
évidemment que cet angle ABH peut être si
grand, que le mobile ne passera point au-dessous
de cette superficie CBE, mais se réfléchira de
l'autre côté; et que lorsque le mobile passe au-des-
sous de cette superficie, il y a toujours même pro-»
portion entre les sinus de l'angle d'incidence et de
l'angle rompu, encore que la grandeur de cet an-
gle d'incidence , ABH, se change.
Ensuite de ces beaux raisonnements, cet auteur
dit, dans la page I 3, que j'ai manqué, en ce que,
pour démontrer la réflexion, je ne me suis pas
servi d'un raisonnement semblable au sien ;
comme si c'étoit une faute de n'avoir pas imité
les fautes d'un autre. Et il montre n'avoir point
de logique naturelle ; car, encore qu'il n'eût pas
failli , il infèreroit mal de dire que j'ai failli, pour-
ceque je ne me suis pas servi de son raisonne-
ment, à cause qu'on peut souvent prouver une
même chose en plusieurs façons. En second lieu ,
il dit que, dans ma Dioptrique, page 20, discours
premier , je confonds la détermination du mouve-
ment avec la vitesse , ce qui est très faux. Car six
lignes auparavant je parle de la vitesse qui se rap-
porte à tout le mouvement, et là je ne parle que
de la détermination de gauche à droite , qui distin-
gue deux parties en ce mouvement. En troisième
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LETTRES. H 9
lieu , il prétend , dans la page ! 4 ? reprendre ce
que j'ai écrit de la réflexion qui se fait sur la su-
perficie de l'eau, en disant que je me sers d'un rai-
sonnement qui est différent de certaines conjectu-
res impertinentes qu'il met là. Et dans la page i5,
il met seulement ces mots : Enfin, Af. Descartes ,
pages 2Ï\ et 25 , etc. , oîi par son etc. il semble vou-
loir faire entendre qu'il a encore beaucoup d'autres
choses à reprendre en mes écrits ; en quoi je ne sais
si je dois plus admirer, ou son ingratitude, d'avoir
tâché de me reprendre, bien qu'il n'y ait rien de
passable dans tout son écrit qu'il n'ait eu de moi ;
ou sa stupidité, d'avoir commis de si lourdes fau-
tes contre le raisonnement et le sens commun ; ou,
enfin, son arrogance ridicule, de prétendre qu'un
autre a failli pour cela seul qu'il n'a pas suivi ses
imaginations, comme si rien ne pouvoit être bien
s'il n'est conforme à ses fantaisies : mais ce que
j'admire le plus, c'est que, par telles impertinences
et vanteries, il est parvenu à quelque réputation,
et qu'il se trouve des hommes qui lui donnent de
l'esprit pour apprendre de lui des choses fausses.
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x.-x -X x xv-x ».-x -x. x>-x.-v».-» -v -x x -x x. x x > x ^ v, ^ -w» » »>~-.x^x-v-^-«-%.-.x xx-«.-xxxx-xx.x.-x-X.x-» »
ANNÉE l648.
A MADAME LA PRINCESSE PALATINE.
(Lettre 2 5 du tome I.)
Madame,
J'ai reçu les lettres de votre altesse, du a3 dé-
cembre, presque aussitôt que les précédentes, et
j'avoue que je suis en peine touchant ce que je
» « La a5e lettre du Ier vol., page 78, est de M. Descartes à la prin-
cesse Élizabeth Palatine, elle est sûrement de Tannée 1648, puisque
M. Descartes , page 79 de cette lettre , dit à la princesse qu'il n'attend de
long-temps des lettres de la reine de Suède, parceque la lettre qu'il lui
avoit écrit le 20 novembre 1647 étoit demeurée plus d'un mois à
Amsterdam. En second lieu , page 79 de cette lettre, il envoie à la prin-
cesse un livret qui n'a été écrit que sur la fin de 1647 * Gand. et im-
primé en 1648 , au commencement. Enfin il répond à des lettres de la
princesse du a3 décembre, qu'il n'a pu recevoir qu'à la mi -janvier de
1648; mais ce qui me persuade que cette lettre n'a été écrite que vers le
Ier février, est que M. Descartes , page- 79 de cette lettre, dit â la prin-
cesse qu'il a reçu depuis sa lettre envoyée de Suède des lettres de ce
pays-là qui marquent que la sienne est attendue ; et la lettre dont il parle a
été écrite par M. Chanut le 18 janvier 1648, donc celle-ci n'a pu être
écrite avant le Ier février 1648. »»
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LETTRES. 131
dois répondre à ces précédentes, à cause que votre
altesse y témoigne vouloir que j'écrive le traité de
1 érudition, dont j'ai eu autrefois l'honneur de lui
parler ; et il n'y a rien que je souhaite avec plus de
zèle que d'obéir à vos commandements, mais je
dirai ici les raisons qui sont cause que j'avois laissé
le dessein de ce traité, et si elles ne satisfont pas
votre altesse, je ne manquerai pas de le reprendre.
La première est que je n'y saurais mettre toutes
les vérités qui y devroient être sans animer trop
contre moi les gens de l'école, et que je ne me
trouve point en telle condition que je puisse en-
tièrement mépriser leur haine. La seconde est
que j'ai déjà touché quelque chose de ce que j'a-
vois envie d'y mettre, dans une préface qui est au-
devant de la traduction françoise de mes Princi-
pes, laquelle je pense que votre altesse a mainte-
nant reçue. La troisième est que j'ai maintenant
un autre écrit entre les mains , que j'espère pou-
voir être plus agréable à votre altesse , c'est la des-
cription des fonctions de l'animal et de l'homme;
car ce que j'en avois brouillé il y a douze ou treize
ans, qui a été vu par votre altesse, étant venu
entre les mains de plusieurs qui l'ont mal transcrit,
j'ai cru être obligé de le mettre plus au net , c'est-
à-dire de le refaire, et même je me suis aventuré
( mais depuis huit ou dix jours seulement ) d'y
vouloir expliquer la façon dont se forme l'animal
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122 LETTRES.
dès le commencement de son origine; je dis l'ani-
mal en général, car pour l'homme en particulier
je ne l'oserois entreprendre, faute d'avoir assez
d'expériences pour cet effet : au reste je considère
ce qui me reste de cet hiver comme le temps le
plus tranquille que j'aurai peut-être de ma vie , ce
qui est cause que j'aime mieux l'employer à cette
étude qu'à une autre qui ne requiert pas tant
d'attention. La raison qui me fait craindre d'avoir
ci-après moins de loisir , est que je suis obligé de
retourner en France l'été prochain , et" d'y passer
l'hiver qui vient; mes affaires domestiques et plu»
sieurs raisons m'y contraignent. On m'y a fait aussi
l'honneur de m'y offrir pension de la part du roi,
sans que je l'aie demandée, ce qui ne sera point
capable de m'attacher ; mais il peut arriver en un
an beaucoup de choses: il ne sauroit toutefois rien
arriver qui puisse m'empêcher de préférer le bon*
heur de vivre au lieu où seroit votre altesse, si
l'occasion s'en présentoit, à celui d'être en ma pro-
pre patrie, ou en quelque autre lieu que ce puisse
être. Je n'attends encore de long-temps réponse à
la lettre touchant le souverain bien , pourcequ'elle
a demeuré près d'un mois à Amsterdam , par la
faute de celui à qui je l'avois envoyée pour l'adres-
ser, mais sitôt que j'en aurai quelques nouvelles,
je ne manquerai pas de le faire savoir à votre
altesse : elle ne contenoit aucune chose de nouveau
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LETTRES. 123
qui méritât de vous être envoyée. J'ai reçu depuis
quelques lettres de ce pays-là, par lesquelles on
me mande que les miennes sont attendues, et selon
qu'on m'écrit de cette princesse, elle doit être
extrêmement portée à la vertu , et capable de bien
juger des choses; on me mande qu'on lui présen-
tera la version de mes Principes, et qu'on m'assure
qu'elle en lira la première partie avec satisfaction ,
et qu'elle seroit bien capable du reste, si les affaires
ne lui en ôtoient le loisir. J'envoie avec cette lettre
un livret de peu d'importance, et je ne l'enferme
pas en même paquet, à cause qu'il ne vaut pas le
port; ce sont les insultes de M. Regius qui m'ont
contraint de l'écrire, et il a été plus tôt imprimé
que je ne l'ai su : même on y a joint des vers et
une préface que je désapprouve, quoique les vers
soient de M. H.1, mais qui n'a osé y mettre son
nom , comme aussi ne le devoit-il pas. Je suis, etc.
A M. CHANUT.
( Lettre 37 du tome I.)
Monsieur,
Il faut que je vous dise que je suis marri du
trop favorable accueil que vous avez procuré aux
1 « Heydenu* ou Heiusius. »
124 LKTTRES.
écrits que je vous avois envoyés pour la reine de
Suède; car j'ai peur que sa majesté, n'y trouvant
rien en les lisant qui corresponde à l'espérance
que vous lui en avez fait avoir , en ait d'autant
moins bonne opinion qu elle l'aura eue meilleure
auparavant. J'ai encore un autre déplaisir, qui est
que, puisque mon paquet a été retenu trois se-
maines à Amsterdam ( ce que j'ai su être arrivé
pourcequ'on pensoit le devoir envoyer par mer, et
qu'on en attendoit l'occasion ), je regrette de n'a-
voir pas employé ce temps-là pour tâcher d'écrire
quelque chose qui fût moins indigne d'un si bon
accueil: car, encore que j'aie tâché de faire mon
mieux , toutefois les secondes pensées ont coutu-
me d'être plus nettes que les premières, et je ma-
tois hâté en faisant cette dépèche, pour témoigner
au moins par ma promptitude combien j'étois dé-
sireux d'obéir à un commandement que je ché-
rissois comme le plus grand honneur que je puisse
recevoir. Voilà, monsieur, tous les sujets de tris-
tesse que je puisse imaginer, afin de modérer
l'extrême joie que j'ai d'apprendre que cette grande
reine veuille lire et considérer à loisir les écrits
que j'ai envoyés, car j'ose me promettre que si
elle goûte les pensées qu'ils contiennent, elles ne
seront pas infructueuses, et pourcequ'elle est l'une
des plus importantes personnes de la terre , que
cela même peut n'être pas inutile au public. Il me
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LETTRES. 125
semble avoir trouvé par expérience que la consi-
dération de ces pensées fortifie l'esprit en l'exer-
cice de la vertu , et qu'elle sert plus à nous rendre
heureux qu'aucune autre chose qui soit au monde.
Mais il n'est pas possible que je les aie assez bien
exprimées pour faire qu'elles paroissent aux autres
comme à moi , et j'ai un désir extrême d'apprendre
quel jugement en fera sa majesté, mais particuliè-
rement aussi quel sera le vôtre. La parole a beau-
coup plus de force pour persuader que l'écriture,
et je ne doute point que vous ne lui en fassiez
aisément avoir les mêmes sentiments que vous au-
rez, au moins s'ils sont à mon avantage, car l'af-
fection dont vous me donnez tous les jours des
preuves m'assure que vous ne lui en voudriez pas
faire avoir d'autres. Je serai bien aise de voir la
harangue de M. Freinshemius, à cause de la matière
dont il traite, et je ne manquerai pas de la deman-
der à M. Brasset lorsqu'il l'aura reçue. Au reste, je
me propose d'aller à Paris au commencement du
mois prochain. Je pourrois dire que pour mon
intérêt je ne souhaite pas d'avoir sitôt l'honneur
de vous y voir , à cause des faveurs que vous me
procurez au lieu où vous êtes, mais je n'ai jamais
aucun égard à moi lorsqu'il peut y aller du con-
tentement de mes amis , et j'avoue que je ne sou-
haiterois pas un emploi pénible qui m'otât le loisir
de cultiver mon esprit, encore que cela fut récom-
126 LETTRES.
pensé par beaucoup d'honneur et de profit. Je
dirai seulement qu'il ne me semble pas que le vô-
tre soit du nombre de ceux qui ôtent le loisir de
cultiver son esprit, au contraire, je crois qu'il
vous en donne les occasions , en ce que vous êtes
auprès dune reine qui en a beaucoup, et qu'il ne
faut pas avoir manque d'adresse pour satisfaire
entièrement à ses maîtres , agréer à ceux vers les-
quels on est envoyé, et ne jouer cependant aucun
autre personnage que celui d'un homme d'hon-
neur, ainsi que je m'assure que vous faites. On
peut toujours tirer beaucoup de satisfaction de
ce qu'on occupe son esprit en des choses difficiles,
lorsqu'on y réussit , encore qu'on ne l'occupe pas
aux mêmes choses qu'on auroit peut-être choisies
si on en avoit eu la liberté. Le vôtre étant propre
à tout, je ne doute point que vous ne tiriez beau-
coup de satisfaction d'un emploi dont vous vous
acquittez si bien. Si pourtant vous approchiez du
temps de votre retraite , et que vous revinssiez
bientôt à Paris, je serois ravi d'avoir l'honneur de
vous y voir. Que si vous faites encore quelque sé-
jour au lieu où vous êtes, je me consolerai sur ce
que j'espère que vous continuerez à me procurer
la bienveillance de cette grande reine, pour les
vertus de laquelle vous m'avez fait avoir beaucoup
de vénération et de zèle. Je suis , etc.
D^Egmond, le ai février 1C48.
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LETTRES. . 127
A MONSIEUR *** '.
(Lettre 124 du tome III.)
Monsieur,
Encore que j'aie un extrême ressentiment des
bienfaits que j'ai reçus de votre faveur, tant lorsque
j'étoi& à Paris que depuis encore, ainsi que j'ai su
de M. de Martigny, qui m'a mandé que sans
vous il n'eût pu rien faire en l'expédition du bre-
vet de pension qu'il m'a envoyé, je ne vous en
ferai pas néanmoins ici de grands remerciements ;
il n'appartient qu'à ceux qui ont envie d'être ingrats
de se servir de cette monnoie , afin de payer avec
des paroles les véritables bienfaits qu'ils ont reçus.
Mais je vous supplie très humblement de trouver
bon que je vous dise que je ne puis douter que
vous n'ayez dorénavant beaucoup de bonne volonté
pour moi, non point pour aucun mérite que je
1 «« Cette lettre n'est pas datée , mais comme, dans la a5e letlre manuscrite
de M. Descartes à Picot , du 4 avril 1648 , il dit qu'il se dispose à partir de
Hollande dans trois semaines , ce ne ponvoit être que le brevet de pension
qu'il avoit reçu de Paris qui en fut cause; ainsi il l'avoit reçu : il n'y a pas
d'apparence qu'il fut long-temps à remercier cet ami. Ainsi je juge que
cette lettre a été écrite le 1" avril 1648. *
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\2& LETTRES.
prétende avoir, mais pourceque vous m'avez déjà
fait plus de bien que la plupart de tous les parents
ou amis que j'aie jamais eus, en sorte que vous
pouvez à bon droit me considérer comme lune de
vos créatures ; et en examinant toutes les causes de
l'amitié, je n'en trouve point d'autre qui soit si
puissante ni si pressante que celle-là. Ce que je
prends la liberté d'écrire, afin que, lorsque vous
saurez que je fais cette réflexion , vous ne puissiez
aussi douter que je n'aie un zèle très particulier
pour votre service. A quoi j'ajouterai seulement
encore un mot, qui est que la philosophie cfue je
cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle
rejette l'usage des passions; au contraire, c'est en
lui seul que je mets toute la douceur et la félicité
de cette vie; et bien qu'il y ait plusieurs de ces
passions dont les excès soient vicieux, il y en a
toutefois quelques autres que j'estime d'autant
meilleures qu'elles sont plus excessives ; et je mets
la reconnoissance entre celles-ci , aussi bien qu'en-
tre les vertus; c'est pourquoi je ne croirois pas
pouvoir être ni vertueux ni heureux , si je n'avois
un désir très passionné de vous témoigner par
effet dans toutes les occasions que je n'en manque
point. Et puisque vous ne m'en offrez point pré-
sentement d'autre que celle de satisfaire à vos deux
demandes, je ferai mon possible pour m'en bien
acquitter, quoique l'une de vos questions soit
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LETTRES. 129
d'une matière qui est fort éloignée de mes spécu-
lations ordinaires.
Premièrement donc je vous dirai que je tiens
qu'il y a une certaine quantité de mouvement dans
toute la matière créée qui n'augmente ni ne dimi-
nue jamais; et ainsi que, lorsqu'un corps en fait
mouvoir un autre, il perd autant de mouvement
qu'il lui en donne j-comrae lorsqu'une pierre tombe
de haut contre terre, si elle ne retourne point et
qu'elle s'arrête, je conçois que cela vient de ce
qu'elle ébranle cette terre, et ainsi lui transfère son
mouvement ; mais si ce qu'elle meut de terre con-
tient mille fois plus de* matière qu'elle, en lui
transférant son mouvement elle ne lui donne que
la millième partie de sa vitesse. Et pourceque si
deux corps inégaux reçoivent autant de mouvement
l'un que l'autre, cette pareille quantité de mouve-
ment ne donne pas tant de vitesse au plus grand
qu'au plus petit, on peut dire en ce sens que plus
un corps contient de matière plus il a d'inertie
naturelle ; à quoi l'on peut ajouter qu'un corps qui
est grand peut mieux transférer son mouvement
aux autres corps qu'un petit, et qu'il peut moins
être mû par eux; de façon qu'il n'y a qu'une sorte
d'inertie qui dépend de la quantité de la matière,
et une autre qui dépend de l'étendue de ses super-
ficies.
Pour votre autre question, vous avez, ce me
10. 9
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l30 LETTRES.
semble, fort bien répondu vous-même sur la qua-
lité de la conuoissance de Dieu en la béatitude, la
distinguant de celle que nous en avons maintenant,
en ce quelle sera intuitive ; et si ce terme ne vous
satisfait pas, et que vous croyiez que cette connois-
sance de Dieu intuitive soit pareille , ou seulement
différente de la nôtre , dans le plus et le moins des
choses connues, et non en la façon de connoître,
c'est en cela qu'à mon avis vous vous détournez
du droit chemin. La connoissance intuitive est une
illustration de l'esprit par laquelle il voit en la lu-
mière de Dieu les choses qu'il lui plaît lui découvrir
par une impression directe de la clarté divine sur
notre entendement , qui en cela n'est point consi-
déré comme agent , mais seulement comme recevant
les rayons de la divinité. Or, toutes les connois-
sances que nous pouvons avoir de Dieu sans mira-
cle eu cette vie descendent du raisonnement et du
progrès de notre discours, qui les déduit des princi-
. pes de la foi , qui est obscure; ou viennent des idées
et des notions naturelles qui sont en nous , qui ,
pour claires qu'elles soient, ne sont que grossières
et confuses sur un si haut sujet : de sorte que ce que
nous avons ou acquérons de connoissance par le
chemin que tient notre raison, a premièrement les
ténèbres des principes dont il est tiré, et de plus
l'incertitude que nous éprouvons en tous nos rai-
sonnements.
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LETTRES. 1 3 1
Comparez maintenant ces deux connoissances ,
et voyez «'il y a quelque chose de pareil en cette
perception trouble et douteuse, qui nous coûte
beaucoup de travail, et dont encore ne jouissons-
nous que par moments , après que nous l'avons
acquise à une lumière pure, constante, claire, cer-
taine , sans peine et toujours mésente.
Or que notre esprit, lorsqu'il sera détaché du
corps ou que ce corps glorifié ne lui fera plus
d'empêchement, ne puisse recevoir de telles illus-
trations et connoissances directes , en pouvez-vous
douter, puisque dans ce corps même les sens lui
en donnent des choses corporelles et sensibles, et
que notre âme en a déjà quelques unes de la béné-
ficence de son Créateur, sans lesquelles il ne seroit
pas capable de raisonner? J'avoue qu'elles sont un
peu obscurcies par le mélange du corps ; mais en-
core nous donnent-elles une connoissance première,
gratuite, certaine, et que nous recevons de l'esprit
avec plus de confiance que nous n'en donnons au
rapport de nos yeux. Ne m'a vouerez- vous pas que
vous êtes moins assuré de la présence des objets
que vous voyez , que de la vérité de cette proposi-
tion, Jepense donc^je suisPOr cette connoissance
n'est point un ouvrage de votre raisonnement, ni
une instruction que vos maîtres vous aient donnée;
votre esprit la voit, la sent et la manie; et quoi-
que votre imagination, qui se mêle importunément
l32 LETTRES.
dans vos pensées, en diminue la clarté la voulant
revêtir de ses figures , elle vous est pourtant une
preuve de la capacité de nos âmes à recevoir de
Dieu une connoissance intuitive. Il me semble voir
que vous avez pris occasion de douter, sur l'opinion
que vous avez que la connoissance intuitive de
Dieu est celle* où |^>n connoît Dieu par lui-même;
et sur ce fondement, vous avez bâti ce raisonne-
ment: Je connois que Dieu est un, parceque je
connois qu'il est un être nécessaire ; or cette forme
de connoître ne se sert que de Dieu même; donc
je connois que Dieu est un par lui-même, et par
conséquent je connois intuitivement que Dieu est
un. Je ne pense pas qu'il soit besoin d'un grand
examen pour détruire ce discours. Vous voyez bien
que connoître Dieu par soi-même , c'est-à-dire par
une illustration immédiate de la divinité sur notre
esprit, comme on l'entend par la connoissance
intuitive, est bien autre chose que se servir de Dieu
même pour en faire une induction d'un attribut à
l'autre , ou , pour parler plus convenablement , se
servir de la connoissance naturelle (et par consé-
quent un peu obscure, du moins si vous la compa-
rez à l'autre) d'un attribut de Dieu, pour en former
un argument qui conclura un autre attribut de
Dieu. Confessez donc qu'en cette vie vous ne voyez
pas en Dieu et par sa lumière qu'il est un; mais
vous le concluez d'une proposition que vous avez
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LETTRES. l33
faite de lui, et vous la tirez par la force de l'argu-
mentation, qui est une machine souvent défec-
tueuse. Vous voyez ce que vous pouvez sur moi ,
puisque vous me faites passer les bornes de phi-
losopher que je me suis prescrites, pour vous
témoigner par là combien je suis , etc.
A M. CH A.NUT ■.
(Lettre 4o du tome I.)
Monsieur,
Vous mesurez merveilleusement bien les temps,
car justement j'ai trouvé à La Haye, lorsque j etois
en chemin pour venir ici, la lettre que vous vou-
liez que je pusse recevoir avant mon partement
de Hollande; elle vint seulement en cela trop
tard , que m étant proposé de partir le jour même
qu'on me la rendit , je fus contraint de différer ma
réponse jusqu'à mon arrivée en cette ville. J'ai eu
cependant tout le loisir de repasser par mon ima-
gination la belle description que vous faites de
cette chasse, où l'on porte des livres, et où vous
1 « On voit qu'elle est écrite de Paris, dans son voyage de 1648 ; ainsi
je la date de mai 1648. »
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1 34 LETTRES.
me donnez l'espérance que mon écrit aura cette
prérogative au-dessus de beaucoup d'autres , d'être
revu par la reine de Suède. La grande estime que
je fais de l'esprit de cette incomparable princesse
me donne sujet d'appréhender que cet écrit ne lui
puisse plaire , puisqu'ayant déjà pris la peine de
le voir , ainsi que v^pus me mandez qu'elle a fait ,
elle n'a pas voulu néanmoins vous en dire encore
son sentiment; mais je me console sur ce que vous
ajoutez qu'elle s'est proposé de le revoir : car
elle ne daigneroit pas s'arrêter à cela , si elle n'a-
voit rien trouvé qu'elle approuvât. Et je me flatte
de cette opinion , que c'est plutôt l'ordre , l'agen-
cement et les ornements de l'élocution qui y man-
quent, que non pas la vérité des pensées; ce qui
me fait espérer plus d'approbation de la seconde
lecture que de la première. Vous direz peut-être
que je me donne en ceci trop de vanité ; mais je
vous prie d'en attribuer la faute à l'air de Paris
plutôt qu'à mon inclination : car je crois vous
avoir déjà dit autrefois que cet air me dispose à
concevoir des chimères, au lieu de pensées de
philosophe. Je vois tant d'autres personnes qui se
trompent en leurs opinions et en leurs calculs,
qu'il me semble que c'est une maladie universelle.
L'innocence du désert d'où je viens me plaisoit
beaucoup davantage, et je ne crois pas que je
puisse m'empêcher d'y retourner dans peu de
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LETTRES. 1 35
temps; mais en quelque lieu du monde que je
sois, je vous prie de croire que vous y aurez, etc.
A MADAME ÉLIZARETH,
PRINCESSE PALATINE, etc. •.
(Lettre l\\ du tome I.)
Madame,
Encore que je sache bien que le lieu et la con-
dition où je suis ne me sauroient donner aucune
occasion dette utile au service de votre altesse, je
ne satisferois pas à mon devoir ni à mon zèle, si ,
après être arrivé en une nouvelle demeure, je
manquois à vous renouveler les offres de ma très
hiimble obéissance. Je me suis rencontré ici en
une conjoncture d'affaires que toute la prudence
humaine n'eût su prévoir. Le parlement joint avec
les autres cours souveraines s'assemblent mainte-
nant tous les jours, pour délibérer touchant quel-
ques ordres qu'ils prétendent devoir être mis au
maniement des finances, et cela se fait à présent
avec la permission de la reine, en sorte qu'il y a de
» • De quelques jours après sou arrivée à Paris , r\ comme il y arriva
à la fui de mai , je crois celle -ci du H juin 104 S.
1 36 LETTRES.
l'apparence que 1 affaire tirera de longue ; mais il
est malaisé de juger ce qui en réussira. On dit
qu'ils se proposent de trouver de l'argent suffisam-
. ment pour continuer la guerre, et entretenir de
grandes armées, sans pour cela fouler le peuple:
s'ils prennent ce biais, je me persuade que ce sera
le moyen de venir enfin à une paix générale. Mais
en attendant que cela soit , j'eusse bien fait de
me tenir au pays où la paix est déjà; et si ces
orages ne se dissipent bientôt, je me propose de
retourner vers Egmond dans six semaines ou deux
mois , et de m'y arrêter jusqu'à ce que le ciel de
France soit plus serein. Cependant, me tenant
comme je fais un pied en un pa^s, et l'autre en
un autre, je trouve ma condition très heureuse,
en ce qu'elle est libre ; et je crois que ceux qui
sont en grande fortune diffèrent davantage des
autres, en ce que les déplaisirs qui leur arrivent
leur sont plus sensibles, que non pas en ce qu'ils
jouissent de plus de plaisirs, à cause que tous les
contentements qu'ils peuvent avoir, leur étant or-
dinaires , ne les touchent pas tant que les afflic-
tions, qui ne leur viennent que lorsqu'ils s'y at-
tendent le moins, et qu'ils n'y sont aucunement
préparés ; ce qui doit servir de consolation à ceux
que la fortune a accoutumés à ses disgrâces. Je
voudrois qu'elle fût aussi obéissante à tous vos
désirs, que je serai toute ma vie, etc.
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LETTRES.
•37
A M. DESCARTES
(Lettre 3 du tome II. Version.)
Monsieur,
Je ne m'adresse point à vous dans le dessein de
troubler par de nouvelles disputes un loisir qui
vous est si cher, et que vous employez si utile-
ment ; mais puisque vous avez eu la bonté de
nous avertir, en plusieurs endroits des doctes
écrits que vous avez mis au jour, que si Ton y
trouvoit quelque chose d'obscur, ou qui ne sem-
blât pas tout-à-fait hors de doute , vous tâcheriez
de l'éclaircir par votre réponse, j'ai cru que vous
ne trouveriez pas mauvais si je me servois aujour-
d'hui de l'offre que vous me faites , et si , après avoir
lu avec admiration et approuvé presque entière-
ment tout ce que vous avez écrit touchant la pre-
mière philosophie, josois vous prier de me vou-
loir délivrer de deux ou trois scrupules qui me
restent. Je vous les proposerai le plus brièvement
« « Cette lettre est de M. Arnauld à M. Descartes; elle lui fut envoyée
par M. de Beaupuisde Port-Royal-des-Champs , datée du i5 juillet 1648.
Je sais tout cela par une lettre du Père Quesnel. »
1 38 LETTRES.
qu'il me sera possible, afin de ne vous pas arrêter
davantage.
DB L'ESPRIT HUMAIR.
Ce que vous avez écrit de la distinction qui est
entre l'âme et le corps me semble très clair, très
évident, et tout divin, et comme il n'y a rien de
plus ancien que la vérité , j'ai eu une singulière
satisfaction de voir que presque les mêmes cho-
ses avoient été autrefois agitées fort clairement et
fort agréablement par saint Augustin , dans tout le
livre x de la Trinité, mais principalement au cha-
pitre x.
Je trouve seulement de la difficulté , en ce que ,
dans vos réponses aux cinquièmes objections, page
549 de l'édition françoise, vous dites que lame
pense toujours, à cause qu'elle est une substance
qui pense; et que ce qui fait que nous ne nous
ressouvenons pas des pensées qu'elle a eues lorsque
nous étions dans le ventre de nos mères, ou pen-
dant une léthargie, vient de ce que pendant que
l'âme est unie au corps, pour se ressouvenir de
nos pensées, il est nécessaire qu'il en demeure
quelques vestiges imprimés dans le cerveau , vers
lesquels l'âme se tournant et s'y appliquant, elle
se ressouvient , et qu'on ne doit pas trouver
étrange si le cerveau d'un enfant ou d'un lé-
thargique n'est pas propre à recevoir ces imprcs
sions.
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LETTRES. 1JQ
Mais il faut, à mon avis, nécessairement admet-
tre en notre esprit deux sortes de mémoires, l'une
purement spirituelle , et l'autre qui se fasse par
l'entremise d'un organe corporel: de même que
l'on admet ordinairement deux manières ou deux
facultés de penser ( ainsi que vous expliquez et
prouvez vous-même admirablement ), l'une qui
conçoit purement et sans l'aide d'aucune faculté
corporelle , et l'autre qui s'applique aux images
qui sont dépeintes dans le cerveau. De sorte qu'il
faut confesser que pour ce qui est de ces derniè-
res opérations de l'esprit , c'est à savoir des ima-
ginations , il est impossible que nous nous en res-
souvenions, s'il n'en demeure quelques vestiges
imprimés dans le cerveau.
Mais il me semble que l'on doit dire tout le con-
traire à l'égard des conceptions pures, c'est à sa-
voir que pour s'en ressouvenir il n'est nullement
besoin qu'il y en ait aucuns vestiges dans le cer-
veau ; et même tandis qu'elles demeurent de pures
conceptions il n'est pas possible que cela soit,
puisqu'elles n'ont aucun commerce ni correspon-
dance avec le cerveau , ni avec aucune autre chose
corporelle.
Et véritablement qui croiroit que l'esprit peut
concevoir sans l'aide du cerveau, et qu'il ne peut
se ressouvenir de sa conception sans l'aide du cer-
veau? Et même si cela étoit, l'esprit ne pourroit
l4o LETTRES.
en aucune façon raisonner des choses spirituelles
et incorporelles, telle qu'est Dieu, et lui-même,
vu que tout raisonnement est composé d'une
suite de plusieurs conceptions dont nous ne pour-
rions comprendre la liaison, si nous ne nous res-
souvenions des premières lorsque nous formons
les secondes. Mais quant aux premières, il n'en
demeure aucun vestige dans le cerveau, puisque
nous supposons qu'elles ont été de pures concep-
tions. L'esprit donc peut se ressouvenir de ses
pensées , sans qu'il en soit resté aucuns vestiges
dans le cerveau. Il faut donc chercher une autre
raison pourquoi , s'il est vrai que l'âme pense tou-
jours, personne néanmoins jusques ici ne s'est
ressouvenu des pensées qu'il a eues tandis qu'il étoit
au ventre de sa mère; vu principalement que ces
pensées ont dû être très claires et très distinctes,
si, comme vous dites en plusieurs endroits , et
même à mon avis avec raison, il est véritable qu'il
n'y a rien qui offusque davantage les lumières de
notre âme que les préjugés des sens, desquels
pour lors personne n'est prévenu.
Et même il ne me semble pas nécessaire que
l'âme pense toujours , encore qu'elle soit une sub-
stance qui pense ; car il suffit qu'elle ait toujours
en soi la faculté de penser, comme la substance
corporelle est toujours divisible , encore qu'en ef-
fet elle ne soit pas divisée.
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LETTRES
>4«
DE DIEU.
Les raisons dont vous vous servez pour prou-
ver l'existence de Dieu ne me semblent pas seule-
ment ingénieuses, comme tout le monde l'avoue,
mais aussi de vraies et de solides démonstrations,
particulièrement les deux premières. Dans la troi-
sième , il y a quelque chose que j'aurois bien voulu
que vous eussiez expliqué plus exactement.
1 . Toute la force de cette démonstration con-
siste principalement en ce que , comme le temps
présent ne dépend point de celui qui le précède
immédiatement , il ne faut pas une moindre puis-
sance pour conserver une chose que pour la créer
la première fois. Mais on peut demander ici de
quel temps vous entendez parler ; car si c'est de la
durée de l'esprit même, que vous appelez du nom
de temps , les philosophes et les théologiens disent
ordinairement que la durée d'une chose perma-
nente , et surtout d'une chose spirituelle , telle
qu'est l'esprit ou l'âme de l'homme , n'est pas suc-
cessive , mais permanente et toute à la fois ( ce
qui est très vrai de la durée de Dieu ) , et partant
qu'on n'y doit point chercher des parties qui s'en-
tre-suivent les unes les autres sans être dépen-
dantes ; ce qu'ils accordent seulement se pouvoir
dire de la durée du mouvement , qui seule est pro-
prement ce qu'on appelle temps. Que si vous répon-
1 42 LETTRES.
dez que vous entendez aussi proprement parler du
temps , qui est la durée du mouvement , à savoir du
soleil et des autres astres , il sembleque cela n'appar-
tient en aucune façon à la conservation de notre es-
prit, puisque , bien que Ton supposât qu'il n'y eût
aucun corps en la nature (ainsi que vous supposez
en la troisième méditation ) par le mouvement du-
quel le temps se pût mesurer , tout ce que vous
dites de la nécessaire conservation de notre esprit
ne laisseront pas de se soutenir et avoir de la force.
C'est pourquoi , afin que cette démonstration ait
autant de force que les autres, il seroit besoin que
vous prissiez la peine d'expliquer ce qui suit :
1. Ce que c'est que la durée, et en quoi elle
diffère de la chose qui dure.
2. Si la durée d'une chose permanente et spiri-
tuelle est successive ou permanente.
3. Ce que c'est proprement que le temps , et en
quoi il diffère de la succession d'une chose perma-
nente ; et si l'un et l'autre est une chose successive.
i. D'où le temps emprunte sa brièveté ou sa
longueur, et d'où le mouvement emprunte sa tar-
diveté ou sa vitesse.
Par après , au sujet même de la durée , vous
établissez pour axiome que ce qui peut faire ce
qui est plus grand ou plus difficile, peut faire aussi
ce qui est moindre. Toutefois cela ne semble pas
universellement vrai , ainsi que le requiert la na-
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LETTRES. l43
ture d'un axiome. Car, par exemple , je puis bien
entendre et concevoir, mais je ne puis néanmoins
faire mouvoir la terre de sa place, quoique pourtant
le premier soit beaucoup plus grand que le dernier.
Enfin, il semble que ce ne soit pas une chose plus
grande de me conserver moi-même que de me
donner les perfections que j'aperçois qui me man-
quent , puisque je sens que la toute-puissance et
la science de toutes choses me manquent, les-
quelles toutefois je ne pourrois me donner sans
me faire Dieu ; ce qui seroit beaucoup plus grand
que de me conserver moi-même.
QU'UNE CHOSE ÉTENDUE N'EST PAS RÉELLEMENT DISTINCTE
DE SON EXTENSION LOCALE.
Vous soutenez qu'une chose étendue ne peut
en aucune façon être distinguée de son extension
locale ; vous m'obligerez donc fort de me dire si
vous n'avez point inventé quelque raison par la-
quelle vous accordiez cette doctrine avec la foi
catholique , qui nous oblige de croire que le corps
de Jésus-Christ est présent au Saint-Sacrement de
l'autel sans extension locale , ainsi que vous avez
très bien montré comment l'indistinction des ac-
cidents d'avec la substance peut s'accorder avec
le même mystère ; autrement vous voyez bien à
quel danger vous exposez la chose du monde la
plus sacrée.
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,44
LETTRES
DU VIDE.
Vous assurez que non seulement il n'y a point de
vide en la nature, mais même qu'il n'y en peut
avoir : ce qui semble déroger à la toute-puissance
de Dieu. Quoi donc , Dieu ne peut-il pas réduire
au néant le vin qui est contenu dans un tonneau, et
n'y produire aucun autre corps en sa place, ou ne
pas souffrir qu'il y entre aucun autre, quoique ce
dernier ne soit pas nécessaire , puisque le vin étant
une fois anéanti , aucun autre corps ne pourroit
rentrer en sa place qu'il ne laissât une autre
place vide en la nature? D'où il suit , ou que Dieu
conserve nécessairement tous les corps , ou que
s'il peut en réduire un au néant , il peut aussi y
avoir du vide.
Mais, dites-vous, s'ilyavoit du vide, ce vide
auroit toutes les propriétés du corps , comme sont
la longueur , la largeur , la profondeur , Ja divisi-
bilité , et ainsi du reste , et par conséquent ce se-
roit un vrai corps.
Je réponds que ce vide qui est un néant n'a
aucune propriété, mais seulement la concavité du
tonneau, dont les parties sont éloignées de tant de
pieds lune de l'autre ; et certes le corps contenu
entre les côtés de ce tonneau ne contribue rien à
cela ; ce qui fait que ce n'est pas merveille si ce
corps étant ôté les mêmes propriétés conviennent
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LETTRES. l45
encore à cette concavité. Car puisque le tonneau
et le vin , ou quelque autre corps que ce puisse être
qui soit contenu entre les côtés du tonneau , sont
deux substances tout-à-fait diverses, chacune des-
quelles peut être conçue sans l'autre comme une
chose complète; je vous demande si, lorsque je
considère le tonneau séparément, je ne puis pas
mesurer sa concavité , voir combien il y a de pieds
depuis un fond jusqu'à l'autre , et quel est le dia-
mètre de sa concavité cylindrique , et ainsi du reste.
Aussi je prétends seulement que ces propriétés
demeurent, le corps qui étoit contenu dedans étant
anéanti , et non pas celles qui appartenoient par-
ticulièrement à ce corps; comme par exemple, que
ses parties pouvoient être séparées les unes des
autres et être agitées en diverses façons.
Quoi qu'il en soit, j'aimeroi* mieux avouer mon
ignorance que de me persuader que Dieu conserve
nécessairement tous les corps , ou du moins qu'il
n'en peut anéantir aucun, qu'en même temps il
n'en crée un autre.
Voilà , monsieur , ce que j'ai jugé avoir besoin
d'une explication plus exacte en ce que vous avez
écrit. Que si les prières d'un homme inconnu n'ont
pas assez de force pour obtenir cela de vous, j'es-
père que le grand amour que j'ai pour la vérité ,
qui seule m'a donné la hardiesse de vous écrire, et
qui vous fait aimer de tous ceux qui la chérissent,
10
1^6 LETTRE S.
vous portera à m'accorder l'effet de ma prière, et
à satisfaire à tous mes doutes , et même à ma cu-
riosité. Je suis , etc.
0
RÉPONSE DE M. DESCARTES V
(Lettre 4 du tome II. Version.)
*
*
Monsieur,
Encore que Fauteur des objections qui me furent
hier envoyées n'ait point voulu être connu ni de
nom ni de visage, toutefois il n'a pu si bien se ca-
cher qu'il ne se soit fait connoître par la partie
qui est en lui la meilleure, à savoir par l'esprit ; et
poureeque je reconnois qu'il est fort subtil et fort
savant, je n'aurai point de honte d'être vaincu et
enseigné par un homme de sa sorte : mais pour ce-
qu'il dit lui-même , qu'il ne s'est point adressé à
moi à dessein de contester, mais seulement par un
pur désir de découvrir la vérité, je lui répondrai
ici en peu de mots, afin de réserver quelque, chose
pour son entretien. Car je crois qu'on peut agir
plus sûrement par lettres avec ceux qui aiment la
dispute; mais pour ceux qui ne cherchent que
« « Datée du iG juillet 1647. »
1
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LETTRES. 1 47
la vérité, l'entrevue et la vive voix est bien com-
mode.
Je confesse avec vous qu'il y a en nous deux
sortes de mémoires; mais je me persuade que l'âme
d'un enfant n'a jamais eu de conceptions pures ,
mais seulement des sensations confuses; et encore
que ces sensations confuses laissent quelques ves-
tiges dans le cerveau, qui y demeurent durant
tout le reste de la vie, ces vestiges néanmoins ne
suffisent pas pour nous faire connoître que les sen-
sations qui nous arrivent étant adultes sont sem-
blables à celles que nous avons eues dans le ventre
de nos mères, ni par conséquent pour nous en
faire ressouvenir, à cause que cela dépend de quel-
que réflexion de l'entendement, ou de la mémoire
intellectuelle, dont on n'a pas l'usage quand on
est au ventre de sa mère. Mais il me semble qu'il
est nécessaire que l'âme pense toujours actuelle-
ment, pourcequela pensée constitue son essence,
ainsi que l'extension constitue l'essence du corps ;
et la pensée n'est pas conçue comme un attribut
qui pem,t être joint ou séparé de la chose qui
pense, ainsi que l'on conçoit dans le corps la di-
vision des. parties , ou Je mouvement.
Ce, que vous proposez ensuite touchant ladurée
et le temps est fondé sur l'opinion de l'école,
de laquelle je suis fort éloigné; à savoir que la
durée du. mouvement est d'une autre nature que
10.
l4$ LETTRES.
la durée des choses qui ne sont point mues, ainsi
que j'ai expliqué en l'article 57 de la première par-
tie des Principes ; et quoiqu'il n'y eût point du tout
de corps au monde, toutefois on ne pourroit pas
dire que la durée de l'esprit humain fût tout à la
fois tout entière, ainsi qu'on le peut dire de la
durée de Dieu , pourceque nous connoissons mani-
festement de la succession dans nos pensées, ce
que Ton ne peut admettre dans les pensées de
Dieu : et i on conçoit clairement qu'il se peut faire
que j'existe au moment auquel je pense à une cer-
taine chose, et toutefois que je cesse d'exister au
moment qui le suit immédiatement, auquel je
pourrai penser à quelque autre chose, s'il arrive
que j'existe.
Cet axiome, à savoir, que ce qui peut faire le
plus peut aussi faire le moins, me semble clair de
soi-même, lorsqu'il s'agit des causes premières et
non limitées ; mais lorsqu'il s'agit d'une cause dé-
terminée à quelque effet, l'on dit ordinairement
que c'est quelque chose de plus, pour une telle
cause, de produire un autre effet que de pro-
duire celui auquel elle est déterminée par sa na-
ture, auquel sens c'est une chose plus grande à un
homme de mouvoir la terre de sa place que d'en-
tendre et de concevoir. C'est aussi une chose plus
grande de se conserver que de se donner quel-
ques unes des perfections que nous apercevons
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LETTRES. 1 49
qui nous manquent ; et cela suffit pour la force
de mon argument, encore que peut-être ce soit
une chose moindre que de se donner la toute-
puissance et toutes les autres perfections divines.
Puisque le concile de Trente n'a pas voulu expli-
quer de quelle façon le corps de Jésus-Christ est
en l'Eucharistie , et qu'il a dit qu'il y est d'une
façon d'exister qu'à peine pouvons-nous exprimer
par des paroles, je craindrois d'être accusé de témé-
rité si j'osois déterminer quelque chose là-dessus ,
et j'aimerois mieux en dire mes conjectures de vive
voix que par écrit.
Enfin pour ce qui est du vide , je n'ai presque
rien à dire qui ne se trouve déjà quelque part dans
mes Principes de philosophie; car ce que vous
nommez ici la concavité du tonneau, à mon juge-
ment, est un corps qui a trois dimensions, et que
vous rapportez faussement aux côtés du tonneau
comme si ce n'étoit rien qui fût différent d'eux.
Mais toutes ces choses se peuvent plus facile-
ment discuter dans une entrevue, à laquelle je
m'offre très volontiers , n'ayant que de l'amour et
du respect pour tous ceux que je vois disposés à
suivre et embrasser la vérité. Je suis, etc.
i5o
LETTRES.
RÉPLIQUE A LA PRÉCÉDENTE \
(Lettre 5 dn tome II. Version.)
Monsieur,
Je ne doute point que l'entretien ne fût beau-
coup plus commode et plus facile que les écrits,
pour éclaircir les questions dont nous traitons;
mais puisque cela ne se peut, et qu'étant absent du
lieu où vous êtes, il ne m est pas permis dé jouir
d'un entretien tant désiré , et offert de si bonne
grâce, je ne m'envierai point à moi-même le seul
moyen qui me reste pour tirer de vous les instruc-
tions qui me sont nécessaires pour l'intelligence de
vos écrits ; car votre réponse , quoique très courte,
m'ayantdéjà beaucoup aidé à comprendre des cho-
ses très difficiles, j'ai conçu une grande espérance
de pouvoir venir à bout de tout le reste , si je pou-
vois une fois nouer avec vous un entretien, tel
qu'on le peut avec des personnes éloignées, duquel
ayant banni toute contestation ( que je sais vous
1 «« Cette lettre est de M. Arnauld , comme je le sais par une lettre du
père Quesnel. Elle n'est pas datée; mais la réponse de M. Descartes étant
datée du 29 juillet, je peux bien fixer celle-ci au 25 juillet 1648. »
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LKTTRES. 1 5 1
être en horreur, et à laquelle je ne suis nullement
porté) nous pussions par ce moyen, d'un commun
accord et avec une franchise vraiment philoso-
phique, ou plutôt chrétienne, travailler ensemhle
à la recherche de la vérité.
Je ne n'insiste point à ce que vous répondez à
l'objection que je vous ai faite , touchant les pen-
sées d'un enfant qui est au ventre de sa mère; mais
afin que cela se conçoive mieux, il me semble qu'il
seroit à propos que vous prissiez la peine d'expli-
quer plus amplement ce qui suit.
i . Pourquoi l'âme d'un enfant n'a point de con-
ceptions pures , mais seulement des sensations con-
fuses. Je dirai pourtant ce qui me vient mainte-
nant en la pensée. Pendant que l'âme est unie au
corps , il semble qu'elle ne puisse en aucune façon
détourner sa pensée des impressions que les sens
font sur elle (ce qui toutefois est nécessaire pour
une conception pure), au moins lorsqu'elle est tou-
chée avec beaucoup de force par leurs objets, soit
extérieurs, soit intérieurs : d'où vient que dans une
douleur piquante, ou dans un plaisir corporel
très véhément, elle ne peut penser à autre chose
qu'à sa douleur ou à son plaisir; et par là il me
semble qu'on peut expliquer pourquoi les frénéti-
ques ont l'esprit troublé; c'est à savoir, à cause
que les esprits animaux qui sont dans le cerveau
étant violemment agités , l'âme alors est si fort oc-
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1ÏJ2 LETTRES*
cupée des imaginations qu'elle en reçoit , qu'elle ne
peut porter ailleurs sa pensée , ni penser à autre
chose qu'à cela. Je voudrois que vous prissiez la
peine d'expliquer plus clairement (si cela ne vous
incommode point) quelle est cette conjecture, et,
si elle est vraie, comment elle peut s'appliquer aux
enfants et aux léthargiques.
2. Toutefois, encore qu'il n'y ait aucunes con-
ceptions pures dans un enfant, mais seulement
des sensations confuses, pourquoi donc ne peut-il
s'en ressouvenir, puisque vous demeurez d'accord
aujourd'hui qu'il en demeure des impressions dans
le cerveau (ce que néanmoins vous sembliez avoir
nié en votre Métaphysique, page 549)? C'est, dites-
vous, parceque le ressouvenir dépend de quelque
réflexion de l'entendement ou de la mémoire intel-
lectuelle, dont on n'a aucun usage quand on est
au ventre de sa mère ; mais pour ce qui est de Ja
réflexion, il semble que l'entendement, ou la mé-
moire intellectuelle, de sa nature, soit réflexive. Il
reste donc à expliquer quelle est cette réflexion
en laquelle vous dites que consiste la mémoire
intellectuelle, et comment ou en quoi elle diffère
de la simple réflexion qui est naturelle à toute sorte
de pensée, et d'où vient qu'on n'en peut avoir au-
cun usage quand on est au ventre de sa mère.
3. J'approuve fort ce que vous dites , que l'es-
prit pense toujours; et par là le doute que je vous
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LETTRES. 1 53
avois proposé touchant la durée de l'esprit est
tout-à-fait ôté. Il me reste néanmoins encore quel-
que difficulté touchant cela.
1. Comment se peut-il faire que la pensée con-
stitue l'essence de l'esprit, puisque l'esprit est une
substance, et que la pensée semble n'en être qu'un
mode? 2. Puisque nos pensées sont sou ventes fois
différentes les unes des autres , il sembleroit que
l'essence de notre esprit dût aussi souventes fois
être différente. 5. Puisqu'on ne sauroit nier que
je ne sois moi-même l'auteur de la pensée que
j'ai maintenant , s'il est vrai que l'essence de l'esprit
consiste dans la pensée , il semble que je puisse
en quelque façon être considéré comme l'auteur
de son essence, et partant que je puisse aussi me
conserver moi-même. Je vois bien néanmoins ce
que l'on peut ici répondre; c'est à savoir que Dieu
est cause que nous pensons , mais que nous-mê-
mes, aidés par le concours de Dieu , sommes cause
de ce que nous avons telles ou telles pensées. Mais
il est très difficile de comprendre comment la
pensée en général peut être séparée de telle et de
telle pensée en particulier, si ce n'est que cette
abstraction se fasse par le moyen de l'entendement.
C'est pourquoi si l'esprit est lui-même la cause de
ce qu'il a telles ou telles pensées, il semble aussi
pouvoir lui-même être la cause de ce qu'il pense
simplement, et par conséquent de ce qu'il est. De
1 54 LETTRES.
plus , une chose singulière et dont l'essence est
déterminée, doit être singulière et déterminée; et
partant, si l'essence de l'esprit étoit la pensée, ce
ne pourroit être la pensée en général , mais bien
telle ou telle pensée en particulier, qui devroit
constituer son essence , ce qui toutefois ne se
peut dire. Et il n'en est pas de même du corps;
car encore que le corps semble prendre une grande
variété d'extensions , toutefois il retient toujours
sa même quantité; et toute la variété qui lui ar-
rive consiste en cela seul , que s'il perd quelque
chose de sa longueur, il augmente en largeur ou
en profondeur: si ce n'est peut-être qu'on veuille
dire que la pensée de notre esprit est toujours
la même, qui regarde tantôt un objet tantôt un
autre , ce que je doute fort pouvoir être dit avec
vérité.
4- Puisque la pensée est telle de sa nature , que
nous en avons toujours connoissance, si nous
pensons toujours, nous devons toujours avoir
connoissance de nos pensées; ce qui semble con-
traire à l'expérience , comme nous l'expérimentons
tous les jours dans le sommeil. Or de là naît une
autre difficulté que j'avois dessein, il y a long-
temps , de vous proposer, mais elle ne me vint pas
en l'esprit lorsque je vous écrivis la première fois.
Vous dites que notre esprit a la force de conduire
les esprits animaux dans les nerfs, et parce moyen
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LETTRES. 1 55
de mouvoir les membres; et ailleurs vous dites
qu'il n'y a rien en notre esprit dont nous n'ayons
une connoissance, ou actuelle, ou en puissance,
c'est-à-dire que nous ne connoissions actuellement
ou que nous ne puissions actuellement connoître.
Or est-il néanmoins que l'esprit humain semble
n'avoir pas connoissance de cette vertu qui conduit
les esprits animaux dans les nerfs , puisqu'il y en
a même plusieurs qui ignorent s'ils ont des nerfs,
si ce n'est peut-être de nom , et beaucoup plus s'ils
ont des esprits animaux , et quels ils sont. En un
mot, autant que j'ai pu conjecturer de vos Princi-
pes , cela seul se fait par notre esprit, lequel de sa
nature est une chose qui pense, qui se fait par
nous lorsque nous y pensons, et que nous nous en
apercevons; mais de quelque façon que les esprits
animaux soient conduits dans les nerfs, cela se fait
sans que nous y pensions , et que nous nous en
apercevions; et partant, cela se fait en nous sans
que notre esprit y contribue : à quoi l'on peut en-
core ajouter qu'il est très difficile de comprendre
comment une chose incorporelle en peut faire
mouvoir une corporelle.
Pour ce qui est de la durée, j'ai vu le lieu que
vous m'aviez marqué, et il m'a grandement plu,
quoique je ne comprenne pas bien encore ce que,
dans la durée successive d'une chose qui ne se meut
point, il faut prendre pour le devant et pour
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là(3 LETTRES.
l'après, qui sont des différences qui se doivent ren^
contrer dans toute succession.
Pour ce qui est du vide, j'avoue que je ne puis
encore m accoutumer à penser qu'il y a une telle
connexion entre les choses corporelles, que Dieu
n'ait pu créer un monde, s'il ne le créoit infini, et
qu'il ne puisse encore maintenant anéantir aucun
corps, que par cela même il ne soit obligé d'en
créer un autre de pareille grandeur; ou même que
sans aucune nouvelle création il ne s'ensuive que
l'espace que ce corps anéanti occupoit est vérita-
blement et réellement un corps.
Vous m'obligerez beaucoup de me communiquer
quelque chose touchant la façon dont Jésus-Christ
est en l'Eucharistie. Adieu.
RÉPONSE DE M. DESCARTES.
(Lettre 6 du tome II. Version.)
Ayant reçu ces jours passés des objections
comme de la part d'une personne qui demeuroit
en cette ville, j'y ai répondu fort brièvement,
pourceque je croyois que si j'oubliois quelque
chose, l'entretien le pourroit facilement réparer;
mais aujourd'hui que je sais qu'il est absent, puis-
qu'il prend la peine de me récrire, je ne serai pas
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LETTRES. 1 57
paresseux à lui répondre : et puisqu'il ne veut pas
dire son nom, de peur de faillir dans l'inscription,
je m'abstiendrai de tout prélude.
1 . Il me semble qufil est très vrai de dire que
pendant que l'âme est unie au corps, l'âme ne peut
en aucune façon détourner sa pensée des impres-
sions que les sens font sur elle, lorsqu'elle est tou-
chée avec beaucoup de force par leurs objets, soit
extérieurs, soit intérieurs!/ J'ajoute aussi qu'elle ne
s'en peut dégager, lorsqu'elle est jointe à un cer-
veau trop humide, ou trop mou , tel qu'il est dans
les enfants ; ou à un cerveau dont le tempérament
est autrement mal affecté, tel qu'il est dans les lé-
thargiques, dans les apoplectiques et clans les
frénétiques ; ou même tel qu'il a coutume d'être
en nous, lorsque nous sommes ensevelis dans un
profond sommeil : car toutes les fois que nous
songeons à quelque chose dont nous nous res-
souvenons par après , nous ne faisons que som-
meiller.
2. Il ne suffit pas pour nous ressouvenir de
quelque chose que cette chose se soit autrefois
présentée à notre esprit , et qu'elle ait laissé quel-
ques vestiges dans le cerveau, à l'occasion desquels
la même chose se présente derechef à notre pensée ;
mais de plus , il est requis que nous reconnoissions ,
lorsqu'elle se présente pour la seconde fois, que
cela se fait à cause que nous l'avons auparavant
1 58 LETTRES.
aperçue; ainsi, souvent il se présente à l'esprit des
poètes certains vers qu'ils ne se souviennent point
avoir jamais lus en d'autres auteurs, lesquels néan-
moins ne se présenteroient pas à leur esprit s'ils
ne les avoicnt lus quelque part.
D'où il paroît manifestement que, pour se ressou-
venir, toutes sortes de vestiges que les pensées
précédentes ont laissés dans le cerveau ne sont pas
propres, mais seulement ceux qui sont tels qu'ils
peuvent donner à connoître à l'esprit qu'ils n'ont
pas toujours été en nous, mais ont été autrefois
nouvellement imprimés. Or, afin que l'esprit puisse
reconnoître cela, j'estime que lorsqu'ils ont été
imprimés la première fois, il a dû se, servir
d'une conception pure, afin d'apercevoir par ce
moyen que la chose qui lui vcnoit alors en l'es»
pritétoit nouvelle, c'est-à-dire qu'elle. ne lui avoit
pas auparavant passé par l'esprit; car il ne peut y
avoir aucun vestige corporel de cette nouveauté :
ainsi donc, si j'ai écrit en quelque endroit que les
pensées qu'ont les enfants ne laissent d'elles aucuns
vestiges dans le cerveau, j'ai entendu parler de ces
vestiges qui sont nécessaires pour le souvenir, c'estr
à-dire de ceux que par une conception pure nous
apercevons être ^nouveaux, lorsqu'ils s'impriment;
en rnéme façon que nous disons qu'il n'y a aucuns
vestiges d'hommes<lans une plaine sablonneuse , où
nous ne remarquons point la figure d'aucun pied
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LETTRES. l59
d'homme qui y soit empreinte, encore que peut-
être il s'y rencontre plusieurs inégalités faites par
les pieds de quelques hommes, lesquelles par con-
séquent peuvent en un autre sens être appelées
des vestiges d'hommes. Enfin, comme nous mettons
distinction entre la vision directe et la réfléchie,
en ce que cejle-là dépend de la première rencontre
des rayons, et l'autre de la seconde; ainsi j'appelle
les premières et simples pensées des enfants qui
leur arrivent, par exemple, lorsqu'ils sentent de la
douleur de ce que quelque vent enfermé dans leurs
entrailles les fait étendre, ou du plaisir de ce que
le sang dont ils sont nourris est doux et propre à
leur entretien ; je les appelle, dis-je, des pensées
directes et non pas réfléchies: mais lorsqu'un jeune
homme sent quelque chose de nouveau, et qu'en
même temps il aperçoit qu'il n'a point encore
senti auparavant la même chose, j'appelle cette
seconde perception une réflexion, et je ne la rapj
porte qu'à l'entendement seul, encore qu'elle soit
tellement conjointe avec la sensation, qu'elles se
fassent ensemble, et qu'elles ne semblent pas être
distinguées l'une de l'autre. h ■«
3. J'ai tâché d'ôter l'ambiguïté qui est en ce
mot de pensée dans l'article 63 et 64 de la pre-
mière partie des Principes ; car comme l'extension»
qui constitue la nature du corps diffère beaucoup
des diverses figures ou mauières d'extension qu'elle
l6V* LETTRES.
prend; ainsi la pensée, ou la nature qui pense,
dans laquelle je crois que consiste l'essence de
l'esprit humain, est bien différente d'un tel ou tel
acte de penser en particulier. Et l'esprit peut bien
lui-même être la cause de ce qu'il exerce tels ou
tels actes de penser, mais non pas de ce qu'il est
une chose qui pense. Tout de même qu'il dépend
de la flamme comme d'une cause efficiente, de ce
quelle s'étend d'un côté ou d'un autre, mais non
pas de ce qu'elle est une chose étendue. Par la
pensée donc, je n'entends point quelque chose
d'universel qui comprenne toutes les manières de
penser , mais bien une nature particulière qui re-
çoit en soi tous ces modes, ainsi que l'extension
est aussi une nature qui reçoit en soi toutes sortes
de figures.
[\. C'est autre chose d'avoir connoissance de nos
pensées au moment même que nous pensons,
et autre chose de s'en ressouvenir par après. Ainsi
nous ne pensons rien dans nos songes, qu'à l'in-
stant même que nous pensons nous n'ayons con-
noissance de notre pensée, encore que le plus
souvent nous l'oublions aussitôt. Et il est vrai que
nous n'avons pas connoissance de quelle façon
notre âme envoie les esprits animaux dans les nerfs ;
car cette façon ne dépend pas de l'âme seule, mais
de l'union qui est entre l'âme et le corps; néan -
moins nous avons connoissance de toute cette ao
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•
LETTRES. l6l
tion, par laquelle l'âme meut les nerfs, en tant
qu'une telle action est dans l'âme, puisque ce n'est
rien autre chose en elle que l'inclination de sa vo-
lonté à un tel ou tel mouvement. Et cette inclina-
tion de la volonté est suivie du cours des esprits
dans les nerfs, et de tout ce qui est requis pour ce
mouvement, ce qui arrive à cause de la convenable
disposition du corps, dont l'âme peut bien n'avoir
point de connoissance , comme aussi à cause de
l'union de l'âme avec le corps, de laquelle sans
doute notre âme a connoissance; car autrement
jamais elle n'inclineroit sa volonté à vouloir mou-
voir les membres.
Maintenant que l'esprit, qui est incorporel, puisse
faire mouvoir le corps, il n'y a ni raisonnement
ni comparaison tirée des autres choses qui nous
le puisse apprendre ; mais néanmoins nous n'en
pouvons douter, puisque des expériences trop cer-
taines et trop évidentes nous le font connoître
tous les jours manifestement. Et il faut bien pren-
dre garde que cela est l'une des choses qui sont
connues par elles-mêmes, et que nous obscurcis-
sons toutes les fois que nous les voulons expliquer
par d'autres. Toutefois, pour ne rien oublier de ce
que je puis pour votre satisfaction, je me servirai
ici d'une comparaison. La plupart des philosophes
qui croient que la pesanteur d'une pierre est une
qualité réelle, distincte de la pierre, croient en-
10. Il
IÔ2 LETTRES.
tendre assez bien de quelle façon cette qualité peut
mouvoir une pierre vers le centre de la terre ,
pourcequ'ils croient en avoir une expérience ma-
nifeste : pour moi qui me persuade qu'il n'y a point
de telle qualité dans la nature, et par conséquent
qu'il ne peut pas y avoir d'elle aucune vraie idée
dans l'entendement humain , j'estime qu'ils se ser-
vant de l'idée qu'ils ont en eux - mêmes de la sub-
stance incorporelle pour se représenter cette pe-
santeur ; en sorte qu'il ne nous est pas plus difficile
de concevoir comment 1 ame meut le corps , qu'à
eux de concevoir comment une telle qualité fait
aller la pierre en bas. Et il n'importe pas qu'ils
disent que cette pesanteur n'est pas une substance;
car en effet ils la conçoivent comme une substance,
puisqu'ils croient qu'elle est réelle, et que par
quelque puissance , à savoir par la puissance di-
vine 3 elle peut exister sans la pierre. Il n'importe
pas aussi qu'ils disent qu'elle est corporelle : car
si par corporel nous entendons ce qui appartient
au corps, encore qu'il soit d'une autre nature,
L'âme peut aussi être dite corporelle, en tant
qu'elle est propre à s'unir au corps ; mais si par
corporel nous entendons ce qui participe de la
nature du corps , cette pesanteur n'est pas plus
corporelle que notre âme même.
5. Je ne conçois pas autrement la durée succes-
sive des choses qui sont mues, ou même celle de
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LETTItES. 1 65
•
leur mouvement, que je fais la durée des choses
non mues; car le devant et laprès de toutes les
durées , quelles qu'elles soient , me paroît par le
devant et par Faprès de la durée successive que
je découvre en ma pensée , avec laquelle les autres
choses sont coexistantes.
6. La difficulté qu'il y a à connoître l'impossi-l
bilité du vide semble venir principalement de
ce que nous ne considérons pas assez que le néant
ne peut avoir aucunes propriétés : car, autrement,
voyant que dans cet espace même que nous appe-
lons vide il y a une véritable extension , et par
conséquent toutes les propriétés qui sont requises
à la nature du corps , nous ne dirions pas qu'il est
tout-à-fait vide, c'est-à-dire qu'il est un pur néant.
De plus , cette difficulté vient aussi de ce que nous
avons recours à la puissance divine ; et comme
nous savons qu'elle est infinie , nous ne prenons
pas garde que nous lui attribuons un effet qui en-
ferme une contradiction en sa conception , c'est-à-
dire qui ne peut être par nous conçu.
Pour moi , il me semble qu'on ne doit jamais dire
d'aucune chose qu'elle est impossible à Dieu; car
tout ce qui est vrai et bon étant dépendant de sa
toute-puissance, je n'ose pas même dire que Dieu
ne peut faire une montagne sans vallée , ou qu'un
et deux ne fassent pas trois ; mais je dis seulement
qu'il m'a donné un esprit de telle nature , que je
l64 LETTRES.
ne sau rois concevoir une montagne sans vallée, ou
que l'agrégé d'un et de deux ne fasse pas trois, etc.
Et je dis seulement que telles choses impliquent
contradiction en ma conception. Tout de même
aussi il me semble qu'il implique contradiction en
ma conception de dire qu'un espace soit tout-à-
fait vide , ou que le néant soit étendu , ou que
l'univers soit terminé; pourcequ'on ne sauroit
feindre ou imaginer aucunes bornes au monde, au-
delà desquelles je ne conçoive de l'étendue; et je
ne puis aussi concevoir un muid tellement vide ,
qu'il n'y ait aucune extension en sa cavité , et dans
lequel par conséquent il n'y ait point de corps ;
car là ou il y a de l'extension , là aussi nécessaire-
ment il y a un corps , etc.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etc.
(Lettre 26 du tome LJ
Madame,
J'ai eu enfin le bonheur de recevoir les trois
lettres que votre altesse m'a fait l'honneur de m'é-
« « La a6e lettre du Ier volume est de M. Desearfcs à madame Élizabeth ,
princesse Palatine ; elle n'est point datée, mais deux raisons me persuadent
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LETTRES. l65
crire,et elles n'ont point passé en de mauvaises
mains; mais la première, du 3o juin , ayant été por-
tée à Paris pendant que j'étois déjà en chemin pour
revenir en ce pays, ceux qui l'ont reçue- pour moi
ont attendu des nouvelles de mon arrivée avant
que de me l'envoyer, et ainsi je ne l'ai pu avoir
qu'aujourd'hui, que j'ai aussi reçu la dernière du
25 août, par laquelle j'apprends un procédé inju-
rieux que j'admire, et je veux croire avec votre
altesse qu'il ne vient pas de la personne à qui on
l'attribue. Quoi qu'il en soit, je n'estime pas qu'on
doive être fâché de ne point faire un voyage où ,
comme votre altesse remarque fort bien , les incom-
modités étaient infaillibles, et les avantages fort
incertains. Pour moi, grâce à Dieu, j'ai achevé celui
qu'on m'avoit obligé de faire en France, et je ne
suis pas marri d'y être allé, mais je suis encore
plus aise d'en être revenu. Je n'y ai vu personne
qu'elle a été écrite le ier d'octobre 1648 : premièrement parceque dans la
27e lettre à Picot , datée da 6 septembre , M. Descartes dit à cet ami qu'il
a appris de M. d'Hogheland qu'il lui avoit envoyé à Paris des lettres de
Berlin, qui sont celles auxquelles il répond dans cette lettre, et qu'il le
prie de les renvoyer incessamment $ or, pour écrire à Paris et renvoyer ces
*
lettres, il a bien fallu trois semaines , c'est pourquoi j'ai passable raison de
fiier cette lettre au Ier octobre. Secondement, parceque, page 81 de cette
lettre , M. Descartes dit qu'il y a cinq mois qu'il n'a reçu de nouvelles de
Suède; or, la dernière qu'il avoit reçue à Egmond était datée, du 4 avril
1648, et il l'avoit reçue sur la fin de ce mois d'avril, si l'on ajoute cinq
mois nous venons en octobre, et je fixe donc bien cette lettre au I oç>
tobre 1648. La princesse Élizabeth était pour lors à Berlin. •
1 66 LETTRES.
dont il m'ait semblé que la condition fût digne d'en-
vie , et ceux qui y paroissent avec le plus d'éclat
m'ont semblé être les plus dignes de pitié. Je n'y
pouvois aller en un temps plus avantageux pour
me faire bien reconnoître la félicité de la vie tran-
quille et retirée , et la richesse des plus médiocres
fortunes. Si votre altesse compare sa condition avec
celle des reines et des autres princesses de l'Eu-
rope , elle y trouvera la même différence qu'entre
ceux qui sont dans le port, où ils se reposent, et
ceux qui sont en pleine mer, agités par les vents
d'une tempête; et bien qu'on ait été jeté dans le port
par un naufrage, pourvu qu'on n'y manque pas
des choses nécessaires à la vie , on ne doit pas y
être moins content que si on y étoit arrivé d'autre
façon. Les fâcheuses rencontres qui arrivent aux
personnes qui sont dans l'action , et dont la félicité
dépend toute d'autrui, pénètrent jusqu'au fond de
leur cœur, au lieu que cette vapeur venimeuse
qui est descendue des arbres sous lesquels se pro-
menoit paisiblement votre altesse n'aura touché ,
comme j'espère, que l'extérieur de la peau, laquelle
si on eût lavée sur l'heure avec un peu d'eau-de-
vie , je crois qu'on en auroit ôté tout le mal. Je n'ai
reçu aucunes lettres depuis cinq mois de l'ami dont
j'avois écrit ci-devant à votre altesse, et pource-
qu'en sa dernière il me mandoit fort ponctuelle-
ment les raisons qui avoient empêché la personne
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LETTRES. 167
à laquelle il avoit donné mes lettres de me faire
réponse , je juge que son silence ne vient que de
ce qu'il attend encore cette réponse, ou bien peut-
être qu'il a quelque honte de n'en avoir point à
m'envoyer , ainsi qu'il s'étoit imaginé. Je me retiens
aussi de lui écrire le premier, afin de ne lui sem-
bler point reprocher cela par mes lettres; et je ne
làissois pas de savoir souvent de ses nouvelles
lorsque j'étois à Paris, par le moyen de ses pro-
ches , qui en recevoient tous les huit jours ; mais
lorsqu'ils lui auront mandé que je suis ici, je ne
doute point qu'il ne m'y écrive, et qu'il ne me fasse
entendre ce qu'il saura du procédé qui touche
votre altesse, pourcequ'il sait que j'y prends beau-
coup d'intérêt. Mais ceux qui n'ont point eu l'hon-
neur de vous voir, et qui n'ont point une connois-
sance très particulière dejvos vertus, ne sauroient
pas concevoir qu'on puisse être aussi parfaitement
que je suis, etc.
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l68 LETTRES.
A MONSIEUR
(Lettre 83 du tome IL)
Le 18 décembre 164*,
MONSIEUR,
Je ne vous saurois commodément envoyer la
proposition que vous me demandez, parcequ'il ne
m'en souvient presque plus, et que je suis occupé
à d'autres pensées ; c'est pourquoi je vous supplie
de m'en dispenser, et je vous l'enverrois très
volontiers, si vous ne la demandiez que pour vous
seul ; mais parceque vous la voudriez faire impri-
merie vous dirai ici franchement que je suis trop
mal satisfait de certains géomètres, pour leur vou-
loir plus rien apprendre. Tout le meilleur qu'ils
savent vient presque de moi, et néanmoins ils veu-
lent persuader aux ignorants qu'il n'y a personne
qui les égale. Je vous prie, si vous écrivez à M. de
Carcavi, de le remercier de ma part du souvenir
qu'il a de moi, et de l'offre qu'il me fait de m'en-
voyer le livre d'Italie qui traite du vide ; je ne vou-
drois pas lui en donner la peine, mais si nous en
avions le titre , peut-être que nous le trouverions
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LETTRES. 169
chez les libraires d'ici ; et s'il lui plaît de le faire
voir à M. l'abbé Picot, je pourrai apprendre de lui
ce qu'il contient.
VOICI MAINTENANT LE BILLET DE M. DE FERMAT.
(Version.)
« Vouloir délivrer entièrement l'algèbre des asy-
métries , c'est un ouvrage difficile, et sur lequel
les analystes ne se sont pas encore assez exercés.
• Qu'on propose, par exemple, plus de quatre
termes asymètres qu'il faut faire évanouir suivant
les règles de l'art , quel analyste se retirera de cet
embarras? Il travaillera beaucoup, il se cassera la
tête; après une infinité d'opérations, il se trouvera
aussi avancé que s'il n'avoit rien fait. L'analyse
restera donc en chemin, accablée de tous côtés
par les asymétries, et ne pourra plus faire un seul
pas. C'est à nos habiles à la tirer de cet embarras,
et à lui ouvrir une route pour arriver à son but.
• Soit, par exemple, la racine (b in a, a quar.)\
la racine (z quar.-fd in a, \ a quar. \ la racine
(m m a) -{-la racine (d quar. -a quar. )- la racine
(r in a\a quar.) qu'on suppose égaux û, a\ b.
«Que l'analyste se tire de cette asymétrie selon
les règles de l'article, ou qu'il avoue l'inefficacité
de ses règles. 11 me semble que les illustres en
cette science ne sauroient prendre un plus digne
et plus nécessaire emploi que celui d'aplanir ces
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I70 LETTRES.
difficultés; pour les y exciter, vous leur pourriez
dire par avance que j'ai fait quelques progrès en
cette matière, et qu'il y a beaucoup à découvrir
et à inventer; vous pourrez même en écrire en
Italie et en Hollande, afin que la prophétie du
chancelier d'Angleterre s'accomplisse : Plusieurs
passeront, et la science augmentera. »
Pour le billet de M. de Fermât, puisqu'il est en
latin, il faut que j'y réponde aussi en latin, et en-
suite de ces mots , L'analyse restera donc en che-
min, etc. , je réponds :
Notre analyste ne s'arrête pas en si beau chemin ,
et voici une méthode pour y parvenir. Otant tous
les signes de la symétrie , il faut joindre ensemble
tous les termes donnés (qui de cette manière sont
devenus commensurables), et ensuite les multi-
plier carrément. Il faut les multiplier ainsi trois
fois si l'on adonné cinq termes asymètres, quatre
fois si l'on en a donné six, cinq fois si l'on en a
donné sept, et ainsi à l'infini.
Ensuite des termes produits par la dernière mul-
tiplication, ou de leurs multiples joints ensemble
par la seule addition ou soustraction , résulte une
équation qui n'est embarrassée d'aucun terme asy-
mètre, et qui est égale à la première.
Ainsi dans l'exemple donné il y a six termes asy-
mètres que j'écris ainsi : ba-aafzzf da f aa f
ma f ddd-aa \ ra \ aa f bb \ %ba f aa.
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LKTTRES. I7I
Ces termes multipliés une seule fois carrément
produisent seulement vingt-un termes; car il faut
observer qu'on doit conserver à part toutes les
parties du produit de chaque terme (quand il y en
a plusieurs), et ne les point confondre avec d'au-
tres termes , quoique entièrement semblables ,
avant la fin de l'opération. Ces vingt-un termes mul-
tipliés carrément en produisent beaucoup davan-
tage ; mais parceque ces multiplications se peuvent
faire par un simple calcul de plume, et qu'un ha-
bile analyste corrige aisément les fautes qui se
pourroient glisser dans le calcul d'un arithméti-
cien, la longueur de l'opération ne doit pas être
mise au nombre des difficultés; j'ai encore une
méthode plus courte, mais qui ne seroit pas si fort
à la portée d'un simple arithméticien.
Mais je demande ici à M. de Fermât, et à M. de
Roberval (et principalement à ce dernier ; car, puis-
qu'il occupe la chaire de Ramus, il doit répondre
à cette question, ou avouer qu'il ne mérite pas ce
poste), comment on trouvera dans le produit de
la dernière multiplication quels sont les termes
qu'il faut ajouter et quels sont ceux qu'il faut
soustraire pour avoir l'équation demandée. Que
M. de Roberval n'aille pas dire, selon sa coutume,
qu'il lui faudroit beaucoup de temps pour satis-
faire à cette question , et qu'il a d'autres affaires;
car j'assure ici, et même, s'il est besoin , je le dé-
I72 LETTRES.
montrerai, qu'un savant analyste peut trouver en
très peu de temps ce que je demande, et je puis
protester que je n'ai pas employé plus d'un demi-
quart d'heure à chercher cette méthode, à la trou-
ver, et à me convaincre qu'elle s'étend à toutes les
espèces d'asymétrie.
PROPOSITION DÉMONTRÉE PAR M. DES CARTES.
■
Une section conique quelconque étant donnée,
et un point situé hors de son plan à volonté, trou-
ver un cercle qui soit la base du cône que décrit
une ligne droite menée du point donné comme
sommet autour de la section conique donnée; car
on ne peut douter qu'une surface ainsi décrite ne
soit conique, et il est très aisé de le démontrer
quand on a trouvé le cercle qui fait sa base.
SOLUTION.
Je divise cette proposition en trois cas. Le pre-
mier est lorsque la section donnée est une ellipse,
et que le point donné tombe perpendiculairement
sur son centre. Le second cas est lorsque la per-
pendiculaire tirée du point donné tombe quelque
autre part sur l'axe de l'ellipse donnée, ou bien en
quelque endroit de l'axe d'une hyperbole ou d'une
parabole donnée. Le troisième cas enfin est lors-
que cette perpendiculaire tombe hors de l'axe.
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LETTRES. 175
PREMIER CAS.
Étant donné l'ellipse BOLf, et le point À
étant élevé perpendiculairement sur le centre D
de la hauteur de la ligne AD , je tire au point A,
sommet du cône, et des points B et L, extré-
mités du petit diamètre de l'ellipse donnée, les
lignes AB et AL. Je cherche ensuite une ligne P
qui soit à AB comme DO est à DO -j- DB , une
autre ligne Q qui soit à la même AB comme DO
est à DO-DB, et une autre ligne R qui soit
moyenne proportionnelle entre P et Q. Enfin du
centre A je décris un cercle dont le rayon I soit
égal à la ligne R; ce cercle coupe le diamètre
BL prolongé en R, de façon que, joignant la ligne
AR, si du point B on lui tire la parallèle BC , BC
sera le diamètre du cercle demandé, comme il est
aisé de le démontrer par l'analyse. On peut éten-
dre cette solution aux deux cas suivants; car il y
sera plus facile de trouver une ellipse sur le cen-
tre de laquelle tombe une perpendiculaire tirée du
sommet du cône, que de trouver le cercle qui est
base de ce cone.
• • •» » *
SECOND CAS.
Étant donnée l'ellipse BFC *, et le point A
étant élevé perpendiculairement sur E, point de
Taxe BC de la hauteur de la ligne AE , je tire
1 Figure 7. — ■ Figure 8.
1-4 LETTRES.
les lignes BA et CA, et prenant sur la plus
longue CA sa partie AL qui soit égale à la plus
courte BA, j'ai la ligne BL pour un des diamè-
tres de l'ellipse sur le centre D, de laquelle le point
A tombe perpendiculairement; et une autre ligne
menée par le point D perpendiculaire à AD, et
parallèle au plan de la section BFC terminée des
deux côtés dans la superficie conique, est un autre
diamètre de la même ellipse conjugué avec la pre-
mière. Or quand les diamètres conjugués d'une
ellipse sont donnés, l'ellipse elle-même est donnée;
et étant donnée une ellipse sur le centre de laquelle
le sommet du cône tombe perpendiculairement,
on trouve de la manière expliquée ci-dessus un
cercle qui soit la base de ce cône.
De même étant donnée la parabole BF1, et le
point A étant élevé perpendiculairement sur le
point E de Taxe BC de la hauteur de la ligne A£,
je tire la ligne AB, et la ligne AL égale à AB et
parallèle à BC, et BL est un des diamètres de
l'ellipse sur le centre D de laquelle le point A
tombe perpendiculairement. On trouvera par la
méthode ci-dessus son autre diamètre conjugué.
De même étant donnée l'hyperbole BF", et
son opposée dont le sommet est C étant aussi
le point A élevé perpendiculairement sur le point
E de l'axe BC de la hauteur de la ligne AE , je
i Figure 9. — * Figure 10.
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LETTRES. 1^5
tire les lignes BA et CA, et prenant sur la plus
longue CA prolongée au-delà du point A une por-
tion AL égale à la plus courte BA , j'ai la ligne
BLpour un des diamètres de l'ellipse, etc., comme
ci-dessus.
1
De même étant donnée l'hyperbole BF et son
opposée, dont C est le sommet, et étant donné le
point A élevé perpendiculairement sur le point E
de l'axe second HE de la hauteur de la ligne AE ,
je prends sur Taxe HE la ligne HG égale à HA,
et tirant les lignes ÊG et CG prolongées en L, de
sorte que GL égale BG, BL est un des diamètres
conjugués de l'ellipse demandée sur le centre D de
laquelle le point; A tombe perpendiculairement et
une autre ligne menée parie centre D perpendicu-
laire à CD ou AD (car les lettres A et G ne repré-
sentent qu'un seul et même point qu'on doit s'ima-
giner être élevé en l'air au-dessus du plan BCE )
et parallèle au plan de la section BFC , laquelle
est terminée des deux cotés dans la superficie coni-
que, est l'autre diamètre conjugué, comme on a dit
ci-dessus \
Tout cela me paroît si clair qu'il n'a pas besoin
de démonstration. ;
■ * ■ ■
TROISIÈME CAS.
Etant donnée la parabole BGR*, dont G est
le sommet, et GY partie de l'axe égal à la moitié
• • • • • * .
. . . . ' • « -
1 Figure 1 r. — * Figure 1*.
X'jG LETTBES.
du côté droit, étant aussi donné le point A hors le
plan de la section, d'où tombe hors de l'axe la
perpendiculaire AE sur le point E du plan de la
section.
Sont aussi données les lignes AG que j'appelle
a, la perpendiculaire EF qui tombe du point E
sur l'axe que j'appelle r, par lesquelles je prétends
trouver le point B auquel la parabole est touchée
par l'ellipse sur le centre de laquelle tombe une
perpendiculaire menée du point A ; c'est-à-dire
je cherche la ligne BN perpendiculaire à l'axe GY,
laquelle j'appelle x, et je découvre par l'analyse
+ aa
—rXX
a,-3 1| * fcrx-ibrr,
-r-XX
u
• #
laquelle équation me donne facilement le point B
suivant ma géométrie , car si a et c sont égaux , il
faut prendre seulement sur l'axe YR une ligne qui
soit égale à la moitié de FY donnée, et la perpen-
diculaire RS qui soit la moitié de FE donnée, et
le cercle décrit du centre S par le sommet de la
section G coupera la parabole au point B de-
mandé; mais si a et c ne sont pas égaux, cette
construction sera un peu plus longue, mais non
plus difficile. Or, le point B étant trouvé, je tire
la droite AB, et AL également à AB et parallèle
à l'axe GY, et BL est un des diamètres de l'ellipse
demandée et une ligne menée par le centre de cette
Digitized by Google
I
LETTRES. I77
ellipse D , perpendiculaire à AD parallèle au
plan de la section, et terminée des deux côtés
dans la superficie conique , est l'autre diamètre
conjugué.
Or, voici la construction de l'analyse pour trou-
ver le point B par les données et supposées AG,
EF, FY, YG, GN et NB; on cherche AB, et
aussi BP qui touche la parabole en B, et faisant
BH égale à AB et parallèle à l'axe GY, on trouve
AH , par AQ , QB , et BH , et aussi HK paral-
lèle à la tangente BP; on trouve aussi KM per-
pendiculaire du point A sur Faxe GY , et aussi
MG, et MY, et par les données ou supposées
AG, EF, FY, MY, et KM, on trouve AK dont
le carré doit être égal au carré du KH, plus le
carré de AH; pareeque comme l'angle ABD est
droit, l'angle AHK l'est aussi, et l'équation qu'on
trouve par ce moyen est,
a5 il cc_ t <*x — ï brr.
On se servira de la même analyse pour l'hyper-
bole et pour l'ellipse; et quoiqu'elle soit peut-
être un peu plus longue et plus embarrassante, on
pourra cependant et même il faudra nécessaire-
ment réduire le tout à une équation qui n'aura pas
plus de quatre dimensions , et en suivant ma Géo-
métrie on pourra en faire la construction sur la
10. la
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1?8 LETTRES.
section conique donnée, avec le seul secours de
la règle et du compas.
LETTRE DE M. MORUS
A M. DESCARTES.
(Lettre 66 du tome I. Version.)
Monsieur,
Il n'y a que vous seul qui puissiez juger du plaisir
que j'ai eu en lisant vos ouvrages. Je puis bien vous
assurer que j'ai ressenti la même joie à comprendre
et à adopter vos théorèmes, où je trouve une
beauté merveilleuse, que vous en avez eu tous-
même à les inventer , et que ces savantes produc-
tions de votre esprit me sont aussi chères que si
c'étoient les miennes propres. Je vous dirai même
que je m'imagine en être en quelque façon l'auteur:
car toutes vos pensées se trouvent tellement con-
formes à mon entendement , que je ne crois pas
que mon esprit puisse jamais rencontrer rien qui
lui convienne mieux, et qui lui soit plus naturel,
étant persuadé qu'elles sont de la même substance
et d'une union essentielle et nécessaire; et que tout
esprit qui ne pense pas comme vous ne peut ne
Digitized by Google
LETTRES. l^C)
pas s'écarter de la droite raison ; et pour vous dire
naturellement ma pensée , tout ce qu'il y a jamais
eu de grands philosophes , et d'intimes confidents
des secrets de la nature, n'étoient que des nains et
des pygmées auprès de vous. Dès la première lec-
ture que je fis de vos ouvrages , je conjecturai que
votre illustre disciple, la princesse Élizabeth, pour
être entrée parfaitement dans l'intelligence de votre
philosophie, étoit infiniment plus sage et plus phi-
losophe que tous les sages et les philosophes de
l'Europe. Je reconnus que je ne m'étois pas trompé ,
lorsque j'eus une plus parfaite connoissance de vos
écrits. Enfin , la lumière cartésienne s'est montrée
de toutes parts à mon esprit. Le raisonnement y
est partout si libre, si naturel , si net , si uniforme
et si bien suivi, qu'il a percé et dissipé avec un
succès merveilleux les ténèbres répandues sur les
abîmes de la nature, et a porté une clarté merveil-
leuse sur vos écrits ; de sorte qu'il ne reste que peu
ou point d'endroits ténébreux que ce flambeau lu-
mineux n'éclaire, ou qu'il ne soit en état d'éclairer,
avec très peu de travail de ma part ; car tout ce
que vous avez écrit dans votre livre des Principes,
et dans vos autres ouvrages , est d'une si grande
justesse, d'une beauté si bien proportionnée, et
d une conformité si parfaite avec la nature , qu'il
n'est pas possible de procurer un spectacle plus
agréable à l'esprit et à la raison humaine.
l80 LETTRES.
On voit dans votre Méthode une espèce de jeu
d'esprit, mais qui dans le fond est une modestie
ingénieuse, qui nous représente comme dans un
fidèle tableau le caractère le plus doux et l'esprit
le plus aimable du monde , et en même temps le
génie le plus noble et le plus élevé qu'on sauroit
s'imaginer ou souhaiter. Je ne dis point ceci dans la
vue d'augmenter votre gloire, ou celle de la répu-
blique des lettres; mais premièrement, parceque je
ne puis me refuser de rendre hautement ce témoi-
gnage pour le plaisir et le fruit que j'ai trouvé dans la
lecture de vos ouvrages; en second lieu, pour vous
faire connoître qu'il y a des Anglois qui savent es-
timer tout leur prix votre personne et vos produc-
tions, et qui sont remplis d'admiration pour vos
divines qualités; qu'il n'y a même personne au
monde qui ait pour vous un amour plus sincère
et plus effectif, et qui embrasse de meilleur cœur
les sentiments de votre excellente philosophie.
Cependant, pour ne vous rien dissimuler, Monsieur,
bien que je sois éperdument amoureux de votre
système, et de tout le corps de votre philosophie,
je vous avouerai qu'il vous est échappé quelque
chose dans la seconde partie de vos Principes, ou
que mon esprit n'a pas assez de lumières pour pé-
nétrer, ou trop de répugnance pour admettre;
mais ces difficultés ne portent point coup au fond
de votre philosophie; car quand ce qui m'embar-
Digitized by Google
LETTRES. l8l
rasse seroit ou faux, ou incertain , cela ne feroit
rien à l'essence ou au fond de cette science, qui à
cela près subsisteroit toujours très bien.
Je vais donc vous proposer en deux mots mes
doutes si vous le trouvez bon.
1 . Vous définissez la matière ou le corps d'une
manière trop générale , car il semble que non seu-
lement Dieu, mais les anges mêmes, et toute chose
qui existe par soi-même, est une chose étendue;
en sorte que l étendue paroît être enfermée dans
les mêmes bornes que l'essence absolue des choses ,
qui peut néanmoins être diversifiée selon la variété
des essences mêmes. Or la raison qui méfait croire
que Dieu est étendu à sa manière, c'est qu'il est
présent partout, et qu'il remplit intimement tout
l'univers et chacune de ses parties; car comment
communiqueroit-il le mouvement à la matière,
comme il a fait autrefois, et qu'il le fait actuelle-
ment selon vous, s'il ne touchoit pour ainsi dire
précisément la matière, ou du moins s'il ne l'avoit
autrefois touchée? ce qu'il n'aurait certainement
jamais fait s'il ne se fût trouvé présent partout, et
s'il n'avoit rempli chaque lieu et chaque contrée.
Dieu est donc étendu et répandu à sa manière ; par
conséquent Dieu est une chose étendue.
Il ne s'ensuit pourtant pas de là qu'il soit ce
corps ou cette matière que votre esprit, comme
un habile ouvrier , a su si bien figurer eu globules
l82 LETTRES,
et eu parties cannelées; c'est pourquoi la substance
étendue est quelque chose de plus général que le
corps. Cette preuve louche , ou plutôt cette espèce
de sophisme dont vous vous servez pour confirmer
votre définition , me donne encore du courage pour
vous combattre sur cet article. Le corps, dites-
vous, peut être sans mollesse, sans dureté, sans
poids, sans légèreté, etc., et la matière subsister
en son entier sans ces qualités , et les autres que
les sens aperçoivent en elles; c'est comme si vous
disiez qu'une livre de cire pourroit être ce qu'elle
est, quoiqu'elle ne fût ni ronde, ni cubique, ni
pyramidale, et demeurer livre de cire, sans avoir
aucune figure, ce qui ne se peut pas; car bien
qu'une telle ou telle figure ne soit pas tellement
adhérente à la cire, qu'elle ne puisse s'en dépouil-
ler, cependant il est d'une nécessité indispensable
que la cire ait une figure. Ainsi , quoique la ma-
tière ne soit nécessairement ni molle, ni dure, ni
chaude, ni froide, il est cependant absolument
nécessaire qu'elle soit sensible, ou si vous voulez
tactile , comme l'a très bien défini Lucrèce.
Toucher, être touché n'appartient qu'au seul corps.
Cette notion doit être d'autant moins éloignée de
votre manière de penser, que votre philosophie,
d'accord avec celle des anciens , dont parle Théo-
phraste, place tout sentiment dans le toucher: ce
Digitized by
LETTRES. l85
que je crois la chose du monde la plus véritable.
Que si vous ne voulez pas définir le corps par le
rapport qull a à nos sentiments , je veux bien que
le toucher soit pris d'une manière plus générale
et plus diffuse , et qu'il signifie le contact mutuel
et ce pouvoir de toucher; soit que ces corps soient
animés ou inanimés , et que ce soit la position im-
médiate de deux superficies ou de plusieurs corps.
Ce qui nous découvre une autre propriété de la
matière ou du corps , que vous pourrez appeler
impénétrabilité, laquelle consiste à ne pouvoir
pénétrer les autres corps , ni à en être pénétré : de
là cette différence manifeste entre la nature cor-
porelle et la nature divine. Celle-ci peut pénétrer
les corps , et l'autre ne se peut pénétrer soi-même;
d'où je vois que Virgile a mieux rencontré en phi-
losophie avec ses platoniciens , que Descartes lui-
même, lorsque ce poète fait dire à Anchise selon
leurs principes :
Par le vaste univers cette âme répandue
De ces immenses corps anime l'étendue.
Je passe sous silence plusieurs autres qualités
plus remarquables de l'étendue divine, qu'il n'est
pas besoin d'expliquer ici. En voilà assez pour dé-
montrer qu'il auroit mieux valu définir le corps
une substance tactile, ou , comme j ai dit ci-dessus,
une substance impénétrable, qu'une chose éten-
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1 84 LETTRES.
due; carie toucher ou l'impénétrabilité convien-
nent totalement au corps; au lieu que votre défi
nition pèche contre les règles , et ne convient point
au seul défini.
a. Quand vous insinuez que Dieu même ne sau-
roit faire qu'il y ait véritablement du vide dans
la nature , et que si par exemple on ôtoit d'un vase
tout l'air qu'il contient, ou tout autre corps , ses
côtés se joindroient nécessairement; ce sentiment
me paroît non seulement faux, mais contraire à
ce que vous avez dit auparavant ; car si c'est Dieu
qui imprime le mouvement à la matière , comme
vous l'avez avancé, ne peut-il pas imprimer un
mouvement contraire , qui empêche que les côtés
du vase ne s'approchent ; mais il y a de la contra-
diction , dites-vous, qu'il y ait une distance entre
les côtés du vase , et qu'il n'y ait rien cependant
au milieu. La savante antiquité, Épicure , Démo-
crite, Lucrèce, et les autres philosophes ne le
croyoient pas.
Mais laissons cette preuve, qui n'est pas assez
considérable pour nous arrêter. Je soutiens que
l'extension divine remplit cet espace , et que votre
principe , qu'il n'y a que la matière qui soit éten-
due, est un faux principe; qu'à la vérité ces cotés
ne s'approcheroient pas l'un de l'autre par une né-
cessité absolue, mais par une nécessité naturelle,
et que Dieu seul peut empêcher cette réunion: car
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LETTHE3. 1 85
comme les parties du premier et du second élé-
ment sont agitées par un mouvement violent et
rapide , il est nécessaire quelles se jettent avec
impétuosité dans l'endroit qui cède , et qu'elles
entraînent même avec elles les parties voisines. Il
est donc fâcheux pour vous que vous appuyiez sur
un fondement si peu solide votre beau théorème
de la manière dont se font la raréfaction et la con-
densation , lequel je crois très vrai d'ailleurs.
5. Je ne comprends pas la subtilité du raison-
nement dont vous vous servez pour prouver qu'il
n'y a point d'atomes , ou de parties de matière in-
divisibles de leur nature ; car quoique Dieu ait
fait , dites-vous , ces parties telles que nulle créa-
ture ne sauroit les diviser, il n'a pu s'oter ce pou-
voir à lui-même sans diminuer sa puissance ; or
on pourroit prouver par la même raison que Dieu
ne fit pas lever hier le soleil , puisque sa puissance
ne sauroit faire que le soleil d'hier ne soit pas le-
vé , et que le plus vil insecte ne peut pas même
mourir ,
é
S'il est vrai qu'étant déjà mort ,
On ne paisse subir ce sort.
Comme le dit élégamment Ovide de soi-même ;
ou que Dieu n'a pas créé la matière , puisqu'elle
est divisible en des parties qui peuvent toujours
se diviser, division qui épuiseroit enfin la pui&-
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1 86 LETTRES.
sance divine ; car il resteroit toujours une partie
non divisée, quoique divisible : ainsi la puissance
divine seroit sans effet, et Dieu ne pourroit exer-
cer tout son pouvoir et parvenir à sa fin.
4- Je ne comprends pas mieux cette étendue in-
définie du monde; car ou elle est infinie en elle-
même , ou par rapport à nous. Si vous l'entendez
dans le premier sens , pourquoi vous envelopper
dans des mots obscurs et affectés. Si elle n'est in-
finie que par rapport à nous , cette étendue est
réellement finie ; car notre esprit n'est ni la me-
sure, ni la règle des choses et de la vérité ; ainsi ,
comme il y a une autre étendue absolument in-
finie qui appartient à l'essence divine, la matière
de vos tourbillons s'éloignera de leurs centres , et
toute la machine du monde se perdra en atomes
et en petites parties qui se dissiperont çà et là dans
cette vaste immensité de Dieu.
Au reste, j'admire ici votre retenue, et votre
crainte , de prendre tant de précautions pour ne
pas admettre une matière infinie , tandis que vous
reconnoissez des parties actuellement infinies et
divisées, dans l'art. 34 et 55 , p. 98 et 99 , et quand
vous ne l'avoueriez pas , on pourroit vous con-
traindre de le faire en cette manière. La quantité
étant divisible à l'infini , elle doit avoir des parties
actuellement infinies; car comme il est absolument
impossible de séparer réellement avec un couteau ,
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LETTRES. 187
ou tout autre instrument que vous voudrez , un
corps en parties sensibles et palpables , et qui ne
soient point actuellement telles , de même il est
contre toute raison de diviser par la pensée une
quantité en des parties qui n'existent point réelle-
ment et actuellement dans le tout.
A quoi on peut ajouter qu'en supposant le monde
réellement et simplement infini , il sera aussi aisé
d'expliquer et de prouver par cette hypothèse la
raréfaction et la condensation des corps dont vous
parlez aux art. 6 et 7, p. 70, qu'en établissant
votre principe , que le seul corps est étendu , et que
le rien ne peut avoir de l'étendue ; car ce que vous
y établissez par une suite nécessaire de raisonne-
ments, se fera de même par la nécessité des opéra-
tions physiques et métaphysiques.
Car tout étant rempli à l'infini de matière ou
de corps , la loi de la pénétration empêchera , ou
qu'il ne se rencontre un espace entièrement vide
de corps dans la raréfaction , ou que dans la con-
densation les parties ne puissent s'unir sans chasser
les petits corps qui étoient auparavant entre elles,
Ce que j'ai dit jusqu'ici paroît extrêmement clair
à mon esprit , et même beaucoup plus certain que
votre sentiment. Au reste, de toutes vos opinions
sur lesquelles je pense différemment de vous, je
ne sens pas une plus grande révolte dans mon es-
prit, soit mollesse ou douceur de tempérament,
1$6 LETTRES.
que sur le sentiment meurtrier et barbare que vous
avancez dans votre Méthode, et par lequel vous
arrachez la vie et le sentiment à tous les animaux;
ou plutôt vous soutenez qu'ils n'en ont jamais joui ;
car vous ne sauriez souffrir qu'ils aient jamais vé-
cu. Ici les lumières pénétrantes de votre esprit ne
me causent pas tant d'admiration que d'épouvante:
alarmé du destin des animaux, je considère moins
en vous cette subtilité ingénieuse, que ce fer cruel
et tranchant dont vous paroissez armé pour ôter
comme d'un seul coup la vie et le sentiment à tout
ce qui est presque animé dans la nature, et pour
les métamorphoser en marbres et en machines.
Mais voyons , je vous prie , le motif qui vous porte
à prononcer un édit si sévère sur toutes les bètes.
Elles ne sauroient parler, ni plaider leur cause
devant leur juge , quoiqu'elles aient ( ce qui ag-
grave leur crime) tous les organes nécessaires pour
user de la parole, comme on le remarque aux pies
et aux perroquets; vous prenez de là un sujet de
les priver du sentiment et de la vie.
Mais , de bonne foi , est-il possible que les perro-
quets ou les pies pussent imiter nos sons, s'ils n'en-
tendoient et s'ils n'apercevoient par leurs orga-
nes ce que nous disons ; mais ils ne comprennent
pas , dites-vous , ce que signifient les paroles qu'ils
prononcent par imitation : mais pourquoi ne vou-
lez-vous pas qu'ils prononcent ce qu'ils désirent,
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LETTRES. 189
savoir leur nourriture qu'ils viennent à bout d'ob-
tenir de leur maître par ce moyen. Donc ils croient
demander comme par charité leur nourriture, puis
qua force de parler ils obtiennent si souvent ce
qu'ils désiroient; et sans cela les oiseaux qui peu-
vent chanter apporteroient-ils tant d'attention à
écouter ce qu'on leur dit, s'ils n'avoient ni senti-
ment ni réflexion ? D'où pourroit venir sans cela
cette finesse et cette sagacité des renards et des
chiens? D'où vient que les menaces et les paroles
répriment les bêtes quand elles donnent des mar-
ques de leur férocité? Pourquoi, lorsqu'un chien
pressé par la faim a volé quelque chose, s'enfuit-
il, et se cache-t-il comme sachant qu'il a mal fait,
et marchant avec crainte et défiance, ne flatte
personne en passant, mais se détournant de leur
chemin, cherche la tète baissée un lieu écarté, usant
d'une sage précaution , pour n'être pas puni de son
crime? Comment expliquer tout cela sans un sen-
timent intérieur? Le nombre infini de petits contes
qu'on fait pour prouver qu'il y a de la raison dans
les animaux ne doivent-ils pas du moins prouver
qu'il y a en eux du sentiment et de la mémoire?
On n'auroit jamais fait de rapporter ici tout ce
qu'on dit là-dessus; mais je sais bien qu'il y a tels
faits qui dénotent en eux une force et une subtilité
d'esprit qui est au-dessus de la matière , et qu'on
ne sauroit éluder. Je vois bien que le motif qui
190 LETTRES.
vous a porté à regarder les brutes comme des
machines, est l'immortalité de l'âme, que vous
avez voulu établir. Ayant donc supposé que le
corps étoit incapable de penser, vous avez conclu
que partout où se trouvoit la pensée, là devoit
être une substance réellement distincte du corps,
et par conséquent immortelle; d'où il s'ensuit
que si les bêtes pensoient , elles auroient des âmes
qui seroient des substances immortelles.
Mais dites-moi, je vous prie , monsieur, puisque
votre démonstration vous conduit nécessairement,
ou à priver les bètes de tout sentiment , ou à leur
donner l'immortalité , pourquoi aimez-vous mieux
en faire des machines inanimées , que des corps
remués par des âmes immortelles ; d'autant plus
que le premier sentiment est absolument contraire
aux phénomènes de la nature, et entièrement
inouï jusqu'ici , au lieu que l'autre a été suivi par
les plus savants philosophes de l'antiquité, Pytha-
gore, Platon et tant d'autres; d'ailleurs, il n'y a
rien qui puisse confirmer davantage tous les pla-
toniciens dans leur sentiment sur l'immortalité
de l'âme des bêtes , que de voir un aussi grand
génie que le vôtre réduit à n'en faire que des ma-
chines insensibles, de peur de les rendre immor-
telles.
Voilà, monsieur, les seuls endroits de votre phi-
losophie sur lesquels je n'ai pas cru devoir être
1
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LETTRES. 191
de votre sentiment ; tout le reste est tellement de
mon goût, et me plaît si fort , que j'en fais mes dé-
lices; et ces sentiments se rapportent si intime-
ment aux miens , et me sont si propres, que je me
sens la force et le courage , non seulement de les
expliquer facilement à ceux qui auroient de la
peine à les entendre, mais encore de les défendre
hardiment contre ceux qui seroient les plus aguer-
ris à la dispute sur ces matières, et qui oseroient
les attaquer.
Je n'ai plus qu'une prière à vous faire, monsieur,
c'est de prendre en bonne part ce que j'ai pris la
liberté de vous proposer, et de ne pas croire que
je l'aie entrepris ou par légèreté ou par vaine gloire,
et pour ambitionner la connoissance et l'amitié des
hommes illustres, puisque, s'il dépendoit de moi,
je tâcherois de ne pas me faire connoître , regar-
dant le nom et la réputation comme sujet à l'orage ,
et ennemi du loisir d'un particulier.
Au reste, quelque penchant que je sente en moi
pour votre personne, je ne vous eusse jamais dé-
couvert mes pensées , si je n'y avois été poussé par
d'autres ; je me serois contenté d'aimer votre per-
sonne et vos ouvrages en secret , et de vous hono-
rer dans le silence.
Je n'ose pas même vous demander avec empres-
sement une réponse, parceque je vous crois occu-
pé à des méditations très profondes, et à des ex-
192 LETTRES.
périènces aussi utiles que difficiles. Je vous permets
donc d'user de votre droit, afin de ne point pécher
contre le public. Que si vous voulez pourtant hono-
rer mes petites questions d'une réponse telle que
vous le jugerez à propos, vous vous acquerrez
une éternelle reconnoissance sur le plus humble
et le plus obéissant de vos serviteurs.
A Cambridge, du Collège de Christ, le 11 décembre 1648.
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ANNÉE l649.
RÉPONSE DE M. DESCARTES
A M. MORUS.
(Lettre 67 du tome I. Version.)
Monsieur,
Les louanges dont vous me comblez sont plutôt
des marques de votre bonté qu'un effet de mon
mérite, qui ne sauroit jamais les égaler.
Cette bienveillance que vous m'accordez, et que
je dois à la lecture que vous avez faite de mes
écrits, me découvre si à plein la candeur et la gé-
nérosité de votre âme , qu'elle vous a gagné toute
mon amitié, quoique je n aie pas l'honneur de vous
connoître d'ailleurs; c'est pourquoi je me ferai un
véritable plaisir de répondre à vos questions. Votre
première difficulté est sur la définition du corps,
que j'appelle une substance étendue, et que vous
aimeriez mieux nommer une substance sensible,
in- 1 >
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194 LETTRES. j
tactile, ou impénétrable; mais prenez garde, s'il
vous plaît, qu'en disant une substance sensible,
vous ne la définissez que par le rapport qu'elle a
à nos sens, ce qui n'en explique qu'une propriété,
au lieu de comprendre l'essence entière des corps,
qui , pouvant exister quand il n'y auroit point
d'hommes , ne dépend pas par conséquent de nos
sens. Je ne vois donc pas pourquoi vous dites
qu'il est absolument nécessaire que toute matière
soit sensible; au contraire, il n'y en a point qui
ne soit entièrement insensible, si elle est divisée en
parties beaucoup plus petites que celles de nos
nerfs, et si elles ont d'ailleurs chacune en particu-
lier un mouvement assez rapide.
A l'égard de ma preuve, que vous appelez louche
et presque sophistique, je ne l'ai employée que
pour réfuter la proposition de ceux qui croient
avec vous que tout corps est sensible, ce que je fais,
à mon avis, d'une manière claire et démonstra-
tive ; car un corps peut conserver toute sa nature
corporelle , bien que les sens n'y aperçoivent ni
mollesse, ni dureté , ni froideur, ni chaleur, ni en-
fin aucune autre qualité sensible.
A l'égard de l'erreur que vous semblez vouloir
m'attribuer par la comparaison que vous faites de
a cire, qui peut bien à la vérité n'être ni carrée
ni ronde, mais qui ne peut pas absolument n'a-
voir point de figure, faites, s'il vous plaît, attention
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lettres. \g\y
au principe que j'ai établi, que toutes les qualités
sensibles du corps consistent dans le seul mou-
vement , ou le seul repos de ces petites parties ;
ainsi , pour tomber dans Terreur dont vous parlez ,
j'aurois dû soutenir que le corps peut exister
sans que ses petites parties se meuvent ou soient
en repos: c'est ce qui ne m'est jamais venu dans
l'esprit; donc on ne définit pas bien le corps une i
substance sensible.
Voyons présentement si on ne pourroit pas
mieux le définir une substance impénétrable ou
tactile dans le sens que vous l'expliquez. Mais en-
core un coup, ce pouvoir d'être touché, ou cette
impénétrabilité dans le corps, est seulement comme
la faculté de rire dans l'homme, le proprium quarto
modo des règles communes de la logique : mais ce
n'est pas sa différence véritable et essentielle, qui,
selon moi, consiste dans l'étendue; et par consé-
quent comme on ne définit point l'homme un ani-
mal risible, mais raisonnable, on ne doit pas aussi
définir le corps par son impénétrabilité, mais par
1 étendue, d'autant plus que la faculté de toucher
et l'impénétrabilité ont relation à des parties, et
présupposent dans notre esprit l'idée d'un corps
divisé ou terminé , au lieu que nous pouvons fort
bien concevoir un corps continu d'une grandeur
indéterminée ou indéfinie, dans lequel on ne con-
sidère que l'étendue. Mais Dieu, dites-vous, un
I96 LETTRES.
ange, et tout ce qui subsiste par soi-même est éten-
du, ainsi votre définition est plus étendue que le
défini. Je n'ai pas coutume de disputer sur les mots;
c'est pourquoi si l'on veut que Dieu soit en un sens
étendu, parcequ'il est partout, je le veux bien:
mais je nie qu'en Dieu, dans les anges, dans notre
âme, enfin en toute autre substance qui n est pas
t corps, il y ait une vraie étendue, et telle que tout
le monde la conçoit; car par un être étendu on
entend communément quelque chose qui tombe
sous l'imagination ; que ce soit un être de raison
ou un être réel, cela n'importe. Dans cet être on
peut distinguer par l'imagination plusieurs parties
d'une grandeur déterminée et figurée, dont l'une
n'est point l'autre; en sorte que l'imagination peut
en transférer l'une en la place de l'autre, sans qu'on
en puisse pourtant imaginer deux à la fois dans le
même lieu. On n'en sauroit dire autant de Dieu
ni de notre âme, car ni l'un ni l'autre n'est du res-
sort de l'imagination, mais simplement de l'intel-
lection,et on ne sauroit les séparer par parties,
surtout en parties qui aient des grandeurs et des
figures déterminées. Enfin nous comprenons aisé-
ment que l'âme, Dieu, et plusieurs anges ensem-
ble, peuvent être en même temps dans le même
lieu; d'où l'on conclut visiblement que nulles sub-
stances incorporelles ne sauroient être proprement
étendues, et qu'on ne peut les concevoir que comme
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LETTRES. 197
une certaine vertu ou force, qui, bien qu'appliquée
à des choses étendues, ne sont pas pour cela éten-
dues, comme le feu est dans le fer rouge, sans
qu'on puisse dire pour cela que le feu est fer. Si
quelques uns confondent l'idée de la substance
avec la chose étendue, cela vient du préjugé où ils
sont que tout ce qui existe ou est intelligible, est
en même temps imaginable. En effet, rien ne tombe
sous l'imagination qui ne soit en quelque manière
étendu; et comme on/ peut dire que la santé ne
convient qu'à l'homme seul, quoiqu'on puisse dire
par analogie que la médecine, l'air tempéré, et plu-
sieurs autres choses sont saines; ainsi, je dis qu'il n'y
a d'étendue que dans les choses qui tombent sous
l'imagination, comme ayant des parties distinctes
les unes des autres, et qui sont d'une grandeur et
d'une figure déterminées, quoiqu'on nomme aussi
d?autres choses étendues , mais seulement par ana-
logie.
A l'égard de votre seconde difficulté , si nous
examinons ce que c'est que cet être étendu que j'ai
écrit, nous trouverons que ce n'est autre chose
que l'espace que le vulgaire croit être quelquefois
plein, quelquefois vide, quelquefois réel , d'autres
fois imaginaire; car dans un espace, quelque vide
qu'on se l'imagine, on se figure aisément différen-
tes parties de grandeur et de figure déterminées,
et on les peut transférer par un effet de la même
198 LETTRES.
imagination les unes dans le lieu des autres t mais
on n'en sauroit concevoir en aucune manière deux
se pénétrer mutuellement ensemble dans le même
lieu , parcequ'il répugne au bon sens que cela arrive,
et qu'aucune partie de l'espace ne soit ôtée. Or, .
comme je faisois attention que des propriétés si
réelles ne pouvoient se trouver que dans un corps
réel , j'ai osé assurer qu'il n'y avoit aucun espace
absolument vide, et que tout être étendu étoit véri-
tablement corps ; en quoi je n'ai pas fait difficulté
d'être d'un sentiment contraire à celui de ces grands
hommes dont vous parlez : je veux dire Épicure ,
Démocrite et Lucrèce; car j'ai vu que, bien loin de
s'attacher à une raison solide , ils se sont laissés en-
traîner aux préjugés communs de l'enfance; car
bien que nos sens ne nous représentent pas tou-
jours les corps qui sont hors de nous tels qu'ils
sont absolument selon le rapport qu'ils ont avec
nous, et qu'ils peuvent nous être utiles ou nui-
sibles (comme j'ai dit dans l'art. 5 de la seconde
partie, pag. 67), nous avons cependant porté ce
jugement dans notre enfance, qu'il n'y a dans le
monde que ce que les sens nous représentent;
qu'ainsi il n'y avoit point de corps qui ne fût sen-
sible , et que tout lieu où nous ne sentons rien étoit
vide. Puisque Épicure, Démocrite et Lucrèce ont
donné dans ce préjugé comme les autres, je ne dois
rien à leur autorité. fu ; i-rv.lr.w.: .;>
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LETTRES. 199
Mais je suis surpris qu'avec toute votre péné-
tration, et voyant d'ailleurs que vous ne sauriez
nier que tout espace ne soit rempli de quelque
substance, puisqu'il a réellement toutes les pro-
priétés de l'étendue , vous aimiez mieux dire
que l'étendue divine remplit l'espace où il n'y a
nul corps , que d'avouer qu'il ne peut y avoir ab-
solument d'espace sans corps; car, comme j'ai dit
ci-dessus, cette prétendue extension de Dieu ne
sauroit être en aucune manière le sujet des pro-
priétés véritables que nous apercevons distinc-
tement en tout espace ; car enfin Dieu ne peut
tomber sous l'imagination , on ne peut distinguer
en lui des parties qui soient figurées et qu'on
puisse mesurer. Vous n'avez point de peine ,
dites-vous, à croire qu'il n'y a pas naturellement
de vide; mais vous voudriez sauver la puissance
divine, qui en ôtant tout ce qui est dans un vase,
peut, selon vous, empêcher que ses côtés ne se
réunissent.
Je sais que mon intelligence est finie, et que le
pouvoir de Dieu est infini , ainsi je n'y prétends
pas mettre de bornes ; mais je me contente d'exa-
miner ce que je puis concevoir ou non , et je me
garde bien de porter aucun jugement contraire à
ma perception : c'est pourquoi j'assure hardiment
que Dieu peut faire tout ce que je conçois possi-
ble, sans avoir la témérité de dire qu'il ne peut
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200 LETTRES.
pas faire ce qui répugne à ma manière de conce-
voir: je dis seulement, cela implique contradic-
tion. Ainsi, voyant qu'il répugne à ma manière de
concevoir qu'on ôte tout corps d'un vase , et
qu'il y reste cependant une étendue que je ne
conçois pas autrement que je concevois aupa-
ravant le corps qui y étoit contenu, je dis qu'il
implique contradiction qu'une telle étendue y
reste après que le corps en a été ôté , et que par
conséquent les côtés d'un vase doivent se rappro-
cher , ce qui s'accorde avec mes autres opinions ;
car je dis ailleurs que tout mouvement est en
quelque façon circulaire; d'où il s'ensuit qu'on
ne comprend pas bien distinctement que Dieu ôte
toute la matière d'un vase, sans qu'un autre corps
ou du moins les côtés du vase prennent sa place
par un mouvement circulaire.
3. C'est dans le même sens que je dis aussi qu'il
y a de la contradiction à dire qu'il y ait des ato-
mes que l'on conçoive étendus , et en même
temps indivisibles , parceque , bien que Dieu ait
pu les former tels qu'aucune créature ne peut
les diviser certainement , nous ne pouvons com-
prendre qu'il ait pu se priver de la faculté de les
diviser lui-même. Pour votre comparaison, que ce
qui est fait ne sauroit ne pas l'être , elle n'est
point du tout juste. Nous ne prenons pas pour
marque d'impuissance quand quelqu'un ne peut
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LETTRES. 201
pas faire ce que nous ne comprenons pas être
possible , mais seulement lorsqu'il ne peut pas
faire quelque chose que nous concevons claire-
ment être possible. Or nous concevons que la
division d'un atome est une chose possible , puis-
que nous le concevons étendu ; ainsi , si nous
jugeons que Dieu ne peut pas faire ce que nous
concevons pourtant être possible, nous ne con-
cevons pas de la même manière qu'il puisse se
faire que ce qui a été fait ne le soit pas ; au con-
traire, nous concevons bien clairement que cela
est impossible, et qu'ainsi il n'y a aucun défaut de
puissance en Dieu de ce qu'il ne le fait pas. A l'é-
gard de la divisibilité de la matière, ce n'est pas
la même chose; car bien que je ne puisse pas
compter toutes les parties en quoi elle est divisible,
et que par conséquent je dise que leur nombre
est indéfini, cependant je ne saurois assurer que
Dieu ne puisse jamais terminer cette division,
parceque je sais que Dieu peut faire plus que je
ne saurois comprendre , et j'ai même avoué dans
l'article 34 , page 98 , que cette division indéfinie
de certaines parties de la matière devoit arriver.
4. Ne regardez point comme une modestie af-
fectée, mais comme une sage précaution, à mon
avis, lorsque je dis qu'il y a certaines choses plutôt
indéfinies qu'infinies; car il n'y a que Dieu seul
que je conçoive positivement infini. Pour le reste,
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202 LETTRES»
comme l'étendue du monde, Je nombre des par-
ties divisibles de la matière, et autres semblables,
j avoue ingénument que je ne sais point si elles
sont absolument infinies ou non : ce queje sais ,
c'est que je n'y connois aucune fin , et à cet égard
je les appelle indéfinies.
Et bien que notre esprit ne soit ni la règle des
choses ni celle de la vérité , du moins doit - il
l'être de ce que nous affirmons ou nions : en
effet, rien de plus absurde et de plus inconsidéré
que de vouloir porter un jugement sur des choses
auxquelles, de notre propre aveu, nos perceptions
ne sauroient atteindre.
Or je suis surpris que non seulement vous
sembliez vouloir le faire, puisque vous dites, si
l'étendue est seulement infinie par rapport à nous,
elle sera véritablement finie , etc. , mais que vous
imaginiez encore une étendue divine qui aille au-
delà de celle des corps; car c'est supposer que
Dieu a des parties séparées les unes des autres
qu'il est divisible , et que toute l'essence des corps
lui convient entièrement.
Mais pour lever tous vos doutes , lorsque je dis
que 1 étendue de la matière est infinie, je crois
que cela suffit pour empêcher qu'on ne s'imagine
un lieu au-delà d'elle , où les petites parties de
mes tourbillons puissent s'échapper ; car quelque
part où l'on conçoive ce lieu -là, il y a selon moi
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LETTRES. ^05
quelque matière, parcequen disant qu'elle est
étendue d'une manière indéfinie , je dis qu'elle
s étend au-delà de tout ce que nous pouvons
concevoir.
Cependant je crois qu'il y a une grande diffé-
rence entre l'amplitude ou la grandeur de cette
étendue corporelle et celle de Dieu que je ne
nomme point étendue , parcequa proprement
parler il n'y en a point en lui, mais seulement
immensité de substance ou d'essence , c'est pour-
quoi j'appelle celle-ci simplement infinie:, et l'autre
indéfinie.
Au reste je n'admets point ce que vous m'ac-
cordez honnêtement, que mes autres opinions
peuvent subsister indépendamment de l'étendue
de la matière; car^ selon moi, c'est là un des prin-
cipaux fondements de ma Physique, et j'ajoute
que rien ne me sauroit satisfaire dans cette science,
que ce qui comprend cette nécessité logique ou
contradictoire, comme vous l'appelez, c'est-à-dire
nécessité où nous conduit notre raisonnement,
pourvu que vous en exceptiez ce que l'on ne peut
connoître que par la seule expérience, comme
qu'il n'y a qu'un soleil, qu'une lune autour de
cette terre, etc.
Et comme vous n'êtes pas éloigné de mes senti-
ments pour lé reste , j'espère que vous admettrez
facilement ceux-ci, si vous considérez que c'est un
2<>4 LETTRES.
préjugé de ne pas regarder comme vraie substance
corporelle tout être étendu qui n'a rien qui frappe
les sens , et de lui donner seulement le nom de
vide; enfin qu'il n'y a aucun corps qui ne soit
sensible, et qu'il n'y a aucune substance qui ne
tombe sous l'imagination, et qui par conséquent
ne soit étendue.
Mais le plus grand de tous les préjugés que nous
ayons retenu de notre enfance, est celui de croire que
les bétes pensent. La source de notre erreur vient
d'avoir vu que plusieurs membres des bêtes n'é-
toient pas bien différents des nôtres pour la figure
et les mouvements , et d'avoir cru que notre âme
étoit le principe de tous les mouvements qui sont
en nous, qu'elle donnoit le mouvement au corps,
et qu'elle étoit la cause de nos pensées. Cela sup-
posé , nous n'avons point fait de difficulté de croire
qu'il y eût dans les bêtes quelque âme semblable à
la nôtre ; mais ayant pris garde, après y avoir bien
pensé, qu'il faut distinguer deux différents princi-
pes de nos mouvements, l'un tout-à-fait mécanique
et corporel , qui ne dépend que de la seule force
des esprits animaux et de la configuration des par-
ties, et que l'on pourroit appeler âme corporelle,
et l'autre incorporel, c'est-à-dire l'esprit ou l'âme,
que vous définissez une substance qui pense, j'ai
cherché avec grand soin si les mouvements des ani-
maux provenoient de ces deux principes ou d'ua
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LKTTRES. 205
seul. Or, ayant connu clairement qu'ils pouvoient
venir d'un seul , c'est-à-dire du corporel et du mé-
canique, j'ai tenu pour démontré que nous ne pou-
vions prouver en aucune manière qu'il y eût dans
les animaux une âme qui pensât. Je ne m'arrête
point à ces tours et finesses des chiens et des re-
nards, ni à toutes les choses que les bêtes font, ou
par crainte, ou pour attraper à manger, ou enfin
pour le plaisir: je m'engage à expliquer tout cela
très facilement par la seule conformation des
membres des animaux. Cependant, quoique je
regarde comme une chose démontrée qu'on ne
sauroit prouver qu'il y ait des pensées dans les bê-
tes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le
contraire ne soit pas, parceque l'esprit humain ne
peut pénétrer dans le cœur pour savoir ce qui s'y
passe : mais en examinant ce qu'il y a de plus pro-
bable là dessus, je ne vois aucune raison qui prouve
que les bêtes pensent, si ce n'est qu'ayant des yeux,
des oreilles, une langue, et les autres organes des
sens tels que nous, il est vraisemblable qu'elles
ont du sentiment comme nous, et que comme la
pensée est enfermée dans le sentiment que nous
avons, il faut attribuer au leur une pareille pensée.
Or, comme cette raison est à la portée de tout le
monde, elle a prévenu tous les esprits de l'enfance.
Mais il y en a d'autres plus fortes, et en plus grand
nombre, pour le sentiment contraire, qui ne se
206 LETTRES.
présentent pas si facilement à l'esprit de tout le
monde; comme, par exemple, qu'il est plus proba-
ble de faire mouvoir comme des machines les vers
de terre, les moucherons , les chenilles, et le reste
des animaux, que de leur donner une âme im-
mortelle.
Parcequ'il est certain que dans le corps des
animaux , ainsi que dans les nôtres , il y a des os ,
des nerfs, des muscles, du sang, des esprits animaux ,
et autres organes disposés de telle sorte qu'ils peu-
vent produire par eux-mêmes, sans le secours
d'aucune pensée, tous les mouvements que nous
observons dans les animaux, ce qui paroît dans les
mouvements convulsifs, lorsque, malgré l'âme
même, la machine du corps se meut souvent avec
plus de violence et en plus de différentes manières
qu'il n'a coutume de le faire avec le secours de la
volonté : d'ailleurs, parcequ'il est conforme à la
raison que l'art imitant la nature , et les hommes
pouvant construire divers automates, où il se
trouve du mouvement sans aucune pensée, la na-
ture puisse de son côté produire ces automates, et
bien plus excellents , comme les bnltes, que ceux
qui viennent demain d'homme, surtout ne voyant
aucune raison pour laquelle la pensée doive se
trouver partout où nous voyons une conformation
de membres telle que celle des animaux, et qu'il
est plus surprenant qu'il y ait une âme dans chaque
LETTRES. tiO'J
corps humain, que de n'en point trouver dans les
bêtes.
Mais la principale raison, selon moi, qui peut
nous persuader que les bêtes sont privées de rai-
son , est que , bien que parmi celles d une même
espèce les unes soient plus parfaites que les au-
tres, comme dans les hommes, ce qui se remar-
que particulièrement dans les chevaux et dans les
chiens, dont les uns ont plus de disposition que les
autres à retenir ce qu'on leur apprend, et bien
qu'elles nous fassent toutes connoître clairement
leurs mouvements naturels décolère, de crainte,
de faim, et d'autres semblables, ou par la voix, ou
par d'autres mouvements du corps, on n'a point
cependant encore observé qu'aucun animal fût
parvenu à ce degré de perfection d'user d'un vé-
ritable langage, c'est-à-dire qui nous marquât par
la voix, ou par d'autres signes, quelque chose qui
pût se rapporter plutôt à la seule pensée qu'à un
mouvement naturel ; car la parole est l'unique si-
gne et la seule marque assurée de la pensée cachée
et renfermée dans le corps; or tous les hommes les
plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui
sont privés des organes de la langue et de la parole,
se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font
rien de semblable, ce que l'on peut prendre pour
la véritable différence entre l'homme et la bête.
Je passe, pour abréger, les autres raisons qui ôtent
U08 LETTRES.
la pensée aux bètes. Il faut pourtant remarquer
que je parle de la pensée , non de la vie, ou du sen-
timent; car je n'ôte la vie à aucun animal, ne la
faisant consister que dans la seule chaleur du cœur.
Je ne leur refuse pas même le sentiment autant
qu'il dépend des organes du corps. Ainsi mon opi-
nion n'est pas si cruelle aux animaux qu'elle est
favorable aux hommes , je dis à ceux qui ne sont
point attachés aux rêveries de Pythagore, puis-
qu'elle les garantit du soupçon même de crime
quand ils mangent ou tuent les animaux.
Je me suis peut-être plus étendu qu'il ne falloit,
et que la vivacité de mon esprit ne le demandoit ;
mais j'ai voulu vous montrer par là que, de toutes les
objections qu'on m'a faites jusques ici, il n'y en a
aucunes qui m'aient été aussi agréables que les
vôtres , et que vos manières honnêtes et votre can-
deur vous ont entièrement gagné celui qui a un
attachement inviolable pour tous les amateurs de
la véritable philosophie. Je suis, etc.
A Egmont, près d'Aman, le 5 février 1649.
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LETTRES. 20§
RÉPLIQUE DE M. MORUS
A M. DESCARTES.
( Lettre 68 du tome I. Version. )
Monsieur,
Je ne diminue rien dans mon esprit de la haute
idée que je me suis formée de votre mérite; et mon
jugement est si constant là-dessus, que je penserai
toujours ce que je vous en ai écrit dans ma pré-
cédente : ce qui augmente même beaucoup l'es-
time que j'ai conçue de vous, ce sont ces manières
honnêtes et cette bonté qui se réunissent si heu-
reusement à une grandeur étonnante de génie et à
une divine pénétration desprit. Comme je n'en ai
jamais douté auparavant, j'en ai aujourd'hui une
preuve convaincante dans vos savantes lettres. Au
reste, afin que vous n'ayez pas lieu de vous repen-
tir d'une faveur si considérable, et que vous ne la
regardiez pas comme placée sur la téte d'un es-
clave, et de peur que le zèle et l'amour que j'ai
pour vous ne deviennent une chose vile, comme
provenant d'un esprit bas et rampant, je vais vous
dire, avec toute la confiance qui convient à un
•o. ,4
JIO LETTRES.
homme libre , de quelle sorte vos réponses mont
satisfait: mais pour ne pas vous multiplier la
peine, et à moi aussi, je retrancherai toutes les
liaisons du discours, et tout ce qui pourroit le
rendre trop long, et je me contenterai de renfer-
mer tout mon sujet en des courtes instances, ou
du moins en des petites notes sur chacune de vos
réponses.
•
INSTANCE A LA REPONSE SUR LA PREMIERE DIFFICULTÉ.
1. « Vous ne la définissez que par le rapport
» qu'elle a avec nos sens , etc. »
On pourroit répliquer, comme la racine et l'es-
sence des choses sont cachées et ensevelies dans
des ténèbres éternelles, il faut de nécessité définir
chaque chose par le rapport quelle peut avoir à
d'autres. Ce rapport se peut appeler propriété
dans les substances, puisqu'il n'est pas lui-même
substance , quoique je reconnoisse d'ailleurs
qu'il y a des propriétés que l'on conçoit les unes
avant les autres; jai voulu dire seulement qu'il
valoit mieux définir une chose par une propriété
qui la comprît entièrement , que par ce qu'on ap-
pelle la forme, qui est plus étendue que le défini.
De plus, quand vous définissez ie corps une chose
étendue, je remarque que cette même étendue
consiste dans un rapport des parties les unes aux
autres , en tant que les unes ont été produites des
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LETTRES. 5 1 1
autres; rapport qui ne convient pas absolument à
la chose.
2, «Quand il n'y auroit point d'hommes, n
Quand tous les hommes fermeroient les yeux,
le soleil n'en perdroit pas pour cela la faculté d'ê-
tre vu aussitôt qu'il plairoit aux hommes de les
ouvrir ; comme une cognée ne perdroit pas la fa-
culté de couper du bois, ou autre chose semblable,
lorsqu'on l'y appliqueroit.
3. « Si elle est divisée en parties beaucoup plus
«petites que celles de nos nerfs. »
Je crois cependant que Dieu est un assez excel-
lent ouvrier pour proportionner des nerfs à ces
petites parties de matière , et que dans une telle
proportion la matière deviendroit sensible: or ces
petites parties peuvent cesser de se mouvoir et
se réunir, et de cette manière devenir derechef
sensibles à nos nerfs; ce qui ne sauroit convenir
en aucune façon à la substance incorporelle.
4- « Bien que les sens n'y aperçoivent ni mol-
» lesse , etc. *
Il est certain, ou que le corps sera dur ou
mou, etc., à nos nerfs, tels qu'ils sont aujourd'hui,
ou du moins à ceux que Dieu pourroit lui propor-
tionner, comme nous avons dit ci-dessus; ce qui
suffit , quand même Dieu n'en feroit jamais de pa-
«4.
2 12 LETTRES.
reils ; comme les parties qui sont au centre de la
terre sont visibles par elles-mêmes, quoiqu'elles ne
doivent jamais paroi tre à la lumière de soleil, et que
jamais personne n y descende avec un flambeau.
5. « Est seulement comme la faculté de rire dans
» l'homme , le proprium quarto modo de logique. »
Si la raison convenoit aussi aux autres animaux,
il seroit mieux de définir l'homme un animal risi-
ble qu'un animal raisonnable ; mais personne n'a
encore démontré que la faculté d'être touché, ou
l'impénétrabilité, soient des propriétés qui convien-
nent à la substance étendue, quoique tous les phi-
losophes avouent avec raison qu'elles sont les pro-
priétés du corps. Je puis bien à la vérité concevoir
une substance étendue , qui ne soit en aucune fa-
çon tactile ou impénétrable; donc la faculté d'être
touché, ou l'impénétrabilité, ne suivent pas im-
médiatement la substance étendue en tant qu'elle
est étendue.
6. «Mais je nie qu'en Dieu il y ait une véritable
» étendue , etc. »
Par véritable étendue, vous entendez celle qui
est accompagnée de la faculté d'être touché et de
l'impénétrabilité. Je conviens avec vous qu'elle ne
se trouve pas en Dieu , dans un ange , et dans l'âme ,
qui sont dépouillés de matière; mais je soutiens
qu'il se trouve dans les anges et dans les âmes une
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LETTRES. 2l3
étendue aussi véritable , quoique moins connue du
vulgaire de 1 école; que cette étendue a ses termes
comme sa figure sujette à varier suivant la volonté
de l'ange ou de l'âme , et que nos âmes et les anges
peuvent se resserrer ou s'étendre en conservant
toujours néanmoins leur même substance.
7. « Que toute idée de pure intellection vient
• des images sensibles , etc. »
Je me sens quelque penchant pour cet axiome
d'Aristote, il n'y a rien dans l'intellect qui n'ait
passé par les sens; mais là-dessus que chacun con-
sulte les forces de son esprit.
PREMIÈRE INSTANCE SUR LA REPONSE A LA SECONDE DIFFICULTÉ.
1. «En sorte que l'imagination peut en trans-
férer l'une à la place de l'autre. »
C'est ce que mon imagination ne peut faire ni
concevoir dans un tel transport, que les parties
de l'espace vide n'absorbent les autres, qu'elles ne
tombent les unes dans les autres , et qu'elles ne se
pénètrent mutuellement.
2. «En quoi je n'ai pas fait difficulté de m'é-
«loigner du sentiment de ces grands hommes,
» Èpicure , Démocrite , etc. »
Je ne doute point que vous n'ayez toutes les rai-
sons du monde de le faire ; car je vous regarde
bien au-dessus, non seulement de tous ces philoso-
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!2l4 LETTRES.
phes, mais encore de tous ceux qui ont expliqué
les secrets de la nature.
3. « On ne sauroit nier que tout espace ne soit
» rempli de quelque substance. »
Je l'ai accordé pour le bien de la paix , mais je
n'en ai pas une idée bien claire ; car si Dieu anéan-
tissoit l'univers, et qu'il en créât un autre de rien
long-temps après , cet inter-monde ou cette priva-
tion du monde auroit sa durée, dont la mesure
seroit un certain nombre de jours, d'années, ou de
siècles. Il y a donc la durée d'une chose qui n'existe
point, laquelle durée est une espèce d'extension;
et par conséquent l'étendue du néant , c'est-à-dire
du vide, peut être mesurée par aunes ou par
lieues, comme la durée de ce qui n'existe point
peut être mesurée dans son inexistence par heures,
par jours et par mois. Mais je vous passe , sans y
être néanmoins forcé, qu'en tout espace il y a
quelque substance; je ne la ferai pas néanmoins
corporelle, puisque l'extension ou la présence
divine peut être le sujet de ce qui peut être me-
suré : je dirai, par exemple, que la présence ou
l'extension divine occupe une ou deux lieues dans
un tel ou tel vide , sans qu'il s'ensuive que Dieu
soit corporel , comme nous avons dit ci-dessus
dans l'instance cinquième. Mais nous traiterons
ailleurs Gette question.
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LKTTRKS. 2l5
4. « Je dis qu'il implique contradiction qu'une
» telle étendue , etc. »
Je demanderois ici volontiers s'il est nécessaire,
ou qu'il y ait une étendue telle que vous la con-
cevez dans le corps , ou qu'il n'y en ait aucune.
En second lieu , puisque vous convenez qu'il y a
d'autres choses que le corps qui sont étendues à
leur manière , cette étendue d'analogie ou de rap-
port, comme vous l'appelez, ne peut-elle pas tenir
la place de l'étendue corporelle, sans que cela
implique contradiction , surtout cette extension
d'analogie ayant tant de rapport à la véritable
étendue , qu'elle est capable d être mesurée , et
qu'elle remplit un certain nombre de pieds ou
d?aunes ?
5. « Que tout mouvement est en quelque façon
«circulaire. »
J'avoue que c'est une conséquence nécessaire de
nécessité physique, en supposant seulement que
tout est rempli de corps , et qu'aucune étendue
n'excède l'étendue entière du monde, et je n'en
doute point ; mais je vous avoue que je n'ai pu
encore comprendre comme il faut cette contradic-
tion insurmontable dont vous parlez.
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2l6
LETTRES
A LA RÉPONSE SUR LA TROISIEME DIFFICULTÉ.
t Que l'on conçoit étendues et en même temps
» indivisibles. »
Après l'explication que vous venez de donner ,
il n y a plus de différents entre nous.
PREMIÈRE INSTANCE SUR LA RÉPONSE A LA QUATRIEME DIFFICULTÉ.
i. « J'avoue que je ne sais point si elles sont
» absolument infinies ou non. »
Vous ne pouvez pourtant pas ignorer qu'elles
sont absolument ou infinies ou véritablement fi-
nies, quoiqu'il ne vous soit pas si facile de déter-
miner si c'est l'un ou l'autre : toutefois ce pour-
roi t être pour vous un signe assez certain de l'in-
finité du monde , que vos tourbillons qui ne se
rompent point , et auxquels il ne se fait pas la
moindre fente. Pour moi en mon particulier , je
déclare librement que , bien que je puisse sou-
scrire hardiment à cet axiome , le monde est fini, ou
non fini , ou , ce qui est ici la même chose, le monde
est infini, mon esprit ne sauroit pourtant com-
prendre comme il faut l'infinité de quelque chose
que ce soit; mais il arrive ici à mon imagination
ce que Jules Scaliger dit quelque part de la dila-
tation et de la contraction des anges, qu'ils ne
peuvent s'étendre à l'infini , ni se réduire à un
point imperceptible ; cependant quand on recon-
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LETTRES. 21 7
noît Dieu positivement infini, c est-à-dire existant
partout, comme vous faites avec raison, je ne
vois pas qu'on puisse hésiter raisonnablement
d'admettre sur-le-champ qu'il n'est oisif nulle part,
mais qu'il a produit partout de la matière avec la
même puissance et la même facilité qu'il a créé
celle dans laquelle nous vivons , ou bien celle
jusqu'où nos yeux et notre esprit peuvent s'éten-
dre; mais je m'aperçois que je m'étends plus loin
que je ne m'étois proposé : j'arrête cette ardeur de
mon esprit , de peur de vous déplaire.
2. Lorsque vous dites , « si elle est seulement in-
» finie par rapport à nous, elle sera réellement
» finie, »
Cela est vrai , et j'ajoute de plus que c'est une
conséquence très claire et très certaine , parceque
la particule seulement exclut entièrement toute
infinité de la chose, qui est dite infinie seulement
par rapport à nous, et par conséquent ce sera une
extension réellement finie , et que mon esprit com-
prend parfaitement, puisque je suis évidemment
certain que le monde est ou fini ou infini, comme
je l'ai dit ci-dessus.
3. « Car c'est supposer que Dieu a des parties
• séparées les unes des autres, qu'il est divisible;
» et c'est lui attribuer l'essence des corps. »
Non, ce n'est pas lui en attribuer; car je nie que
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2l8 LETTRES.
l'étendue convienne au corps en tant que corps,
niais seulement en tant qu'être, ou du moins en
tant que substance ; outre cela , puisque Dieu, au-
tant que notre esprit peut le comprendre , est
tout entier partout , et que son essence entière
se trouve présente dans tous les lieux ou dans
tous les espaces , et dans chaque point de ces
espaces , il ne s'ensuit point qu'il auroit des parties
séparées les unes des autres , ou , ce qui en est une
conséquence, qu'il seroit divisible, quoiqu'il oc-
cupe entièrement et précisément tous les lieux ,
sans laisser aucun intervalle vide , ce qui fait que
je reconnois la présence de Dieu , ou la grandeur
divine, comme vous l'appelez, capables d'être me-
surées, sans que Dieu soit pour cela en aucune
façon divisible. Que Dieu occupe et remplisse
chaque point du monde, c'est ce que tous les phi-
losophes et les ignorants avouent également et
dont j'ai une idée claire et distincte , et que mon
esprit embrasse sans peine : son essence divine
est la même au dedans et au dehors du monde;
en sorte que si nous supposons le monde enfermé
ou terminé par le ciel visible des étoiles , le centre
de l'essence divine et sa présence totale se réité-
rera hors du ciel étoilé, de la même manière que
nous la concevons clairement au dedans. Or cette
réitération du centre divin qui occupe le monde ,
continuée plus loin , doit développer avec soi hors
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LKTTRES. 2 1C)
du ciel visible des espaces infinis , et si elte n'est
accompagnée de votre matière indéfinie, adieu
vos tourbillons; mais afin que ceci se fasse mieux
admettre à l'esprit, essayons ce raisonnement sur
la durée successive de Dieu.
Dieu est éternel, c'est-à-dire la vie divine em-
brasse les révolutions de tous les siècles, et l'ordre
des choses passées , futures et présentes ; cependant
cette vie éternelle est présente à tous les instants
du temps et les suit pas à pas, en sorte qu'on peut
dire avec justice et vérité que Dieu jouit de son
éternité depuis tant de jours, de mois et d'heures.
Par exemple, si nous supposons que le monde a
été créé depuis cent ans, cette éternité de Dieu
entière, et qui embrasse tout, n'aura- 1- elle pas
duré jusqu'à ce jour par des heures , des jours ,
des mois et des années , c'est-à-dire cent ans qui
se seront succédé jusqu'à ce jour : or Dieu n'est
point autre depuis la création du monde qu'il a
été auparavant.
Il est donc manifeste qu'outre l'éternité infinie,
la succession de durée convient encore à Dieu.
Cela supposé, pourquoi ferons-nous difficulté de
lui attribuer une extension qui remplisse des es-
paces infinis , aussi bien qu'une succession infinie
de durée.
Bien plus, toutes les fois que je reprends de plus
haut et plus originairement ces choses, je suis
220 LETTRES.
dans ce sentiment , que Tune et l'autre extension ,
tant de l'espace que du temps, conviennent égale-
ment aux non êtres et aux êtres ; et je me doute
qu'on peut également se former un préjugé , que
toutes les choses étendues sont corporelles , sur
ce que tout ce que nous manions et ce que nous
sentons , qui est solide et corporel , est étendu ,
que cet autre préjugé, qu'il y a des choses non
corporelles étendues.
Et ce qui me fait conjecturer que l'étendue
tombe aussi sur le non-être , c'est qu'être étendu
ne dénote autre chose que des parties qui existent
hors d'autres parties ; or la partie et le tout , le
sujet et l'adjoint, la cause et l'effet, les contraires
et les relatifs 9 les contradictoires et les privatifs, et
autres semblables , ne sont que termes de logique,
et nous les appliquons également aux non-êtres
comme aux autres; d'où il ne suit pas que tout
ce que nous concevons avoir des parties existantes
les unes hors des autres doive être conçu comme
un être réel.
Mais combien de fois l'esprit humain lutte ici
avec son ombre, semblable à ces petits chiens qui
courent après leur queue: car notre esprit se forge
de tels combats ou de tels jeux , lorsque considé-
rant les raisons et les modes de logique sur le pied
des choses extérieures , il ne fait pas réflexion que
ce sont seulement des manières de penser; mais
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LETTRES. 221
croyant que c'est quelque chose de distinct dans
les choses mêmes , il se joue jusqu'à se fatiguer en
tâchant d'attraper , pour ainsi dire , sa propre
queue , et se trouve comme pris dans des filets.
Mais j'ai discouru ici imprudemment plus que je
ne voulois; je passe à ce qui reste.
4- « Car quelque part où l'on conçoive ce lieu-
» là , il y a , selon moi , quelque matière. »
Vous êtes ici un homme de grande précaution ,
et d'une retenue bien fine ; mais avec tous ces rai-
sonnements vous admettez le monde infini avec
Aristote. Si ce philosophe a donné une bonne dé-
finition de l'infini , qu'il appelle dans son troi-
sième livre de physique ce dont quelque partie est
toujours par-delà , nous voilà parfaitement d'accord.
5. « Cependant je crois qu'il y a une grande
» différence entre l'immensité ou la grandeur de
■ cette étendue corporelle , etc. »
J'admets aussi une différence infinie entre la
grandeur ou l'immensité divine et la corporelle :
1° en ce que celle-là ne peut tomber sous les sens,
à la différence de celle-ci ; 2* en ce que celle-là est
incréée et indépendante , et celle-ci dépendante et
créée; la première, pénétrable et pénétrant tout ;
la seconde, solide et impénétrable; enfin , en ce
que celle-là naît de la reproduction continuelle de
l'essence divine en tous lieux , et celle-ci de l'ap-
f
222 LETTRES.
plication extérieure et immédiate des parties les
unes aux autres; de sorte qu a moins d'être stupide
et souverainement bête, on ne sauroit seulement
soupçonner :
Que ces raisonnements nous conduisent au crime ,
Eu nous insinuant quelque horrible maxime.
Comme dit Lucrèce , surtout puisqu'il y a des
théologiens, et des plus scrupuleux, qui recon-
noissent que si Dieu eût voulu , il auroit pu créer
le monde dès l'éternité; et cependant il paroit
aussi absurde de donner au monde une durée in-
finie qu'une étendue infinie.
6. « Car, selon moi, c'est là un des principaux
» fondements de ma physique. »
Je n'ai pas de peine à comprendre que ce ne soit
le fondement de votre physique, de dire que la
matière est au moins indéfiniment étendue , qu'il
n'y a point de vide dans la nature. Je ne doute point
même que ce principe ne soit vrai; mais je ne sais
pas trop bien si vous avez trouvé la vraie manière
de le montrer , puisque le principe de votre dé-
monstration est que tout ce qui est étendu est réel
et corporel : ce dont je ne suis pas encore pleine-
ment convaincu , pour les raisons que j'ai dites ci-
dessus ; au contraire , pour vous avouer ingénu-
ment ce qui me vient présentement dans la pen-
Digitized by Google
LETTRES. 223
sée , si ni l'espace privé de tout corp3 , tel qu'est
celui de votre démonstration , ni Dieu ne sont
point du tout étendus , votre philosophie n'aura
pas besoin de cette matière indéfinie, il vous suf-
fira d'avoir un nombre certain et défini de stades,
car les côtés de ce monde fini ne trouveront point
de lieu où se retirer , et les tourbillons qui seront
au milieu ne pourront s'entrouvrir, pour donner
une étendue à l'espace du milieu , et afin que le
non-étre ait de nouvelles dimensions. Mais mon
ardeur naturelle me jette d'un autre côté, c'est-à-
dire dans la croyance que cette fécondité divine ,
qui n'est jamais oisive, en quelque endroit que ce
soit , a créé de la matière en tous lieux sans laisser
le moindre petit espace vide en admettant ce sys-
tème ; je ne trouve point que votre philosophie se
soutienne moins bien faute d'admettre ce que vous
lui donnez pour fondement , et je vois clairement
que la vérité de votre physique ne se découvre pas
si ouvertement et si manifestement par tel et tel
article, qu'elle brille par cette tissure universelle,
et ce fil continu qui lie toutes ses parties , comme
vous faites très bien remarquer à l'article 125 de
la quatrième partie , p. 4^5. De sorte que si quel-
qu'un envisageoit la face entière de votre philoso-
phie , il verroit qu'elle est si régulière et si pro-
portionnée en elle-même et aux phénomènes de la
nature, qu'il pourroit s'imaginer voir comme dans
UIQIIIZ ed by Google
22/j. LETTRES.
une glace polie, la nature, cette habile ouvrière,
parée de tous ses ornements.
PREMIÈRE INSTANCE A LA REPONSE SUR LA DERNIERE DIFFICULTE»
« Mais le plus grand de tous les préjugés que
• nous ayons retenus de notre enfance, etc. »
J éprouve en moi la force de ce préjugé au-delà
de tout ce que je puis vous dire , et je me sens
tellement pris et arrêté dans ses filets , qu'il m'est
impossible de m'en débarrasser jamais.
2 « Je m'engage à expliquer tout cela très faci-
» lement par la seule conformation des membres
• des animaux. •
Si vous nous tenez parole là-dessus , vous allez
nous procurer une joie bien ravissante; j'ai même
une si haute idée de vous , que je crois que vous
ferez là-dessus tout ce que l'esprit humain est ca-
pable de faire; ce sera dans la cinquième ou sixième
partie de votre Physique, qu'on dit être presque
achevée, et que j'attends avec grande impatience.
Je vous prie même instamment qu'elles voient le
jour le plus tôt qu'il se pourra, ou, pour mieux dire,
afin que par leur moyen vous nous fassiez voir
la nature dans ses plus brillantes clartés.
Mais pour revenir à notre sujet, si vous tenez,
dis -je, parole là -dessus, j'avoue que vous aurez
démontré que personne ne peut prouver qu'il y ait
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LETTRES. 225
um âme dans les bêtes : mais , en attendant , il faut
convenir que vous ne l'avez pas encore démontré ,
comme vous le dites vous - même , et même que
vous ne le pouvez faire en aucune manière.
3. «Si ce n'est qu'ayant des yeux, des oreil-
» les , etc. »
La plus grande preuve, selon moi, est qu'elles
évitent avec tant de soin ce qui leur est contraire,
et qu'elles songent à leur conservation, comme je
pourrois vous le montrer, si j'avois le temps, par
de petites histoires aussi véritables que merveil-
leuses ; mais je crois que vous en avez lu quantité
de pareilles, et les miennes ne sont dans aucun
livre.
4. « Qu'il est plus probable de faire mouvoir
• comme des machines les vers de terre, les mou-
• cherons , les chenilles. »
A moins que nous ne nous imaginions peut-être
ces sortes d'âmes comme une espèce de sable et de
poussière de la vie du monde, selon que Ficin les
appelle; et que ces escadrons presque infinis d'âmes
sortants tous les jours de cette pépinière, retom-
bent incessamment, par un mouvement impétueux
et dirigé par le destin , dans cette matière qui est
préparée pour de semblables générations; mais
j avoue qu'il est plus facile d'avancer ces chosçs
que de les démontrer.
10. i5
2$(> LETTRES.
5. 4 Qui nous marquât, par la voix ou par
«d'autres signes, quelque chose, etc. »
ïst-ce que les chiens ne nous font point certains
signes avec leur queue, comme nous faisons avec
la, tète? Est-ce que, par leurs petits aboiements, ils
ne nous demandent point comme par charité leur
nourriture à table? Bien plus, ils poussent quel-
quefois avec leur patte le bras de leur maître avec
une retenue admirable, pour le faire souvenir par
ce signe flatteur qu'il les a oubliés.
6. « Or, tous les hommes les plus stupides et
» les insensés , etc. , au lieu que les brutes ne font
» rien de semblable , etc. »
Vous pourriez dire la même chose des enfants ,
du moins durant l'espace de plusieurs mois; quoi-
qu'ils pleurent, qu'ils rient et se mettent en co-
lère, etc., vous êtes pourtant persuadé qu'ils ont
une âme et une âme qui pense. Voilà, monsieur,
quelles sont les instances que j'ai pris la liberté
de faire à vos excellentes réponses ; je ne sais si elles
vous seront aussi agréables que mes dernières ob-
jections. La bonté que vous avez marquée pour les
premières, et la longue habitude que j'ai contractée
avec vos écrits, m'ont rendu plus hardi ; mais je
crains d'avoir été trop long, et de vous avoir été
à charge.
Car j'ai presque oublié mon dessein principal ,
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LETTRES. 227
de ne pas multiplier à l'infini les objections et les
réponses; mais ayant trouvé l'occasion favorable
d'avoir votre décision sur les matières qui se sont
présentées , et surtout de vous avoir vous-même
pour interprète des difficultés que je pourrois ren-
contrer dans la lecture de vos ouvrages, je me suis
flatté, monsieur, que vous m'accorderiez cette fa-
veur. Le plaisir que vous m'avez fait de me dévoiler
les secrets de votre art m'engage à vous deman-
der la même grâce pour quelques objections que
je vais vous faire. Je demande donc, i° s'il auroit
pu arriver, ou par les décrets divins, ou par quel-
que autre manière, que le monde fut fini, c'est-à-
dire borné par un nombre déterminé de millions
de lieues; car il me semble que ce n'est pas un
foible argument que le monde puisse être fini , en
ce que presque tout le monde croit qu'il est im-
possible qu'il soit infini. 2° Je suppose que quel-
qu'un fut assis aux extrémités de ce monde, et
je demande s'il pourroit enfoncer son épée jus-
quesà la garde au travers les bornes du monde,
en sorte que toute la lame de l'épée fût hors
des confins du monde; d'un côté la chose pa-
roît facile à faire, puisqu'il n'y auroit rien hors
du monde qui résistât, et de l'autre la chose
paroît impossible, parcequ'il n'y auroit rien d'é-
tendu hors du monde, qui pût recevoir la lame de
I epee.
i5.
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I
U2& LETTRES.
3° A l'art. 29 de la seconde partie, p. 91, si le
corps AB, transporté du voisinage du corps CD,
je demande comment il est certain que le transport
soit réciproque; car supposons que le corps CD
est une tour, et AB un vent d'occident qui passe
par le côté de la tour : or, la tour CD est en re-
pos , ou du moins ne s'éloigne point devant AR ;
si elle s'en éloigne, ou, comme vous dites, si elle
est transportée par le mouvement , elle est donc
mue vers l'occident ; mais elle n'est point transpor-
tée vers l'occident, puisque la terre et les vents
sont portés vers l'orient. Elle paroît donc en repos
par rapport au vent, puisqu'elle ne reçoit aucun
mouvement de lui ; cependant vous dites que le
transport de cette tour et du vent (lequel transport
est un mouvement) est réciproque; ainsi la tour
seroit en mouvement et en repos par rapport à ce
même vent. Ce qui n'est pas bien loin de la con-
tradiction. Lorsque celui qui en se promenant
s'éloigne de moi , qui suis assis, de l'espace de mille
pas par exemple, et s'est échauffé et fatigué, et que
je ne le suis pas, c'est là un signe qu'il s'est mû,
et que je me suis tenu en repos pendant ce temps-
là. Dans le mouvement de cet homme qui marche,
je ne remarque qu'un rapport que ma pensée y
fait des différentes distances où nous nous trou-
vons, et aucun mouvement réel et physique.
4° A l'art. 149 de la troisième partie, p. 5oo.
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LETTRES. 22Q
Et ainsi elle fera que la terre tournera sur son.
axe, etc. Comment fera la lune, afin que la terre
achève dans un jour son tour sur son propre cen-
tre, puisqu'elle-même emploie trente jours pour
achever le sien ? Ce qui est dit à l'article 1 5 1 , p. 3o 1 ,
ne touche point, selon moi, cette question.
5° A l'égard de ces petites parties tournées, que
vous appelez cannelées, comment ont-elles pu être
ainsi tournées ? Ne devoient-elles pas plutôt être
brisées et rompues en une infinité de petites par-
ties réduites en atomes? Quelle lenteur et quelle
consistance pourrons-nous imaginer dans cette
première matière , dont toutes les parties sont ho-
mogènes , et entièrement semblables en elles-
mêmes ; d'où vient que ces petites parties étoient
d'ailleurs molles, et comment se sont-elles dans la
suite endurcies ?
6° A l'art. 189 de la quatrième partie, p. 5o3 ,
notre âme est étroitement jointe et unie au cerceau ;
vous me ferez bien plaisir de m'apprendre ce que
vous pensez de l'union de l'âme avec le corps; si
elle est unie à tout le corps, ou seulement au cer-
veau, ou si elle est seulement renfermée dans la
glande pinéale, comme dans une espèce de petite
prison; car je regarde cette glande, selon vos prin-
cipes, comme le siège du sens commun , et comme
la forteresse de l'âme. Je doute pourtant si l'âme
n'occupe pas tout le corps. Outre cela, je \om
aÔO LETTRES.
prie, comment se peut-il faire que l'âme n'ayant
ni parties crochues ni branchues, puisse s'unir si
étroitement au corps? Je vous demande encore,
n'y a-t-il pas des effets dans la nature, dont on ne
sauroit rendre aucune raison mécanique? Ce sen-
timent naturel que nous avons de notre propre
existence, d'où naît-il? Et cet empire que notre
âme a sur les esprits animaux , d'où vient-il aussi ?
Comment s'y prend-elle pour les faire couler dans
toutes les parties du corps? Comment les esprits
de ces sorciers, qu'on nomme familiers, savent-ils
si bien disposer la matière et la combiner, pour se
rendre visibles et palpables à ces détestables vieilles ?
c'est une vérité que j'ai apprise, non seulement de
plusieurs de ces vieilles sorcières, mais encore de
plusieurs jeunes, qui me l'ont avoué sans aucune
contrainte.
Or, n'éprouvons-nous pas nous-mêmes en quel-
que façon la même chose dans nos âmes, lorsque
nous pouvons, à notre gré pousser ou arrêter nos
esprits animaux; les envoyer ou les rappeler,
comme il nous plaît? Je demande donc s'il seroit
indigne d'un philosophe de reconnoître dans la
nature une substance incorporelle , qui peut ce-
pendant imprimer dans quelque corps toutes les
propriétés du corps, ou du moins la plupart, tels
que sont le mouvement , la figure , la situation des
parties, etc., comme les corps peuvent le faire les
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LETTRES. 2J1
uns à l'égard des autres; mais de plus, comme il
est presque certain que cette substance remue et
arrête les corps , ne pourroit-elle pas y ajouter
aussi ce qui est une suite du mouvement, comme
diviser, unir, dissiper, lier, figurer des petites par-
ties, disposer les figures, faire circuler celles qui
sont ainsi disposées , ou les mouvoir en quelque
sens que ce soit, arrêter leur mouvement circu-
laire, et autres choses semblables qui produisent
nécessairement la lumière, les couleurs, et les au-
tres objets sensibles selon vos principes.
Outre cela, comme rien de corporel ni d'incor-
porel ne peut agir sur une autre chose que par
l'application de son essence, ce même philosophe
ne pourroit-il pas en conclure nécessairement que,
soit que ce soit un bon ou mauvais ange, notre
esprit ou Dieu qui agisse sur la matière de la ma-
nière que nous l'avons dit, il faut que l'essence
de cette chose, quelle qu'elle soit, se promène pour
ainsi dire sur ces parties de matière sur lesquelles
elle agit , ou sur quelques autres qui agissent sur
elles, en leur transmettant leur mouvement; bien
plus, quelle se trouve quelquefois présente à
toute cette matière, qu'elle dirige et modifie ,
comme cela est constant des anges bons et mau-
vais qui se sont montrés à nos yeux ; car autre-
ment, comment auroient-ils pu resserrer la matière,
et la contenir sous une telle ou telle figure?
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232 LETTRES.
Enfin la substance incorporelle ayant une vertu
si merveilleuse que par sa simple application sans
liens, sans crochets, sans coins et autres instru-
ments , elle embrasse et resserre la matière , la dé-
veloppe, la divise, la rejette et en même temps
la retienne; ne paroît-il pas vraisemblable quelle
puisse rentrer en elle-même, puisqu'il n'y a point
d'impénétrabilité qui sy oppose, et se répandre
derechef, et autres semblables? Je vous prie,
monsieur, si vos occupations vous le permettent,
de me faire la grâce de m 'expliquer ces choses ,
sachant que vous avez pénétré tous les mystères
de la nature, tant les extérieurs que les intérieurs,
et que vous pouvez m'en donner facilement la so-
lution.
7. Sur les globules du second élément , ou la
matière éthérée, je demande, Si Dieu eût créé la
matière de toute éternité, ces globules n'auroient-
ils pas été diminués et brisés depuis plusieurs an-
nées, et réduits en parties subtiles à l'indéfini , à
force de se rencontrer et de se heurter, pour
prendre la force du premier élément ; en sorte que
l'univers entier auroit été réduit en une flamme
universelle depuis plusieurs siècles?
8. Pour ce qui regarde vos petites parties d'«au ,
longues, polies et flexibles, ont-elles des pores?
Cela ne me paroît pas probable, puisqu'elles sont
des corps simples, et les premières parties qui ne
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LETTRES. 235
sont composées d'aucunes autres , mais des frag-
ments de la première matière qui s'est brisée, et
par conséquent entièrement homogène; ce qui me
fait douter qu'elles se puissent plier sans pénétra-
tion de leurs dimensions : car supposons quelles
se courbent en forme d'anneau, la superficie con-
cave sera moindre que la convexe , etc. Vous en-
tendez parfaitement cela, je ne m'y arrête pas da-
vantage.
Et quand même vous vous efforceriez de prouver
qu'elles ont des pores, ce que je ne crois pas que
vous fassiez jamais, vous noteriez pas pour cela la
difficulté, car ce seroient alors nouvelles difficultés
sur les bords et les côtés de ces pores , car il y
aura toujours alors quelque chose qui n'aura point
de pores, et qui ne laissera pas de se plier.
Cette difficulté tombe non seulement sur ces
parties oblongues, mais encore sur les rameuses
et branchues, et presque sur toutes les autres qui
doivent se plier sans casser.
Neuvième et dernière difficulté. Je demande si
la matière, soit que nous la supposions éternelle,
ou créée d'hier, laissée à elle-même, et ne recevant
aucune impulsion étrangère, seroit en mouvement
ou en repos ; ensuite si le repos est un mode pri-
vatif ou positif du corps, et, dans Tune ou l'autre
supposition, comment on pourroit le prouver;
enfin, si une chose, quelle quelle soit, peut avoir
2,34 LETTRES.
quelque propriété naturelle par elle-même dont
elle puisse être privée , ou qu'elle puisse recevoir ?
D'ailleurs jusques ici mon esprit s'est comme joué
sur presque tous les principes de votre excellente
philosophie, ou plutôt il s'est donné là- dessus
une véritable occupation. Je descendrai au par-
ticulier si vous avez la bonté de m'y inviter , ou
du moins de me le permettre. J'espère que vous
me ferez la grâce de m'excuser, si, s'agissant des
premiers principes , j'ai examiné les choses un peu
scrupuleusement, et si, en sondant le gué, et ne
marchant qu'avec réserve, j'ai avancé lentement,
et pour ainsi dire à pas de tortue; car je vois que
tel est le caractère de l'esprit humain , qui voit
mieux dans les conséquences que dans les pre-
miers principes de la nature, et que notre condi-
tion n'est pas bien différente de celle d'Archimède,
qui demandoit qu'on lui donnât un point fixe , et
qu'il ébranleroit la terre. Il nous est plus difficile
de trouver un endroit où placer le pied , que d'a-
vancer quand nous l'avons trouvé.
Pour ce qui regarde ces magnifiques bâtiments
que vous avez élevés sur vos principes généraux ,
quoiqu'ils nous parussent d'abord si hauts et si
éloignés de la portée de notre vue, que tout y
sembloit enveloppé de ténèbres et de nuées, le
jour a cependant diminué ces difficultés, et ces
obscurités se sont peu à peu évanouies, en sorte
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LETTRES. 255
qu'il en reste très peu en comparaison de ce qui
se montroit d'abord.
J'ai cru devoir vous faire cet aveu, afin que vous
ne crussiez pas que je voulusse vous multiplier
éternellement les difficultés , que vous me fissiez
plus volontiers réponse, et que vous reçussiez ces
nouvelles difficultés avec la même bonté que vous
avez reçu les premières. Si vous me faites cet hon-
neur, monsieur, vous trouverez en moi le plus
zélé admirateur de votre philosophie, et le plus
fidèle et le plus dévoué de vos serviteurs, etc.
A Cambridge, du collège de Christ, ce 5 mars 1649.
------- •-■^v - -------- - •«.«.» - - -
RÉPONSE DE M. DESCARTES
A M. MORUS.
( Lettre 69 du tome I. Version. )
Monsieur ,
Je viens de recevoir avec grand plaisir votre
lettre en date du 5 mars , mais dans un temps où
je me trouve si fort occupé , que je me vois dans
la nécessité , ou de vous écrire à la hâte, ou de dif-
férer à un long temps d'ici ma réponse. Dans
236 LETTRES.
cette alternative je choisis le premier parti, aimant
mieux paroître moins habile et plus officieux.
AUX PREMIÈRES INSTANCES.
Il y a des propriétés que l'on conçoit les unes
avant les autres, etc. La sensibilité ne me paroît être
clans la chose sensible qu'une dénomination ex-
trinsèque, et n'est point une qualité qui convienne
à toute la substance corporelle ; car si elle se rap-
porte à nos sens, elle ne convient point aux par-
ties les plus déliées de la matière ; que si elle avoit
quelque rapport à ces nerfs imaginaires que vous
supposez que Dieu pourroit façonner , elle pour-
roit peut-être convenir aux anges et aux âmes ; car
je ne conçois pas plus facilement des nerfs ca-
pables de sentiment, et si subtils qu'ils puissent
être mus par les plus petites parties de la matière,
que quelque autre faculté par le moyen de laquelle
notre âme puisse sentir ou percevoir immédiate-
ment les autres âmes t mais bien que dans l'exten-
sion nous comprenions facilement les parties au
respect les unes des autres, il me paroît pourtant
que je conçois très bien l'étendue , sans penser au
rapport que ces parties ont les unes à 1 égard des
autres ; ce que vous devez admettre plus volon -
tiers que moi , parceque vous concevez l'étendue
comme convenant à Dieu , sans admettre en lui
aucunes parties.
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LETTRES. 2,>7
Personne n'a encore démontré que la faculté d'être
touché, ou l'impénétrabilité, soient des propriétés qui
conviennent à la substance étendue. Si vous concevez
letendue par le rapport des parties les unes au-
près des autres, il ne paroît pas que vous puissiez
dire que chacune de ses parties ne touche pas les
voisines, et cette faculté d'être touché est une vé-
ritable propriété qui est intime au sujet , et non
celle que les sens nous font appeler le toucher.
On ne peut pas aussi comprendre qu'une partie
d'une chose étendue pénètre une autre partie qui
lui soit égale , sans comprendre en même temps
que l'étendue qui est au milieu de ces deux par-
ties est ôtée ou anéantie ; or une chose réduite au
néant n'en sauroit pénétrer une autre : ainsi on
peut démontrer , selon moi , que l'impénétrabilité
appartient à l'essence de l'étendue, et non à l'es-
sence d'aucuue autre chose.
Je soutiens quil y a une autre étendue aussi vé-
ritable. Enfin nous sommes d'accord sur le fond,
et il ne s'agit plus entre nous que d'une question
de nom , savoir , s'il faut donner le nom de véri-
table étendue à cette dernière. Pour moi, je ne con-
çois aucune étendue de substance , ni en Dieu, ni
dans les anges, ni dans notre âme; mais seule-
ment une étendue de puissance, ou une extension
en puissance ; en sorte qu'un ange peut propor-
tionner ce pouvoir d extension , tantôt à une plus
20S LETTRES.
grande ou moindre partie de la substance corpo-
relle ; car s'il n'y avoit aucun corps , je ne . com-
prendrois aussi aucun espace à qui Dieu ou l'ange
correspondissent par 1 étendue. Quant à ce qu'on
attribue à la substance l'étendue qui n'appartient
qu'à la puissance, c'est un effet du même préjugé
qui nous fait supposer toute substance en Dieu
même, comme tombant sous l'imagination.
AUX SECONDES INSTANCES.
Que des parties de l'espace vide en absorbent
d'autres, etc. Je le répète , si elles sont absorbées ;
donc le milieu de l'espace est ôté et cesse d'être.
Or ce qui cesse d'être ne pénètre point une autre
chose, donc il faut admettre l'impénétrabilité en
tout espace.
Cet intermonde ou cette absence du monde aurai i
sa durée, etc. Je crois qu'il implique contradiction
de concevoir une durée entre k destruction du
premier monde et la création du nouveau ; car si
nous rapportons cette durée ou quelque chose de
semblable à la succession des pensées divines , ce
sera une erreur de l'intellect, non une véritable
perception de quelque chose. J'ai déjà répondu à
la suite, en observant que l'étendue qu'on attribue
aux choses incorporelles convient seulement à la
puissance et non à la substance, laquelle puis-
sance étant seulement un mode clans la chose à
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LETTRES. !i^9
laquelle elle est appliquée, en ôtant cette chose
étendue à laquelle elle correspondent , on ne sau-
roit comprendre qu'elle soit étendue.
AUX PÉNULTIÈMES INSTANCES.
Que Dieu est positivement et réellement infini ,
c'est-à-dire existant partout, etc. Je n'admets pas
ce partout, car il paroît ici que vous ne faites
consister l'infinité en Dieu qu'en ce qu'il existe
partout , ce que je ne vous passe point ; croyant
au contraire que Dieu est partout à raison de sa
puissance, et qu'à raison de son essence il n'a ab-
solument aucune relation au lieu . or comme on
ne distingue point en Dieu le pouvoir et l'essence,
je crois qu'il est mieux de raisonner en pareille
matière sur notre âme ou les anges, comme choses
plus proportionnées à notre manière de penser.
Les difficultés suivantes me paroissent naître du
préjugé qui nous a fait croire que toutes sub-
stances, celles-là mêmes que nous reconnoissons
incorporelles, sont véritablement étendues, et de
la mauvaise manière de philosopher sur les êtres
de raison, en attribuant les propriétés de l'être ou
de la chose au non-ètre ; mais n'oublions jamais que
le non-ètre, ou ce qui n'existe pas, n'a aucun véri-
table attribut, et qu'on ne sauroit concevoir en
lui eu aucune façon la partie, le tout, le sujet , l'ad-
joint, etc., et c'est bien conclure, lorsque vous dites
a/jO LKTTRES.
que l'esprit se joue aveeses propres ombres, lors-
qu'il considère les êtres de raison.
Un nombre certain et fini de stades suffira , etc.
Mais il répugne à mes idées d'assigner des bornes
au monde , et ma perception est la seule règle de
ce que je dois affirmer ou nier. C'est pour cela
que je dis que le monde est indéterminé ou indé-
fini, pareeque je n'y connois aucunes bornes ,
mais je n oserois dire qu'il est infini , pareeque je
conçois que Dieu est plus grand que le monde,
non à raison de son étendue que je ne conçois
point en Dieu , comme j'ai dit plusieurs fois, mais
à raison de sa perfection.
AUX DERNIKBES INSTANCES.
Si vous le faites , etc. Je ne sais point certaine-
ment si le reste de ma Philosophie verra le jour,
pareequ'il faudroit pour cela faire plusieurs expé-
riences , lesquelles je ne sais si j'aurai jamais la
commodité de faire ; mais j'espère donner cet été
un petit Traité des passions , dans lequel on verra
clairement comment tous les mouvements de nos
membres qui accompagnent nos passions ou af-
fections sont produits, selon moi, non par notre
âme , mais par le seul mécanisme de notre corps.
Quant aux signes que font les chiens avec leurs
queues , ce sont les seuls mouvements qui accom-
pagnent les affections, et je crois qu'il faut les
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LETTRES. 24l
distinguer soigneusement de la parole, qui seule
est un signe certain de la pensée qui est cachée
dans le corps : vous pourriez dire la même chose
des enfants , etc.
11 y a une grande différence entre les enfants et
les brutes ; cependant je ne croirois pas que les
enfants eussent une âme , si je ne voyois qu'ils sont
de la même nature que les adultes. Pour les brutes,
elles ne parviennent jamais à un âge où Ton puisse
remarquer en elles le moindre signe de pensée.
AUX QUESTIONS.
A la première. Il répugne à ma pensée , ou , ce
qui est le même, il implique contradiction que
le monde soit fini ou terminé, pareeque je ne
puis ne pas concevoir un espace au-delà des bor-
nes du monde , quelque part où je les assigne ; or
un tel espacé est selon moi un vrai corps. Je
ne m'embarrasse point que les autres l'appellent
imaginaire, et que par conséquent ils croient le
monde fini , car je sais de quel préjugé naît cette
erreur.
A la seconde. En imaginant une épée qui passe
au-delà des bornes du monde, vous prouvez que
vous ne concevez pas le monde comme fini ; car
vous concevez comme partie réelle du monde tout
lieu que l'épée touche , bien que vous donniez le
nom de vide à la chose que vous concevez.
10.
LETTRES.
A la troisième. Je ne saurois mieux expliquer
la force réciproque dans la séparation mutuelle
de deux corps au respect l'un de l'autre , qu'en
supposant un petit bateau dont le fond touche
le sable , le long des bords d'un fleuve , et deux
hommes, l'un desquels se tenant sur le rivage,
pousse avec ses mains le petit bateau pour l'écar-
ter de la terre, et un autre homme se tenant sur
le même bateau qui pousse le rivage avec ses
mains, pour écarter aussi le bateau de la terre
si les forces de ces deux hommes sont égales ,
l'effort de celui qui est à terre et qui par consé-
quent est joint à la terre, ne sert pas moins au
mouvement du bateau , que l'effort de l'autre qui
est transporté avec le bateau ; d'où il est clair que
l'action qui fait reculer le bateau de la terre n'est
pas moindre sur la terre même que dans le bateau ,
et cet homme qui s'éloigne de vous pendant que
vous êtes assis ne fait pas une difficulté; car lors-
que je parle ici du transport , j'entends seulement
celui qui se fait par la séparation de deux corps
qui se touchent immédiatement.
A la quatrième. Le mouvement de la lune dé-
termine la matière céleste, et par conséquent la
terre qui fait un tout avec elle, en sorte qu'elle est
emportée plutôt d'un côté que d'un autre ; c'est -à-
dire, comme on voit dans la figure, plutôt de la
partie A vers B que vers D, sans lui communiquer
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LETTRES.
pour cela la vitesse du mouvement ; et comme
cette vitesse dépend de la matière céleste, et qu'elle
se meut à peu près aussi vite contre la terre que
vers la lune , la terre devroit avoir un mouvement
deux fois plus rapide que celui qu elle a pour
faire soixante fois son tour dans le même temps
que la lune ne feroit qu'une fois le sien , plus grand
soixante fois que celui de la terre, si la grandeur
ne s'y opposoit, comme je l'ai dit à l'article 1 5 1
de la treizième partie, pag. 3oi.
A la cinquième. Je ne suppose point . d'autre
lien et d'autre ténacité dans les plus petites par-
ties de la matière , que celle que je conçois dans
les parties grandes et sensibles qui dépendent du
mouvement et du repos des parties; mais il faut
observer que les parties cannelées sont formées
d'une matière très subtile, et divisée en petites
parties innombrables ou indéfinies qui se joignent
ensemble pour les composer, en sorte que je con-
çois un plus grand nombre de petites parties dans
chaque partie cannelée, que l'on n'en conçoit com-
munément dans les plus grands corps.
A la sixième. J'ai tâché d'expliquer dans le
traité des passions la plupart des choses que vous
demandez ici. J'ajoute seulement que je n'ai rien
trouvé jusqu'ici sur la nature des choses maté-
rielles dont je ne puisse donner très facilement
une raison mécanique, et comme il ne messied
16.
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244 LETTRES.
pas à un philosophe de croire que Dieu peut
mouvoir le corps , quoiqu'il ne pense pas que
Dieu soit corporel , il ne lui messied pas aussi de
croire quelque chose de semblable des substances
incorporelles : et bien que je croie qu'aucune ma-
nière d'agir ne convient dans le même sens à Dieu
et aux créatures , j'avoue cependant que je ne
trouve en moi-même aucune idée qui me repré-
sente une manière différente dont Dieu ou un
ange peuvent mouvoir la matière de celle qui me
représente la matière dont je suis convaincu en
moi-même , que je puis mouvoir mon corps par
ma pensée; et véritablement ma pensée ne peut
pas tantôt s'étendre , tantôt se rassembler par rap-
port au lieu à raison de sa substance, mais seule-
ment à raison de sa puissance, qu'elle peut appli-
quer à des corps plus grands ou plus petits.
A la septième. Si le monde avoit été de toute
éternité, certainement cette terre ne seroit pas
depuis l'éternité; mais il s'en seroit produit d'au-
tres en différents endroits , et toute la matière
n'auroit pas été réduite au premier élément; car
comme quelques unes de ses parties se brisent en
certains endroits , d'autres s'unissent ensemble en
d'autres lieux sans qu'il y ait plus de mouvement
ou d'agitation en un temps qu'en un autre dans
tout l'univers.
A la huitième. Par la manière dont j'ai décrit la
r
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LETTRES. 2/|5
production de la terre, c'est-à-dire des parties de
la matière du premier élément qui se réunissent
les uns aux autres, il s'ensuit évidemment que les
parties d'eau et toutes les autres qui sont dans la
terre ont des pores; car, comme ce premier élé-
ment n'est composé que des parties indéfiniment
divisées, il s'ensuit de là qu'il faut concevoir des
pores jusques à la dernière division possible dans
tous les corps qui en sont composés.
À la neuvième. Par ce que j'ai dit ci-dessus de
deux hommes , dont l'un est mû avec le bateau et
l'autre demeure immobile sur le rivage, j'ai fait
assez voir que je ne crois pas qu'il y ait rien de
plus positif dans le mouvement de l'un que dans
le repos de l'autre.
Je ne comprends pas bien ce que veulent dire
ces derniers mots : An ulla res affectionem habere
potest naturaliter et à se qut penitus potest destitui,
vel quant aliunde potest adsciscere.
Au reste, monsieur, je vous prie d'être très
persuadé que je recevrai toujours avec beaucoup
de plaisir toutes les questions et les objections
que vous me ferez sur mes ouvrages, et que je
tâcherai d'y répoudre le mieux qu'il rne sera possi-
ble. Je suis avec un parfait attachement, etc.
A Egtuond, le i5 avril 164^.
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2^6 LETTRES.
>
LETTRE DE M. MORUS -
A M. DESCARTES.
(Lettre 70 du tome I, Version.)
Monsieur,
J'eus toutes les peines du monde, quand j'eus
reçu votre dernière lettre , de m'empècher de vous
récrire sur-le-champ , bien que c'eût été à moi une
incivilité de le faire , ayant compris par les termes
de votre lettre que vous seriez occupé durant plu-
sieurs semaines. De plus je me trouvai dans un tel
embarras depuis la mort de mon père , que , malgré
tout mon empressement , je n'aurois pu trouver
un moment commode pour cela. Aujourd'hui que
j'ai assez de loisir , je reviens à vous , et à votre phi-
losophie, et je vous rends mille grâces de la bonté
que vous avez eue de m'accorder plein pouvoir de
faire sur vos écrits toutes les questions et toutes
les objections qu'il me plairoit.
Mais pour ne pas abuser de votre honnêteté par
des altercations éternelles (car jusques ici nous
n'avons touché que cette partie de la philosophie
qui est toute dans les combats des mots, et dans
« « 1649 , a3 juillet. •»
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LETTRES.
des subtilités épineuses, nous étant toujours tenus
sur les frontières de la physique , de la métaphysi-
que et de la logique), je me hâte présentement
d'arriver à des questions qui demandent un juge-
ment plus solide et plus ferme. Je remarquerai
seulement en passant, sur la réponse que vous avez
faite à mes premières instances, pour ce qui re-
garde les anges et les âmes séparées du corps , si
elles connoissent immédiatement et par elles-mê-
mes quelle est leur essence. Cette connoissance ne
peut être appelée proprement un sentiment, si
nous les supposons absolument incorporels. J'aime-
rois donc mieux dire avec les platoniciens, les an-
ciens Pères, et presque tous les philosophes, que les
âmes humaines , tous les génies tant bons que mau-
vais, sont corporels, et que par conséquent ils ont
un sentiment réel , c'est-à-dire qui leur vient du
corps dont ils sont revêtus; et en effet, comme je
ne me promets rien que de grand de votre esprit,
vous me feriez un sensible plaisir si vous vouliez me
communiquer en peu de mots ce que vous pensez
là-dessus; cette pénétration et cette force d'esprit
que je reconnois en vous me sont un gage assuré
que vos conjectures sur ce sujet ne peuvent être
que très ingénieuses : car, quant à l'ostentation de
certains philosophes qui nient hardiment l'exis-
tence de toute substance séparée du corps, comme
celle des démons, des anges, et des âmes après la
Digiti
248 LETTRES.
mort , et qui semblent s'applaudir là-dessus comme
d'une heureuse découverte et d'un effort de l'esprit
humain qui les rend plus habiles que tous les autres
hommes, je ne fais aucun cas de ce sentiment, car
j'ai remarqué plusieurs fois que ces sortes de gens
étoient pour la plupart des âmes de sang et de boue,
de noirs et d'affreux mélancoliques livrés aux sens
et à la volupté, et enfin des athées véritables; car
ce que la religion leur apprend de la nécessité d'un
Dieu, n'opère en eux que comme une vaine super-
stition; pour moi je veux bien faire cette profession
publique de foi, que toute religion à part, je re-
connois volontiers qu'il y a des génies et un Dieu
tel , que les plus honnêtes gens et les plus sensés
désireroient qu'il fut, si par impossible il n'y en
a voit point ; ce qui m'a toujours fait regarder l'a-
théisme comme le comble de la méchanceté la plus
débordée , et de la stupidité la plus brutale, et la
gloire que les athées retirent de leur impiété, assez
semblable à la fausse joie d'un peuple insensé qui
se féliciîeroit et se sauroit bon gré du meurtre d'un
roi très sage et très humain : mais je reviens de
l'écart que mon zèle m'a fait faire.
2. A l'égard de votre démonstration , à la faveur
de laquelle vous concluez que toute substance
étendue est capable d'être touchée, et qu'elle est
impénétrable, il me semble qu'on peut dire con-
tre , que , dans la substance étendue , les par*
Uigitize
LETTRES.
ties peuvent être les unes hors des autres, sans
une mutuelle résistance; ce qui détruit cette
faculté d'être touchée : d'ailleurs que l'étendue
avec la substance se replie sur le reste de l'étendue
et de la substance , et qu'elle ne périt pas davantage
que cette partie de la substance qui retourne dans
l'autre , et de là tombe son impénétrabilité. Je vous
proteste que je conçois clairement et distinctement
toutes ces choses. Quant à ce que quelque chose
de réel peut être renfermé sans aucune diminution
de sa part dans des bornes plus ou moins étroites,
cela se prouve par le mouvement même selon vos
Principes; car, selon vous, le même mouvement
spécifique occupe aussi tantôt un plus grand,
tantôt un moindre sujet. Pour moi je conçois avec
la même facilité et la même clarté qu'il peut y avoir
une substance qui se dilate ou se resserre sans au-
cune diminution, soit que cela arrive par soi-même
ou d'autre part. Enfin, je suis , je vous assure, sur-
pris que vous ne puissiez pas comprendre que
l'âme humaine ou l'ange soient presque étendue
de cette manière, comme si cela impliquent con-
tradiction. Je croirois plutôt qu'il y auroit con-
tradiction que la puissance de l'âme rut étendue,
lorsque l'âme elle-même ne le seroit en aucune
façon; car la puissance de l'âme étant un mode
intrinsèque de l'âme, elle n'est pas hors de l'âme
même, comme cela est clair. Il faut dire la même
250 LETTRES.
chose de Dieu, ce qui fait que je suis dans un pa-
reil étonnement de ce que dans votre réponse à
nies pénultièmes instances vous avouez qu'il est
partout à raison de sa puissance, et non à raison
de son essence , comme si la puissance divine , qui
est un mode de Dieu, étoit située hors de Dieu,
puisque chaque mode réel est toujours intimement
uni à la chose dont il est mode; d'où il s'ensuit
nécessairement que Dieu est partout, si sa puis-
sance est partout.
Et je ne saurois soupçonner que par puissance
divine vous vouliez entendre un effet transmis à la
matière. Si vous entendiez même cela, la chose,
selon moi , reviendroit au même , car cet effet n'est
transmis que par la puissance divine, qui touche
la matière qui reçoit son impression, c'est-à-dire
qui est unie à elle par quelque mode réel , et par
conséquent cette puissance est étendue, sans être
pour cela séparée de l'essence divine ; car il semble ,
comme j'ai dit, qu'il y a là une contradiction ma-
nifeste, mais je ne veux pas m'arrêter sur cela da-
vantage.
Je me hâte de passer aux questions, après vous
avoir dit la peine que je sens de ne plus espérer
d'avoir la suite de votre Philosophie : ce qui me
soutient, c'est l'espérance certaine de ce traité si
désiré que nous verrons mettre au jour cet été; je
souhaite qu'il vienne bientôt et heureusement.
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LETTRES* 25l
AUX RÉPONSES SUR LES QUESTIONS.
A la première et à la seconde, vous répondez
toujours constamment et conformément à vos Prin-
cipes, ce que j'attends et j'approuve de chacun , si
un meilleur sentiment ne l'emporte. A la troisième
voici le gain que j'ai fait avec votre petit bateau:
1 . Que par rapport au mouvement il y a une résis-
tance mutuelle entre les deux corps qu'on dit être
mus. 2. Que le repos est une action, je veux dire
un effort pour résister. 3. Que deux corps qui se
meuvent sont immédiatement séparés. 4- Que cette
séparation immédiate est ce mouvement, ou ce
transport précis; mais lorsque deux corps se sépa-
rent l'un de l'autre , si vous n'ajoutez à l'idée de ce
transport ou de ce mouvement une force dans l'un
et dans l'autre qui les sépare et qui les divise, ce
mouvement sera seulement un rapport extrinsèque
ou quelque chose même de moins; car être séparé
signifie ou que la surface des corps qui se tou-
choient mutuellement auparavant est à présent
éloignée l'une de l'autre (or, la distance des corps
est seulement un rapport extrinsèque), ou signifie
ne pas toucher ce qui étoit touché auparavant; ce
qui est seulement une privation ou une négation.
Je ne comprends pas bien votre pensée là-dessus.
Pour moi, si je voulois m'en croire, je dirois
que le mouvement est cette force ou cette action
fl5a LETTRES.
par laquelle les corps que vous dites se mouvoir
se détachent mutuellement l'un de l'autre , et que
leur séparation immédiate est l'effet dudit mouve-
ment, quoique cette séparation soit seulement ou
un rapport ou une privation ; mais vous avez rai-
sonné autrement dans l'explication de la définition
du mouvement à l'article 25 de la seconde partie,
p. 88, où, pour vous dire le vrai, je n'entends pas
bien votre pensée. Vous avez répondu d'une ma-
nière claire et précise aux autres questions que je
vous ai proposées : mais pour avoir une plus par-
faite intelligence de celles que j'ai faites en assez
grand nombre à la sixième, j'attends avec empres-
sement votre livre des passions.
Au reste, sur mes dernières paroles, Si quelque
chose 9 etc. , il m'étoit venu dans l'esprit une vaine
subtilité qui m'est échappée, et que je ne me sou-
cie pas de rappeler. Je demande seulement dere-
chef si la matière abandonnée à elle-même , c'est-à-
dire ne recevant aucune impulsion d'ailleurs,
seroit en mouvement ou en repos. Si elle se meut
naturellement d'elle même, la matière étant homo-
gène, et par conséquent le mouvement étant par-
tout égal, il s'ensuit que la matière seroit divisée
en des parties si infiniment petites qu'on ne sau-
roit rien ôter absolument d'aucune petite parcelle,
car tout ce que l'on conçoit pouvoir être ôté est
déjà fait à cause de la force intime du mouvement
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LETTRES. 2clO
qui pénètre toute la matière, ou, si vous voulez,
qui lui est naturel , et les parties ne s'attacheroient
pas davantage les unes aux autres, et les unes ne
prendroient pas un cours différent des autres,
puisqu'elles sont entièrement semblables, selon
toutes les manières qu'on peut imaginer; car on
ne sauroit s'imaginer dans une figure aucune
âpreté ou aucun angle qui n'ait été brisé, jus-
qu'au dernier point où le mouvement peut aller,
et il ne faut admettre aucune inégalité de mou-
vement dans aucune petite parcelle, puisque la
matière est supposée parfaitement homogène. Si
la matière se mouvoit donc naturellement, il n'y
auroit ni soleil, ni ciel, ni terre, ni tourbillons,
ni rien d'hétérogène ou de sensible, et qui pût
tomber sous l'imagination dans la nature: ainsi
vous verriez périr cet art merveilleux par lequel
vous voulez que se puissent former les cieux,
la terre, et toutes les autres choses sensibles.
Que si vous dites que la matière est de soi-
même en repos, à moins qu'elle ne reçoive le
mouvement d'ailleurs, et que ce repos est quel-
que chose de positif, il s'ensuivroit que la matière
souffriroit une violence éternelle , et qu'un de ses
modes naturels seroit détruit pour toujours et cè-
deroit à son contraire, ce qui paroît un peu dif-
ficile à admettre. Je ne sais même s'il seroit plus
sûr de dire que le repos est la privation ou la né-
2L)/f LETTRES.
gation du mouvement; car on anéantiroit par là
toute cette force de résister que vous reconnoissez
dans la matière en repos, bien que cela produise
encore quelque embarras dans mon esprit; car en
disant que le repos est une action de la matière, il
faut nécessairement reconnoître que le mouvement
n'est que cette même force ; en effet , la matière
n'a point d'autre action que le mouvement actuel ,
ou bien un effort pour le mouvement. J'ai donc
là-dessus de furieux scrupules , que vous me ferez
plaisir de m'ôter le plus tôt que vous pourrez. Bien
plus, j'examine si rigoureusement ces principes,
qu'il me vient une nouvelle difficulté sur la nature
du mouvement; car si le mouvement est un mode
du corps, comme la figure, l'arrangement, les par-
ties, etc., comment se pourra-t-ii faire qu'il passe
plutôt d'un corps dans un autre, que les autres
modes corporels ? Et en général je ne saurois con-
cevoir comment il se peut faire que quelque chose
qui ne peut pas être hors du sujet , tels que sont
tous les modes, passe pourtant dans un autre
sujet. Je demanderai ensuite si lorsqu'un corps
heurte un moindre corps qui est en repos, et
qu'il l'emporte avec soi, le repos du corps qui
étoit en repos ne passe pas indifféremment dans
celui qui étoit en mouvement , comme le mouve-
ment est passé dans celui qui étoit en repos; car
il semble que le repos est quelque chose d'oisif, et
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LETTRES. 255
de si paresseux qu'il plaint le chemin qu'il auroit
à faire; cependant comme il n'est pas moins réel
que le mouvement, la raison veut qu'il passe à
l'autre corps; enfin je suis dans un vrai étonne-
ment lorsque je considère qu'une chose aussi
légère et aussi vile que le mouvement, qui peut
être séparée du sujet et passer dans un autre corps,
qui d'ailleurs est d'une nature si foible et si pas-
sagère qu'il périroit entièrement s'il n'étoit sou-
tenu par son sujet, soit pourtant capable de lui
donner un si grand branle, et le pousser avec au-
tant de force de côté et d'autre.
J'avoue que je me sens plus porté à croire qu'il
n'y a point de communication de mouvement:
mais que par la seule impulsion d'un corps, un
autre corps sort, pour ainsi dire, de son état d'in-
dolence pour entrer en mouvement, comme l'âme
a une telle pensée par telle et telle occasion , et
que le corps ne reçoit pas tant le mouvement
qu'il s'y détermine, étant averti par un autre; et,
comme j'ai dit ci-dessus , le mouvement est par
rapport au corps ce que la pensée est par rap-
port à l'âme : ni l'un ni l'autre n'est reçu dans son
sujet, mais ils naissent du sujet dans lequel ils se
trouvent; et véritablement tout ce qu'on appelle
corps n'a qu'une vie, pour ainsi dire, pleine de
stupidité et d'ivresse, et je ne le regarde que
comme la dernière et la plus infime ombre de l'es-
256 LETTRES.
sence divine, qui est la véritable vie et la vie très
parfaite: enfin il est comme une idole qui n'a ni
sentiment, ni réflexion. Au reste ce passage des
mouvements d'un sujet à un autre , soit du plus
grand au moindre , ou réciproquement , comme
j'ai dit ci-dessus , représente tout-à-fait bien la
nature de mes esprits étendus qui peuvent se
ramasser, et puis s'étendre, pénétrer facilement
la matière sans la remplir, l'agiter en tous sens,
et la mouvoir, et le tout sans aucunes machines,
et sans liens ni crochets ; mais je me suis arrêté
ici plus long-temps que je ne pensois. Je me hâte
d'arriver à mon but , je veux dire à ces nouvelles
questions que j'ai à vous proposer sur chaque
article des principes de votre Philosophie, dont
je ne comprends pas encore assez bien la force.
Sur l'article 8 de la première partie des Principes,
page 5, ligne 16.
Nous connaissons manifestement, etc. Nous ne
voyons pas manifestement que l'étendue , la figure
et le mouvement local appartiennent à notre na-
ture, mais nous ne voyons pas aussi le contraire.
Plût à Dieu que vous pussiez me donner ici une
bonne démonstration qu'un corps ne sauroit pen-
ser.
Sur l'art. 37, ibùL, page 25, ligne 27.
N'est-ce pas une plus grande perfection que
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LETTRES.
l'homme puisse seulement vouloir ce qui lui seroit
le plus avantageux, que de pouvoir aussi le con-
traire, puisqu'il vaut mieux toujours être heureux,
que cl être quelquefois ou même toujours comblé
de louanges.
Sur l'art. 54 ibid., pag. 3g, lig. 12.
Je répète ici derechef qu'il faut nous démontrer
que rien d'étendu ne pense , ou , ce qui paroîtra
plus facile, qu'aucun corps ne peut penser: c'est
là un sujet digne de votre esprit.
Sur l'art. 60, ibid., pag. 44 et suiv.
Quoique l'âme puisse se considérer elle-même
comme une chose qui pense, en excluant toute
extension corporelle de cette pensée, on ne peut
conclure de là, sinon que l'âme peut être corpo-
relle, ou incorporelle, mais non pas que de fait elle
soit incorporelle; il faut donc vous prier derechef
de démontrer, par quelques opérations de 1 ame
qui ne puissent convenir à la matière corporelle,
que notre âme est incorporelle.
Sur l'article a5 de la seconde partie des Principes,
page 88, ligne 3o.
Et non pas la force ou l'action qui transporte,
afin de montrer que le mouvement est toujours dans
le mobile y etc. Est-ce que la force elle-même et
Faction du mouvement ne sont pas dans la chose
mue?
10* 17
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LETTRES.
Sur l'art. 26, pag. 89, lig. 11.
Y a-t-il donc dans les choses qui sont en repos
une certaine force continuelle qui fait qu'elles se
tiennent dans la même situation, ou une action
de s'arrêter et de se fortifier contre toutes les
forces qui pourroient séparer leurs parties et les
disjoindre ou entraîner, et emporter tout le corps
autre part; en sorte qu'on peut très bien définir
le repos une certaine force, ou une action interne
du corps qui lie étroitement les parties du corps
entre elles et les comprime, et qui par là les ga-
rantit de la division ou de la séparation, par l'im-
pulsion d'un corps étranger ? car il s'ensuivroit de
là naturellement, ce que je croirois volontiers, que
la matière est une espèce de vie obscure, que je
regarde comme la dernière ombre de la divinité,
et qui ne consiste pas dans la seule extension des
parties, mais dans quelque action qu'elle a toujours,
c'est-à-dire , ou dans le repos , ou dans le mouve-
ment, auxquels vous accordez vous-même le nom
d'action.
, -,
Sur l'art. 3o, ibid., pag. 9a, lig. a3.
Cet article paroît contenir une démonstration
très évidente, que le transport, ou le mouvement
local, n'est réciproque en aucune manière, à moins
qu'on ne veuille faire seulement attention au rap-
port extrinsèque des corps voisins.
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LETTRES. 25<)
Sur l'art. 36, ibid., pag. 100, lig. 3.
Je demandes! l'âme humaine, quand elle remue
violemment ses esprits par une longue et pénible
attention, ce qui ne manque pas même d échauf-
fer le corps, n'augmente point le mouvement de
l'univers ?
Sur l'art. 55, ibid.y pag. 119, lig. 29.
Un cube parfaitement dur et plan étant mû sur
une table parfaitement dure et parfaitement plane,
dans le même instant qu'on arrête son mouvement,
se réunit-il aussi fermement avec la table que les
parties du cube ou de la table le sont entre elles,
ou reste-t-il toujours divisé de la table, ou du
moins pour un temps, après le repos? Car il n'y a
aucune compression du cube vers la table, puisque
nous imaginons ce mouvement comme fait dans le
vide sur la table située hors des murs du monde
s'il étoit possible, et par conséquent dans un en-
droit où il n'y a pas lieu à la pesanteur ou à la lé-
gèreté , et que nous supposons que le mouvement
est arrêté du côté auquel tend le cube : il paroît
donc par la loi de la nature que le cube et la table
étant divisés et n'y ayant aucune action réelle qui
les unisse, il paroît, dis-je, qu'ils demeureront
touiours actuellement divisés.
Sur les art. f;6 et 57, ibid. , pag. 120 et suiv.
Je ne vois point la nécessité de tout cë jeu des
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2Ô0 LETTRES.
parties autour du corps B, et pourquoi vous faites
décrire de si grands cercles aux petites parties de
l'eau. Il suffiroit d'observer que toutes ces petites
parcelles sont égales entre elles, soit par le mouve-
ment que leur donne la matière subtile , soit par
rapport à leur masse. Car il suivra de là que le corps
B étant frappé de tous côtés par les petites parties
les plus voisines, par des lignes circulaires ou
autres, il se tiendra nécessairement en repos, n'é-
tant pas plutôt poussé d'un côté que d'un autre.
Sur l'art. 57, ibid., pag. 124, lig. 22.
Et ne continuent plus de se mouvoir selon des lignes
si droites y etc. Quoi! parcequ'au para van t elles
décrivoient une ligne presque ovale, et qu'elles
suivent présentement une ligne qui approche
davantage de la circulaire? Je ne comprends pas
bien cela.
Sur l'art. 60, ibid. , pag. 128, lig. 17.
Mais seulement quelles emploient l'agitation
qu'elles ont de reste à se mouvoir en plusieurs autres
façons. La vitesse du mouvement et sa détermina-
tion peuvent-elles donc souffrir un divorce? car
c'est la même chose que si on supposoit un voya-
geur courant qui dirigeât sa course vers Londres,
et que cependant la vitesse de sa course fut portée
vers Cantorbéry ou vers Oxford; subtilité qu'au-
cune de ces universités ne comprendra jamais, à
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LETTRES. 26l
moins que vous ne compreniez peut-être par le
mot de se mouvoir un effort de mouvement pour
tendre quelque part.
Sur l'article 16 de la troisième partie des Principes,
page i43.
Est-ce que dans le système de Ptolomée on ne
s'apercevroit pas des changements de lumière
qu'on remarque dans Vénus? un peu moins sen-
sibles à la vérité que ceux qu'on aperçoit dans la
lune.
Sur l'art. 35, îbid,, pag. i58.
D'où vient que toutes les planètes , et même les
taches du soleil, ne sont pas emportées dans un
même plan, je veux dire dans ce plan de l'éclip-
tique, ou du moins dans des plans parallèles à
l'écliptique? D'où vient pareillement que la lune
n'est pas emportée ou dans le plan de l'équaleur,
ou dans un plan parallèle à l'équateur , puisque
tous ces corps ne sont point dirigés par aucune
action intérieure, mais qu'ils sont tous entraînés
par une force étrangère ?
Sur les art. 36 et 37, ibid., pag. 160 et 161.
Je voudrois aussi que vous m'expliquassiez la
raison des aphélies, et les périhélies des planètes,
et la cause pourquoi ces points changent de lieu,
surtout puisqu'elles sont dans le même tourbillon ?
Pourquoi on ne trouvera pas dans le même lieu
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2Ô2 LETTRES.
les aphélies et les périhélies de toutes les grandes
planètes? Comment l'avance des équinoxes naît de
vos principes? car vous pourrez expliquer ici les
causes véritables et naturelles de ces phénomènes,
tandis que les autres ne donnent que des hypo-
thèses feintes.
Sur l'art. 55, ibid.9 pag. 181.
Tous les corps qui se meuvent en rond. Mais com-
ment ces espaces immenses de matière ont-ils d'a-
bord commencé à tourner en rond et à former
des tourbillons?
Sur l'art. 57, ibid., pag. 181.
Mais seulement à celte partie dont l'effet est empê-
ché par la fronde. Il paroît plus difficile à concevoir
que la pierre A soit empêchée de se mouvoir vers
D , puisqu'en effet elle n'y est jamais portée, et
qu'elle ne continueroit pas son chemin vers D, si
l'empêchement étoit ôté, car elle continueroit son
chemin vers C.
Sur l'art. 59, ibid., pag. i83.
Vous dites ici qu'une nouvelle force de mouve-
ment est acquise , et que cependant l'effort est re-
nouvelé : je ne sais si cela quadre bien ; car si une
nouvelle force est acquise et surajoutée , ce n'est
pas un renouvellement de mouvement, mais une
augmentation. Que si la boule A en se mouvant
augmente son mouvement, étant dans le même
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LETTRES. 263
point du bâton , pourquoi le mouvement en se
mouvant toujours ne s'enflamme et ne s'augmente-
t-il pas? Or, de cette manière tout seroit allé depuis
long-temps en flamme.
Sur l'art. 62, ibid.9 pag. 6a.
Puisque la pression et l'effort des globules, en
quoi consiste l'action de la lumière, se fait selon
toute l'étendue du tourbillon , de façon que la base
du triangle BFD peut être dix ou cent fois plus
grande que DB, et que les extrémités de cette
grande base BD fassent un effort oblique sur les
globules pour les pousser vers l'œil du spectateur,
qui sera au sommet du triangle en F, je vous de-
mande pourquoi la lumière du soleil ne paroît pas
plus grande que si elle ne venoit que du petit cer-
cle DCB.
Sur l'art. 7a, ibid., pag. 199.
Je n'entends point du tout la manière ou l'art
de tourner la matière du premier élément en for-
mes spirales, ou en limaçon, surtout dans les lieux
un peu éloignés de l'axe , à moins que cela ne se
fasse, non tant parceque les globules sont tournés
autour des parties du premier élément, que par-
ceque le premier élément, peut-être déjà déterminé
par les globules à tourner autour d'eux, se glissant
ensuite dans ces petits espaces triangulaires, prenne
de lui-même cette figure spirale. Je vous supplie
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2Ô4 LETTRES.
d'expliquer ici plus pleinement votre pensée. Mais
il naît de là un autre doute. Comment ces petites
parties spirales sont-elles composées de particules
très déliées et très rapidement agitées ? comment ces
parties très petites s'assemblent-elles en une forme
ou en une masse plus considérable , surtout cette
contorsion et cette obliquité du mouvement ser-
vant à former ces petites parties cannelées?
Sur l'art. 82, ibid., pag. au.
Celles qui sont plus hautes et celles qui sont plus
basses. Cette course rapide des globules d'en haut
me paroît une espèce de prodige, surtout si on la
compare avec celles de ceux qui sont au milieu ,
et qu'on fasse réflexion qu'elle excède de beaucoup
les causes que vous apportez dans l'article suivant.
Si vous pouvez trouver quelque autre chose qui
rende cette doctrine plus recevable, vous me ferez
certainement un grand plaisir de me l'apprendre.
Sur l'art. 84, ibid., pag. 214.
Pourquoi les queues des comètes , etc. Dans l'im-
patience où je suis d'avoir vos explications sur tou-
tes ces matières, je me saisis de la première oc-
casion que je trouve pour vous pousser à le faire :
je vous prie de vouloir bien m'expliquer pareille-
ment cette matière en deux mots.
Sur l'art. 108, ibid., pag. 239.
Ou bien sont chassées vers les parties du ciel qui sont
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LETTRES. 265
proches de l'écliptique GH. D'où vient qu'elles n'y
sont presque pas toutes chassées, plutôt que de
composer ce que vous appelez un tourbillon , en
passant d'un pôle à un autre?
Sur l'art. 121, ibid., pag. 260.
Et cette détermination peut être continuellement
changée par diverses causes. Par quelles?
s
Sur l'art. 129, ibid., pag. 260.
Et même nous ne pouvons l'y apercevoir que
quand, etc. Pourquoi le flux de cette matière étant
si transparent empêche-t-il la comète d'être aper-
çue? car la matière de notre tourbillon ne cache
pas à nos yeux la planète de Jupiter; et pourquoi
est-il nécessaire que la planète n'en sorte qu'enve-
loppée de la matière du tourbillon qu'elle vient
de quitter ?
Sur l'art. i3o, ibid., pag. 272.
La force des rayons est véritablement diminuée.
Pourquoi pas entièrement perdue, si le tourbillon
ÀEIO presse avec plus de force ou également les
tourbillons voisins qu'il n'en est pressé ?
Sur l'art. iflg, ibid., pag. 3oo.
Elle a dû venir bientôt vers A, etc. Pourquoi n'a-
vance-t-elle pas jusqu'à F, et ne heurte-t-elle pas
même la terre ?
Parcequ'en cette façon le cours quelle a pris a été
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266 LETTRES.
moins éloigné de la ligne droite. Je ne vois pas bien
que la ligne NA continuée avec AB forme plutôt
une ligne droite que la même NA continuée avec
AD; mais puisque la lune s'éloigne du centre S
selon le cours des globules de la matière éthérée ,
elle doit plus naturellement selon moi s'élever vers
B que de descendre vers D.
Sur l'article 11 de la quatrième partie des Principes,
page 3a6.
Et que la terre n'a pas de soi-même la force qui
fait qu elle tourne en vingt-quatre heures sur son es-
sieu, etc. Je ne vois pas qu'il soit nécessaire de
savoir d'où vient ce mouvement circulaire, pourvu
qu'il soit dans la terre; et je ne comprends pas
pourquoi ces mouvements circulaires et si prompts
de la terre ne repousseroient pas vers les cieux
toute la matière qui l'environne, quand même son
mouvement ne lui seroit pas propre; mais qu'il lui
viendroit de la matière céleste interne, si l'agita-
tion de la substance éthérée qui l'entoure, et à qui
vous accordez un mouvement plus rapide, ne l'em-
pêchoit de le faire : et il me semble qu'il ne faut
pas considérer la terre comme un corps en repos
par rapport à l'effort continuel de ses parties pour
s'éloigner du centre. Cela paroît nécessaire en tout
corps mû circulairement; mais la terre peut être
dite en repos en tant qu'elle est emportée avec la
substance éthérée qui l'entoure, et que leurs su-
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LETTRES. 267
icies ne sont point séparées. Je dis ceci pour
savoir de vous si la raison pour laquelle les parties
de la terre ne sont point élancées de tous côtés
ne doit point être attribuée à la seule vitesse du
mouvement des parties de la matière éthérée.
Sur l'art. a5, ibid., pag. 329.
Elles ont quelque légèreté à came du mouvement
de leurs parties. Que pensez-vous donc du fer qui
est froid, et de celui qui est chaud, lequel pèse
davantage? Outre cela, comment une certaine quan-
tité d'eau est-elle plus légère à cause du mouvement
des parties , puisque le mouvement de ces parties
est enfin déterminé en bas par les globules? car on
doit juger que la pesanteur d'un corps est d'autant
plus grande que sa chute est plus rapide ; et ainsi
l'eau seroit plus pesante que l'or.
Sur l'art. 27, ibid., pag. 33a.
A moins peut-être que quelque cause extérieure* etc.
Quelles sont ces causes? Faites-moi la grâce de me
le dire en deux mots.
Sur l'art. i33, lig. la, ibid., pag. 443.
Pensons qu'il y a en la moyenne région plusieurs
pores ou petits conduits parallèles à son essieu. Le
mot de parallélisme me fait souvenir ici de quel-
ques difficultés presque insurmontables. 1 . Pour-
quoi vos tourbillons ne sont-ils pas en forme de
colonne ou de cylindre plutôt que d'ellipse, puis*
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268 LETTRES.
que chaque point de Taxe est comme un antre
duquel la matière céleste se retire, et, autant qu'il
me le semble, avec un mouvement entièrement
égal : d'ailleurs (puisqu'il faut partout que les glo-
bules s'écartent de l'axe avec une force égale) pour-
quoi le premier élément n'est-il pas également
étendu tout le long de l'axe en forme de cylindre,
plutôt que d'être repoussé presque vers le milieu
de l'axe, et d'y être ramassé en forme de globe ; car
ce qui entre du premier élément par les deux pôles
du tourbillon n'empêche point que tout l'axe ne
doive paroître lumineux; en effet, comme les glo-
bules s'éloignent avec une force égale de tous les
points de l'axe, les courants de la matière très sub-
tile, qui entre avec impétuosité, trouveront beau-
coup plus de facilité à se glisser les uns sur les au-
tres pour arriver aux pôles opposés , qu'à se former
et à se creuser en quelque endroit de l'axe un es-
pace plus grand que le tournoiement actuel et uni-
forme du tourbillon ne pourroit leur permettre et
leur céder.
2. Enfin , comme les globules célestes sont em-
portées autour de l'axe du tourbillon d'une ma-
nère parallèle à l'axe et à eux-mêmes , et ne per-
dent point le parallélisme lorsqu'ils changent en
quelque façon de lieu entre eux , il paroît impossible
qu'il se fasse absolument aucune contorsion des
parties cannelées, si ces parties cannelés ne tour-
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LETTRES. 269
nent autour de leurs propres axes dans ces espaces
triangulaires ; or je ne vois pas que cela se puisse
faire commodément , comme j'ai dit ci-dessus.
Sur l'art. 187, ibid., pag. A99.
On ne remarque aucuns effets de sympathie ou
d'antipathie si merveilleux, etc. Plût à Dieu que
vous expliquassiez ici , si cela se pouvoit faire en
peu de mots, par quelle raison mécanique il arrive
que si, de deux cordes de divers instruments qui sont
ou à l'unisson , ou à cet intervalle que les musi-
ciens appellent tempéré, Ton en touche une
l'autre trémousse dans un autre instrument tan-
dis que celles qui sont plus proches et même qui
sont tendues dans le même instrument où la corde
a été ébranlée ne se remuent point du tout. Aucune
sympathie ne me paroît plus difficile à expliquer
mécaniquement que cet accord des cordes , ce qui
•
est une expérience vulgaire et très commune.
Sur l'art. 188, ibid., pag. 5o2.
L'autre touchant celle de l'homme , etc. Continuez,
monsieur, à éclaircir et à achever cette matière.
Je suis très persuadé qu'on n'a jamais rien mis au
jour qui soit plus agréable et plus utile à tous les
savants. Vous ne devez pas vous excuser sur le dé-
faut d'expériences; car pour ce qui regarde votre
corps , j'ai appris par des auteurs dignes de foi
que vous avez examiné avec une exactitude in-
2")Q LETTRÉS.
finie tout ce qui regarde Panatomie du corps hu-
main. Pour ce qui regarde lame, vous en avez
reçu une en partage dont les opérations sont si
lumineuses, et dont la vivacité et l'égalité sont
telles, que par le seul secours de cette force et vi-
gueur céleste , comme par un feu chimique , elle
se changera en toutes les formes , et tiendra lieu
d'une infinité d'expériences.
Sur l'art. ip5, ibid., pag. 5io.
Comme j'ai déjà expliqué dans les Météores. Vous
avez certainement donné une très belle raison des
couleurs dans les météores. Il reste pourtant là-des-
sus une méchante difficulté qui embarrasse beau-
coup mon imagination; car, disant que la variété des
couleurs naît de la proportion qu'a le mouvement
circulaire des globules au mouvement rectilinaire,
il arrivera nécessairement que quelquefois dans les
mêmesglobules le mouvement circulaire surpassera
en même temps le rectilinaire , et le rectilinaire le
circulaire. Par exemple , dans deux murailles op-
posées, dont l'une est teinte en rouge et l'autre eu
bleu , les globules qui sont entre seront mus plus
vite en cercle qu'en ligne droite à cause de la mu-
raille rouge , et plutôt en ligne droite qu'en cercle
à cause de la muraille bleue, et tout cela en même
temps , ce qui ne sauroit arriver. Ou bien de cette
autre manière : dans la même muraille dont , si
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LETTRES. 271
vous voulez, la partie droite est rouge, celle du
milieu noire , et la gauche bleue ; comme il se fait
toujours un croisement par rapport à l'œil , tous
les globules , à cause du concours des rayons f
prendront la proportion du mouvement de chaque
globule en particulier, c'est-à-dire du circulaire au
droit , en sorte qu'il est nécessaire que toutes les
couleurs se mêlent au fond de l'œil , et qu'elles s'y
confondent ; et je ne saurois inventer aucune ma-
nière de lever cette difficulté , à moins qu'il ne
faille peut-être supposer que le mouvement cir-
culaire n'est pas un mouvement plein , mais une
tendance au mouvement circulaire , comme il ar-
rive en effet dans le mouvement droit des mêmes
globules. J'aurois bien pu de moi-même donner
une solution telle quelle à presque toutes les dif-
ficultés que je vous ai proposées; mais votre bonté
m'ayant permis de vous les exposer, et y ayant été
invité par-dessus cela par cette dextérité admirable
que vous avez à résoudre ces difficultés , et que j'ai
reconnue dans vos dernières lettres (car, bien que
je voie que vous avez été fort court dans vos ré-
ponses, à cause du peu de temps que vous aviez ,
cependant vous me satisfaites si pleinement, et
vous me fortifiez aussi bien dans mes pensées
que si j'étois animé par votre présence , et que
vous-même montrassiez les choses au doigt; ajou-
tez à cela que vos explications auront plus de poids
LETTRES.
auprès de moi , et auprès des autres dans le be-
soin ) ; j'ai donc cru qu'il étoit de mon intérêt de
vous proposer toutes ces difficultés : après votre
décision, j'aurai, si je ne me trompe, une connois-
sance parfaite de tous les principes de votre phi-
losophie. Vous ne sauriez croire combien j'estime
ce bonheur; et lorsque vous m'aurez servi de
sphinx sur ces questions , ce qui me sera d'autant
plus agréable que vous le ferez plus prompte-
ment , à cause de la passion extrême qui me porte
à vos ouvrages , vous recevrez sur la dioptrique
les autres difficultés qui vous seront proposées
par le plus affectionné de votre philosophie. Je
suis , etc.
LETTRE DE M. MORUS
A M. DESCARTES.
(Lettre 71 du tome I. Version.)
Monsieur,
Je ressens une douleur bien vive de ce qu'on
vous a enlevé si subitement de notre voisinage, et
qu'on vous a emmené en un pays si éloigné : mais
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LETTRES. 27.I
pour ne vous rien déguiser, j'ai de quoi adoucir
ce déplaisir et cette tristesse, et de quoi me con-
soler moi-même; en effet, ce n'est pas un petit
avantage pour vous que les nations les plus recu-
lées aient rendu un tel honneur à votre mérite ,
et que 1 éclat de votre réputation ait pénétré avec
tant de force jusqu'aux sombres climats et aux
brouillards épais du septentrion; et ce qui est le
plus important , que ce n'ait pas été sans fruit ,
puisque l'amour des belles - lettres et de ceux qui
les cultivent a fait une si forte impression sur le
cœur généreux de la sérénissime reine de Suède ,
cette illustre héroïne, que, non contente de vos
écrits et de votre réputation, elle n'a cessé de vous
engager par ses lettres d aller la voir , jusqu'à ce
qu'elle ait été au comble de ses vœux : empresse-
ment qui ne manquera pas de tourner, comme je le
crois, à l'avantage et à l'ornement de son royaume.
Ces considérations m'ont fait supporter, je vous
l'avoue, avec moins d'impatience votre départ, et
en même temps la perte de cette lettre si désirée
que j'attendois , comme vous l'aviez promis, avant
votre départ. Bien loin de renoncer à l'espérance
que j'avois conçue de la recevoir, j'ai au contraire
une ferme espérance que non seulement vous ho-
norerez d'une de vos réponses celle que je vous
ai écrite auparavant , mais encore les présentes dès
que vous les aurez reçues. Plein de cette confiance,
10. 18
LETTRES.
je passe à votre Dioptrique, pour venir ensuite aux
Météores, s'il y a quelque difficulté qui m'y arrête,
afin que je puisse décharger une fois pour toutes
mon esprit de tout ce que j'avois résolu de vous
proposer pour mon avantage. J espère par là qu'a-
près avoir fait de ma part tout ce qui étoit en moi,
je me procurerai une plus grande tranquillité, et
que je serai délivré de bien des doutes.
Sur la Dioptrique, discours 2, page 20, ligne 24 ,
figure 7 , planche 1 .
A cause que cette toile ne lui est aucunement op-
posée en ce sens-là. Il me paroît que la toile CE s'op-
pose en quelque façon à la balle B, même par
rapport à la détermination qui la fait tendre vers
la main droite; ce que je prouve ainsi :
GH est opposé à plein à la balle B, et l'em-
pêche entièrement de s'avancer tant du côté HE
que du côté IE, c'est-à-dire vers le bas; car?
comme CE ne diffère de GH, qui est opposé
à plein au mouvement vers HE , que de la quan-
tité de l'angle HBE, ou GBC, il est manifeste
que CE, dans la position qu'on lui donne, s'op-
posera toujours avec une certaine force au mou-
vement de la balle vers HE ; nous en serons con-
vaincus davantage si nous supposons que CE est
une superficie d'argile fort molle , et qu'une balle,
si vous voulez de cuivre , est poussée d'A vers B :
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f
LETTRES. 275
elle s'enfoncera un peu dans l'argile , mais elle
perdra tout d'un coup tout son mouvement, tant
vers HE que vers CE , ce qui n'arriveroit point si
la balle étoit poussée selon la ligne CBE; elle s'a-
vanceroit vers HE sans aucun embarras, surtout si
nous imaginons que cette balle n'a aucune pesan-
teur: donc la superficie CE s'oppose à la balle qui
vient de A vers B par rapport à la détermination
qui la porte vers HE, ce qu'il falloit démontrer.
Ibid. , page 1 1 , lig. 1 .
Car puisqu'elle perd la moitié de sa vitesse. Je
veux bien qu'elle perde quelque degré de vitesse,
mais je ne puis comprendre, ce que vous suppo-
sez dans cet article et dans le suivant, que ce de-
gré de vitesse n'est perdu que par rapport à
CE et non par rapport à FE; car, comme cette
balle n'a qu'un mouvement réel, quoique nous
puissions l'imaginer composé de plusieurs détermi-
nations différentes, si ce mouvement est diminué,
quelque part que la balle s'avance , son mouve-
ment sera plus lent après cette diminution. Ainsi
ce qui porte la balle en I , et non point en D, n'est
pas son plus ou moins de vitesse , mais la résis-
tance qui est plus forte dans le grand angle CBD,
et plus petite dans l'angle EBD, parceque la pointe
de l'angle aigu EBD, jointe à la fluidité du liquide ,
doit moins résister à la balle que la pointe émous-
iS.
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LETTRES.
sée de l'angle CBD ; sans cela, s'il falloit avoir re-
cours au plus ou moins de vitesse, la balle qui est
poussée de A vers B seroit portée vers D : vous
n'avez qu'à considérer pour cela votre figure de la
Dioptrique s'il est besoin.
Sur le Discours 2 de la Dioptrique, page 22, lig. 24.
Mais si elle est poussée suivant une ligne , comme
AB , qui soit si fort inclinée sur la superficie de
Veau , ou de la toile CBE, que la ligne FE étant
tirée , etc. Il faut avouer qu'il y a beaucoup de sub-
tilité dans votre manière de montrer le chemin
que doit tenir cette balle ; mais il me paroît
que vous n'arrivez point au but. La véritable
et unique cause que vous auriez dû rapporter
est la grandeur de l'angle CBD, la petitesse de
l'angle EBD, et la grosseur de la balle, qui, pour
se réfléchir en l'air vers L,doit d'autant moins faire
baisser la ligne AB vers CE que sa grosseur est
plus grande ; car une grosse balle a plus de peine
à ouvrir et écarter la pointe d'un angle aigu qu'à
la froisser en se réfléchissant.
Ibid. page 23, lig. i3.
Qui augmente la force de son mouvement. L'aug-
mentation du mouvement ne sert à rien pour
détourner la balle , s'il ne se rencontre quelque
corps qui , par sa position , en change la détermi-
nation ; ce qui arrive ainsi , selon que je me 11-
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LETTRES. 277
magine, surtout dans un lieu que vous dites ad-
mettre plus facilement les rayons de la lumière ,
tel qu'est le cristal , le verre , etc. Comme dans ces
matières la pointe de l'angle EBD est si dure et
si inflexible quelle ne peut céder , le rayon qui
tombe sur le sommet incliné de cet angle, dont la
matière est si serrée, se détourne de la ligne droite,
et est chassé dedans en s'a p prochant de la per-
pendiculaire; ainsi ces deux réfractions me pa-
roissent une véritable réflexion commencée; or,
comme dans une véritable et libre réflexion il
n'arrive de changement que dans la détermina-*
tion, et non dans la quantité du mouvement, il
paroît qu'il ne faut pas avoir recours ici au plus
ou au moins de vitesse pour diminuer ou chan-
ger la détermination : donc la seule détermination
diminuée ou augmentée suffit pour les deux réfrac-
tions ; car quand la balle B est arrivée à la super-
ficie CE , elle ne se détourne point de son chemin
parcequ'elle a plus ou moins de vitesse , mais
parcequ'elle tombe sur un corps qui change la
détermination , car autrement, s'il n'y a qu'une vi-
tesse plus ou moins grande, la balle, après avoir
passé de A en B , iroit en D.
C'est pourquoi dans la première réfraction, où
la balle s'éloigne de la perpendiculaire, sa déter-
mination vers le bas est diminuée, et si elle perd
du mouvement , c'est par accident , à cause de la
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278 LETTRES.
mollesse du milieu qui résiste ; dans la seconde ,
où la balle s'approche de la perpendiculaire, sa
détermination vers le bas est augmentée; si elle
acquiert de la vitesse, c'est par accident, à cause
qu'elle pénètre un nouveau milieu qui lui donne
un passage plus libre. La cause et le changement
de la détermination sont donc nécessaires pour
les deux réfractions, comme pour la réflexion, et
le plus ou moins de vitesse ne sont qu'accessoires,
et même entièrement inutiles pour ces effets ;
même il est difficile d'imaginer la cause qui donne
à la balle un nouveau degré de vitesse , quand
elle passe dans un milieu plus aisé; car tout ce
que ce milieu peut faire , c'est de laisser à la balle
toute la célérité qu'elle avoit eue, ne recevant par la
communication aucune partie de son mouvement,
mais il ne peut lui rien donner de nouveau ; et il
me paroît qu'il seroit aussi absurde de dire que
la balle, quand elle entre dans un milieu plus aisé,
acquiert de nouveaux degrés de vitesse, soit par
pure libéralité, soit, si vous l'aimez mieux , par
restitution de ceux qu'elle avoit perdus , que d'ac-
corder qu'il y a un instant de repos dans le point
de la réflexion, ce que vous avez eu raison de re-
jeter dans l'art. 2 de ce discours.
Discours G de la Dioptrique, page 61, lig. 6, fig. 19, pl. 14.
Mais seulement de la situation des petites parties
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LETTRES. 279
du cerveau d'où les nerfs prennent leur origine.
Ces petites parties sont-elles visibles dans quelques
parties du cerveau, ou les supposez-vous seule-
ment par une simple conjecture? Pour moi, il me
paroît qu'on peut s'en passer , mais que les mêmes
organes qui transmettent le mouvement font con-
noître nécessairement à l'âme d'où vient cette
transmission, s'il ne se trouve en chemin aucun
empêchement.
Ibid., page 64 , lig. 19.
Un raisonnement tout semblable à celui que font
les arpenteurs , lorsque par le moyen de deux diffé*
rentes stations ils mesurent des distances inaccessi-
bles. Cette comparaison me paroît obscure, pour
ne pas dire un peu forcée ; je n'y vois rien de com-
mun que ces deux stations : caries géomètres, ou,
si vous l'aimez mieux, les géodètes, prennent leurs
stations sur une ligne droite tirée depuis quelque
arbre ou quelque tour, et l'œil prend les siennes
en changeant de place sur une ligne à peu près
parallèle à l'objet. Il me paroît que c'est tout ce
qu'on peut déduire de cette comparaison.
Ibid., page 66, lig. 6.
Leur grandeur s'estime par la connoissance ou
l'opinion qu'on a de leur distance. Il seroit très
difficile de donner une raison exacte de la grandeur
apparente des corps ; mais je crois que le jugement
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9.80 LETTRES.
que nous en portons dépend principalement de
la grandeur ou de la petitesse de l'angle où les
rayons se croisent : plus cet angle est grand , plus
l'objet paroîtra grand ; plus il est petit , plus l'objet
paroîtra petit : de plus , ce qui mérite attention , si
vous approchez de votre œil quelque objet, par
exemple votre pouce, à la distance d'une ligne ,
l'angle où les rayons se croisent sera quatre ou
cinq fois plus grand que si votre pouce étoit
distant de l'œil de dix lignes. Si vous l'éloignez
encore de quelques dizaines de lignes , l'angle di-
minuera, mais en moindre proportion, jusqu'à ce
qu'il devienne si petit, qu'on puisse le confondre
avec une seule ligne droite: c'est pourquoi per-
sonne ne doit être surpris si son pouce lui paroît
beaucoup plus grand quand il n'est éloigné de
son œil que d'une ligne, que quand il est éloigné
de dix ; et si après cela il paroit toujours à peu
près de la même grandeur, quoiqu'il 1 éloigne de
trente, quarante lignes, et même davantage, cepen-
dant il peut si fort l'éloigner qu'il ne paroîtra plus,
car l'ouverture de l'angle peut être plus petite que
le diamètre d'un des filaments du nerf optique.
Mais je ne comprends pas ce que peut produire
en cela l'opinion de la distance comparée à la
grandeur de l'image de l'objet, comment l'œil ou
l'âme peuvent faire cette comparaison; mais il
m'est aussi aisé d'expliquer que de concevoir conv
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LETTRES. 28l
ment , par le moyen de l'angle où les rayons se
croisent, nous jugeons de la grandeur des corps.
Soient H, I et R, L, le fond de deux yeux,
d'un grand et d'un plus petit, CD le plus grand
objet, mais plus éloigné; EF le plus petit objet,
mais plus voisin; EGF, ou RGL, l'angle où les
rayons se croisent : d'abord j'établis qu'il y a un
effort ou une transmission de mouvement de O
en L, et de D en R, et que ma réflexion, se prome-
nant sur la ligne droite RGFD, parvient à D , ex-
trémité de l'objet CD, dans la place où il est véri-
tablement; tandis que, par une autre ligne droite
LGEC, elle parvient à l'autre extrémité G, dans
l'endroit où elle est véritablement: autant en est-
il de toutes les parties de l'objet CD. Je dis donc
que c'est par cette course de ma réflexion que je
découvre la grandeur de l'objet qui est devant mes
yeux, et que la mesure de son diamètre apparent
est l'angle Egf. Je dis pareillement que si l'on
conserve les mêmes lignes droites que parcourt
ma réflexion, et la même ouverture de l'angle à
l'égard de l'œil HI, l'objet DC doit lui paroître
aussi grand qu'à l'œil RI : d'où je conclus ensuite
que la grandeur apparente de l'objet dépend non
de la grandeur de l'image , mais de la grandeur de
l'angle où les rayons se croisent. Enfin, de même
que la grandeur apparente de l'objet ne vient pas
de la grandeur de l'image peinte au fond de l'œil,
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282 T.ETTR ES.
puisque le petit objet Ef peint, soit dans l'œil Hi,
soit dans l'œil Kl, une image d'égale grandeur à
celle du grand objet Cd , ainsi elle ne vient pas
de la grandeur de l'angle formé par la rencontre
des rayons, autrement l'objet Ef paroîtroit aussi
grand que Cd, cet angle étant le même pour les
deux; mais en retirant le petit objet Ef, Cd pa-
roîtra beaucoup plus grand que ne paroîtroit EEf ,
quoiqu'on les vît tous deux sous un même angle,
d'où l'on conclura avec raison que la grandeur
apparente d'un objet vient en partie de la gran-
deur réelle de l'objet. Il n'est pas non plus sur-
prenant que ma réflexion, qui se promène sur ces
lignes formées par l'effort ou par la transmission
du mouvement, pénètre et s'arrête où le mouve-
ment a commencé , c'est-à-dire en c et en d, et
qu'ils paroissent plus distants que E et f , puisqu'en
effet ils sont plus éloignés que Ef , et qu'on ne les
voit point sous un angle plus petit, et qu'enfin
tout l'objet Cd paroisse simplement plus grand
que tout l'objet Ef.
Jbid. , page 68, lig. 18.
De plus , a cause que nous sommes accoutumés de
juger, etc. Que pensez vous donc de l'aveugle-né
que Jésus-Christ guérit? Si on lui eût présenté un
miroir plan avant qu'une mauvaise habitude eût
dépravé son jugement, auroit-il vu son visage en-
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LETTRES. 283
deçà du miroir, et non au-delà ou derrière? Ce
petit jeu de l'image derrière le miroir, dont j'avoue
que je ne connois pas jusques ici le manège, a
donné de terribles entraves à mon imagination ;
car je ne me contente point de cette mauvaise
habitude de jnger. Vous me feriez grand plaisir de
faire agir pour cela la bonne mécanique, et de
m'en faire part quand vous l'aurez découverte.
Jbid., page 70, lig. a 8.
*
// suit de là que leur diamètre , etc. Qui empêche
que le diamètre du soleil ou de la lune ne nous
paroisse d'un ou de deux pieds au plus, à cause de
l'angle formé par la rencontre des rayons, et ne di-
minue d'une manière propre à nous faire paroître
à cette distance des corps de la grandeur réelle
du soleil ou de la lune , sans une image d'un ou
deux pieds ?
Jbid. y page 71, lig. 11.
Car ordinairement ces astres semblent plus petits
lorsqu'ils sont fort hauts vers le midi, etc. Donc le
soleil et la lune paroissent plus grands près de
l'horizon qu'ils ne devroient, eu égard à leur
distance ; et moi je dis qu'une grandeur apparente,
soumise à des lois constantes, doit plutôt être ap-
pelée véritable et non trompeuse, que celle qui dé-
pend de quelques circonstances étrangères et va-
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384 LETTRES.
Sur le Discours 7 de la Dioptrique, page g3, lig. 23.
Si ce n'est peut-être de fort peu en la renver-
sant, etc. Quel est cet art de renverser? et pour-
quoi n'en dites-vous rien ?
Sur le Discours 8 de la Dioptrique, page 220, lig. 6.
Ou parallèles de divers côtés. Je ne comprends
point ces rayons parallèles de plusieurs divers
côtés, car je ne vois rien d'approchant dans votre
figure 120 de la Dioptrique, c'est pourquoi je
vous prie de vous expliquer plus nettement. Si je
n'ai pas l'esprit bouché , ce que vous avez mis
à la fin de cet article n'est guère plus clair :
vous parlez des rayons qui se croisent en tra-
versant les deux verres convexes DBQ , et dbq ;
dans votre édition françoise vous renvoyez en
marge à la page 108, c'est-à-dire à la figure
qui est à la page 112 de la nouvelle édition.
Pour moi , je ne vois pas que les rayons se
croisent dans ces verres , mais seulement au-
delà en I, qui est leur foyer commun; il paroît
que tous ces rayons gardent un grand parallé-
lisme, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la su-
perficie convexe des deux verres BD, bd; c'est
là qu'ils se courbent pour se croiser en I, et non
ailleurs; au lieu que vous dites que ces rayons
se croisent deux fois dans ces deux verres : pre-
mièrement, dans la superficie DBQ ; secondement,
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LETTRES. 285
dans la superficie dbq. Quelle superficie enten-
dez-vous, la plane ou la convexe? Est-ce la même
dans tous les deux verres? Vous ajoutez : du moins
les rayons qui viennent de différentes parties. Qu'est-
ce que venir de différentes parties? Entendez-
vous parties opposées, car les parallèles qui par-
tent du même objet peuvent être dits venus de
différentes parties? Tirez-moi de ces ténèbres.
Sur le Discours 9 de la Dioptrique , page 1 36 , fig. 9.
Pourceque d'autant que ces lunettes font que
les objets paroissent plus grands , d'autant en peu-
vent-elles faire moins voir à chaque fois. Puisque
ces lunettes plus parfaites ont une plus grande
ouverture du côté du verre extérieur, qui par con-
séquent reçoit de l'objet plus de rayons parallèles
que les imparfaites qui ont cette ouverture grande ,
et la convexité de ce verre renvoyant tous ces
rayons au fond de l'œil, d'où vient qu'il ne se peint
pas dans cet œil un plus grand nombre d'objets ,
comme il s'y peint de plus grandes images ?
Sur le Discours 10 de la Dioptrique, page 149, Iig. 11.
Sera une hyperbole toute semblable , et égale à la
précédente. Vous supposezdoncque toutes les hyper-
boles dont les foyers sont également distants des
sommets, quoique les unes ayant été décrites par le
moyen du cône , et les autres avec la corde et la
règle , ont néanmoins les mêmes propriétés , et
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286 LETTRES.
même vous supposez cette égalité de distance des
sommets. Quoique je n'aperçoive en tout cela au-
cune fausseté, vous auriez dû cependant le démon-
trer, puisque c'est le fondement de la machine que
vous allez expliquer : si vous voulez en prendre la
peine vous me ferez plaisir , pourvu que cela soit
aisé à comprendre, sinon j'aime mieux en croire
un aussi grand homme que vous, que de donner
la torture à mon esprit pour en venir à bout.
lbid.y page i57, lig. i3.
Car il doit avoir un tranchant et une pointe. Passe
qu'il y ait un tranchant : mais comment aura-tii
une pointe, surtout puisque le tranchant de cet
outil doit être fabriqué droit , et non concave , car
de cette façon il seroit sphérique ? Si ce tranchant
peut faire quelque chose vers l'extrémité de la
roue , il ne servira à rien vers le milieu ; car il sera
trop grand pour pouvoir y entrer, c'est pourquoi
la pointe de cet outil ne touchera point la matière
voisine du centre de la roue.
Jbîd., page i58, lig. 8.
Doit être si petite , que lorsque son centre est vis-
à-vis de la ligne 55 de la machine quon emploie à
la tailler, la circonférence ne passe pas au-dessus de
la ligne 12 de la même machine. N'est-ce point à
cause que pour lors la superficie concave du verre
deviendroit sphérique et non hyperbolique.
Digitized by Google
LETTRES. 287
Ibid., page 16a, lig. 26.
Pour obliger quelques uns des plus curieux et des
plus industrieux de notre siècle à en entreprendre
l'exécution. Je voudrois savoir si quelque ouvrier
industrieux, a essayé d'exécuter ce projet ingénieux ,
et quel en a été le succès. Quant à ce qu'on dit
ici , que quelques uns l'ont tenté inutilement , je
n'en crois rien , ou ces ouvriers n'étoient que de
simples artisans. Voici quelques difficultés que j'ai
aussi trouvées dans vos Météores , mais elles sont
en petit nombre et peu considérables.
Discours premier des Météores, page 167, lig. 27.
Et contre la terre que vers les nuées. Ce que vous
dites des rayons du soleil , tant droits que réfléchis;
mais je ne vois pas comment les rayons droits peu-
vent augmenter , si ce n'est qu'étant réfléchis ils
sont renvoyés une seconde fois vers la terre: pour
lors ce ne sont pas seulement des rayons droits,
mais des rayons droits joints avec des réfléchis.
J'ai encore une bien plus grande peine par rap-
port à la réflexion que vous donnez à ces rayons.
La philosophie ordinaire nous en rend une raison
très simple : le rayon solaire se remplit comme
un fil, d'où résulte nécessairement l'augmentation
de la chaleur , ce qui ne peut avoir lieu dans vos
Principes; selon vous, ce n'est plus un fil qui se
plie en double, mais une balle qui réfléchit. Mais
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288 LETTRES.
comment prouverez-vous l'augmentation de la cha-
leur portée au double quand la balle descend de A
en B? Elle décrit une ligne par son mouvement ,
et cette ligne n'est plus quand la balle se dispose
à remonter de B en D ; nous n'avons donc qu'une
ligne de mouvement qui ne peut doubler la cha-
leur : au contraire la chaleur diminuera dans l'air
voisin de la terre , puisque le globule ou la balle
communique quelque chose de son mouvement
aux particules terrestres qui l'environnent ; c'est
pourquoi le mouvement sera plus lent en BD qu'en
AB; il faut donc que vous expliquiez pourquoi
l'air s'échauffe plus contre la terre que vers les
nues, et s'il ne peut faire que, quoique le mou-
vement soit plus lent contre la terre que vers les
plus hautes régions de l'air, on y sent cependant
une plus grande chaleur , à cause de l'inégalité de
ce mouvement.
Discours 7 des Météores , page 268 , lig. 1 .
Mais aussi les plus basses demeurant fort rares.
Si les nues inférieures sont si rares ou si peu
compactes , comment peuvent-elles recevoir les
plus hautes qui tombent sur elles , et les arrêter ?
Il paroît au contraire qu'elles sont si minces ,
qu'elles devroient être entraînées à terre avec les
dernières, si celles-là avoient déjà pris ce che-
min-là.
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LETTRES. 289
Ibid. , page 268 , lig. 9.
A cause de la résonnance de l'air, etc. C'est l'o-
pinion de Paracelse, que le bruit affreux du ton-
nerre vient des voûtes du ciel ; c'est ainsi qu'on
entend un grand bruit lorsque quelqu'un décharge
une arme à feu dans une salle voûtée; mais pour
vous qui ne reconnoissez ni voûte ni plafond au-
dessus de l'air , vous devez trouver plus vraisem-
blable que plus le coup est éloigné de la terre ,
plus il doit être foible , le bruit étant d'autant
moins sensible qu'on est éloigné des corps qui
l'ont produit.
Discours 9 des Météores, page 3oi, lig. 3o.
Car il ne se réfléchit de sa superficie que peu de
rayons. Voulez-vous donc que le petit nombre de
rayons produise le bleu? Vous ne serez pas d'accord
avec ce que vous avez dit d'abord : vous avez dit plus
hau t que les couleurs sont produites par la différente
proportion qui se trouve entre leur mouvement en
ligne droite, et le tournoiement sur leur propre cen-
tre, et particulièrement quelebleuparoît quand les
globules tournoient moins vite sur leur centre, eu
égard à leur mouvement en ligne droite. Présente-
ment vous avez recours au petit nombre des rayons;
jevoudrois donc savoir si vous pensez qu'il n'y a au-
tre cause des couleurs que celle que vous avez si
ingénieusement expliquée ci- dessus , ou si vous
10. 19
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29O LETTRES.
croyez qu elles peuvent être encore produites d'au-
tre façon sans aucun égard au tournoiement et au
mouvement direct des globules , surtout puisque
vous avancez que l'eau de la mer paroît bleue à
cause du peu de rayons qui sont réfléchis ; et
certes il n'est pas aisé de dire pourquoi la mer ne
paroît pas blanche ou rouge , lorsque les globules
viennent à frapper sa superficie, puisque ces glo-
bules y trouvent quelquefois plus de résistance
que dans l'air chargé de vapeurs , qui vous paroît
blanc pour lors.
Voilà, monsieur, tout ce que j'avois à vous pro-
poser sur vos écrits de physique, et qui m'a paru
ou difficile à comprendre ou dont la vérité souf-
friroit quelques difficultés; sur quoi vous aurez
sujet d'être surpris du caractère et du tour de mon
esprit, qui, entrant assez à fond dans tout le reste
de vos écrits, où se trouvent cependant bien des
choses plus difficiles que celles qui l'arrêtent en
plusieurs endroits, n'a pas la même pénétration
pour ce dont je vous demande l'explication, ou
que je vous prie de fortifier par de nouvelles
preuves. Quelques efforts que j'aie faits pour cor-
riger cette disposition de mon esprit , que j'ai re-
marquée dès mon enfance, je veux dire de sur-
monter souvent très heureusement les choses les
plus difficiles , et d'être arrêté par les plus petites,
je n'ai pourtant jamais pu en venir à bout. J'espère
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LETTRES. 291
que votre bonté excusera ce qu'il ne m'est pas pos-
sible de corriger, et qu'elle n'imputera ni à une
ignorance affectée ni à une sotte démangeaison
de disputer tant de difficultés que j'ai entassées
les unes sur les autres ; car je ne l'ai pas fait par
un désir effréné de disputer, mais par un zèle re-
ligieux pour tout ce qui vient de vous.
Cest moins dans le désir d'obtenir la victoire ,
Qne par le zèle ardent d'acqnérir votre gloire.
Comme le dit élégamment le poète, et comme
je le répète dans la dernière sincérité.
Au reste, monsieur, je vous prie de prendre en
bonne part tout ce que je vous ai écrit, et d'y
faire réponse à votre loisir : si vous me faites cette
grâce, vous aurez la consolation d'avoir rendu très
savant celui qui a été jusques ici le plus fidèle par-
tisan de votre philosophie. Je suis , etc.
A Cambridge, do collège de Christ, le ai octobre 1649.
(Lettre 72 du tomel.)
Ce qui suit a été trouvé parmi les papiers de M. Descartes ,
comme un projet ou commencement de la réponse .qu'il
préparoit aux deux précédentes lettres de M. Morus.
J'étois sur mon départ pour le voyage de Suède,
lorsque je reçus votre lettre datée du 25 juillet, etc.
'9-
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2()2 LETTRES.
- l« Si le sentiment dans les anges est proprement
un sentiment, et s'ils sont corporels ou non? Je ré"
ponds que lame humaine séparée du corps n'a
point proprement de sentiment; qu'à l'égard des
anges, nous n'avons aucune raison naturelle qui
nous fasse connoître s'ils sont créés comme les âmes
séparées des corps, ou comme les mêmes âmes
qui sont unies aux corps, et que je ne détermine
jamais rien sur les choses dont je n'ai aucune raison
certaine pour donner lieu à des conjectures. J'ap-
prouve ce que vous dites, que nous ne devons
point nous former d'autre idée de Dieu que celle
que tous les gens de bien souhaiteroient s'il n'y
avoit point de Dieu.
Votre instance sur l'accélération du mouvement'
pour prouver que la même substance peut occuper
tantôt un plus grand, tantôt un moindre lieu, est
ingénieuse; cependant la disparité est grande, parce-
que le mouvement n'est pas une substance, mais un
mode , et un mode tel en effet que nous concevons
intimement comment il peut être diminué ou aug-
menté dans le même lieu; car tous les êtres ont
certaines notions propres par lesquelles seules il
en faut porter jugement, et non par comparaison
des êtres les uns aux autres : c'est ainsi que les
qualités de la figure ne conviennent pas au mou-
vement , et que les qualités de l'une et de l'autre
ne conviennent point à l'étendue. Quand on aura
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LETTRES. 303
une fois bien compris que le néant n'a aucune
propriété, et que par conséquent ce qu'oivappelle
communément espace vide n'est pas un rien , mais
un vrai corps dépouillé de tous ses accidents, je
veux dire de ceux qui peuvent se trouver et ne se
pas trouver sans la corruption du sujet, et qu'on
aura remarqué comment chaque partie ou de cet
espace ou de ce corps est différente de toutes les
autres, et impénétrable, on verra facilement que
la même divisibilité, la même faculté d'être touché
et la même impénétrabilité ne peuvent convenir à
aucune autre chose. J'ai dit que Dieu est étendu
en puissance , parceque cette puissance se fait voir
ou se peut faire voir dans la chose étendue; et il
est certain que l'essence de Dieu doit être présente
partout, afin que sa puissance s'y puisse mettre
au jour; mais je dis qu'elle n'y est pas à la manière
des choses étendues, c'est-à-dire de la manière que
j'ai décrit ci-dessus la chose étendue. Il me paroît
que parmi les marchandises que vous dites avoir
gagnées sur mon petit bateau , il y en a deux qui
sont de contrebande: la première, que le repos
soit une action ou une espèce de résistance; car
bien que la chose qui est en repos ait cette résis-
tance, de cela même qu'elle est en repos, ce n'est
pas à dire pour cela que cette résistance soit en
repos. La seconde est que mouvoir deux corps,
c'est les séparer immédiatement; car souvent entre
294 LETTRES.
les choses qui sont ainsi séparées, l'une est dite
être mue, et l'autre être en repos , comme j'ai ex-
pliqué dans les art. a5 et 3o de la seconde partie
des Principes.
Ce transport que j'appelle mouvement n'est
point une chose de moindre entité que la figure,
c'est-à-dire elle est un mode dans le corps, et la
force mouvante peut venir de Dieu qui conserve
autant de transport dans la matière qu'il y en a
rais au premier mouvement de la création, ou
bien delà substance créée, comme de votre âme,
ou de quelque autre chose que ce soit, à qui il a
donné la force de mouvoir le corps ; et cette force
dans la substance créée est son mode, mais elle
n'est pas un mode en Dieu; ce qui étant un peu
au-dessus de la portée du commun des esprits, je
n'ai pas voulu traiter cette question dans mes
écrits, pour ne pas sembler favoriser le sentiment
de ceux qui considèrent Dieu comme l'âme du
monde unie à la matière. Je considère la matière
laissée à elle-même, et ne recevant aucune impul-
sion d'ailleurs, comme parfaitement en repos; et
elle est poussée par Dieu qui conserve en elle au-
tant de mouvement ou de transport qu'il y en a
mis dès le commencement; et ce transport ne cause
pas plus de violence à la matière que le repos ;
car le nom de violence ne se rapporte qu'à notre
volonté, qui souffre, dit-on, violence, lorsque
I
LETTRES. 205
quelque chose se fait qui y répugne : or dans la
nature il n'y a rien de violent, mais il est aussi
naturel aux corps de se pousser mutuellement, ou
de se briser quand cela arrive, que de se tenir en
repos. Mais ce qui a été la cause, à ce que je crois,
de la difficulté que vous avez proposée, est que
vous concevez une certaine force dans le corps qui
est en repos, par laquelle il résiste au mouvement,
comme si cette force étoit quelque chose de po-
sitif, c'est-à-dire une certaine action distincte du
repos même, quoique ce ne soit qu'une entité
modale.
Vous remarquez fort bien que le mouvement,
en tant qu'il est mode du corps , ne peut passer
d'un corps dans un autre, et je ne l'ai pas dit
aussi. Bien plus, je crois que le mouvement, en
tant qu'il est un tel mode , reçoit des changements
continuels ; car autre chose est le mode dans le
premier point du corps A , qui est séparé du pre-
mier point du corps B, et autre celui qui est séparé
du deuxième et du troisième, etc.
Or lorsque j'ai dit qu'il restoit toujours autant
de mouvement dans la matière, j'ai entendu cela
de la force qui pousse ses parties, laquelle force
s'applique tantôt à une partie de la matière , tantôt
s'applique aux autres , selon les lois proposées
dans l'art, /p , pag. 1 1 o , et dans les suivantes de
la seconde partie. Il ne faut donc pas s'embarras-
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LETTRES.
ser du transport du repos d'un sujet à un autre ,
puisque le mouvement même, en tant qu'il est un
mode opposé au repos, ne passe point ainsi. A l'é-
gard de ce que vous ajoutez que le corps vous semble
jouir d'une vie, maisstupide et pleine d'ivresse, etc.,
je regarde cela comme de fort belles paroles ;
mais permettez- moi une fois pour toutes, avec
cette liberté dont vous m'avez permis d'user à votre
égard , que rien ne nous éloigne plus du chemin
de la vérité que d'établir certaines choses, comme
véritables , qu'aucune raison positive , mais notre
volonté seule, nous persuade, c'est-à-dire lorsque
nous avons inventé ou imaginé quelque chose , et
qu'après cela nos fictions nous plaisent , comme
vous faites à l'égard de ces anges corporels , de
cette ombre de l'essence divine, et autres choses
semblables que personne ne doit admettre, par-
ceque c'est le vrai moyen de se fermer tout che^
min à la vérité.
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LETTRES.
t
A MADAME LA PKINCESSE PALATINE '.
(Lettre a; du tome LJ
Madame,
Entre plusieurs fâcheuses nouvelles que j'ai re-
çues de divers endroits en même temps, celle qui
ma le plus vivement touché a été la maladie de
votre altesse , et bien que j'en aie aussi appris la
guérison , il ne laisse pas d'en rester encore des
marques de tristesse en mon esprit qui n'en pour-
ront être sitôt effacées. L'inclination à faire des vers,
que votre altesse avoit pendant son mal, me fait
souvenir de Socrate , que Platon dit avoir eu une
pareille envie pendant qu'il étoit en prison. Et je
crois que cette humeur de faire des vers vient
d'une forte agitation des esprits animaux , qui
pourroient entièrement troubler l'imagination de
1 « La 27e lettre du Ier volume , page 8a , est de M. Descartes à la prin.
cesse Palatine. Elle n'est point datée, mais comme M. Descartesdit, page 83
de cette lettre , que pendant qu'il écrit ces lignes il reçoit des lettres de
Suède de la reine et de M. Cbanut , et que les lettres par lesquelles il
répond à ces deux lettres sont datées du 26 février 1649 , il y a de l'appa-
rence qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il les avoit reçues; ainsi je fixe
cette lettre au 20 février 1649. "
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298 LETTRES.
ceux qui n'ont pas le cerveau bien rassis , mais qui
ne fait qu échauffer un peu les plus fermes et les
disposer à la poésie ; et je prends cet emportement
pour une marque d'un esprit plus fort et plus
relevé que le commun. Si je ne reconnoissois le
vôtre pour tel , je craindrois que vous ne fussiez
extraordinairement affligée d'apprendre la funeste
conclusion des tragédies d'Angleterre ; mais je me
promets que votre altesse étant accoutumée aux
disgrâces de la fortune, et s'étant vue soi-même
depuis peu en grand péril de sa vie, ne sera pas si
surprise ni si troublée d'apprendre la mort d'un de
ses proches, que si elle n'avoit point reçu aupa-
ravant d'autres afflictions. Et bien que cette mort
si violente semble avoir quelque chose de plus
affreux que celle qu'on attend en son lit , toute-
fois, à le bien prendre, elle est plus glorieuse, plus
heureuse et plus douce , en sorte que ce qui afflige
particulièrement en ceci le commun des hommes
doit servir de consolation à votre altesse ; car c'est
beaucoup de gloire de mourir en une occasion
qui fait qu'on est universellement plaint , loué et
regretté de tous ceux qui ont quelque sentiment
humain. Et il est certain que sans cette épreuve
la clémence et les autres vertus du roi dernier
mort n'auroient jamais été tant remarquées ni
tant estimées qu'elles sont et seront à l'avenir par
tous ceux qui liront son histoire. Je m'assure
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LETTRES. 2p9
aussi que sa conscience lui a plus donné de satis-
faction pendant les derniers moments de sa vie ,
que l'indignation , qui est la seule passion triste
qu'on dit avoir remarquée en lui , ne lui a causé
de fâcherie. Et pour ce qui est de la douleur , je
ne la mets nullement en compte; car elle est si
courte, que si les meurtriers pouvoient employer
la fièvre ou quelque autre des maladies dont la
nature a coutume de se servir pour ôter les hom-
mes du monde, on auroit sujet de les estimer plus
cruels qu'ils ne sont lorsqu'ils les tuent d'un
coup de hache. Mais je n'ose m'arrèter long-temps
sur un sujet si funeste, j'ajoute seulement qu'il
vaut beaucoup mieux être entièrement délivré d'une
fausse espérance que d'y être inutilement entre-
tenu. Pendant que j'écris ces lignes, je reçois des
lettres d'un lieu d'où je n'en avois point eu depuis
sept ou huit mois; et une entre autres (pie la per-
sonne à qui j'avois envoyé le traité des Passions , il
y a un an, a écrite de sa main pour m'en remer-
cier. Puisqu'elle se souvient après tant de temps
d'un homme si peu considérable comme je suis ,
il est à croire qu'elle n'oubliera pas de répondre
aux lettres de votre altesse, bien qu'elle ait tardé
quatre mois à le faire. On me mande qu'elle a
donné charge à quelqu'un des siens d'étudier le
livre de mes Principes , afin de lui en faciliter la
lecture ; je ne crois pas néanmoins qu'elle trouve
300 LETTRES.
assez de loisir pour s'y appliquer, bien qu'elle
semble en avoir la volonté. Elle me remercie en
termes exprès du traité des Passions; mais elle ne
fait aucune mention des lettres auxquelles il étoit
joint,et l'on ne me mande rien du tout de ce pays-
là qui touche votre altesse : de quoi je ne puis de-
viner autre chose, sinon que les conditions de la
paix d'Allemagne n'étant pas si avantageuses à
votre maison qu'elles auroient pu être, ceux qui
ont contribué à cela sont en doute si vous ne leur
en voulez point de mal , et se retiennent pour ce
sujet de vous témoigner de l'amitié. J'ai toujours été
en peine, depuis la conclusion de cette paix, de n'ap-
prendre point que monsieur l'électeur votre frère
l'eût acceptée , et j'aurois pris la liberté d'en écrire
plus tôt mon sentiment à votre altesse , si j'avois
pu m'imaginer qu'il mît cela en délibération ; mais
pourceque je ne sais point les raisons particu-
lières qui le peuvent mouvoir, ce seroit témérité
à moi d'en faire aucun jugement Je puis seule-
ment dire en général que lorsqu'il est question de
la restitution d'un état occupé ou disputé par
d'autres qui ont les forces en main , il me semble
que ceux qui n'ont que l'équité et le droit des
gens qui plaide pour eux ne doivent jamais faire
leur compte d'obtenir toutes leurs prétentions, et
qu'ils ont bien plus de sujet de savoir gré à ceux
qui leur en font rendre quelque partie , tant petite
LETTRES. 301
qu'elle soit , que de vouloir du mal à ceux qui
leur retiennent le reste ; et encore qu'on ne puisse
trouver mauvais qu'ils disputent leur droit le plus
qu'ils peuvent, pendant que ceux qui ont la force
en délibèrent, je crois que lorsque les conclusions
sont arrêtées, la prudence les oblige à témoigner
qu'ils en sont contents, encore qu'ils ne le fussent
pas , et à remercier, non seulement ceux qui leur
font rendre quelque cbose , mais aussi ceux qui
ne leur ôtent pas tout, afin d'acquérir par ce moyen
l'amitié des uns et des autres, ou du moins d'éviter
leur baine; car cela peut beaucoup servir par
après pour se maintenir. Outre qu'il reste encore
un long chemin pour venir des promesses jusqu'à
l'effet , et que si ceux qui ont la force s'accordent
seuls , il leur est aisé de trouver des raisons pour
partager entre eux ce que peut-être ils n'avoient
voulu rendre à un tiers que par jalousie les uns
des autres, et pour empêcher que celui qui s'en-
richiroit de ses dépouilles ne fût trop puissant , la
moindre partie du Palatinat vaut mieux que tout
l'empire des Tartares ou des Moscovites , et après
deux ou trois années de paix , le séjour en sera
aussi agréable que celui d'aucun autre endroit de
la terre. Pour moi, qui ne suis attaché à la demeure
d'aucun lieu, je ne ferois aucune difficulté de
changer ces provinces ou même la France pour
ce pays-là , si j'y pouvois trouver un repos aussi
502 LETTRES.
assuré , encore qu'aucune autre raison que la
beauté du pays ne m'y fit aller ; mais il n'y a
point de séjour au monde si rude ni si incom-
mode auquel je ne m'estimasse heureux de passer
le reste de mes jours si votre altesse y étoit, et
que je fusse capable de lui rendre quelque service,
pourceque je suis entièrement et sans aucune
réserve, etc.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etC.
(Lettre 28 du tome I. )
Madame,
J'ai été extrêmement surpris d'apprendre par les
lettres de M. de P. que votre altesse a été long-
» « La 28e lettre du ter volume est de M. Descartes à madame Élizabeth,
princesse Palatine ; elle n'est point datée , mais comme M. Descartes té-
moigne, page 86 de cette lettre, que les indispositions dont elle est atta-
quée viennent des sujets de fâcherie qu'elle a sans cesse , et que M. Des-
cartes parle sans cesse des grands sujets de tristesse qu'elle a, cela fait
juger que cette lettre est écrite depuis les sanglantes tragédies d'Angleterre
et la conclusion de la paix de Munster, arrivée le 24 d'octobre 1648.
Ainsi je crois cette lettre écrite en mars 1649 , je la fixe donc au i5 mars
1649. Je devine un peu, mais rien ne fixe la date de cette lettre. »
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LETTRES. 3o3
temps malade, et je veux mal à ma solitude, pource-
qu'elle est cause que je ne l'ai point su plus tôt. Il
est vrai que, bien que je sois tellement retiré du
monde que je n'apprenne rien du tout de ce qui
s'y passe, toutefois le zèle que j'ai pour le service
de votre altesse ne m'eût pas permis d'être si long-
temps sans savoir l'état de sa santé, quand j'aurois
dû aller à La Haye tout exprès pour m'en enquérir,
sinon que M. de P. 1 m'ayant écrit fort à la hâte,
il y a environ deux mois, m'avoit promis de m'é-
crire derechef par le prochain ordinaire, et pour-
cequ'il ne manque jamais de me mander comment
se porte votre altesse, pendant que je n'ai point
reçu de ses lettres, j'ai supposé que vous étiez tou-
jours en même état; mais j'ai appris par ses dernières
que votre altesse a eu trois ou quatre semaines du-
rant une fièvre lente, accompagnée d'une toux
sèche, et qu'après en avoir été délivrée pour cinq
ou six jours, le mal est retourné, et que toutefois
au temps qu'il m'a envoyé sa lettre (laquelle a été
près de quinze jours par les chemins), votre al-
tesse commençoit derechef à se porter mieux. En
quoi je remarque les signes d'un mal si considé-
rable , et néanmoins auquel il me semble que votre
altesse peut si certainement remédier, que je ne
puis m'abstenir de lui en écrire mon sentiment.
Car bien que je ne sois pas médecin, l'honneur
• « PoUet. »
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3o4 LETTRES.
que votre altesse me fît leté passé de vouloir savoir
mon opinion touchant une autre indisposition
qu'elle avoit pour lors me fait espérer que ma li-
berté ne lui sera pas désagréable. La cause la plus
ordinaire de la fièvre lente est la tristesse; et l'opi-
niâtreté de la fortune à persécuter votre maison vous
donne continuellement des sujets de fâcherie, qui
sont si publics et si éclatants, qu'il n'est pas besoin
d'user beaucoup de conjectures, ni être fort dans
les affaires, pour juger que c'est en cela que con-
siste la principale cause de votre indisposition; et
il est à craindre que vous n'en puissiez être du tout
délivrée, si ce n'est que par la force de votre vertu
vous rendiez votre âme contente , malgré les dis-
grâces de la fortune. Je sais bien que ce seroit
être imprudent de vouloir persuader la joie à une
personne à qui la fortune envoie tous les jours de
nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point
de ces philosophes cruels qui veulent que leur
sage soit insensible; je sais aussi que votre altesse
n'est point tant touchée de ce qui la regarde en
son particulier, que de ce qui regarde les intérêts
de sa maison et des personnes qu'elle affectionne;
ce que j'estime comme une vertu la plus aimable
de toutes. Mais il me semble que la différence qui
est entre les plus grandes âmes et celles qui sont
basses et vulgaires consiste principalement en ce
que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs pas-
LETTRES. 3o5
sions, et ne sont heureuses ou malheureuses que
selon que les choses qui leur surviennent sont
agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres
ont des raisonnements si forts et si puissants, que
bien qu'elles aient aussi des passions, et même
souvent de plus violentes que celles du commun,
leur raison demeure néanmoins toujours la maî-
tresse, et fait que les afflictions même leur servent
et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouis-
sent dès cette vie. Car d'une part se considérant
comme immortelles et capables de recevoir de
très grands contentements , puis d'autre part con-
sidérant qu'elles sont jointes à des corps mortels
et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités,
et qui ne peuvent manquer de périr dans peu
d'années, elles font bien tout ce qui est en leur
pouvoir pour se rendre la fortune favorable en
cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu
au regard de l'éternité, quelles n'en considèrent
quasi les événements que comme nous faisons
ceux des comédies. Et comme les histoires tristes
et lamentables que nous voyons représenter sur
un théâtre nous donnent souvent autant de ré-
création que les gaies, bien qu'elles tirent des
larmes de nos yeux : ainsi ces plus grandes âmes
dont je parle ont de la satisfaction en elles-
mêmes de toutes les choses qui leur arrivent,
même des plus fâcheuses et insupportables. Ainsi
ÎO. 30
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5û6 LETTRES.
ressentant de la douleur en leurs corps, elles s'exer-
cent à la supporter patiemment, et cette épreuve
qu'elles font de leur force leur est agréable ; ainsi
voyant leurs amis en quelque grande affliction,
elles compatissent à leur mal, et font tout leur pos-
sible pour les en délivrer, et ne craignent pas
même de s'exposer à la mort pour ce sujet, s'il en
est besoin : mais cependant le témoignage que leur
donne leur conscience, de ce qu'elles s'acquittent
en cela de leur devoir et font une action louable
et vertueuse, les rend plus heureuses que toute
la tristesse que leur donne la compassion ne les
afflige. Et enfin comme les plus grandes prospérités
de la fortune ne les enivrent jamais et ne les rendent
point plus insolentes , aussi les plus grandes ad-
versités ne les peuvent abattre ni rendre si tris-
tes que le corps auquel elles sont jointes en de-
vienne malade. Je craindrois que ce style ne fût
ridicule, si je m'en servois en écrivant à quel-
que autre; mais pourceque je considère votre
altesse comme ayant l'âme la plus noble et la plus
relevée que je connoisse, je crois qu'elle doit
aussi être la plus heureuse, et qu'elle le sera véri-
tablement, pourvu qu'il lui plaise jeter les yeux
sur ce qui est au-dessous d'elle, et comparer la
valeur des biens qu'elle possède, et qui ne lui
sauroient jamais être ôtés, avec ceux dont la fortune
l'a dépouillée, et les disgrâces dont elle la persécute
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LETTRES. OO7
en la personne de ses proches ; car alors elle verra
le grand sujet qu'elle a d'être contente de ses pro-
pres biens. Le zèle extrême que j'ai pour elle est
cause que je me suis laissé emporter à ce discours,
que je la supplie très humblement d'excuser,
comme venant d'une personne qui est, etc.
A M. Cn AN UT '.
( Lettre 38 du tome I. )
Monsieur,
Vous avez grande raison de penser que j'ai beau-
coup plus de sujet d'admirer qu'une reine perpé-
tuellement agissante dans les affaires se soit sou-
venue, après plusieurs mois, d'une lettre que j avois
eu l'honneur de lui écrire, et qu'elle ait pris la
peine d'y répondre, que non pas qu'elle n'y ait
point répondu plus tôt. J'ai été surpris de voir qu'elle
écrit si nettement et si facilement en françois ; toute
notre nation lui en est très obligée , et il me semble
que cette princesse est bien plus créée à l'image de
» « La lettre de la reine de Suède à M. Descartes est perdue; elle éioit
du mois de décembre 1648. Voyez la lettre manuscrite de Chanut à Des-
cartes , du 1 2 de décembre. »
20.
5o8 LETTRES.
Dieu que le reste des hommes, d'autant quelle
peut étendre ses soins à plus grand nombre de di-
verses occupations en même temps : car il n'y a
au monde que Dieu seul dont l'esprit ne se lasse
point, et qui n'est pas moins exact à savoir le nom-
bre de nos cheveux, et à pourvoir jusquesaux plus
petits vermisseaux, qu'à mouvoir les cieux et les
astres. Mais encore que j'aie reçu comme une fa-
veur nullement méritée la lettre que cette incom-
parable princesse a daigné m'écrire, et que j'ad-
mire qu elle en ait pris la peine , je n'admire pas
en même façon qu'elle veuille prendre celle de lire
le livre de mes Principes, à cause que je me per-
suade qu'il contient plusieurs vérités qu'on trou-
veroit difficilement ailleurs. On peut dire que ce ne
sont que des vérités de peu d'importance, touchant
des matières de physique, qui semblent n'avoir rien
de commun avec ce que doit savoir une reine: mais
d'autant que l'esprit de celle-ci est capable de tout ,
et que ces vérités de physique font partie des fon-
dements de la plus haute et plus parfaite morale ,
j'ose espérer qu'elle aura de la satisfaction de les .
connoître. Je serois ravi d'apprendre qu'elle vous
eût choisi avec M. Freinshemius pour la soulager
en cette étude; et je vous aurois très grande obli-
gation si vous preniez la peine de m'avertir des
lieux où je ne me suis pas assez expliqué. Je serois
toujours soigneux de vous répondre dès le jour
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LETTRES. 009
même que j'aurois reçu de vos lettres; mais cela
ne serviroit que pour ma propre instruction , car
il y a si loin d'ici à Stockholm, et les lettres
passent par tant de mains avant que d'y arriver,
que vous auriez bien plus tôt résolu de vous-même
les difficultés que vous rencontreriez, que vous
n'en pourriez avoir d'ici la solution. Je remar-
querai seulement en cet endroit deux ou trois
choses que l'expérience m'a enseignées touchant
ce livre. La première est , qu'encore que sa pre-
mière partie ne soit qu'un abrégé de ce que j'ai
écrit en mes Méditations, il n'est pas besoin toute-
fois pour l'entendre de s'arrêter à lire ces Médita-
tions, à cause que plusieurs les trouvent beau-
coup plus difficiles, et j'aurois peur que sa majesté
ne s'en ennuyât. La seconde est qu'il n'est pas be-
soin non plus de s'arrêter à examiner les règles du
mouvement, qui sont en l'article 46 de la seconde
partie, et aux suivants, à cause qu'elles ne sont
pas nécessaires pour l'intelligence du reste. La der-
nière est qu'il est besoin de se souvenir, en lisant
ce livre, que bien que je ne considère rien dans les
corps que les grandeurs, les figures et les mouve-
ments de leurs parties, je prétends néanmoins y
expliquer la nature de la lumière, de la chaleur, et
de toutes les autres qualités sensibles; d'autant que
je présuppose que ces qualités sont seulement dans
nos sens, ainsi que le chatouillement et la douleur,
3lO LETTRES.
et non point dans les objets que nous sentons, dans
lesquels il n'y a que certaines figures et mouve-
ments qui causent les sentiments qu'on nomme
lumière, chaleur, etc. : ce que je n'ai expliqué et
prouvé qu'à la fin de la quatrième partie; et toute-
fois il est à propos de le savoir et remarquer dès
le commencement du livre, pour le pouvoir mieux
entendre. Au reste, j'ai ici à m'excuser de ce que vos
lettres me sont allées chercher à Paris , et que je
ne vous avois point encore mandé mon retour en
Hollande , où il y a déjà cinq mois que je suis ; mais
je supposois que M. Clerselier vous l'écriroit , à
cause qu'il me faisoit souvent part de vos nou-
velles lorsque j'étois en France; et j'étois bien aise
de ne rien écrire de mon retour, afin de ne sembler
point le reprocher à ceux qui m'avoient appelé.
Je les ai considérés comme des amis qui m'avoient
convié à dîner chez eux ; et lorsque j'y suis arrivé,
j'ai trouvé que leur cuisine étoiten désordre, et leur
marmite renversée; c'est pourquoi je m'en suis re-
venu sans dire mot, afin de n'augmenter point
leur fâcherie. Mais cette rencontre m'a enseigné à
n'entreprendre jamais plus aucun voyage sur des
promesses , quoiqu'elles soient écrites en parche-
min. Et bien que rien ne m'attache en ce lieu , si-
non que je n'en connois point d'autre où je puisse
être mieux , je me vois néanmoins en grand hasard
d'y passer le reste de mes jours, car j'ai peur que
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LETTRES. Sll
nos orages de France ne soient pas sitôt apaisés ,
et je deviens de jour à autre plus paresseux, en
sorte qu'il seroit difficile que je pusse derechef
me résoudre à souffrir l'incommodité d'un voyage.
Mais je suppose que vous reviendrez quelque jour
du lieu où vous êtes; alors j'espère que j'aurai l'hon-
neur de vous voir ici en passant. Et je serai toute
ma vie, etc.
La lettre jointe à celle-ci ne contient qu'un
compliment fort stérile : car , n'étant interrogé sur
aucune matière, je n'ai osé, par respect, en tou-
cher aucune , afin de ne semhler pas vouloir faire
le discoureur, et j'ai cru néanmoins que mon de-
voir m'obligeoit d'écrire.
A Egmont, le a6 février 1649.
A LA REINE DE SUÈDE.
(Lettre 3g du tome I.)
Madame,
1
S'il arrivoit qu'une lettre me fût envoyée du
ciel , et que je la visse descendre des nues , je ne
serois pas davantage surpris, et ne la pourrois re-
cevoir avec plus de respect et de vénération que
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3l2 LETTRES.
j'ai reçu celle qu'il a plu à votre majesté de m'é-
çrire. Mais je me reconnois si peu digne des remer-
ciements qu'elle contient, que je ne les puis accep-
ter que comme une faveur et une grâce, dont je
demeure tellement redevable, que je ne m'en sau-
rois jamais dégager. L'honneur que j'avois ci-de-
vant reçu d être interrogé de la part de votre ma-
jesté par M. Chanut, touchant le souverain bien ,
ue m'avoit que trop payé de la réponse que j'avois
faite ; et depuis ayant appris par lui que cette ré-
ponse avoit été favorablement reçue, cela m'avoit
si fort obligé, que je ne pouvois pas espérer ni
souhaiter rien de plus pour si peu de chose , par-
ticulièrement d'une princesse que Dieu a mise en si
haut lieu, qui est environnée de tant d'affaires très
importantes, dont elle prend elle-même les soins,
et de qui les moindres actions peuvent tant pour
le bien général de toute la terre, que tous ceux qui
aiment la vertu se doivent estimer très heureux
lorsqu'ils peuvent avoir occasion de lui rendre
quelque service. Et pourceque je fais particulière-
ment profession d'être de ce nombre, j'ose ici pro-
tester à votre majesté qu elle ne me sauroit rien
commander de si difficile, que je ne sois toujours
prêt de faire tout mon possible pour l'exécuter, et
que si j'étois né Suédois ou Finlandois , je ne pour-
rois être avec plus de zèle, ni plus parfaitement
que je suis, etc.
y
LETTRES. 3l5
M. SCHOOÏEN
*
. . -
A M. DES G ART ES.
M
, . i (Lettre n6du tome III. )
■
■ «
A Leyde, ce 10 iuars it>4y.
Monsieur,
Je n'ai pas voulu manquer de vous envoyer les
deux livres que je vous avois promis, savoir,
Diogenes Laertius de vitis philosop/iorum, et Gre~
gorius a S. Vincenlio de quadratura circuit, et
sectionum coni. Touchant ce dernier , je désire
fort de savoir votre sentiment, d'autant que le feu
père Mersenne, dans un livre qu'il a naguère mis
en lumière, qui sert de second tome au livre in-
titulé Cogitata pkysico - matkematica , parle fort
sobrement en faveur de cet auteur, ne le nom-
mant pas une seule fois, encore qu'il parle assez
apertement et amplement de son livre. La plus
grande louange qu'il lui donne est qu'il ait com-
posé un grand livre, et qu'il a cherché cette qua-
drature par des chemins fort longs et qui déjà
sont connus. Ce que je prends pour le jugement
de M. de Roberval , lequel je sais s être employé
y
3l4 LETTRES.
à l'examiner. Mais parceque Vincentius lui-même
déclare que la chose principale dont il s'est servi
pour en venir à bout est per proportionalitates ,
dont il a fait un traité, et qu'il traite aussi de
ductu plani in planum, qui sans doute sont des
choses nouvelles et qui méritent de la louange ,
dont pourtant le père Mersenne ne dit mot , je
doute fort que ce sentiment soit assez équitable.
Si vous voulez lire ce que le révérend père Mer-
senne en a écrit , je vous enverrai son livre , lequel
je puis facilement obtenir ici d'un de mes amis ,
qui m'a appris ce que je vous en viens d'écrire.
Au reste j'ai écrit à M. Zuitlichera le jeune que
les vers qu'il avoit composés pour mettre sous
votre effigie ne sont pas encore gravés. Vous les
verrez dans cette feuille ci-jointe, où j'ai ajouté
ceux que M. Bartholinus a composés sur le même
sujet , et je l'ai fait en faveur de ceux qui in tui
lundi' m se profitentur poêlas vel ptclores , etc. Sed
his omissis , il faut que je vous propose une petite
difficulté qui m'est survenue en voulant résoudre
une équation de quatre dimensions , dont la ra-
cine est cubique en deux autres, selon la règle
de la page 385, à savoir, de diviser 12 par 3 —
\/e 5 — \/e 2, ce que je ne puis autrement faire
qu'en mettant ^FfW^PTl \ mais je ne me satisfais
pas ainsi. De plus je serois bien aise que vous
voulussiez prendre la peine d'examiner si ces deux
LETTRES. 3 1 5
questions paradoxes sont bien résolues. Personœ
duœ A et B , societatem îneuntes , lucrati sunt 1 2 au-
reos, qaorum A expendit aureos 5 ; B autem reliqua-
tur aureos 2, hoc est habet — 2 aureos. Quœritur quan-
tum cuilibet ex hac summa debeatur ? Respondelur.
Solvendos esse a B ipsi A 8 aureos , quamvis lucrum
esse manifestum sit. Aliud exemptum de damno.
Personœ duœ A et B jacturam faciunt 12 aureo-
rmn , hoc est , habent — 12 aureos. Cum igitur A
conlribuerit 5 aureos , et B — 2 aureos: manifes-
tum fit, ipsi A ex natura quœstionis deberi — 20
aureos, et ipsi B f 8 aureos, hoc est, B habebit 8
aureos : etiamsi jacturam factam esse constet. Eu
finissant je vous remercie très humblement de
l'honneur qtie j'ai nouvellement reçu en votre •
logis, vous assurant qu'il n'y a chose au monde
que je désire avec plus de passion que de pouvoir
être capable de vous rendre quelque service , et
dont je fasse plus d'état que d'avoir acquis la
gloire de votre connoissance , laquelle je tâche-
rai de me conserver, en vous assurant que je
suis, etc.
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5i6
LETTRES.
RÉPONSE DE M. DESCARTES
A M. SCHOOTEN.
(Lettre 117 du tome III.)
Monsieur,
Je vous remercie des livres et de tous les autres
biens qu'il vous a plu m envoyer ; je n'avois jamais
été si bien fourni de plumes que je suis mainte-
nant, et pourvu que je ne les perde point, j'en ai
plus qu'il ne m'en faut pour écrire cent ans du-
rant. Cela me donnera sujet de penser à vous
toutes les fois que j'aurai la plume en main, et il
m'a été beaucoup plus aisé de faire la division
de 1 2 par 3 — \/e 3 — [/e 2 que vous m'avez
demandée, qu'il ne m'eût été si je n'eusse point
eu de si bonnes plumes; car le calcul en est plus
long que l'invention n'en est difficile. Il vient pour
le quotient
^rrr t tW* f -tïVt ^2 f ^t*rH
VM t iH*, M t m ^eiS t Sei2 f ff|f
\Zeo6. Comme vous pourrez aisément vérifier en
multipliant ces neuf termes par 3 — y/e 3 —
\/e 2; car le produit sera 12.
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LETTRES. 5 I 7
Les deux questions que vous nommez para-
doxes sont bien résolues, et encore qu'il ne soit
pas ordinaire qu'un homme qui a quelque bien
se mette en compagnie avec un autre qui a moins
que rien, il peut toutefois arriver des cas aux-
quels cela se pratique. Par exemple , deux mar-
chands d'Amsterdam ont chacun leur commis en
Alep , et pourcequ 'ils ne se fient pas trop en ces
deux commis et qu'ils savent qu'ils sont ennemis
l'un de l'autre, ils leur écrivent que du jour qu'ils
auront reçu leurs lettres ils se rendent compte
l'un à l'autre de tout ce qu'ils ont entre leurs
mains du bien de leur maître, et que s'il se
trouve que l'un d'eux doive plus qu'il n'a, que
cela soit payé de l'argent de l'autre, et que le
surplus soit mis en commun pour être employé
en marchandise , sans que l'un des commis puisse
rien vendre ni acheter sans le su de l'autre , et
ils s'accordent entre eux qu'ils partageront ensem-
ble le gain ou la perte, à raison de l'argent que
leurs commis auront eu entre leurs mains lors-
qu'ils recevront leurs lettres. Ensuite de quoi , s'il
arrive qu'un de ces commis ait cinq mille livres,
et que l'autre doive deux mille livres, ayant payé
ces deux mille livres de l'argent du premier, il
restera trois mille livres qu'ils emploieront en mar-
chandise, et si de ces trois mille livres ils gagnent
douze mille livres , c'est le quadruple de leur
5 I 8 LETTRES.
argent. C est pourquoi celui qui avoit au com-
mencement cinq mille livres en doit gagner vingt
mille , et par conséquent l'autre qui étoit reliqua-
taire de deux mille livres en doit perdre huit mille.
Au contraire, s'il y a douze mille livres de perte,
celui qui avoit cinq mille livres en doit perdre
vingt mille, et l'autre par conséquent en gagner
huit mille, pourcequ'ayant payé ses deux mille
livres de l'argent du premier , il l'a empêché de
les employer en la marchandise où il y avoit le
quadruple à perdre. Pour le portrait en taille-
douce vous m'obligez plus que je ne mérite d'a-
voir pris la peine de le graver , et je le trouve fort
bien fait , mais la barbe et les habits ne ressem-
blent aucunement. Les vers sont aussi fort bons
et fort obligeants; mais puisqu'ils ne satisfont pas
assez leur auteur, j'approuve extrêmement le des-
sein que vous m'avez dit que vous aviez de ne
vous point servir du tout de ce portrait , et de ne
le point mettre au-devant de votre livre. Mais en
cas que vous l'y voulussiez mettre, je vous prie-
rois d'en ôter ces mots , Perronii toparcha , naius
die uiiimo martis iSgô. Les premiers , pource-
que j'ai aversion pour toutes sortes de titres; et
les derniers , pourceque j'ai aussi de l'aversion
pour les faiseurs d'horoscope , à l'erreur desquels
on semble contribuer quand on publie le jour de
la naissance de quelqu'un. Je ne vous renvoie pas
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LETTRES. 019
encore vos livres, pourceque je n'ai pas eu le
temps de les lire ; mais j'en ai assez vu pour re-
marquer un paralogisme dans la quadrature du
cercle prétendue, et je n'ai encore rien rencontré
dans tout ce gros livre , sinon des propositions si
simples et si faciles, que l'auteur me semble avoir
mérité plus de blâme d'avoir employé son temps
à les écrire que de gloire de les avoir inventées.
Pour trouver son paralogisme, j'ai commencé par
la 1 i34e page , où il dit : Nota autem est proportio
segmenli LMNK, ad se g ment um EGFIF. Ce qui
est faux : et pour en chercher la preuve, j'ai exa-
miné les propositions qui précèdent jusqu'à la
trente-neuvième du même livre, page 1 121, où j'ai
vu que sa faute consiste en ce qu'il veut appliquer
à plusieurs quantités conjointes ce qu'il a prouvé
2 4 8 en la proposition trente-septième des
2 6 18 mêmes quantités étant divisées , où
2 8 32 sa conséquence est très fausse ; car
2 10 59 ayant, par exemple, les quantités 2,
4j 8, etc., bien qu'il soit vrai que 8 est à 02 en
raison doublée de 4 à 8, et 18 à 5o, aussi en rai-
son doublée de 6 à 10, ce n'est pas à dire que
8+18, c'est-à-dire 26, soit à 32-f5o, c'est-à-dire
82 , en raison doublée de celle qui est entre 4+6 ,
c'est-à-dire 10, et 8*j- 1 o , c'est-à-dire 1 8. Tout ce
qu'il décrit de proportionalitatibus et de ductibus
ne me semble aussi d'aucun usage, et ne lui a
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J20 LETTRES.
servi que pour s'embrouiller, et se tromper soi-
même plus aisément. Je suis, etc.
A M. CHANUT \
(Lettre /,2 du tome I.)
Monsieur,
La dernière que vous avez pris la peine de m'a-
dresser à Paris n'est point parvenue jusques à moi ,
* <* M. Chanut ayant envie que M. Descartes allât en Suède , le sollicita
d'y aller, par des lettres qu'il adressa à M. Picot à Paris, croyant que
M. Descartes y étoit encore. M. Picot envoya ces lettres à M. Descartes,
qui les reçut vers la mi-février, puisque, dans une lettre adressée à Picot,
du ai février 1649* il le remercie de lui avoir envoyé des lettres. Cepen-
dant M. Chanut ayant appris par M. Clerselier que M. Descartes étoit de
retour en Hollande, lui récrivit de secondes lettres , datées du 27 février.
M. Descartes, qui avoit négligé de répondre aux premières lettres sué-
doises que Picot lui avoit renvoyées de Paris, ayant reçu, sur la fin de
mars, ces secondes lettres qui lui étoient adressées par la voie d'Alcmaer ,
répondit promptement à M. Chanut, et ne témoigna pas, dans sa réponse,
avoir reçu ces secondes ; cependant il les avoit reçues quand il répondit à
Chanut le 3 1 mars ; car dans la 44e lettre du xer volume , adressée à la priu-
cesse Palatine, et écrite le icr avril if>4o, , M. Descartes dit à cette prin-
cesse qu'il lui avoit écrit il y avoit un mois , qu'il avoit reçu des lettres de
Suède (et cela vouloit dire les premières, qui avoient été le chercher â Paris),
et qu'il en avoit reçu depuis peu de secondes , comme de la part de la
reine de Suède, auxquelles il avoit fait la réponse qui est enfermée dans
les 4 2 et 43e lettres du Ier volume. Tout cela me persuade que les 42 et
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LETTRES. 021
mais je viens d'en recevoir la copie par le soin de
M. Brasset, et je tiens à une très insigne faveur
d'apprendre par elle qu'il plaît à la reine de Suède
que j'aie l'honneur de lui aller faire la révérence.
J'ai tant de vénération pour les hautes et rares qua-
lités de cette princesse, que les moindres de ses
volontés sont des commandements très absolus à
mon regard : c'est pourquoi je ne mets point ce
voyage en délibération , je me résous seulement à
obéir. Mais pourceque vous ne me prescrivez au-
cun temps, et que vous ne le proposez que
comme une promenade dont je pourrois être de
retour dans cet été, j'ai pensé qu'il seroit malaisé
que je puisse donner grande satisfaction à sa ma-
jesté en si peu de temps, et qu'elle aura peut-
être plus agréable que je prenne mes mesures plus
♦
43e de ce volume, qui oui été envoyées à M. Chanut , sont bien datées
du 3i mars 1649; premièrement, elles sont ainsi datées dans l'imprimé;
et dans le catalogue des lettres reçues par M. Chanut il est marqué deux
lettres de M. Descartes, reçues le 3i mars 1649. Ainsi, ces deux lettres
sont du 3i mars 1649.» — «La \->.'' du ier volume, page i35, est de
M. Descartes à M. Cbauut ; il répond dans cette lettre à une que M. Cha-
nut lui avoit écrite à Paris, l'y croyant encore , et que M. Descartes ne
reçut que vers la mi-février, par le soin de M. Picot, qui lui en avoit en-
voyé la copie. Cette lettre et la suivante étoient datées dtEgmond, du 3i
mars 1648. Cependant il y a grande apparence qne toute cette date est
fautive , et je me persuade que cette lettre et la suivante 43e sont écrites
en même temps, le i3 mars 1649. Il est toujours constant que cette lettre
de M. Descartes et la suivante, qui n'en font qu'une, sont dn mois de mars
1649. »
10. ai
r
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longues , et fasse mon compte de passer l'hiver à
Stockholm. De quoi je tirerai un avantage que j'a-
voue être considérable à un homme qui n'est plus
jeune, et qu'une retraite de vingt ans a entièrement
désaccoutumé de la fatigue; c'est qu'il ne sera point
nécessaire que je me mette en chemin au com-
mencement du printemps, ni à la fin de l'au-
tomne , et que je pourrai prendre la saison la plus
sûre et la plus commode , qui sera je crois, vers le
milieu de l'été , outre que j'espère avoir cepen-
dant le loisir de mettre ordre à quelques affaires
qui m'importent. Ainsi je me propose d'attendre
l'honneur de recevoir encore une fois de vos let-
tres avant que je parte d'ici, et je ne manquerai
pas d'obéir très exactement à tout ce qui me sera
commandé de la part de sa majesté, ou bien à ce
qu'il vous plaira me faire savoir lui être agréable ;
car je ne sais s'il est à propos qu'elle sache que j'ai
demandé ce délai , et je n'oserois prendre la liberté
de lui écrire, pourceque le respect et le zèle que
j'ai me font juger que mon devoir seroit de me
rendre au lieu où elle est, avant que les courriers
y pussent porter des lettres ; mais je me fie en
votre amitié et en votre adresse pour ménager mes
excuses. Au reste, je ne sais en quels termes je
vous puis remercier de toutes les offres qu'il vous
plaît me faire, jusques à me vouloir même loger
chez vous. Je n'ose les accepter ni les refuser. Je
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LETTRES. 323
vous puis seulement assurer que je ferai tout mon
possible pour n'en user qu'en telle sorte que ni
vous ni aucun des vôtres n'en serez incommodés,
et que je serai toute ma vie, etc.
*
A M. CHANUT.
(Lettre 43 du tome I.)
Monsieur,
Je vous donnerai, s'il vous plaît, la peine de lire
cette fois deux de mes lettres, car jugeant que
vous en voudrez peut-être faire voir une à la reine
de Suède, j'ai réservé pour celle-ci ce que je pen-
sois n'être pas besoin qu'elle vît , à savoir que j'ai
beaucoup plus de difficulté à me résoudre à ce
voyage que je ne me serois moi-même imaginé.
Ce n'est pas que je n'aie un très grand désir de
rendre service à cette princesse. J'ai tant de
créance à vos paroles , et vous me l'avez représen-
tée avec des mœurs et un esprit que j'admire et
estime si fort, qu'encore qu'elle ne seroit point en
la haute fortune où elle est, et n'auroit qu'une
naissance commune, si seulement j'osois espérer
31.
5^4 LETTRES.
que mon voyage lui fût utile, j'en voudrois entre-
prendre un plus long et plus difficile que celui de
Suède, pour avoir l'honneur de lui offrir tout ce
que je puis contribuer pour satisfaire à son désir.
Mais l'expérience m'a enseigné que même entre les
personnes de très bon esprit, et qui ont un grand
désir de savoir, il n'y en a que fort peu qui se
puissent donner le loisir d'entrer en mes pensées,
en sorte que je n'ai pas sujet de l'espérer d'une
reine qui a une infinité d'autres occupations. L'ex-
périence m'a aussi enseigné que, bien que mes opi-
nions surprennent d'abord, à cause qu'elles sont
fort différentes des vulgaires , toutefois , après
qu'on les a comprises, on les trouve si simples
et si conformes au sens commun, qu'on cesse
entièrement de les admirer, et par même moyen
d'en faire cas, à cause que le naturel des hommes
est tel, qu'ils n'estiment que les choses qui leur
laissent de l'admiration, et qu'ils ne possèdent pas
tout-à-fait. Ainsi, encore que la santé soit le plus
grand de tous ceux de nos biens qui concernent
le corps, c'est toutefois celui auquel nous fai-
sons le moins de réflexion, et que nous goûtons
le moins. La connoissance de la vérité est comme
la santé de l'âme : lorsqu'on la possède on n'y
pense plus. Et, bien que je ne désire rien tant que
de communiquer ouvertement et gratuitement à
un chacun tout le peu que je pense savoir, je ne
LETTRES. ' 525
rencontre presque personne qui le daigne appren-
dre. Mais je vois que ceux qui se vantent d'avoir
des secrets, par exemple en la chimie ou en l'as-
trologie judiciaire, ne manquent jamais, tant
ignorants et impertinents qu'ils puissent être , de
trouver des curieux qui achètent bien cher leurs
impostures. Au reste , il semble que la fortune est
jalouse de ce que je n'ai jamais rien voulu atten-
dre d'elle, et que j'ai tâché de conduire ma vie en
telle sorte qu'elle n'eût sur moi aucun pouvoir;
car elle ne manque jamais de me désobliger , si-
tôt qu'elle en peut avoir quelque occasion. Je l'ai
éprouvé en tous les trois voyages que j'ai faits en
France, depuis que je suis retiré en ce pays; mais
particulièrement au dernier, qui m'avoit été com-
mandé comme de la part du roi. Et pour me con-
vier à le faire, on m'a voit envoyé des lettres en
parchemin, et fort bien scellées, qui contenoient
des éloges plus grands que je n'en méritois, et le
don d'une pension assez honnête; et de plus, par
des lettres particulières de ceux qui m'envoyoient
celles du roi, on me promettoit beaucoup plus
que cela, sitôt que je serois arrivé. Mais lorsque
j'ai été là, les doubles inopinément survenus ont
fait qu'au lieu de voir quelques effets de ce qu'on
m'avoit promis, j'ai trouvé qu'on avoit fait payer
par l'un de mes proches les expéditions des lettres
qu'on m'avoit envoyées, et que je lui en devois
3^6 LETTRES.
rendre l'argent ; en sorte qu'il semble que je n e-
tois allé â Paris que pour acheter un parchemin,
le plus cher et le plus inutile qui ait jamais été
entre mes mains. Je me soucie néanmoins fort
peu de cela : je ne Taurois attribué qu'à la fâcheuse
rencontre des affaires publiques, et n'eusse pas
laissé d'être satisfait si j'eusse tu que mon voyage
eût pu servir de quelque chose à ceux qui m'a-
voient appelé. Mais ce qui m'a le plus dégoûté,
c'est qu'aucun d'eux n'a témoigné vouloir connoî-
rre autre chose de moi que mon visage; en sorte
que j'ai sujet de croire qu'ils me vouloient seu-
lement avoir en France comme un éléphant ou une
panthère, à cause de la rareté, et non point pour
y être utile à quelque chose. Je n'imagine rien de
pareil du lieu où vous êtes ; mais les mauvais suc-
cès de tous les voyages que j'ai faits depuis vingt
ans me font craindre qu'il ne me reste plus pour
celui-ci que de trouver en chemin des voleurs qui
me dépouillent, ou un naufrage qui m'ôte la vie.
Toutefois cela ne me retiendra pas, si vous jugez
que cette incomparable reine continue dans le
désir d'examiner mes opinions , et qu'elle en puisse
prendre le loisir; je serois ravi d'être si heureux,
que de lui pouvoir rendre service. Mais si cela
n'est pas, et qu'elle ait seulement eu quelque cu-
riosité qui lui soit maintenant passée, je vous
supplie et vous conjure de faire en sorte que sans
Digitized by
LETTRES. 327
lui déplaire je puisse être dispensé de ce voyage ;
et je serai toute ma vie, etc.
D*Egmond , le 3i mars 1648 x.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etc. ■.
(Lettre 44 du tome I.)
1
Madame,
Il y a environ un mois que j'ai eu l'honneur
d'écrire à votre altesse, et de lui mander que j'avois
reçu quelques lettres de Suède; je viens d'en rece-
voir derechef, par lesquelles je suis convié de la
part de la reine d'y faire un voyage à ce printemps,
afin de pouvoir revenir avant l'hiver: mais j'ai
répondu de telle sorte , que bien que je ne refuse
pas d'y aller, je crois néanmoins que je ne partirai
point d'ici que vers le milieu de l'été. J'ai demandé
ce délai pour plusieurs considérations , et parti cu-
- 1 Datée du 3i mars 1649. Voyet l'appendice de la lettre précé-
dente. »
• « Pas datée, mais la 43e étant du 3r mars , celle-ci est immanqua-
blement du 3i avril 1649. Voye» le commencement de la lettre, et son
rapport avec les deux précédentes. >•
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328 LETTRES.
fièrement afin que je puisse avoir l'honneur de
recevoir les commandements de votre altesse avant
que de partir. J ai déjà si publiquement déclaré le
zèle et la dévotion que j'ai à votre service, qu'on
auroit plus de sujet d'avoir mauvaise opinion de
moi si on remarquoit que je fusse indifférent en
ce qui vous touche, que l'on n'aura si on voit que
je recherche avec soin les occasions de m 'acquitter
de mon devoir. Ainsi je supplie très humblement
votre altesse de me faire tant de faveur que de
m 'instruire de tout ce en quoi elle jugera que je
lui puis rendre service, à elle ou aux siens, et de
s'assurer qu'elle a sur moi autant de pouvoir que
si j'avois été toute ma vie son domestique. Je la
supplie aussi de me faire savoir ce qu'il lui plaira
que je réponde, s'il arrive qu'on se souvienne des
lettres de votre altesse, touchant le souverain
bien, dont j'avois fait mention l'an passé dans les
miennes, et .qu'on ait la curiosité de les voir., Je
fais mon compte de passer l'hiver en ce pays-là,
et de n'en revenir que l'année prochaine ; il est à
croire que la paix sera pour lors en toute l'Allema-
gne, et si mes désirs sont accomplis, je prendrai
au retour mon chemin par le lieu où vous serez,
afin de pouvoir plus particulièrement témoigner
que je suis, etc.
LETTRES.
;
A M. CHANUT \
i
(Lettre 45 du tome I.)
Monsieur,
La philosophie que j'étudie ne m'enseigne point
à rejeter l'usage des passions, et j'en ai d'aussi
violentes pour souhaiter le calme et la dissipation
des orages de France, qu'en sauroit avoir aucun
de ceux qui y sont le plus engagés ; d'où vous ju-
gerez, s'il vous plaît, combien est grande l'obliga-
tion que je vous ai d'avoir pris la peine de me
faire part des bonnes nouvelles que vous avez
eues de Saint-Germain. Ma joie auroit été parfaite,
si je n'avois point lu dans les dernières gazettes que
l'archiduc s'avance vers Paris , et qu'on l'a laissé
passer comme ami jusques à Soissons. C'est porter
les choses à une grande extrémité , que d'attendre
du secours de ceux dont on sait que le principal
intérêt est de faire que notre mal dure. Je prie
» « Par deux lettres de M. Descartes à M. Picot, datées des 7 et x4 de
f
mai , M. Chanut n'étoit pas encore venu de Suède en Hollande. Ain>i, il
n'arriva que sur la fin de mai, et Payant su , il lui écrivit cette lettre 45,
* \ ' "
que je date du iS niai 164g. »
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330 LETTRES.
Dieu que la fortune de la France surmonte les
efforts de tous ceux qui ont dessein de lui nuire.
Pour la promenade à laquelle on m'a fait l'honneur
de m'inviter, si elle étoit aussi courte que celle de
votre logis jusques au bois de La Haye, j'y serois
bientôt résolu; la longueur du chemin mérite bien
qu'on prenne quelque temps pour délibérer avant
que de l'entreprendre; ainsi , encore qu'il soit mal-
aisé que je résiste à un commandement qui vient
de si bon dieu, je ne crois pas néanmoins que je
parte d'ici de plus de trois mois. Et je vous supplie
de croire qu'en quelque lieu du monde que j aille,
je serai toujours avec un même zèle , etc.
■
A M. CHANUT \
(Lettre A 6 du tome I.)
Monsieur,
On n'a point trouvé étrange quUlysse ait quitté
les îles enchantées de Calypso et de Circé, où il
* « M. Descartes n'ayant pas témoigné, dans les 4a et 43e, du 3i mars
1649, qu'il avoit reçu la lettre du 27 février, il y fait ici une espèce de
réponse , sans marquer qu'il Tait reçue depuis. C'est en témoiguage de la
peine qu'il avoit de quitter son ermitage d'Egtnond. Je la date du 4 avril
1649. »
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LETTRES. 33 1
pouvoit jouir de tontes les voluptés imaginables ,
et qu'il ait aussi méprisé le chant des sirènes , pour
aller habiter un pays pierreux et infertile , d'au-
tant que c'étoit le lieu de sa naissance : mais j'a-
voue qu'un homme qui est né dans les jardins de
la Touraine, et qui est maintenant en une terre
où s'il n'y a pas tant de miel qu'en celle que Dieu
avoit promise aux Israélites, il est croyable qu'il
y a plus de lait, ne peut pas si facilement se ré-
soudre à la quitter pour aller vivre au pays des
ours, entre des rochers et des glaces. Toutefois
à cause que ce même pays est aussi habité par des
hommes, et que la reine qui leur commande a
toute seule plus de savoir, plus d'intelligence et
plus de raison que tous les doctes des cloîtres et
des collèges que la fertilité des pays où j'ai vécu a
produits, je me persuade que la beauté du lieu
n'est pas nécessaire pour la sagesse , et que les
hommes ne sont pas semblables aux arbres, qu'on
observe ne croître pas si bien lorsque la terre où
ils sont transplantés est plus maigre que celle où
ils avoient été semés. Vous direz que je ne vous
rends ici que des imaginations et des fables , pour
les importantes et véritables nouvelles dont il vous
a plu me faire part; mais ma solitude ne produit
pas à présent de meilleurs fruits, et l'aise que j'ai
de savoir que la France a évité le naufrage en une
très grande tempête emporte tellement mon es-
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33a LETTRES.
prit, que je ne puis rien dire ici sérieusement ,
sinon que je suis, etc.
A M. CHANUT.
(Lettre 47 du tome h)
Monsieur,
Si votre dernière lettre , du 6 mars , m'eût été
rendue au temps que les messagers la dévoient
apporter, je crois que j'aurois eu l'honneur de
vous voir à Stockholm avant que vous eussiez reçu
celle-ci ; mais ayant été retenue douze ou treize
jours entre La Haye et Alkmaar, il est arrivé que
M. l'amiral Fl. 1 a pris la peine de venir ici avant
qu'elle m'eût appris qui il étoit ; en sorte que, bien
qu'il ait usé de plus de civilités que je n'en méritois,
pour me convier à faire le voyage en sa compagnie ,
il ne m'a pas semblé que cela me dût faire prendre
une résolution contraire à ce que je vous avois
écrit quelques jours auparavant, à savoir que
j'attendrois l'honneur de recevoir encore une fois de
vos lettres avant que je partisse d'ici. Car j'appre-
nois seulement de ses paroles que vous lui aviez
écrit en ma faveur, ce que je ne considérois que
1 « Memmiup. »
y
LETTRES. 533
comme un effet de votre amitié ; et les offres qu'il
me faisoit me sembloient n être que des excès de
sa courtoisie, à cause que ne sachant point qu'il
est l'un des amiraux de Suède, je ne voyois pas en
quoi sa compagnie me pouvoit aider pour la sûreté
et la commodité du voyage. Et je n'avois point
assez de présomption pour m'imaginer qu'une reine
qui a tant de grandes choses à faire, et qui em-
ploie si dignement tous les moments de sa vie ,
eût voulu avoir la bonté de vous charger de me
recommander à lui de sa part. Je me tiens si obligé
de cette faveur, que je vous puis assurer qu'il
n'y aura rien qui me retienne, sitôt que j'aurai
eu de vos lettres , et que j'ai un extrême désir de
vous aller dire que je suis , etc.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etC.
(Lettre 48 du tome I.)
Madame,
Puisque votre altesse désire savoir quelle est ma
résolution touchant le voyage de Suède , je lui dirai
• « Je la crois du 4 juin 1649 , ou environ. >»
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334 LETTRES.
que je persiste dans le dessein d'y aller , en cas
que la reine continue à témoigner quelle veut que
j'y aille, et M. Chanut, notre R." en ce pays-là, étant
passé ici il y a huit jours, pour aller en France ,
ma parlé si avantageusement de cette merveilleuse
reine , que le chemin ne me semble plus si long
ni si fâcheux qu'il faisoit auparavant ; mais je ne
partirai point que je n'aie reçu encore une fois des
nouvelles de ce pays-là , et je tâcherai d'attendre
le retour de M. Chanut pour faire le voyage avec
lui , pourceque j'espère qu'on le renverra en
Suède. Au reste , je m'estimerois extrêmement heu-
reux si , lorsque j'y serai , j'étois capable de rendre
quelque service à votre altesse. Je ne manquerai
pas d'en rechercher avec soin les occasions , et ne
craindrai point d'écrire ouvertement tout ce que
j'aurai fait ou pensé sur ce sujet , à cause que ne
pouvant avoir aucune intention qui soit préjudi-
ciable à ceux pour qui je serai obligé d'avoir du
respect , et tenant pour maxime que les voies justes
et honnêtes sont les plus utiles et les plus sûres ,
encore que les lettres que j'écrirai fussent vues ,
j'espère qu'elles ne pourront être mal interprétées ,
ni tomber entre les mains de personnes qui soient
si injustes que de trouver mauvais que je m'ac-
quitte de mon devoir , et fasse profession ouverte
detre, etc.
« « Résident. »
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LETTRES.
------
535
A M. FREINSHEMIUS '.
(Lettre 49 du tome I.)
Monsieur ,
Entre les excellentes qualités de M. Chanut ,
celle qui me semble mériter le plus d'amitié est
qu'il a soin de faire que tous ceux qu'il aime
soient aussi amis les uns des autres. Et outre qu'il
m'a assuré en passant ici qu'il vous a déjà inspiré
quelque bonne volonté pour moi , il m'a si bien
décrit votre vertu et votre franchise, que je ne
laisserois pas d'être entièrement à vous, encore que
je n'espérasse aucune part en votre affection. Ainsi ,
monsieur, je me promets que vous ne trouverez
pas étrange que je m'adresse librement à vous en
son absence , et que je vous supplie de me déli-
vrer d'un scrupule qui vient de l'extrême désir
que j'ai d'obéir ponctuellement à lareine votre maî-
tresse, touchant la grâce qu'elle m'a faite d'agréer
que j'aie l'honneur de lui aller faire la révérence
à Stockholm. M. Chanut vous sera témoin qu'avant
i * Pas datée ; mais on y voit qu'elle est postérieure à l'arrivée de
M. Chanut en Hollande : aussi je la fixe au 10 juin 1649. »
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53t) LETTRES.
qu'il fut arrivé ici , j'avois préparé mon petit équi-
page , et tâché de vaincre toutes les difficultés qui
se présentent à un homme de ma sorte et de mon
âge , lorsqu'il doit quitter sa demeure ordinaire
pour s'engager à un si long chemin. Mais nonob-
stant qu'il m'ait trouvé ainsi disposé à partir, et
que j'aie trouvé aussi qu'il étoit disposé à user de
toutes sortes de raisons pour me persuader ce voya-
ge, en cas que je n'y eusse pas été résolu ; toutefois
pourcequ'il ne m'a point dit qu'il eût aucun ordre
de sa majesté pour me commander de me hâter, et
que l'été est encore long , je lui ai proposé une dif-
ficulté dont il a trouvé bon que je vous priasse
de m'éclaircir : c'est que n'ayant pu me préparer
à ce voyage sans que plusieurs aient su que j'a-
vois intention de le faire, et qu'ayant quantité d'en-
nemis, non point, grâce à Dieu, à cause de ma per-
sonne , mais en qualité d'auteur d'une nouvelle
philosophie , je ne doute point que quelques uns
n'aient écrit en Suède , pour tâcher de m'y décrier.
Il est vrai que je ne crains pas que les calomnies
aient aucun pouvoir sur l'esprit de sa majesté ,
pourceque je sais qu'elle est très sage et très clair-
voyante; mais à cause que les souverains ont grand
intérêt d'éviter jusqu'aux moindres occasions que
leurs sujets peuvent prendre pour désapprouver
leurs actions , je serois extrêmement marri que ma
présence servît de sujet à la médisance de ceux qui
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LETTRES. 337
pourraient avoir envie de dire qu'elle est trop as-
sidue à l'étude , ou bien qu'elle reçoit auprès de
soi des personnes d'une autre religion , ou choses
semblables ; et bien que je désire extrêmement
l'honneur de m'aller offrir à sa majesté, je sou-
haite plutôt de mourir dans le voyage , que d'ar-
river là pour servir de prétexte à des discours
qui lui pussent être tant soit peu préjudiciables.
C'est pourquoi , monsieur, je vous supplie, non
point de parler de ceci à sa majesté, mais de pren-
dre la peine de me mander, sur ce que vous juge-
rez de ses inclinations , et de la conjoncture des
temps , ce qu'il est à propos que je fasse , et je
manquerais pas d'y obéir exactement, soit que vous
ordonniez que j'attende le retour de M. de Chanut
( car , quoi qu'il puisse dire , je ne crois pas qu'il
ait laissé là madame sa femme, afin qu'elle retourne
en France toute seule), soit que vous aimiez
mieux que je me mette en chemin aussitôt après
que j'aurai eu de vos nouvelles. Je vous demande
encore une autre grâce , c'est qu'ayant été impor-
tuné par un ami de lui donner le petit Traité des
passions que j'ai eu l'honneur d'offrir ci-devant à
sa majesté , et sachant qu'il a dessein de le faire
imprimer, avec une préface de sa façon, je n'ai
encore osé lui envoyer, pour ce que je ne sais si
sa majesté trouvera bon que ce qui lui a été pré-
senté en particulier soit rendu public, même sans
»0. 22
338 LETTRES.
lui être dédié. Mais pourceque ce traité est trop
petit pour mériter de porter le nom d'une si grande
princesse, à laquelle je pourrai offrir quelque jour
un ouvrage plus important, si cette sorte d'hommage
ne lui déplaît point , j'ai pensé que peut-être elle
n'aura point désagréable que j'accorde à cet ami
ce qu'il m'a demandé ; et c'est ce que je vous sup-
plie très humblement de m'apprendre , car le prin-
cipal de tous mes soins est de tâcher de lui obéir
et de lui plaire. Au reste , afin que vous sachiez
comment je me gouverne avec ceux auxquels je
me donne , je vous dirai ici que je prétends que
vous m'avez de l'obligation de ce que je souffre
que vos offices préviendront les miens , et que je
suis , etc.
A M. CLERSELIER \
(Lettre 119 du tome I.)
Monsieur,
Je ne m'étendrai point ici à vous remercier de
tous les soins et des précautions dont il vous a plu
» « Après sa résolution prise d'aller en Suède ; je date donc cette lettre
du t5 avril 1649. ■
y
LETTRES. OO9
user afin que les lettres que j'ai eu l'honneur de
recevoir du pays du Nord ne manquassent pas de
tomber entre mes mains; car je vous suis d'ailleurs
si acquis , et j'ai tant d'autres preuves de votre ami-
tié, que cela ne m'est pas nouveau. Je vous dirai
seulement qu'il ne s'en est égaré aucune, et que je
me résous au voyage auquel j'ai été convié par les
dernières, bien que j'y aie eu d'abord plus de répu-
gnance que vous ne pourriez peut-être imaginer.
Celui que j'ai fait à Paris l'été passé m'avoit rebuté;
et je vous puis assurer que l'estime extraordinaire
que je fais de M. Chanut, et l'assurance que j'ai
de son amitié, ne sont pas les moins principales
raisons qui m'ont fait résoudre.
Pour le Traité des passions, je n'espère pas qu'il
soit imprimé qu'après que je serai en Suède, car
j'ai été négligent à le revoir, et y ajouter les choses
que vous avez jugé y manquer, lesquels l'augmen-
teront d'un tiers ; car il contiendra trois parties ,
dont la première sera des passions en général, et
par occasion de la nature de l'âme, etc., la seconde
des six passions primitives, et la troisième de tou-
tes les autres.
Pour ce qui est des difficultés qu'il vous a plu me
proposer, je réponds à la première, qu'ayant des-
sein de tirer une preuve de l'existence de Dieu
de l'idée ou de la pensée que nous avons de lui ,
j 'ai cru être obligé de distinguer, premièrement, tou-
3Î.
340 LETTRES.
tes nos pensées en certains genres, pour remarquer
lesquelles ce sont qui peuvent tromper; et en mon-
trant que les chimères mêmes n'ont point en elles
de fausseté, prévenir l'opinion de ceux qui pour-
roient rejeter mon raisonnement, sur ce qu'ils met-
tent l'idée qu'on a de Dieu au nombre des chimères.
J'ai dû aussi distinguer entre les idées qui sont
nées avec nous et celles qui viennent d'ailleurs, ou
sont faites par nous, pour prévenir l'opinion de
ceux qui pourroient dire que l'idée de Dieu est
faite par nous, ou acquise par ce que nous en avons
ouï dire. De plus j'ai insisté sur le peu de certitude
que nous avons de ce que nous persuadent toutes
les idées que nous pensons venir d'aii leurs, pour
montrer qu'il n'y en a aucune qui fasse rien con-
noître de si certain que celle que nous avons de
Dieu. Enfin je n'avois pu dire qu'il se présente en-
core une autre voie, etc., si je n'avois auparavant
rejeté toutes les autres, et par ce moyen préparé
les • lecteurs à mieux concevoir ce que j'avois à
écrire.
2. Je réponds à la seconde, qu'il me semble voir
très clairement qu'il ne peut y avoir de progrès à
l'infini au regard des idées qui sont en moi , à cause
que je me sens fini, et qu'au lieu où j'ai écrit cela, je
n'admets en moi rien de plus que ce que je connois
y être; mais quand je n'ose par après nier le pro-
grès à l'infini , c'est au regard des œuvres de Dieu ,
LETTRES. 34l
lequel je sais être infini , et par conséquent que ce
n'est pas à moi à prescrire aucune fin à ses ouvrages.
3. A ces mots substantiam , durationem , nume-
rum, etc., j'aurois pu ajouter veritatem, perfectio-
nem, ordinem, et plusieurs autres dont le nombre
n'est pas aisé à définir; et on peut disputer de tou-
tes, si elles doivent être distinguées ou non des
premières que j'ai nommées, car veritas non dis-
tinguitur a re vera , sive substantia , nec perfectio a
re perfecta, etc.; c'est pourquoi je me suis contenté
de mettre, et si quœ alia sint ejusmodi.
4. Per infinitam. substantiam, intelligo substan-
tiam perfecliones veras et reaies actu infinitas et im-
mensas habentem. Quod non est accidens notioni sub-
stantiel superadditum , sed ipsa essentia substantiœ
ab soluté sumptœ, nullisijue defectibus terminatœ, qui
defectus ratione substantiœ accidentia sunt, von au-
tem infinitas, velinfinitudo. Et il faut remarquer que
je ne me sers jamais du mot d'infini pour signifier
seulement n'avoir point de fin, ce qui est négatif,
et à quoi j'ai appliqué le mot d'indéfini; mais pour
signifier une chose réelle, qui est incomparablement
plus grande que toutes celles qui ont quelque fin.
5. Or, je dis que la notion que j'ai de Y infini est en
moi avant celle du fini; poureeque de cela seul que
je conçois l'être ou ce quiest, sans penser s'il est fini
ou infini, c'est l'être infini que je conçois ; mais afin
que je puisse concevoir un être fini, il faut que je
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LETTRES.
retranche quelque chose de cette notion générale
de l'être, laquelle par conséquent doit précéder.
6. Est inquamhœc ideasumme vera, etc. La vérité
consiste en l'être , et la fausseté au non-être seule-
ment ; en sorte que l'idée de l'infini comprenant
tout l'être, comprend tout ce qu'il y a de vrai dans
les choses, et ne peut avoir en soi rien de faux,
encore que d'ailleurs on veuille supposer qu'il n'est
pas vrai que cet être infini existe.
7. Et suflicit me hoc ipsum intelligere, Nempe
sufficit me intelligere hoc ipsum quod Deus a me non
comprehendatur utDeum juxta rei veritatem et qua-
lis est intelligam, modo praeterea judicem omnes
in eo esse perfectiones quas clare intelligo, et in-
super multo plures, quas comprehendere non
possum.
8. Quantum ad parentes, utomniavera sint> etc.
C'est-à-dire, encore que tout ce quenous avons cou-
tume de croire d'eux soit peut-être vrai , à savoir,
qu'ils ont engendré nos corps, je ne puis pas tou-
tefois imaginer qu'ils m'aient fait , en tant que je ne
me considère que comme une chose qui pense ,
à cause que je ne vois aucun rapport entre l'action
corporelle, par laquelle j'ai coutume de croire qu'ils
m'ont engendré, et la production d'une substance
qui pense.
Omnem fraudem a defectu pendere, mihi est lu-
mine naturali manifestum; quia ens in quo nulla est
LETTRES. 343
imperfectio non potest tendere in non ens, hoc est,
pro fine et instttuto suo habere non ens , sive non bo-
num sive non verum, hœc enim tria idem sunt. In
omni autem fraude esse falsitatem manifestum est fal-
sitatemque esse aliquid non verum. et ex consequenti
non ens , et non bonum. Excusez si j'ai entrelardé
cette lettre de latin ; le peu de loisir que j'ai eu l'é-
crivant ne me permet pas de penser aux paroles, et
j'ai seulement désir de vous assurer que je suis, etc.
t
A M. DE CA.RCA.VI.
(Lettre i5 du tome III.)
Le t r join 1649.
Monsieur,
•*...... .. •..»....
Je vous suis très obligé de l'offre qu'il vous a plu
me faire de l'honneur de votre correspondance ,
touchant ce qui concerne les bonnes lettres, et je
la reçois comme une faveur que je tâcherai de mé-
riter par tous les services que je serai capable de
vous rendre. J'avois cet avantage pendant la vie du
bon P. Mersenne, que, bien que je ne m'enquisse
jamais d'aucune chose, je ne laissois pas d'être averti
soigneusement de tout ce qui se passoit entre les
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544 LETTRES.
doctes; en sorte que s'il me faisoit quelquefois des
questions ', il m'en payoit fort libéralement les ré-
ponses, en me donnant avis de toutes les expé-
riences que lui ou d'autres avoient faites, de toutes
les rares inventions qu'on avoit trouvées ou cher-
chées, de tous les livres nouveaux qui étoient en
quelque estime, et enfin de toutes les controverses
qui étoient entre les savants. Je craindrois de me
rendre importun si je vous demandois toutes ces
choses ensemble , mais je me promets que vous
n'aurez pas désagréable que je vous prie de m'ap-
prend re le succès d'une expérience qu'on m'a dit
que M. Pascal avoit faite ou fait faire sur les mon-
tagnes d'Auvergne, pour savoir si le vif-argent
monte plus haut dans le tuyau étant au pied de la
montagne, et de combien il monte plus haut qu'au
dessus. J'aurois droit d'attendre cela de lui plutôt
que de vous, parceque c'est moi qui l'ai avisé il y
a deux ans de faire cette expérience , et qui l'ai as-
suré que, bien que je ne l'eusse pas faite, je ne
doutois point du succès. Mais parcequ'il est ami
de M. R***, qui fait profession de n'être pas. le
mien , et que j'ai déjà vu qu'il a tâché d'attaquer
ma matière subtile dans un certain imprimé de
deux ou trois pages, j'ai sujet de croire qu'il suit
les passions de son ami , lequel ne fait aucunement
paroître , par ce que vous m'avez envoyé de sa part,
qu'il sache la solution de la difficulté de M. de
LETTRES. 3/<5
Fermât touchant les équations entre cinq ou six
termes incommensurables ; et afin que vous puis-
siez voir la preuve, je vous dirai que lorsqu'on
a \/af \/b\ \/c= \/d\ y/e, une partie de l'équa-
tion , après que toutes les assymétries sont ôtées ,
doit être aPb •{- rjcfb -j- §a5bbc9 -j* 22asbcd-\- y^afbcde
f $2u3b3cd f 3^a3bbccd f igoaabbccde , avec tous
les termes des mêmes espèces que ces huit. Comme
par exemple , aPc, a?d9 aPe, &a9 bnc9 etc. , sont de
même espèce que aPb 9 et ainsi des autres. Faites
donc s'il vous plaît que M. R*** vous donne l'au-
tre partie de cette équation, avant que de croire
qu'il la puisse trouver. Mais si vous ne la pouvez
avoir de lui , je ne manquerai pas de vous l'envoyer,
et de tâcher en tout ce qui me sera possible de vous
témoigner que je suis, etc.
■
RÉPONSE DE M. DE CARCAV1
A M. DESCARTES.
r *
(Lettre 76 du tome III.)
A Paris , le 9 juillet «7 49.
Monsieur,
Si je n'eusse été absent de cette ville pendant
un mois et davantage , je n'aurois pas manqué de
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546 LETTRES.
faire plutôt réponse à la lettre que vous avez pris
la peine de m'écrire du onzième du mois passé ,
et vous remercier de la faveur que vous me faites
de me donner de vos nouvelles , et d'agréer que
je vous écrive de temps en temps celles que je
croirai vous apporter davantage de satisfaction. Si
j'avois les mêmes habitudes et la même pratique
pour les expériences que le feu bon père Mersenne,
vous en recevriez le même contentement; mais
je tacherai de suppléer à cela par la curiosité de
ceux que je saurai qui les font avec plus de soin
et de diligence. Celle que vous me demandez de
M. Pascal le jeune est imprimée il y a déjà quel-
ques mois , et a été faite fort exactement sur une
haute montagne d'Auvergne, appelée le Puys-de-
Dôme; sa hauteur est d'environ cinq cents toises:
on fit premièrement l'expérience au couvent des
révérends pères minimes de la ville de Clermont,
qui est presque le plus bas lieu de la ville. L'on
prit deux tuyaux de verre, longs chacun de quatre
pieds, le vif-argent qui resta à chacun d'eux, joints
l'un contre l'autre, se trouva à même niveau, et
il y en avoit au-dessus de la superficie du vaisseau
dans lequel on les vida la hauteur de vingt-six
pouces trois lignes et demie; après cela on monta
au haut de la montagne, qui est tout proche de la
ville, plus haute, ainsi que j'ai dit, d'environ cinq
cents toises, où l'on trouva qu'il ne restoit plus
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LETTRES. 547
de vif-argent dans le tuyau que la hauteur de
vingt-trois pouces deux lignes; et ainsi entre les
hauteurs de vif-argent de ces deux expériences
il y eut trois pouces une ligne et demie de diffé-
rence , ce qui étant réitéré diverses fois se trouva
toujours de même. Et encore en descendant de la
montagne Ton fit l'expérience en un lieu appelé
la Fou de l'arbre, bien plus haut que les minimes,
mais aussi plus bas que le sommet de la montagne,
et la hauteur du vif-argent se trouva de vingt-cinq
pouces.
Voilà, monsieur, en substance ce que vous
m'avez demandé, à quoi je n'ajouterai pas grand
chose pour maintenant, à cause du peu de temps
qu'il y a que je suis arrivé, qui ne m'a pas même
donné le loisir de lire deux petits livres qu'on
m'a envoyés de Rome, et que je fais porter chez
M. Picot, parcequ'il y en a un qui parle avec estime
des principes que vous avez fait imprimer, mais
qui ne les a pas , ce me semble , bien entendus ;
et M. Picot s'est chargé de m'en écrire son avis,
pour le lui faire tenir à Rome, où il y a un mi-
nime, nommé le père Magnan, plus intelligent,
que le feu père Mersenne, qui m'a fait espérer
quelques objections contre vos mêmes principes,
ce que je souhaiterois être fait avec jugement, et
qui méritât une réponse de votre main. Nous at-
tendons bientôt votre Traité des passions , et ce
5/|8 LETTRES.
que M. de Schooten a fait imprimer touchant votre
Géométrie. Ici il n'y a que la philosophie démo-
critique de M. Gassendi , qu'il a faite au sujet de
la vie d'Épicure; un ramas deBétinus, qu'il appelle
/Erarium, semblable à son Apiarium; quelques
traités de feu Cavalieri ; et une défense de la
quadrature du père Grégoire de Saint -Vincent
contre ce qu'en a remarqué le père Mersenne dans
ses derniers ouvrages; lequel père Mersenne
ayant laissé à M. de Roberval le soin d'achever ce
qu'il ajoutoit à l'impression de la perspective du
père Nicéron , ledit sieur de Roberval prendra
cette occasion pour montrer en peu de mots en
quoi il croit qu'il s'est trompé.
Vous me permettrez, s'il vous plaît, de vous
écrire ce qu'il m'a dit sur le sujet des assymétries
de M. de Fermât, savoir, que vous ne prenez pas,
ou qu'il semble que vous ne vouliez pas prendre,
ce que je vous ai mandé de lui sur ce sujet , et que
sa solution porte sa démonstration avec soi , quel-
que nombre qu'il y ait de racines; et que ce que
M. de Fermât nomme \/ba, il l'appelle b, et ainsi des
autres , ne s'arrètant point dans la suite de l'opé-
ration, jusques à ce que l'équation subsiste sous
£», ou ses degrés plus hauts par nombre pair, et
qu'ainsi l'assymétrie en estôtée. Voilà tout ce qu'il
m'a dit sur ce sujet, sur lequel je crois que vous
me ferez la faveur de me mander votre méthode ,
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LETTRES. 349
avec sa démonstration, ainsi que je vous en ai
supplié par ma précédente.
Ledit sieur m'a encore dit, sur ce que vous l'ap-
pelez votre .ennemi , qu'il n'a jamais eu d'autre
pensée que de vous honorer , et m'a prié de vous
l'écrire formellement, comme je ferai ci-après,
pourvu que vous me fassiez la grâce de le trouver
bon, et de croire que je ne le fais pas pour lui
plaire, mais par un désir que j'ai de rétablir, si je
pouvois, la paix entre vous, qui a peut-être été
troublée innocemment par le bon père Mersenne,
qui prenoit parfois les choses un peu trop crûment,
et les écrivoit souvent plutôt selon son génie que
comme elles étoient en effet. Ledit sieur de Roberval
m'a donc dit que si vous l'appelez votre ennemi
parcequ'il vous a recherché en particulier pour
vous dire quelque chose qui ne lui sembloit pas
bien dans votre Géométrie, dont il a été obligé de
donner des démonstrations à ceux qui l'en pres-
soient, suivant l'obligation de sa charge, il ne peut
éviter d'être votre ennemi de cette sorte; mais
que cette inimitié ne sera pas réciproque, car elle
ne sera que dans la créance que vous en aurez ,
étant disposé partout ailleurs à rendre ce qu'il
doit à votre mérite et à votre condition, ainsi
qu'il vous a protesté de vive voix. Or ce qu'il
trouve n'être pas bien dans votre Géométrie est :
1 . Page 326. Que le point G est par tous les
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35o LETTRES.
angles que vous avez nommés, et que vous ne
nommez point celui où il ne peut être; et que ja-
mais la question n'est impossible.
2. Page 3 7 3. Vous dites qu'il y a autant de racines
vraies que les signes -f- et — se trouvent de fois être
changés en une équation , etc. Il y a démonstration
du contraire en une infinité de cas.
3. Pages 4o5 , 406. Touchant le cercle qui coupe
votre parabole ou plutôt conchoïde parabolique ,
il y a une faute et une omission. La faute est en
ce que vous soutenez que le cercle peut couper
cette conchoïde en six endroits, sans avoir égard
à sa compagne qui est de l'autre part de la ligne
DO , et que vous n'avez pas représentée ; il y a
démonstration qu'il ne la peut couper qu'en quatre
endroits, de quelque façon qu'elle puisse être faite.
L'omission est en ce que vous ne vous servez pas
de sa compagne, qui est absolument nécessaire
pour résoudre les équations qui ont six racines
vraies; et que cette omission devient bien plus
considérable, en ce que, pour six racines vraies,
vous faites tomber vos perpendiculaires CG, NR,
QO, etc. , sur la ligne DO, et cependant elle y est
absolument inutile, et il se faut servir d'une autre,
comme dans la parabole ordinaire, qui la voudroit
faire servir à une équation cubique , ou carrée ,
affectée sous tous les degrés , accompagnant cette
parabole d'un cercle , comme vous faites très élé-
LETTRES. 55 1
gamment, il ne faut pas se servir de l'axe. Excusez,
s'il vous plaît, ma liberté, qui ne part que d'un
cœur sincère et de, etc.
A M. DE G ARC AVI.
(Lettre 77 du tome III.)
A La Haye , le 17 août 1649.
Monsieur,
Je vous suis très obligé de la peine que vous
avez prise de m'écrire le succès de l'expérience de
M. Pascal , touchant le vif-argent , qui monte moins
haut dans un tuyau qui est sur une montagne que
dans celui qui est dans un lieu plus bas; j'avois
quelque intérêt de la savoir , à cause que c'est
moi qui l'avois prié, il y a deux ans , de la vouloir
faire, et je l'avois assuré du succès, comme étant
entièrement conforme à mes principes , sans quoi
il n'eût eu garde d'y penser, à cause qu'il étoit
d'opinion contraire. Et pourcequ'il m'a ci-devant
envoyé un petit imprimé, où il décrivoit ses pre-
mières expériences touchant le vide, et promettoit
de réfuter ma matière subtile, si vous le voyez, je
serois bien aise qu'il sût que j'attends encore cette
352 LETTRES.
réfutation , et que je la recevrai en très bonne part,
comme j'ai toujours reçu les objections qui m'ont
été faites sans calomnie. Si on m'envoie celles que
vous me faites espérer du père Magnan , je ne
manquerai pas d'y faire la réponse que je jugerai
être convenable.
La Géométrie de M. Schooten est imprimée;
son latin n'est pas fort élégant, et pourceque je
ne l'eusse pu voir avant qu'il fût imprimé sans être
obligé de le changer tout, je m'en suis entièrement
dispensé. Pour mon Traité des passions, il est vrai
que j'ai promis il y a long-temps de l'envoyer à un
ami 1 qui a dessein de le faire imprimer, mais je
ne le lui ai pas encore envoyé.
Pour la quadrature du père Grégoire de Saint-
Vincent, je n'en fais pas meilleur jugement que
M. de Roberval ; car, quelque animosité que ce der-
nier ait contre moi, il ne peut y avoir aucune con-
sidération qui me détourne du chemin de la vérité,
lorsqu'il me sera connu. Mais je ne puis aucune-
ment connoître par ce qu'il vous a plu m 'écrire de
sa part qu'il puisse démêler les asymétries qui ont
embrouillé M. de Fermât. Ce n'est rien de dire
comme il fait que ce que M. de Fermât nomme
\/b a, il l'appelle b , et ainsi des autres, ne s'arrètant
point dans la suite de l'opération jusqu'à ce que
l'équation subsiste b*, ou ses degrés plus hauts par
i « Clerselier. »
y
LETTRES. 353
nombre pair; la difficulté est de savoir par quelle
opération on peut faire cela, lorsqu'il y a plus
de quatre termes incommensurables donnés. Lors-
qu'il n'y en a que quatre, la cbose est facile, pour-
ceque faisant y/ a -j- y/b , \\ y/c, f y/d , leurs carrés
sont a f i> f 2 y/ab || cfd \\ 2 y/vd, où le nombre
des termes incommensurables est diminué; mais
ayant y/a f y/c \\ y/d f y/* f y/f,
leurs carrés sont, a f b f c f 2 y/ab \ 2 y/ac \
2 y/bc II d y/ de f 2 y/df f 2 y/cf, où
le nombre des termes est augmenté ; c'est ce qui a
embarrasséM. de Fermât, et qui embarrasse encore
maintenant M. de Roberval, quoiqu'il dissimule.
Sans cela il ne feroit pas de difficulté d'achever l'é-
quation dont je me souviens de vous avoir envoyé
la moitié en ma précédente, pourceque c'est
chose facile. Permettez-moi que je l'attende encore
jusques à la première fois que j'aurai l'honneur
de recevoir de vos lettres, afin qu'il puisse d'autant
mieux être convaincu. Je ne puis que je ne vous
aie de l'obligation de ce que vous tâchez de me
persuader qu'il n'est point animé contre moi; c'est
avoir l'âme généreuse et belle que de se porter
ainsi à prévenir les dissensions, au contraire des
esprits malins qui se plaisent à les faire naître et
à les entretenir. Mais je vous dirai que, de ma part,
je n'ai jamais fait tant d'honneur à ceux qui tâ-
chent de me désobliger que de les estimer dignes
10. v 3J
35/f LETTRES.
de ma haine; je ne suis point leur ennemi, bien
qu'ils puissent être les miens. Je puis aussi vous
assurer que le révérend père Mersenne n'a rien
contribué du sien pour me faire juger de l'animo-
sitédudit sieur de Roherval; il l'a toujours plutôt
dissimulée, autant que les lois de l'amitié lui ont
pu permettre. C'est lui-même qui me l'a déclarée,Jsi
expressément, et avec des paroles si hardies et si
pleines de confiance, que,s'il parlemaintenant d'une
autr,^ façon, j'ai sujet de penser que c'est seulement
pour être moins soupçonné de calomnie,' lorsqu'il
dit quelque chose à mon désavantage; et pour
cette même raison j'ai intérêt que le monde sache
qu'il est autant irrité et piqué contre moi quelle
peut être un homme que sa profession engage à
vouloir paroître docte, et qiû , m'ayant attaqué cinq
ou six fois pour faire preuve de son savoir , m'a
obligé autant de fois à découvrir ses erreurs , comme
il m'y oblige encore à présent par ses trois objec-
tions que vous avez pris la peine de mettre dans
votre lettre. Car, premièrement , lorsqu'il m'objecte
que le point C est par tous les angles que j'ai nommés
en la page 526, et que je n'ai point nommé celui où
il ne peut être, et que jamais la question n'est impos-
sible; il est évident que ce qu'il dit est hors de rai-
son, en quelque sens qu'il le puisse prendre. Car
mes paroles sont, page 3s6, ligne 5 , que si la quan-
tité y se trouve nulle lorsqu'on a supposé le point C
LETTRES.
dans l'angle DAG, il faut le supposer aussi dans
l'angle DAE, ouEAR, ou RAG, et que si en toutes
ces quatre positions la valeur d'y se trouvoit nulle,
la question seroit impossible au cas proposé. A quoi
je n'ai pas besoin de rien ajouter pour faire voir
clairement qu'il se trompe, premièrement en ce
qu'il dit que le point C est par tous les angles que
j'ai nommés ; car en l'exemple proposé, il ne se
peut trouver dans l'angle DAE, ni aussi ( pour user
de ses termes) par V angle DAE. Mais la particule
par qu'il met au lieu de dans me fait connoître
qu'il pèche en ceci un peu plus que par ignorance.
Il pèche par ignorance en ce que voyant que le
cercle CA , dans toutes les parties de la circonfé-
rence duquel se trouve le point C, passe par le
point A, il s'est imaginé que ce point C pou voit
être le même que le point A , ce qui est très faux ,
à cause qu'au point A La quantité y se trouve nulle,
et il y a différence entre tous les points et toutes
les parties d'une circonférence. De plus quand on
lui accorderoit que le point C pourroit être au
point A, on ne pourroit dire pour Cela qu'il fût
dans l'angle DAE, mais seulement en l 'intersection
des lignes qui le composent; car le mot d'angle si-
gnifie une quantité, et non pas le seul point où
deux lignes se rencontrent. On ne pourroit dire
non plus qu'il fût par l'angle DAE, car on ne peut
ainsi parler d'un point; c'est seulement d'une ligne
aS.
356 LETTRES.
qu'on peut dire qu'elle est, ou plutôt quelle passe
«par un angle, lorsque passant par le point où les
deux lignes qui le composent se rencontrent, elle
passe aussi par le dedans de cet angle, c'est-à-dire
par la superficie contenue entre ces deux lignes.
Ainsi le cercle CA 1 passe par les angles DAGet EAR,
mais non point par l'angle DAE. De façon qu'en quel-
que sens qu'il s'explique, il a toujours tort d'avoir
dit que le point G est par tous les angles que j'ai
nommés. Et sa finesse paroît en ce que, bien que
mon sens fût très clair, et que lorsque j'ai parlé de
supposer le point C dans l'angle DAG, il n'ait pu
douter que je n'aie entendu par cet angle toute la
superficie contenue entre les deux lignes DA et GA,
qui le contiennent, pourceque cela ne souffre au-
cune autre interprétation , et même que le point G
s'y voit peint dans la figure, il a néanmoins changé
mes mots, et par ce moyen en a corrompu le
sens.
Il est évident aussi qu'il se trompe, en ce qu'il
dit que je n'ai pas nommé l'angle où le point G
ne peut être ; car ayant nommé toutes quatre an-
gles qui se font par l'intersection des deux lignes
DR et EG, j'ai nommé toute la superficie indéfini-
ment étendue de tous côtés, et par conséquent tous
les lieux, tant ceux où le point G peut être, que
ceux où il ne peut pas être; en sorte qu'il auroit
1 Figure 1 3.
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LETTRES. 357
été superflu que j'eusse considéré d'autres angles.
Enfin il se trompe de dire que cette question n'est
jamais impossible; car bien qu'elle ne le soit pas
en la façon que je l'ai proposée , on la peut pro-
poser en plusieurs autres, dont quelques unes sont
impossibles, et je les ai voulu toutes comprendre
dans mon discours.
Sa seconde objection est une fausseté manifeste;
car je n'ai pas dit dans la page 373 ce qu'il veut
que j'aie dit , à savoir , qu'il y a autant de vraies
racines que les signes f et — se trouvent de fois
être changés , ni n'ai eu aucune intention de le
dire. J'ai dit seulement qu'il y en peut autant avoir;
et j'ai montré expressément dans la page 38o quand
c'est qu'il n'y en a pas tant, à savoir , quand quel-
ques unes de ces vraies racines sont imaginaires.
Et son peu de mémoire m'est confirmé par ce que
m'a dit le sieur Chauveau , qui m'a assuré qu'il lui
a déjà ci-devant répondu à cette prétendue objec-
tion, et montré son erreur; en sorte qu'il ne pèche
pas en ceci par ignorance , niais faute de mémoire,
ou autrement.
Au contraire, dans sa troisième obje c tion, je nere
marque qu'une ignorance grossière. 11 dit qu'en ma
Géométrie j'ai une faute et une omission; la faute,
en ce que je soutiens que le cercle peut couper en six
endroits la ligne courbe que j'y décris, sans avoir égard
à sa compagne qui est de l* autre part de la ligne DOp
558 LETTRES.
laquelle je n'ai pas représentée ; et qu'il y a démons-
tration qu'il ne la peut couper qu'en quatre endroits,
de quelque façon qu'elle puisse être faite. L'omission,
en ce que je ne me sers pas de sa compagne , qu'il
dit être absolument nécessaire pour résoudre les équa-
tions qui ont six racines vraies; et que cette omission
devient bien plus considérable , en ce que pour six
racine svr aies je fais tomber mes perpendiculaires CG,
NR , QO et semblables sur la ligne DO , qu'il dit
y être absolument inutile, et qu'il se faut servir d'une
autre. A quoi je réponds qu'il ny a ni faute ni
omission en ce qu'il reprend, pourcequil est très
vrai que le cercle peut couper cette ligne courbe
en six endroits, et qu'il l'y coupe effectivement
toutes les fois que l'équation , pour la résolution
de laquelle on les décrit suivant la règle que j'en
ai donnée, contient six vraies racines inégales en-
tre elles, sans qu'il faille pour cet effet avoir aucun
égard à sa compagne ; ainsi que vous verrez très
clairement , s'il vous plaît de prendre la peine de
chercher par cette règle les racines de l'équation
suivante , ou de quelque autre semblable : x6 — 25 xs
f 239 z4 — 1 1 15 s* f 2664 xx — 3o6o x f 1296
=0. Car d'autant qu'il y a six vraies racines en cette
équation , qui sont , 1 , 2 , 3 , 4 , 6 et 9 , vous trou-
verez que le cercle coupera la courbe en six points,
desquels tirant six perpendiculaires sur la ligne DO,
ces six perpendiculaires seront 1 , 2 , 3 , 4. , 6 et 9.
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LETTRES. 359
Et son ignorance est telle, que, bien qu'il y ait déjà
onze ou douze ans qu'il ma fait la même objec-
tion, et que je lui ai répondu , il n'a su apprendre
en tout le temps qui a coulé depuis à faire le cal-
cul qui est requis pour examiner ma règle , quoi-
qu'il soit si aisé qu'on le peut faire en moins d'un
demi-quart d'heure.
J'ajoute que tant s'en faut que la ligne qu'il
nomme la compagne de la courbe soit absolument
nécessaire en ma règle , ainsi qu'il assure , qu'au
contraire elle n'y peut jamais aucunement servir;
et on peut voir que je ne l'ai point omise faute
de la connoître , pourceque je l'ai représentée
dans la page 336 pour une autre occasion où elle
est utile. Enfin , il se moque de dire que la ligne
droite DO est absolument inutile dans ma règle ,
qu'il s'y faut servir d'une autre ligne droite; car il
suffit que celle-ci y soit employée , et que la règle
ne soit point fausse , comme certainement elle ne
l'est point , pour faire voir qu'elle y est utile. Et ce
qui rend son ignorance moins excusable en tout
ceci , c'est qu'on peut , comme j'ai averti dans la
page 4 1 2 , faire une infinité d'autres règles à l'imi-
tation de la mienne, et il n'y a aucune ligne droite
que je ne puisse faire servir au lieu de cette ligne
DO en quelqu'une de ces règles ; comme aussi au
lieu de la ligne courbe dont je me suis servi je
pourrois y employer sa compagne, ou telle autre
560 LETTRES,
ligne du second genre qu'il me plairoit, mais la
règle ne pourroit pas aisément se rencontrer si
courte ni si élégante. Et j'ose dire que celle que
j'ai donnée est la plus belle , et qui a été sans com-
paraison la plus difficile à trouver de toutes les
choses qui ont été inventées jusques à présent en
géométrie , et qui le sera peut-être encore ci-après
en plusieurs siècles , si ce n'est que je prenne moi-
même la peine d'en chercher d'autres.
La règle où je me sers de l'intersection de la
parabole , où du cercle pour construire les pro-
blèmes solides , laquelle vous louez en votre lettre ,
est autant inférieure à celle-ci , qu'elle surpasse
celle de la page 3o2 , où je me sers de l'intersec-
tion du cercle et de la ligne droite pour construire
les problèmes plans. Mais je voudrois qu'il nous
fît voir ies démonstrations qu'il prétend avoir pour
prouver ses censures; je m'assure que nous y ver-
rions de beaux parai ogismes , comme j'en ai quasi
toujours trouvé dans tout ce qu'il a voulu pro-
duire de son invention. Je dis dans tout, sans que
j'en excepte presque aucune chose; car pour l'aire
de la ligne décrite parla roulette, dont il s'est fort
vanté , c'est Toricelli qui l'a trouvée , et c'est moi
qui lui ai enseigné à en trouver les tangentes , ce
qu'il m'avoit fait demander par le révérend père
Mersenne , après avoir confessé qu'il ne les pou-
voit trouver. On me fit voir l'an passé des écrits
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LETTRES. 36l
qu'il avoit enseignés à ses disciples, qui contenoient
plusieurs raisonnements très foibles qu'il débitoit
pour des démonstrations ; et à cause qu'il y con-
cluoit des choses contraires à ce que j'avois écrit,
il inféroit de là que j'avois failli. Il a aussi usé de
ce même moyen pour me réfuter , dans un écrit1
que le frère1 de M. le marquis de Neuf-Castel m'a
autrefois envoyé de sa part. Il y raisonnoit en cette
sorte : Ma démonstration est vraie ( et c'étoit une
démonstration qu'il retenoit in pectore sans vou-
loir que je la susse ) , et la conclusion en est con-
traire à ce qu'un tel prétend avoir démontré ; donc
sa démonstration est fausse. Ainsi il vouloit vaincre
par sa seule autorité, d'une façon fort magistrale,
et, ce me semble , fort peu convenable pour lui à
mon égard. Je n'aurois jamais fait , si je voulois
mettre ici toutes les raisons que j'ai de ne l'estimer
qu'autant que je dois, et de craindre qu'il ne parle
pas selon son cœur, lorsqu'il dit qu'il n'est point
animé contre moi. Mais je ne laisse pas de vous,
remercier de ce qu'il vous a plu m'en écrire, et je
suis , etc.
» « La 87e du tome 3. »
* « Cavendisch. »
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5Ô2
LETTRES.
RÉPONSE DE M. DE CAKCAVI.
( Lettre 78 du tome III. )
A Paris , le a 4 septembre 1649.
Monsieur ,
Je croyois répondre tout aussitôt à la lettre que
vous m'avez fait la faveur de m 'écrire du dix-sep-
tième du mois d'août , et vous remercier , comme
je fais de tout mon cœur de la peine qu'il vous
plaît de prendre; mais une fièvre qui m'a tenu
quelque temps malade m'a contraint de différer
ce devoir jusques à maintenant. M. Clerselier, de
l'entremise duquel je me sers pour vous faire tenir
la présente en l'absence de M. Picot , vous pourra
témoigner que j 'a vois pris rendez-vous chez lui il
y a trois semaines pour vous l'envoyer.
J'ai écrit à M. Pascal , qui n'est pas encore de re-
tour en cette ville , ce que vous avez désiré que
je lui fisse savoir de votre part touchant l'expé-
rience qu'il a fait faire du vif-argent , et si le père
Magnan m'écrit quelque chose de Rome , je vous
l'enverrai où vous serez ; car nous ne savons pas
si c'est encore en Hollande , ou bien en Suède. Il
m'a témoigné par sa dernière lettre qu'il eût bien
LETTRES. 363
désiré de savoir de quelle façon vous expliquez les
actions de l'entendement et de la volonté : Sachant
assez , dit-il , que celles des sens , tant internes qu1 ex-
ternes, ne consistent qu'en des mouvements locaux ,
comme l'expliquent M. Descartes et M. Hogelande, si
ce n'est le même , ainsi que quelques uns ont cru ici.
Voilà , monsieur , ses propres termes , dont vous
userez comme il vous plaira.
Pour ce qui est du père Grégoire de Saint- Vin-
cent , j'avois bien cru que vous n'approuveriez
pas sa quadrature, encore qu'il paroisse avoir
autant de géométrie qu'aucun de ceux que nous
ayons vu de sa compagnie. Mais vous ne savez
peut-être pas qu'il a écrit sous le nom d'un de ses
écoliers quelque chose contre le jugement que le
père Mersenne a fait de son ouvrage, dans son der-
nier traité De reflexionibus physico-mathematicis , à
quoi l'on a ici répondu en peu de mots.
Le livre de M. de Schooten est attendu avec im-
patience ; et bien qu'il soit fort savant en géomé-
trie, il eût été néanmoins à souhaiter que vous
vous fussiez donné la peine de le voir ; car encore
que vous ne l'ayez pas fait, on aura sujet de le
penser , à cause que vous êtes au même lieu où
une personne qui témoigne vous honorer si par-
ticulièrement l'a fait imprimer; et vous savez qu'en
cette science on s'arrête davantage au sens qu'aux
paroles.
364 LETTRES.
Vous m'excuserez s'il vous plaît , si je vous parle
si librement, mais l'intérêt que je prends en ce qui
vous regarde m'y oblige; et votre dernière lettre ne
m'ayant pas fait voir le contraire de ce que je vous
avois écrit, j'eusse bien désiré que vous vous fus-
siez donné le loisir de relire ce qui regarde le lieu
ad très et quatuor , etc., contre lequel, au moins
contre ce que vous en avez mis dans votre Géomé-
trie , vous me permettrez de vous dire ingénu-
ment, et par le seul amour de la vérité, ce que
j'en pense, et qui est conforme à la démonstration
que M. de Roberval m'en a montrée il y a très
long -temps, et que je vous enverrai quand il
vous plaira, vous assurant que je l'ai parmi mes
papiers, et qu'il ne me faut qu'un peu de temps
pour la mettre en ordre. Car lorsque je vous ai
écrit que ledit sieur de Roberval ne vous étoit pas
ennemi, je vous assure que je vous l'ai mandé can-
didement, et comme je lui ai ouï dire, ne l'excu-
sant pas aussi s'il s'est servi des termes dont vous
m'écrivez, bien que le plus souvent la chaleur de
la dispute nous emporte au-delà de ce que nous ne
ferions pas dans une autre rencontre. Et pour ce
qui est du père Mersenne, je ne l'ai accusé que de
ce que tous ceux qui l'ont connu ont remarqué en
lui, ce qui n'étoit pas toutefois absolument blâ-
mable dans son intention , qui n'alloit qu'à la re-
cherche de la vérité , qui ne se trouve d'ordinaire
LETTRES. 365
qUe par le moyen de quelque émulation, et qui
ne s'établit qu'après plusieurs contestations ; mais
il m'a semblé qu'il ne mettoit pas toujours assez
de différence entre ceux qui disputent en matière
de science, et les autres qui se battent pour le
point d'honneur , ce que j'ai tâché de faire en cette
occasion , où vous me faites la faveur de me témoi-
gner la satisfaction que vous en avez , et vous me
donnez des louanges qui me persuadent que vous
agréerez que je continue, ou plutôt que je finisse
dans cette lettre ce que vous avez commencé de
lire dans la précédente.
Et premièrement, je vous assure que ledit sieur
de Roberval ne pense aucunement à biaiser, ni à
prendre vos paroles autrement que vous ne les
avez écrites; car lorsque dans ma lettre j'ai dit
par l'angle, s'il y a quelque faute elle est à moi,
pareequ'il l'entend de même que vous, et comme
vous l'expliquez dans votre lettre et dans votre
livre, c'est-à-dire dans l'espace compris par les
lignes qui forment l'angle; et ayant pris votre
énonciation en même sens que vous, il m'en a
fait voir la démonstration , ainsi que je vous ai dit
il y a très long-temps , et même la publia dès
l'année 1637, en l'assemblée de quelques mes-
sieurs qui conféroient des mathématiques. Il ne
s'est pas aussi arrêté aux figures de votre livre ,
mais seulement à votre énonciation ; car celle de
366 LETTRES.
la page 33 1 montre évidemment le peu d'intelli-
gence de celui à qui vous vous êtes fié pour la tra-
cer ; c'est où le lieu est représenté par une hyper-
bole, laquelle ne passant par aucun des six points
où les quatre lignes peuvent s'entrecouper, coupe
néanmoins la ligne TG au point H , fort éloi-
gné de tous ces six points, qui est une absur-
dité si manifeste , qu'encore que ledit sieur de Ro-
berval croie que vous ne vous soyez pas donné la
peine de construire ce lieu, il ne doute pas toute-
fois que vous ne la voyiez incontinent; de même
que celle de la page 3o8, où vous dites que pour
trois ou quatre lignes données, les points cher-
chés se rencontrent tous en une section conique , ce
qui n'est pas véritable; car ils ne se trouvent pas
tous dans une de ces sections, quand vous pren-
driez les deux hy perboles opposées pour une sec-
tion, comme nous faisons avec les anciens. Et il
m'a fait remarquer que cette faute peut bien avoir
été cause d'une autre dans la page 3 1 3 , où vous
dites qu'on pourra trouver une infinité de points
par lesquels on décrira la ligne demandée: car il se
pourra faire que tous ces points ne seront pas dans
une même ligne, savoir, lorsque quelques uns
d'tceux seront dans l'un des espaces qui sont
distingués par les quatre lignes données, et d'au-
tres en un autre espace ; et finalement, il soutient
que vous ne sauriez donner aucun cas auquel la
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LETTRES. J67
question ne soit toujours possible, comme vous
verrez , si vous désirez que nous en parlions da-
vantage. Je vous prie de me faire la faveur de
croire que je procède en ceci très franchement,
et que je ne vous raanderois pas toutes ces cho-
ses, ni n'aurois pas prié M. de Roberval (du-
quel j'ai assez de peine à chevir à cause des éco-
liers qui l'occupent ) de s'expliquer davantage sur
celles qui suivent, si ce n'étoit par une estime
très particulière que je fais de votre personne, car
il me suffiront de les savoir.
Il m'a donc dit sur le sujet des racines ( quel-
ques unes desquelles nous appelons positives
en-dessus, ou positiva supra, savoir, celles que
vous appelez vraies ; les autres positives en-
dessous , ou positiva infra, qui sont celles que
vous appelez fausses; et les autres impossibles,
que vous appelez imaginaires ) qu'il y a des
équations qui changent alternativement de si-
gne f et — , qui ne laissent pas d'avoir quelque
racine fausse ou positive en-dessous, contre ce
que vous avez pris la peine de m'écrire touchant
vos pages 373 et 38o. Et voici une de ces
équations qui est cubique, en laquelle il n'y a
et ne peut avoir, par sa génération , aucune ra-
cine impossible, mais seulement une positive en-
dessus, et une positive en-dessous, quoique la
plus grande partie de celles de ce degré , c'est-à-
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368 LETTRES.
dire cubique , en aient trois, excepté quand il y
en a d'impossibles ,
4 — 4 a f 4 a% — û*-
Et pour montrer qu'il n'y en a point d'ima-
ginaire, il ne faut que remarquer qu'en toute
équation où il y a de ces racines impossibles, il
n'y en a jamais moins de deux , et partant en une
équation cubique, où il y auroit deux telles ra-
cines impossibles , il n'y en pourroit avoir qu'une
positive en-dessus ou en-dessous, ce degré cubi-
que ne pouvant souffrir au plus que trois racines.
Donc , puisqu'en l'équation ci-dessus il y a deux
racines positives , il ne se peut faire qu'il y en ait
de ces impossibles. On peut dire le même de l'é-
quation carrée suivante , qui a trois racines po-
sitives en-dessus , et une en-dessous , quoique , sui-
vant votre doctrine, elle n'en dut point avoir en-
dessous ; et si elle en avoit d'impossibles , elle ne
pourroit avoir que deux positives au plus ,
12 — 16 af 7 a* — 4 fl3 1 a*-
Pour ce qui regarde votre conchoïde paraboli-
que , voici le calcul que nous en avons fait sur
votre figure de la page 4<>4 » que nous ne voulions
pas vous envoyer sans y ajouter quelque cbose
de plus précis ; la lettre a est l'inconnue en la ma-
nière de M. Viète.
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CG , vel MH
lattis rectum
DE
AB
IH
HB
IG
a
b
c
d
f
S
k
LETTRES. 55g
L'équation est entre les carrés
IM et MC ensemble d'une part,
et le carré IC de l'autre, c'est-à-
dire , entre les carrés de
d'une part, et hh de l'autre, et
l'équation vient de cette sorte.
+ U *■ «• d' - 2 6« cdga + b* g* «. + a bdga* _ 2 bgai - ,
, «--M M»»-»
—a bcd* a»— s 6» /a* -f«rf» a4
+ b*f»a*
— 6» A» a».
Dans laquelle équation toutes les espèces sont
distinguées avec leurs signes, supposant votre
figure comme elle est. Nous l'aurions aussi faite
supposant la ligne LH ( que nous appelons G) de
l'autre part vers L; mais nous ne vous l'envoyons
pas, parcequ'on reconnoît incontinent qu'elle est
inutile en l'équation particulière que vous avez
envoyée, qui est celle que nous vouUons précisé-
ment examiner , où il se trouve qu'en la parabole
requise à votredite équation numérique, savoir,
t l296 — 3o6o a f 2664 <*' — 1 1 15 a3 f z39
a* — a5 a5 f a6 || o9 le côté droit doit être ^
le carré de DE , ou ca en nos espèces , ?Hf|£ ia
ligne AB,ouD, 12 j; IH ouF,^; l# ou H%
^àHU eî Je rectangle sons le côté droit et la
ligne JUS, cm 6>£,est
*
*4
10.
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5^0 h E TTRES.
D'qù U est manifeste qu'en cet exemple le centre
du cercle CNQ est dans l'espace compris par la
cqnchojide parabolique QACN, et non pas au
dehors ; on voit aussi que ce cercle ne doit pas
couper xettej conchoïde de l'aube ,part de la ligne
B vers» AQ , pàf ceqtue B ^tant déjà 1 â -f , et les au-
tres perpendiculaires de* cette ; part étant plus
grandes, exècdèroienl la plus grande racine 9: il
faut donc que lès six points que le cercle donnera
en cet^élcohchoïde soient dans la portion de cette
ligne depuis A par Ç, par N, etc., à l'infini.
Voyez, s'il vous plaît, si cela se peut.
; î ,\Le mo^en que nous 1 avoris dë l'examiner est
indubitable^ car posé ,' par texëm'ple , qu'on veuille
examiner, la racine GR (ou peut-être g) qui soit
comme G& ( tfest le même pour toutes les autres),
Hu'ya iqûtemeh'ef M parallèle £M, et calculer où
lescercfefa cou^ë. Or , pourcequ'en ce cas GD
sera connue, on saura oû la ligne droite AC pro-
longée co^per^ l'axfe DB , èt qu'elle longueur aura
■la Jlgwe;GC, d'où l'on verra1 si EB teste de là Ion-
goeùr requi se , et si Célti Arrive à toutes les six ra-
pines t posant qu'en %us lès six cas le point C et
ses semblables soient tarnt1 dams la circotiférence
du cercle qtte dans e^ïlé' delà donchoïde, et dans
la ligne miroite , ce éftii nVautre difficulté que la
lôiigueur du calcul ide' ces triangles. Et bien que
vous ayez suivi une autre construdutih que nous
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LETTRES. 371
pour trouver votre côté droit et vos autres lignes,
nous les avons néanmoins trouvés les mêmes par
la oiôtre, ce qui nous a servi de témoignage
que nous ne nous étions pas mépris dans l'opéra-
tion j et vous verrez aussi par là que ce n'est pas à
la vue mais par le raisonnement que l'examen
en a été fait.
En voilà ce me semble assez en matière de géo-
métrie, et peut-être trop pour votre loisir, s'il
vous y falloit employer davantage de temps qu'il '
n'en faut pour le lire ; et je n'y ajouterai rien de
plus, si ce n'est que, pour la démonstration dont
vous me parlez touchant M. de Gavendish, ledit
sieur de Roberval m'a assuré la lui avoir donnée, et
qu'il n'a pas empêché quïl ne vous l'ait fait voir,
n'étant aucunement chiche de ces choses , lorsqu'il
croit qu'on les recevra de même qu'il les donne.
Pour les asymétries, il dit qu'il suffit que vous
voyiez comme il y procède, et que sa manière est
universelle. Si la votre est plus courte et meilleure ,
vous m'obligerez beaucoup de me l'envoyer; et
me permettrez, s'il vous plaît, de finir cette lettre
par ce que vous me mandez de M. Toricelli , sur
quoi je crois vous pouvoir entièrement satisfaire,
en ayant eu une particulière connoissance. Il ne
s'est fait connoître en France qu'en octobre de
l'année i643; nous avons l'original de sa lettre de
16^6, dans laquelle il avoue que cette ligne de la
H.
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3y2 LKTTHES.
roulette ou cycloïde ne lui appartient point, et que
jusqu'à la mort de Galilée, qui fut en 16^2, on
n'en savoit rien en Italie. Il a dû depuis continuer
à écrire qu'il n'avoit aucune connoissance des so-
lides, soit à l'entour de la base, soit autour de
l'axe de cette ligne; et ayant quelque temps après
trouvé la raison de celui autour de la base à son
cylindre, il énonça aussi, mais faussement, la
raison de celui autour de l'axe à son cylindre de
même hauteur, savoir , comme de 1 1 à 18. Ce qui
donna sujet à M. de Roberval, en l'examinant, de
trouver la véritable, qui est énoncée dans le livre
des réflexions du père Mersenne; et que ni ledit
Toricelli, ni personne autre que lui, non pas
même M. de Fermât, n'a jamais pu démontrer.
Après cela vous-même , monsieur, avez écrit une
lettre que ledit sieur de Roberval m'a fait voir, de
l'année i658, dans laquelle vous donnez la démons-
tration de l'espace compris par cette ligne et sa
i>ase, comme d'une chose qu'il a trouvée; j'ai plu-
sieurs lettres de M. de Fermât, de Tannée 1 607, qui
disent le même, et qui témoignent sa franchise,
en ce que s'étant mépris sur le sujet de cette ligne,
et d'une énonciation dudit sieur de Roberval , qui
lui apparut d'abord fausse, il se rétracta généreu-
sement par le courrier suivant. M. Des Argues a
imprimé la même chose en 1639, et le père Mer-
senne en cent endroits; et néanmoins si vous ne
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LETTRES. 5;5
1; trouvez pas bon, ledit sieur de Roberval ne
veut pas se l'attribuer, et m'a dit qu'il la laisse à
celui qui la pourra prendre; m ayant encore assuré
sur ce sujet, ce que je ne vous écrirais point si
vous n'aviez intérêt de le savoir, qu'il pourrait
vous reprocher ce qu'un anonyme qui a fait
quelque petit écrit d'algèbre vous objecte ( quel-
ques uns croient que c'est un père jésuite), que
dans la formation de vos équations vous ne fuites
que redire ce qui a été publié dès l'année 1 63 1
par un Anglois, nommé Hariot, duquel nous n'a-
vons pas ici grande connoissance, du moins moi,
qui suis parfaitement et en vérité \ etc.
A MADAME ÉLIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, CtC. 3.
(Lettre 5o du tome I.)
Madame,
Étant arrivé depuis quatre ou cinq jours à
Stockholm, l'une des premières choses que j'estime
• « M. Descartes ne reçut cette lettre qu'étant en Suède , par l'entremise
de M. Clerselier , et il ne voulut point y répondre. La lettre qu'il écrivît
à M. Clerselier à l'occasion de celle-ci est datée du C novembre 164g , et
sera imprimée dans les fragments. »
» « Descartes étant arrivé à Stockholm au commencement d'octobre
1649 , et disant ici qu'il n'est arrivé que depuis quatre ou cinq jours , je.
fixe cette lettre du 8 octobre 1649. Stockholm. »
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0^4 LETTRES*
appartenir à mon devoir est de renouveler les offres
de mon très humble service à votre altesse, afin
qu'elle puisse connoître que le changement d'air
et de pays ne peut rien changer ni diminuer de
ma dévotion et démon zèle. Je n'ai encore eu l'hon-
neur de voir la reine que deux fois, mais il me
semble la connoître déjà assez pour oser dire
qu'elle n'a pas moins de mérite et plus de vertu
que la renommée lui en attribue. Avec la généro-
sité et la majesté qui éclatent en toutes ses actions,
on y voit une douceur et une bonté qui obligent
tous ceux qui aiment la vertu, et qui ont l'honneur
d'approcher d'elle , d'être entièrement dévoués à
son service. Une des premières choses qu'elle m'a
demandées a été si je savois de vos nouvelles, et
je n'ai pas feint de lui dire d'abord ce que je pen-
sois de votre altesse; car, remarquant la force de
son esprit, je n'ai pas craint que cela lui donnât
aucune jalousie : comme je m'assure aussi que
votre altesse n'en sauroit avoir de ce que je lui
écris librement mes sentiments de cette reine.
Elle est extrêmement portée à l'étude des lettres;
mais pourceque je ne sache point qu'elle ait en-
core rien vu de la philosophie, je ne puis juger
du goût qu'elle y prendra, ni si elle y pourra em-
ployer du temps, ni par conséquent si je serai
capable de lui donner quelque satisfaction , et de
lui être utile en quelque chose. Cette grande éuv
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LETTRES. 3^5
deur qu'elle a pour la connoissance des lettres
l'incite surtout maintenant à cultiver la langue
grecque, et à ramasser beaucoup de livres anciens;
mais peut-être que cela changera, et quand il ne
changeroit pas, la vertu que je remarque en cette
princesse m'obligera toujours de préférer Futilité
de son service au désir de lui plaire. En sorte que
cela ne m'empêchera pas de lui dire franchement
mes sentiments ; et s'ils manquent de lui être
agréables, ce que je ne pense pas, j'en tirerai au
moins cet avantage, que j'aurai satisfait à mon de-
voir, et que cela me donnera occasion de pouvoir
d'autant plus tôt retourner en ma solitude, hors de
laquelle il est difficile que je puisse rien avancer
en la recherche de la vérité ; et c'est en cela que
consiste mon principal bien en cette vie. M. Fr. 1 a
fait trouver bon à sa majesté que je n'aille jamais
au château qu'aux heures qu'il lui plaira de me
donner pour avoir l'honneur de lui parler, ainsi
je n'aurai pas beaucoup de peine à faire ma cour,
et cela s'accommode fort à mon humeur. Après tout
néanmoins, encore que j'aie une très grande vé-
nération pour sa majesté, je ne crois pas que rien
soit capable de me retenir en ce pays plus long-
temps que jusques à l'été prochain : mais je ne
puis absolument répondre de l'avenir. Je puis seu-
lement vous assurer que je serai toute ma vie , etc.
* Freinshetmus.
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APPENDICE
DE LA CORRESPONDANCE.
I
»
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APPENDICE
DE LA CORRESPONDANCE.
LETTRE DE M. CLERSELIER
A M. HENRI MORUS,
CIRT1LHOUUI 1NOL01I.
(Lettre 64 du tome I. Version. )
* *
Monsieur,
J'ai lu et relu avec un extrême plaisir les dif-
ficultés que vous proposâtes à M. Descartes le 1 1
décembre 1648, le 5 mars, 2 3 juillet et 21 oc-
tobre 1649, dans lesquelles j'ai trouvé tant d'es-
prit, et en même temps tant de bonté, que cela
me donne la hardiesse de vous écrire, pour vous
instruire du dessein que je médite, et vous prier
de m'accorder ce dont j'ai besoin pour achever
mon ouvrage. J'ai entre les mains les principaux
manuscrits que M. Descartes, ce philosophe in-
comparable, laissa à son parent M. Chanut, ci-de-
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3Ô0 LETTRES.
vaut ambassadeur auprès de la reine de Suède , et
présentement auprès des États de Hollande, et chez
lequel il mourut en Suède. J'ai trouvé entre autres
les originaux des lettres qu'il écrivit en réponse à
plusieurs de ses amis. Je fais choix des principales,
qui concernent, les unes sa Philosophie, d'autres
quelques ouvrages qu'il n'avoit qu'ébauchés; d'au-
tres enfin qui contiennent la solution des difficul-
tés qui lut avoient été proposées par plusieurs
grands hommes, parmi lesquels vous tenez une
place si distinguée. Mon dessein est de les faire
toutes imprimer au premier jour, comme je l'es-
père : mais comme on auroit de la peine à enten-
dre les réponses aux difficultés, si on n'imprime
en même temps les difficultés mêmes, et que je
n'ai pas cru pouvoir exécuter ce dessein sans la
permission de ceux qui ont été en commerce de
lettres avec lui, j'ai déjà obtenu de quelques un* la
grâce que je vous demande, et que j'attends de
votre honnêteté, et de ce zèle incroyable que je
vous connois pour M. Descartes. Je voudrois vous
supplier en même temps de m'envoyer les origi-
naux de toutes celles qu'il vous a écrites, car je n'en
trouve que deux ici , l'une en réponse de la vôtre
du 1 1 décembre, et l'autre à celle du 5 mars. 11
me manque donc la troisième, qui doit être en rér
ponse des vôtres du a3 juillet et du 2 1 octobre, la-
quelle doit être très belle et très curieuse,, ayant à
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IjRfTM'S. 58 1
répondre à tant de questions importantes que
vous lui avez faites sur ses Principes de philoso-
phie, et sur la Dioptrique, dont je n'ai trouvé que
deux pages, où il tâche de répondre à vos in-
stances, sans qu'il s'y trouve un seul mot de vos
questions sur ses Principes et sur sa Dioptrique :
ainsi je vous prie donc instamment de m'accorder
la grâce de faire imprimer vos lettres avec ses
réponses, et de m'envoyer aussi toutes celles que
vous avez de M. Descartes, afin que nous concou-
rions ensemble à l'utilité du public et à la mé-
moire de notre ami. Outre ces lettres, j'ai encore
plusieurs beaux monuments de ce grand homme,
qui verront le jour chacun en son temps , et
qui, je m'assure, ne vous feront pas peu de
plaisir un jour, connoissant votre zèle et votre
amour pour les écrits de M. Descartes. Si j'eusse
pu vous écrire dans ma langue naturelle, je vous
aurois expliqué ma pensée en termes plus clairs
et meilleurs; mais de peur de tomber en diverses
fautes, j'ai serré mon style, et je vous ai découvert
ma pensée comme j'ai pu , et non pas comme j'ai
voulu. Je vous prie de me le pardonner, et d'être
bien persuadé que je suis avec toute l'estime et la
vénération possible, etc.
A Paris, [e ta décembre i654.
Digitized by dooQlc
582 LETTRES.
RÉPONSE DE M. MORUS
A M. CLERSELIER.
(Lettre 65 du tome III. Version.)
Monsieur,
Je n'ai reçu que le i5 avril 1 celle que vous
m'avez fait l'honneur de m écrire de Paris le 12
décembre 1 654- Je suis surpris de ce retardement.
Jëtois alors à Grantham, aux environs de Lincoln :
je m'étois retiré à la campagne en partie pour
rétablir ma santé. J'ai eu une véritable joie d'ap-
prendre le louable dessein que vous avez de mettre
au jour tous les écrits de M. Descartes qui sont
entre vos mains : en quoi vous travaillez non seu-
lement pour le nom et la mémoire de cet excellent
philosophe, mais encore pour l'utilité de tous les
gens de lettres; car il n'y a personne à qui on
puisse appliquer plus heureusement qu'à cet
homme divin le passage d'Horace :
Il n'entreprend rien que d'utile.
C'est pourquoi si j'avois un conseil à vous donner,
• Lisez probablement février; car celte lettre est datée du 14 mars ,
et Moms dit qu'il s'est écoulé un mois entre la réception de la lettre de
Clerselier et cette réponse.
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I
LETTRES. 385
ce seroit do ne rien supprimer de ses ouvrages ,
tant de ceux qu'il n'a fait qu'ébaucher , que de
ceux auxquels il a donné la dernière main : ce qui
ne peut tourner qu'au bien de la république des
lettres. Ainsi, pour ne mettre aucun obstacle à un
dessein si utile, j y donne les mains de bon cœur ,
et je vous permets de faire imprimer la première
et la seconde lettre que j'ai écrites à M. Descartes,
parceque sans elles , comme vous dites fort bien,
on n'est pas en état d'entendre si facilement ses ré-
ponses ; je crois même qu'il ne seroit pas inutile
de faire imprimer aussi ma troisième , puisqu'elle
est la réponse aux précédentes de M. Descartes;
mais comme ma quatrième n'a rapport à aucune
des siennes , et que la mort inopinée l'a empêché
d'y faire réponse, je ferois difficulté de lui faire
voir le jour : si néanmoins quelques uns de ses
amis ? ou de ceux qui vivoient et conféroient plus
fréquemment avec lui , vouloient y suppléer par
une réponse , je crois qu'alors il ne seroit pas inu-
tile de la joindre aux autres ; et quand même cela
ne pourroit se faire à présent , s'il y avoit apparence
que l'impression de la troisième et de la quatrième
lettre engageât quelqu'un des plus habiles disci-
pjes de M. Descartes à répondre à toutes les dif-
ficultés que je propose à ce grand philosophe, cette
seule espérance me porteroit plus facilement à vous
accorder toute liberté de les mettre au jour avec
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584 LETTRES.
» • • *
les autres. Vous trouverez peut-être vous-même
• • « • • •
quelque expédient là-dessus meilleur que le mien ;
mais pour ne pas vous arrêter davantage , je m'en
remets entièrement sur toute cette affaire à votre
prudence et à votre équité.
Je ne saurois vous exprimer la douleur que j'ai
» i • • •
ressentie à la nouvelle de la mort prématurée de
M. Descartes. J'étois zélé admirateur de l'esprit et
des vertus de cet homme incomparable , et je dé-
sirois passionnément de lire sa réponse que j'atten-
dois à ma troisième et quatrième lettre , qui par-
courent toute sa philosophie. Vous m'apprenez ,
monsieur , quil avoit commencé une réponse à ma
lettre du 23 juillet. Je conjecture qu'il a écrit ce
fragment étant encore à Egmonten Hollande, et
il la discontinua ( comme il me le fit savoir par ses
amis ) parcequ'ayant l'esprit occupé de son dé-
part pour la Suède , il ne put vaquer en même
temps, selon ses termes, à tant de difficultés si
subtiles , et à des disquisitiohs de si grande impor-
tance : mais il promit bien sûrement à ses amis de
retourner le printemps suivant, et de m'y faire
alors une ample réponse, capable de lever tous
mes doutes : mais puisque la cruelle mort nous a
enlevé tout le reste, je ne voudrois pas que' ce
fragment de deux pages dont vous parlez vînt à
périr.
> Quant à ces autres monuments plus précieux
Digitized by
LETTRES. 385
et plus importants que vous dites avoir entre les
mains, et à qui vous promettez de faire voir le
jour en leur temps, je m'en forme d'avance une
joie infinie, et je vous aurois toute l'obligation
possible si vous vouliez bien me faire la grâce de
marquer seulement dans votre première lettre le
sujet et le titre de chacun de ces livres. Votre der-
nière lettre fait renaître en moi cette ardeur que
j'avois autrefois pour la philosophie de M. Des-
cartes, et qui s'étoit un peu ralentie par la mort
de cet illustre ami , faute de nouveaux sujets de
lecture: ou plutôt, pour vous dire les choses
comme elles sont , ce n'étoit pas l'unique cause ,
d'autres occupations avoient détourné mon es-
prit sur des études tout-à-fait différentes. Car le
poids des raisonnements, la beauté sensible de
la vérité, la grandeur et la sublimité du génie,
le bel ordre, l'enchaînement et la correspon-
dance universelle de tous les écrits de M. Des-
cartes font qu'après Les avoir lus mille fois on les
trouve toujours nouveaux, toujours pleins de char-
mes qui les font relire avec plaisir : de même que la
lumière du soleil qu'on voit tous les jours sans se
lasser, et dont le lever est attendu , souhaité et reçu
tous les matins avec de nouvelles démonstrations de
joie par les hommes , les oiseaux et le reste des ani-
maux. D'ailleurs la philosophie cartésienne (malgré
les murmures secrets des uns , et les déchaînements
10. 25
Digitized by Google
586 LETTRES.
emportés des autres ) est non seulement agréable
à lire, mais elle est principalement utile pour la
religion , qui est la fin principale de toute la phi-
losophie ; car les péripatéticiens prétendent qu'il
y a certaines formes substantielles qui sortent de la
puissance de la matière, et qui lui sont tellement
unies, quelles ne peuvent subsister sans elle, et
que par conséquent elles retournent enfin de né-
cessité dans la puissance de la matière , ces philo-
sophes rapportant à cet ordre les âmes de presque
tous les êtres vivants , et celles-là même à qui ils
donnent du sentiment et de la pensée; les épicu-
riens, qui d'un autre côté se moquent des formes
substantielles, attribuant à la matière même le sen-
timent et la pensée , il n'y a que M. Descartes ,
entre tous les philosophes, qui ait banni de la
philosophie toutes les formes substantielles , ou
ces âmes sorties de la matière , et qui ait entière-
ment dépouillé la matière de la faculté de sentir et
de penser; de sorte que si Ton saivoit les principes
de M. Descartes , on auroit une méthode très cer-
taine et un moyen très facile pour démontrer
l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme , qui
sont les deux fondements les plus solides et les
uniques soutiens delà vraie religion. Je remarque
ces choses en deux mots , parmi plusieurs autres
que je pourrois ajouter , et qui se rapportent au
même sujet; mais je dirai en gros qu'il n'y a au-
Digitized by Oooq
LETTRES. 087
cune philosophie qui combatte si fortement les
athées, jusqu'au fond de leurs retranchements , et
qui détruise si heureusement tous leurs réduits,
que la philosophie cartésienne bien entendue, à
laquelle on pourroit joindre celle de Platon pour
ce point. Ce qui me fait espérer que tous les gens
de bien me pardonneront les grandes louanges
que j'ai données à cet homme incomparable , dans
les* lettres que je lui ai écrites ; et je crois ( quel
que puisse être le sentiment de notre siècle pour
M. Descartes,, dont la mémoire est encore trop
récente pour pouvoir ensevelir sitôt tous ses en-
vieux ) , je crois , dis-je , que la postérité embras-
sera sa philosophie avec honneur, et quelle recon-
noîtra le bon usage qu'on en peut faire.
Je prédis volontiers ces choses pour vous en-
courager le plus qu'il m'est possible à poursui-
vre le noble dessein que vous avez de faire im-
primer tous les écrits qui sont entre vos mains.
Vous obligerez par là bien des personnes , et moi
surtout , qui trouve un extrême plaisir dans cette
lecture.
Si vous jugez à propos de faire imprimer mes
lettres , je vous prie de ne pas le faire sur les exem-
plaires que vous avez déjà, parceque je vous en
prépare de plus correctes ; ayant donné plus d'at-
tention à cette lecture , j'ai trouvé à corriger
quelques endroits qui raetoient échappés dans
2.5.
338 LETTRES.
la précipitation et l'ardeur avec laquelle j écri-
vis à M. Descartes. J'ai aussi effacé quelques
unes de mes questions sur la troisième et qua-
trième lettre : la première et la seconde sont
entières.
Au reste, n'attribuez ni à négligence ni à mé-
pris de ce qu'il s'est écoulé un mois depuis que
j'ai reçu votre lettre, sans vous faire réponse. J'ai
pour vous toute l'estime et la considération pos-
sibles, tant à cause de l'excellent esprit que j'ai
reconnu en vous par vos lettres , qu'en considéra-
tion des devoirs de piété dont M. votre frère usa,
lors de son ambassade en Suède, envers M. Des-
cartes après sa mort. Tout le temps qui s'est écoulé
depuis que j'ai reçu votre lettre s'est passé en
partie à terminer les affaires qui me retenoient à
la campagne, et en partie à corriger et à transcrire
mes lettres à M. Descartes; depuis mon retour
dans notre académie, je n'ai pas cru devoir vous
répondre avant que tout fût achevé: aujourd'hui
tout est prêt, les lettres de M. Descartes et les
miennes : je ne vous les envoie pas cependant par
ce courrier; j'ai voulu savoir auparavant si cette
lettre vous seroit rendue sûrement Dès que vous
me l'aurez fait savoir, je les ferai toutes partir.
Vous me ferez plaisir de me marquer dans la pre-
mière où vous en êtes de votre projet. Je souhaite
de tout mon cœur qu'il réussisse. Ce sont les vœux
Digitized by
LETTRES. 389
que forme pour vous, et pour tous MM. les car-
tésiens, etc.
A Cambridge, du collège de Christ, ce 14 mai iG55.
LETTRE DE M. DE FERMAT
A M. CLERSELIER,
1
SUR LA DIOPTRIQUE UE II. DESCARTKS.
(Lettre |3 du tome III.)
A Toulouse, le 3 mais i(>58.
Monsieur,
J'ai reçu votre lettre avec les deux copies des
écrits de M. Descartes sur le sujet de notre ancien
démêlé; je voudrois bien, monsieur, vous satis-
faire ponctuellement, en ce que vous semblez
souhaiter que je fasse mes réponses d'alors qui
se sont égarées; mais comme je hais naturellement
tout ce qui choque tant soit peu la vérité, et qu'il
me seroit aussi malaisé de rajuster ce vieux ou-
vrage, qu'à un peintre de refaire mon portrait
d'alors sur mon visage d'à présent, j'ai cru qu'il
valoit mieux vous écrire tout de nouveau une
lettre qui contiendra mes raisons d'opposition , et
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390 LETTRES.
vieilles et nouvelles, et c'est à quoi je travaillerai
pour la huitaine. J'entre dans vos sentiments pour
ce qui concerne l'impression; il faudra changer
les termes les plus choquants et les plus aigres;
mais n'y faire point autrement de grand change-
ment; et de cela je m'en remets à vous. Pour notre
question de Dioptrique, je vous proteste, sans nulle
feintise, que je souhaite de m'ëtre trompé; mais
je ne saurois obtenir sur moi, en façon quelconque,
que le raisonnement de M. Descartes soit une dé-
monstration , et même qu'il en approche. Je vous
enverrai dans huit jours la lettre qui éclaircira
mes doutes sur cette matière. Et je suis de tout
mon cœur, etc.
J'ai retenu cette lettre, qui étoit prête à vous
être envoyée dès la semaine passée, parceque j'ai
cru que M. Digby, par la voie duquel j'ai pris la
liberté de vous écrire, ne seroit pas encore de
retour à Paris. Vous recevrez donc les deux con-
jointement; et si la seconde est un peu longue,
assurez-vous, monsieur, que j'ai pris peine à rac-
courcir , et que je pourrois dire beaucoup plus de
choses que je n'ai fait. Je l'ajouterai un jour, si
les géomètres de Paris soutiennent la démonstra-
tion de M. Descartes.
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LETTRES.
LETTRE DE M. DE FERMAT
A M. CLERSELIER,
SUR LA DIOPTRIQUE DE M. DESCARTES.
(Lettre 44 du tome III.)
Du 10 mare i658.
Monsieur,
Les conclusions qui se peuvent tirer de la pro-
position qui sert de fondement à la Dioptrique de
M. Descartes sont si belles , et doivent naturelle-
ment produire de si beaux effets dans tous les ou-
vrages de l'art qui regardent la réfraction , qu'il
seroit à souhaiter, non seulement pour la gloire
de notre défunt ami, mais bien plus pour l'aug-
mentation et embellissement des sciences, que
cette proposition fût véritable; et qu elle eût été légi-
timement démontrée, et d'autant plus qu'elle est
de celles dont on peut dire que multa sunt falsa
probabiliora veris. Je veux même passer plus outre,
et la comparer à ce fameux mensonge dont il
est parlé dans le Tasse, et que ce poète assure
être plus beau que la vérité.
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209 LETTRES.
Quando sara il w.to
Si bello , che si possa à ti proporre f
Je commence par là, monsieur, afin de vous
faire connoître que je serois ravi que le différent
que j'ai eu autrefois sur ce sujet avec M. Descartes
se terminât à son avantage; j'y trouverois mon
compte en toutes façons: la gloire d'un ami que j'ai
infiniment estimé , et qui a passé avec raison pour
un des grands hommes de son temps, l'établisse-
ment d'une vérité physique des plus importantes,
et l'exécution aisée des effets merveilleux qui s'en
pourroient infailliblement déduire; tout cela me
vaudroit incomparablement mieux qu'un gain de
cause, quand même je devrois compter pour
rien le
M< cuin certasse ferelur,
dont les amis de M. Descartes peuvent toujours
raisonnablement consoler ses adversaires. Je me
mets donc, monsieur, en la posture d'un homme
qui veut être vaincu , je Je déclare hautement.
Jani jam efficaei do manu» scientix.
Mais parceque les démonstrations sont des
raisons forcées, et qu'à moins d'être convaincu
par elles, on n'en sauroit être persuadé, voyons,
monsieur, si le contentement des lecteurs peut
échapper à notre auteur, et si nous pourrons nous
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LETTRES. 3q3
défaire aisément des objections qui semblent lui
pouvoir être opposées. Il faut pour cela suivre sa
démonstration mot pour mot, et il suffira d'en-
fermer par des parenthèses ce qui ne sera point
à lui , et que j'ajouterai du mien. Voici donc comme
il parle au commencement de la page 20 de sa
Dioptrique françoise.
Et premièrement , supposons qu'une balle pous-
sée d'A vers B rencontre au point B, non plus la
superficie de la terre , mais une toile CBE , qui
soit si foible et si déliée que cette balle ait la force
de la rompre et de passer tout au travers, en per-
dant seulement une partie de sa vitesse, à savoir,
par exemple, la moitié. Or, cela posé, afin de savoir
quel chemin elle doit suivre, considérons dere-
chef que son mouvement diffère entièrement de
sa détermination à se mouvoir plutôt vers un côté
que vers un autre , d'où il suit que leur quantité
doit être examinée séparément; et considérons
aussi que des deux parties dont on peut imaginer
que cette détermination est composée , il n'y a que
celle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui
puisse être changée en quelque façon par la ren-
contre de la toile, et que pour celle qui la faisoit
tendre vers la main droite , elle doit toujours de-
meurer la même qu'elle a été , à cause que cette
toile ne lui est aucunement opposée en ce sens-là.
Mais ce raisonnement n'est-il pas un peu opposé
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094 LETTRES.
au sens commun ? L'extension qu'il en fait de la
réflexion à la réfraction n est-elle pas aussi un peu
forcée ? Dans la page 14 il suppose que la balle
va toujours d'égale vitesse, tant en descendant
qu'en remontant, qu'elle continue son mouvement
dans un même milieu ; il en déduit, dans la page 1 7,
que la rencontre de la terre peut bien empêcher
la détermination qui faisoit descendre la balle d'AF
vers CE à cause qu'elle occupe tout l'espace qui
est au-dessous de CE , mais qu'elle ne peut point
empêcher l'autre qui la faisoit avancer vers la main
droite, vu qu'elle ne lui est aucunement opposée en
ce sens-là; d'où il infère l'égalité des angles de ré-
flexion et d'incidence. Mais quand bien ce raisonne-
ment seroit véritable en la réflexion, quelque scep-
tique scrupuleux ne manquera pointd'alléguer qu'il
y a trois circonstances en la réfraction qui doivent
changer la conséquence, ou du moins servir d'empê-
chement à la recevoir sans nouvelle preuve. Premiè-
rement, en la figure de la page 20 ou en celle de la
page 21 de la Dioptrique, la balle ne continue pas
son mouvement d'une égale vitesse , puisque par la
supposition elle perd, par exemple, la moitié de sa
vitesse dès le point B. Secondement, elle ne passe
pas toujours par un même milieu , comme il paroît
en la figure de la page 2 1 . Et enfin la détermination
qui la faisoit aller de haut en bas n'est pas tout-à-fait
empêchée par la rencontre dé la toile, ou de l'eau,
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LETTRES. 5gb
mais changée seulement ou diminuée. Or que la
conséquence soit la même nonobstant la diversité
de ces trois circonstances , il sera malaisé qu'un
médiocre logicien le puisse accorder. Il alléguera
pour excuse de sa logique scrupuleuse qu'il n'a
pas cru se faire grande violence lorsqu'en la fi-
gure de la page 1 6 et 17 il a donné les mains que
la détermination de la gauche à la droite restoit la
même , puisque la balle allant toujours de même
vitesse pouvoit conserver l'une de ses visées ou
déterminations lorsque l'autre seule étoit empê-
chée ; que d'ailleurs le mouvement se faisoit dans
un même milieu, et qu'enfin la détermination de
haut en bas étant entièrement empêchée , il n'y
avoit pas grand mal de consentir que celle de la
gauche à la droite restât tout entière ; comme
quand on perd un œil on dit que la vertu visive
se conserve entière en celui qui reste. Mais en la
réfraction tout y est différent; veut-on y obtenir le
consentement de notre sceptique sans preuve ? La
détermination de la gauche à la droite demeurera -
t-elle la même , lorsque toutes les raisons qui le
lui avoient persuadé en la réflexion se sont éva-
nouies ? Mais ce n'est pas tout , il a sujet d'appré-
hender l'équivoque; et lorsqu'il aura accordé que
cette détermination de gauche à droite demeure
la même, il a occasion de soupçonner que l'auteur
le chicanera sur l'explication de ce terme ; car
7)Ç)6 LETTRES*
quoiqu'il ait protesté que la détermination est dif-
férente de la puissance qui meut, et que leur quan-
tité doit être examinée séparément , si notre scep-
tique lui accorde en cet endroit que cette déterrai-
nation de gauche à droite demeure la même en la
réfraction , c est-à-dire qu'elle conserve la même
visée ou direction , il y a apparence que l'auteur
voudra l'obliger ensuite à lui accorder que la balle
dont la détermination vers la droite n'est point
changée s'avance autant et aussi vite vers la droite
qu'elle faisoit auparavant, quoique sa vitesse et le
milieu par où elle passe soient changés. Mais par-
cequ'il ne paroît passitôt qu'on veuille lui faire une
si grande violence, il ne croit pas être encore temps
de se départir du respect qu'il doit au nom de
M. Descartes , et il veut bien lui avouer , sur sa
seule parole, que cette détermination vers la droite
demeurera la même , pourvu qu'il ne se parle point
du temps que la balle doit employer à s'avancer
de ce côté-là ; parceque M. Descartes même a
avoué que la force qui meut et la détermination
sont deux quantités qui n'ont rien de commun ,
et qu'elles doivent être séparément examinées.
Puis ayant décrit du centre B le cercle AFD, et
tiré à angles droits sur CBE les trois lignes droites
AC, HB, FE, en telle sorte qu'il y ait deux fois
autant de distance entre FE et HB qu'entre HB
et AC , nous verrons que cette balle doit tendre
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LETTRES.
vers le point I. Car puisqu'elle perd la moitié de
sa vitesse en traversant la toile CBE, elle doit em-
ployer deux fois autant de temps à passer au-des-
sous, depuis B jusques à quelque point de la cir-
conférence du cercle AFD, qu'elle a fait au-dessus
à venir depuis A jusques à B; et puisqu'elle ne
perd rien du tout de la détermination qu'elle avoit
à s'avancer vers le côté droit, en deux fois autant
de temps qu'elle en a mis à passer depuis la ligne
AC jusques à HB , elle doit faire deux fois autant
de chemin vers le même côté. C'est ici le guet-
apens; et la trop grande crédulité de celui qui avoit
franchi tous ses scrupules sur le premier article
reçoit en cet endroit une nouvelle attaque. L'au-
teura sujet d'espérer que puisque notre sceptique
lui a déjà accordé que la détermination vers la
droite restoit la même, il ne doit pas le dédire
non plus que cette détermination ou cette visée et
direction vers le côté droit ne soit également vite,
et n'avance toujours autant qu'elle faisoit aupara-
vant. Mais le sceptique commence à n'entendre
plus raillerie ; et s'il a consenti de bonne foi que
la détermination vers la droite ne changeoit pas ,
il proteste qu'il n'est point engagé à consentir
qu'en changeant de milieu elle fasse toujours un
égal progrès , puisque l'auteur a si souvent et si
solennellement assuré que la détermination et la
force mouvante sont tout-à-fait différentes et dis-
O98 LETTRES.
tinctes. Et pour se confirmer en son doute, il
ajoute que si , dans la figure delà page 20, la balle
étoit poussée depuis H jusques à B, et qu'elle con-
tinuât son mouvement vers BG, le raisonnement de
celui qui diroit , La détermination de la balle sur la
route HBG n'est point changée au point B , car elle
est la même, et le mouvement perpendiculaire se
continue dans la même ligne IIBG , donc cette balle
avance autant et aussi vite au-dessous de B qu elle
faisoit auparavant ; ce raisonnement , dis-je , seroit
ridicule , parcequela détermination ou direction du
mouvement diffère de sa vitesse. Pourquoi donc
notre sceptique serat-il obligé d'accorder gratui-
tement et sans preuve que le mouvement qui se
fait vers la droite dans la figure de la page 21
avance également vers ledit côté droit, après qu'il
a changé de milieu? Ce n'est pas que cette propo-
sition ne puisse être vraie, mais elle ne l'est qu'au
cas que la conclusion que M. Descartes en tire soit
véritable , c'est-à-dire que la raison ou proportion
pour mesurer les réfractions ait été par lui légiti-
mement et véritablement assignée. Il ne l'a donc
pas prouvée par une proposition si douteuse et si
peu admissible. En un mot quand toutes les oppo-
sitions qu'on peut faire à son raisonnement seroient
fautives, peut-il faire passer pour véritable ce qui
n'est ni axiome , ni déduit par une conséquence
légitime d'aucune première vérité? Les démons*
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LETTRES. O99
trations qui ne forcent pas de croire ne peuvent
point porter ce nom. Et croiriez-vous , monsieur ,
que si la proposition de M. Descartes étoitdémons-
trativement prouvée, son évidence et sa clarté
n'eussent pas percé les ténèbres de mon entende-
ment pendant vingt années qui se sont écoulées
depuis notre ancien démêlé , puisque je vous ai
protesté dès le commencement de ma lettre que
je travaille sincèrement à me tirer d'erreur, et que
je ne cherche qu'un honnête prétexte à me rendre.
Je serois même ravi d'établir l'honneur de M. Des-
cartes aux dépens du mien , et je voudrois , s'il
m'étoit possible , en reconnoissant la vérité de sa
preuve , ajouter avant que de finir:
Se clara vide n dam
Obtulit , et put a per noctem in luce refulsit.
Il en sera pourtant ce que M. le chevalier Digby
et vous, monsieur, trouverez bon. Je vous sou-
mets à tous deux ma Logique et ma Mathématique,
et je consens que vous en fassiez un sacrifice à la
mémoire de cet illustre, qui n'est plus en état de
se défendre. Mais jusques à ce que vous ayez pro-
noncé , je prétends que la véritable raison ou pro-
portion des réfractions est encore inconnue, et que
0£ûv Iv yevvaci *etrm en compagnie de tant d'autres
vérités que l'avenir découvrira peut-être mieux
que n'a pu le faire le passé. Excusez ma longueur,
et faites-moi l'honneur de me croire , etc.
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4 00 LKTTRES.
RÉPONSE DE M. CLEKSELIER
A M. DE FERMAT.
(Lettre 45 du tome III.)
1
A Pari», le tS mai iG58.
Monsieur,
Je ne veux pas m arrêter beaucoup à vous faire
des excuses d'avoir tant tardé à faire réponse aux
deux vôtres, Tune du troisième et l'autre du
dixième mars dernier , pareeque je me persuade
que vous croirez aisément qu'il m'a fallu des ob-
stacles invincibles pour m'empêcher de satisfaire à
temps à des témoignages si obligeants de votre suf-
fisance et de votre civilité. En effet , une maladie
qui m'a détenu dans le lit presque tout ce temps-
là , et qui m'a ôté le moyen de pouvoir attacher
mon esprit à des spéculations si relevées, est la véri-
table cause qui m'a empêché de vous témoigner plus
tôtmareconnoissance. Mais tout cela seroit peu, si
je pou vois aujourd'hui répondre à tous les dou-
tes de votre sceptique, et satisfaire pleinement aux
difficultés que vous proposez dans votre dernière;
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LETTRES. /joi
car comme elles ne dépendent point du temps, la
réponse n'en seroit de rien moins recevable et con-
vaincante, pour n'être pas venue à temps. Néan-
moins, pourvu que ce soit à vous, monsieur, que
j'aie affaire , et non point à votre sceptique , dont
l'humeur seroit trop difficile à contenter, je me
promets de pouvoir éclaircir la plupart de ses
doutes , et de faire voir , si je ne me trompe , si
clairement en quoi il s'est mépris lui-même dans
ses raisonnements, que, vous prenant vous-même
pour l'arbitre de nos différents et pour le juge
de nos conclusions , j'espère que vous reconnoîtrez
la subtilité des siennes et la vérité des miennes,
c'est-à-dire de celles de M. Descartes.
Premièrement, je ne vois point que le raisonne-
ment que fait M. Descartes, à l'occasion de la fi-
gure de la page 20 de sa Dioptrique, soit aucune-
ment opposé au sens commun , ni que l'extension
qu'il en fait de la réflexion à la réfraction soit for-
cée ; car la même raison qui lui a fait conclure en
la page 1 6 que la terre GBE ne pouvoit empêcher
que la détermination de haut en bas, et non point
celle de gauche à droite , pourcequ'elle est entiè-
rement opposée à la première et point du tout à
la seconde , la même lui a dû faire conclure dans
la figure de la page 20 et 2 1 que la détermination
de haut en bas pouvoit bien être changée en quel-
que façon par la rencontre de la toile ou de l'eau ,
/|02 LETTRES.
mais point du tout celle qui fait tendre la balle
vers la main droite, à cause que l'eau ou la toile est
en quelque façon opposée à l'une, et point à l'au-
tre. Je vous prie de remarquer ici la façon de par-
ler de M. Descartes ( car c'est de là que dépend
eu partie la résolution de tous les doutes de votre
sceptique ) : il ne dit pas simplement que la déter-
mination de haut en bas peut être changée par la
rencontre de la toile , mais seulement qu'elle peut
être changée en quelque façon ; car en effet elle
n'est pas tout-à-fait changée, puisque la balle con-
tinue de descendre , mais elle est changée en quel-
que façon , en tant que c'est changer en quelque
façon la détermination qu'un mobile avoit à avan-
cer vers un certain côté, que de faire que dans le
même temps il n'avance pas tant vers ce côté-là
qu'il faisoit auparavant; ce qui change la quantité
de sa détermination.
De plus, trois circonstances que remarque votre
sceptique pour l'empêcher d'admettre cette con-
séquence ne la peuvent aucunement infirmer; car
que la vitesse soit diminuée, que le milieu soit
changé, et que la détermination de haut en bas ne
soit pas tout-à-fait empêchée , mais que la balle
continue de descendre , tout cela ne doit point ap-
porter de changement à la détermination de gau-
che à droite , à laquelle pas une de ces circon-
stances ne s'oppose et ne met obstacle , puisque
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LETTRES. 4°3
cette détermination peut demeurer la même, quoi-
que la vitesse soit changée, une même détermi-
nation pouvant être jointe à différentes vitesses.
Le milieu ne peut aussi apporter aucun change-
ment à cette détermination , puisqu'il lui est éga-
lement facile de s'ouvrir et faire passage d'un côté
que d'autre; et bien que la balle continue de des-
cendre, et ne remonte pas comme en la réflexion,
cette détermination vers la droite se peut aussi
bien faire et maintenir en descendant qu'en remon-
tant.
Jusques ici votre sceptique auroitce me semble
tort de ne vouloir pas accorder que la détermina-
tion de gauche à droite demeure la même en la
réfraction , après en être demeuré d'accord sans
difficulté en la réflexion ; et il ne doit point appré-
hender qu'on le chicane sur l'explication de ce
terme , et qu'on l'oblige à rien avouer qu'on ne
prouve , et qui ne soit tiré par une conséquence
légitime de ce qu'on a avancé auparavant, M. Des-
cartes ayant trop soigneusement fait remarquer la
différence qu'il y a entre la détermination et le
mouvement, ou, comme vous dites, entre la
détermination et la puissance qui meut, pour s'en
oublier.
Mais voici le point qui effarouche votre scep-
tique, et qui lui fait perdre ce peu de respect qu'il
sembioit encore porter au nom de M. Descartes ;
*6.
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4<>4 LETTRES.
c est à ce coup qu'il dit n entendre plus de raille-
rie,4 et que s'il a consenti de bonne foi que la dé-
termination vers la droite ne chaugeoit pas , il pro-
teste qu'il n'est point engagé à consentir que la
balle, changeant de milieu , lasse toujours un égal
progrès, et, comme H dit un peu auparavant, aille
aussi vite vers la droite, après qu'il a été supposé que
la balle au point B perd la moitié de sa vitesse; et
que M. Descartes a si solennellement assuré que
la détermination et la force mouvante sont tout-à-
fait différentes et distinctes.
Mais ne voyez -vous pas que ce qui empêche
votre sceptique d'y consentir et d'y donner les
mains, est qu'il ne distingue pas assez lui-même
la détermination d'avec la force mouvante ou la
vitesse , et qu'il les confond ensemble , croyant
que la perte que l'une souffre , à savoir la vitesse,
se doive ressentir par l'autre, à savoir par la dé-
termination vers la main droite, quoique rien ne
se soit opposé qui ait pu changer ou diminuer la
quantité de la détermination que la balle avoit à
avancer vers ce côté-là. Car s'il avoit bien pris garde
à ce que dit M. Descartes, il n'auroit pas de peine
à comprendre que la vitesse étant diminuée de
moitié au point B , la détermination de gauche à
droite demeurant toujours la même en ce point-
là qu'elle a été auparavant, il est nécessaire que
la balle suive la ligne BI pour faire que la détermi
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LETTRES. 4°5
nation qu'elle doit prendre se rapporte à la vitesse
ou à la force qui lui reste , et qui la commence
en B. Et quoique dans la route qu'elle prend , en
des temps égaux, elle avance autant vers la droite
qu'elle faisoit auparavant , et qu'ainsi la détermi-
nation quelle avok à avancer vers ce côté-là ne soit
point changée , il ne s'ensuit pas qu'elle aille aussi
vite qu'elle faisoit auparavant ; ce que votre scep-
tique semble avoir toujours appréhendé qu'on lui
voulût faire accorder, puisque M. Descartes avoue
lui même qu'il lui faut le double du temps pour
faire autant de chemin qu'auparavant; mais comme
dans la route qu'elle est obligée de prendre elle
incline plus qu'elle ne faisoit vers la droite , elle
ne laisse pas d'avancer autant verscecoté-là, quoi-
qu'elle aille deux fois moins vite.
Et c'est à mon avis ce qui fait la beauté et la force
tout ensemble du raisonnement de M. Descartes,
de faire voir quelle doit être dans cette rencontre
la route véritable que doit prendre la balle, qui
ne peut être autre que celle qu'il a expliquée en ce
lieu-là , pour se rapporter à la détermination vers
la droite , qu'elle doit garder , et à la perte de la
vitesse qu'elle a soufferte en B.
Mais ce qui a le plus abusé votre sceptique est
un raisonnement, très spécieux à la vérité, et très
capable de surprendre les autres, et de faire qu'on
y soit surpris soi-même, si l'on n'y prend garde,
4o6
LETTRES
mais qui pourtant est faux, et contre l'intention de
M. Descartes. Ce raisonnement est que comme
M. Descartes sur la figure de la page 20 dit que
la détermination vers le côté droit étant la même,
quoique le mouvement de la balle soit diminué de
moitié au point B, en deux fois autant de temps
elle doit avancer deux fois autant vers la droite ;
donc à pari, dit votre sceptique, posé que la balle
soit poussée perpendiculairement depuis H jusques
à B, et quelle continue son mouvement vers BG,
la détermination de la balle sur la route BG n'étant
point changée au point B , et demeurant la même
puisque le mouvement perpendiculaire se continue
dans la même ligne HBG • en deux fois autant de
temps , elle doit avancer deux fois autant , et aussi
vite au-dessous de B, qu'elle avoit fait auparavant
au-dessus , ce qui est absurde, puisque l'on suppose
que la balle au point B a perdu la moitié de sa
vitesse.
Véritablement , si la conséquence qu'il infère
étoit bien tirée de ce qu'a avancé M. Descartes , je
conclurois comme lui que M. Descartes se seroit
trompé dans son raisonnement, duquel il s'ensui-
vroit une telle absurdité ; mais aussi M. Descartes
a-t-ii dit tout autre chose que ce que votre scep-
tique lui veut faire dire : car, quand il a dit que la
détermination qu'avoit la balle à avancer vers le
côté droit demeuroit la même , et que par consé-
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LETTRES. 4°7
quenten deux foisautantde temps elle devoit faire
deux fois autant de chemin vers ce côté-là , il a
conclu cela de ce que , bien qu'on suppose que la
balle au point B perde la moitié de sa vitesse ,
néanmoins elle ne perd rien du tout de la quantité
de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers
le côté droit , à laquelle détermination la toile n'est
aucunement opposée en ce sens-là , et laquelle se
doit et se peut accommoder à la vitesse qui reste
en la balle , pour faire en sorte que , sans déroger
à la perte qu'elle a soufferte , et qu'allant moins
vite , elle ne laisse pas d'avancer autant vers le côté
droit qu'elle eût fait si elle n'eût rien perdu de sa
vitesse. Mais peut-on dire la même chose de la dé-
termination d'une balle que l'on suppose tomber
perpendiculairement sur la même toile, à savoir,
que la superficie sur laquelle elle tombe ne lui est
aucunement opposée en ce sens-là, et qu'en per-
dant la moitié de sa vitesse , elle ne perd rien du
tout de la quantité de la détermination qu'elle avoit
à s'avancer vers G, et que cette détermination se
doit et se peut accommoder avec la vitesse qui lui
reste , pour la faire avancer en un temps égal sur
la même route , autant qu'elle eût fait si elle n'eût
rien perdu de sa vitesse ; certainement personne
ne dira que ce cas soit semblable au premier , et
par conséquent la conclusion n'en peut être pa-
reille.
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/|08 LETTRES.
Aussi tout le défaut du raisonnement de votre
sceptique ne vient que de ce qu'il semble n avoir
pas pris garde que cette superficie CBE, en la-
quelle la balle au point B perd la moitié de sa vi-
tesse , est toujours opposée à sa détermination de
haut en bas , soit que la chute soit perpendiculaire,
ou qu'elle ne le soit pas; en sorte que, quoique la
balle continue de descendre , et même qu'elle des-
cende dans la même ligne quand elle a été poussée
perpendiculairement , on ne sauroit pas dire que
cette détermination vers le bas soit la même, ayant
été changée en quelque façon, ainsi que dit M. Des-
cartes ; car la balle ne descend plus avec une pa-
reille détermination, puisque dans un temps égal
elle ne va pas si loin qu'elle étoit déterminée d'al-
ler avant qu'elle eût perdu la moitié de la vitesse,
ce qui est un changement en la détermination
qu'elle a voit à avancer vers ce coté-là.
Et si vous y prenez garde , tous les changements
de détermination que M. Descartes a dit s'ensuivre
en la balle, du changement qui arrive en sa vitesse,
ou en la force qui l'avance ou qui la retarde en B
(selon les différentes suppositions qu'il fait), ont
tous été en la détermination de haut en bas, et
non point en celle de gauche à droite, à cause >
comme il a dit en la page 20, ligne i5, que des
deux parties dont on peut imaginer que la déter-
mination de la balle sur la route ÀB est composée
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LETTRES. /j09
il n'y a que colle qui faisoit tendre la balle de haut
en bas qui puisse être changée, en quelque fa-
çon, par la rencontre de la toile; mais à plus forte
raison cette toile peut-elle faire changer la détermi-
nation perpendiculaire, à laquelle elle est entière-
ment opposée, qui est simple, et qu'on ne peut
pas dire être composée de deux autres, à Tune des-
quelles elle ne soit point du tout opposée, ainsi
qu'elle ne l'est point à celle de gauche à droite, quand
la balle est poussée de biais, suivant la ligne AB.
Or, quel changement peut-il arriver en cette
détermination de haut en bas , que celui qu'a ex-
pliqué M. Descartes, à savoir, que cette balle, en
continuant de descendre, avance tantôt plus et
tantôt moins vers le bas qu'elle ne faisoit, selon
le changement, c'est-à-dire selon l'augmentation
ou la diminution que sa vitesse a reçue en B, et
selon le rapport que cette vitesse s'est trouvée
avoir avec la détermination vers le côté droit, qui
a dû toujours demeurer la même, comme j'ai dit
plusieurs fois, c'est-à-dire qui a dû faire que la
balle ait toujours autant avancé de ce côté-là
qu'elle avoit fait auparavant.
Et partant, tant s'en faut que l'absurdité qif avoit
voulu inférer votre sceptique soit une suite de ce
qu'a dit M. Descartes, qu'au contraire il se trouve
que c'est lui-même qui, au lieu de faire un bon
argument, s'est embarrassé dans un sophisme, en
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/jlO LETTRES.
supposant que la détermination de la balle dans
une chute perpendiculaire étoit la même, au même
sens que celle de gauche à droite est dite être la
même quand la balle tombe obliquement.
Que si après cela vous prenez la peine d'exa-
miner la réponse que M. Descartes a faite lui-même
au reste des difficultés que votre sceptique lui a
autrefois proposées par l'entremise du révérend
père Mersenne, et auxquelles il satisfit alors, par
une lettre qu'il adressa à M. Midorge, dont je vous
ai naguère envoyé la copie, vous trouverez que
ce qu'il dit est véritable, à savoir, que votre scep-
tique s'est trompé, pour avoir parlé de la compo-
sition du mouvement en deux divers sens, et in-
féré de l'un ce qu'il avoit seulement prouvé de
l'autre.
Je ne répète point ici ce qu'il en a dit; car, outre
qu'il seroit inutile , comme j'en étois là , un de mes
amis, appelé M. Rohaull, savant mathématicien,
et des plus versés que je connoisseen la philosophie
de M. Descartes, m'est venu apporter une réponse
qu'il a faite à votre lettre au père Mersenne , pensant
que M. Descartes n'y avoit point répondu (car je ne
lui avois point montré cette lettre à M. Midorge) et
que vous n'eussiez reçu de lui aucune réponse,
voyant que dans la lettre que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire, laquelle je lui avois fait
voir, vous continuez vos premières difficultés, et
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LETTRES. 411
que dans celle à M. de la Chambre, vous dites
avoir autrefois contesté à M. Descartes sa démons-
tration touchant la réfraction, à lui, dites-vous,
viventi alque sentienli, mais qu'il ne vous satisfit
jamais. Et pourcequ'il entend beaucoup mieux
que moi toutes ces matières, et qu'il a répondu
article par article à votredite lettre, je m'abstien-
drai de vous ennuyer davantage par mon discours,
afin de vous laisser plus de temps pour examiner
la réponse qu'il y a faite. S'il me l'eût apportée
plus tôt , il nous auroit tous deux soulagés, moi d'é-
crire d'un sujet qui passe mes forces, et vous de
lire une si mauvaise lettre; mais comme c'en étoit
déjà fait, je n'ai pas voulu perdre ma peine, et j'ai
pensé qu'il valoit mieux vous fatiguer de cette
lecture, et vous donner par même moyen des
preuves du soin où je m'étois mis de m'acquitter
de ce que je vous devois, que de vous laisser venir
la pensée que je m'en serois peut-être oublié et
que j'aurois été bien aise de m'en décharger sur
un autre.
*
Au reste, monsieur, je vous prie d'excuser ce qui
peut m'étre échappé de libre en répondant à votre
sceptique, j'aurois agi avec tout un autre respect
si j'eusse eu affaire à vous; mais, bien loin de
craindre que pour cela vous me refusiez justice,
je prends même l'assurance de vous demander
quelque grâce; il y a des rencontres où un peu de
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l^X'l LETTRES.
faveur n'offense point lequité; et si en celle-ci
vous prenez mon parti , je puis vous assurer qu'en
toute autre occasion je serai entièrement à vous ,
et que vous pourrez faire état d'avoir toujours tout
prêt en moi , etc.
«. » • - . * - ~ - « » »^-^>-^^»-^«---.-- ^ . . . » ^
RÉPONSE DE M. ROHAULT
■
A LA LETTRE DE M. DE FERMAT,
QUI CONTIENT SES ANCIENNES OBJECTIONS SUR LA DIOPTR1QUK
DE M. DESCARTES.
(Lettre 46 du tome III.)
Monsieur ,
Je ne sais si le père Mersenne , a qui cette lettre
étoit adressée, l'a communiquée à M. Descartes,
et si, l'ayant vue, ses occupations l'ont empêché d'y
faire réponse; mais il paroît n'y avoir point ré-
pondu, pareeque M. de Fermât, qui l'avoit écrite
il y a environ vingt ans , répète encore à peu près
les mêmes difficultés dans une lettre qu'il a écrite
depuis peu à un de mes amis. Je m'en vas donc
essayer d'y répondre, puisque vous le désirez; et,
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LETTRES. / 1 1 5
pour le faire plus commodément, je suivrai de
point en point tous les articles de sa lettre , que
j'examinerai les uns après les autres.
Article premier. J'ai vu> etc.
Le premier article ne contient qu'un compli-
ment, dont M. de Fermât a voulu honorer M. Des-
cartes, et dont sa mémoire lui sera toujours re-
devable.
Article second. Je retranche, etc.
Quand M. Descartes auroit accommodé son mé-
dium à sa conclusion , et qu'il auroit divisé la déter-
mination du mouvement d'une certaine manière
plutôt que d'une autre, on ne le devroit non plus
trouver étrange que si un géomètre s'étoit servi
d'une construction plutôt que d'une autre pour
l'exécution d'un problème; et l'on ne conteste ja-
mais la voie qu'il a choisie, pourvu qu'il soit venu
à bout de ce qu'il avoit entrepris. Au reste, M. Des-
cartes a dû diviser la détermination de la balle
qui se meut dans la ligne AB , en une qui fut per-
pendiculaire à la superficie CBE, et en une autre
qui lui fût parallèle ; parceque, celle-ci ne rencon-
trant aucune opposition , il étoit assuré qu'elle de-
voit demeurer la même; et cela lui a été un moyen
de trouver la vérité qu'il cherchoit, ce qu'il n au-
roit pu faire s'il eût suivi une autre méthode.
Article troisième. Je reconnais , etc.
M. de Fermât semble favoriser M. Descartes
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4 1 4 LETTRES.
en avouant qu'il est de son sentiment, touchant
la différence qu'il établit entre le mouvement et
la détermination et tâchant même de le prouver;
cependant il semble aussi qu'il y ait de l'adresse ,
parcequ'il impute à M. Descartes une opinion qu'il
n'a pas, à dessein, ce semble, de s'en servir contre
lui dans la suite.
C'est dans le second exemple, où il assure
qu'une balle poussée du point H au point B per-
pendiculairement sur la surface CBE , ne perd rien
du tout de la détermination qu'elle avoit à avancer
vers BG, à cause, dit-il, qu'en pénétrant l'eau ou
la toile, elle continue de se mouvoir dans la même
ligne droite. Mais il doit considérer que la déter-
mination d'un mobile doit être réputée changer,
non seulement quand il quitte la ligne dans la-
quelle il se mouvoit auparavant, ou quand il se
meut à contre-sens dans la même ligne , mais en-
core en se mouvant du même dans la même ligne
droite , pourvu que ce soit plus ou moins loin qu'il
netoit terminé d'aller en ce sens-là. Et c'est en
cette troisième façon que la quantité de la déter-
mination de la balle est devenue moindre, autant
que le mouvement.
Article quatrième. Je viens maintenant, etc.
Cet article ne contient que le texte de M. Descartes.
Article cinquième. Je remarque d'abord , etc.
Le manque de mémoire qui est ici imputé à
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LETTRES. 4*5
M. Descartes est fondé sur la croyance qu'a M. de
Fermât que la détermination de haut en bas de
l'exemple de la page 20 de la Dioptrique n'est
point changée , qui est une erreur semblable à celle
qui a e'té remarquée sur l'article troisième. Et il
ne sert de rien pour prouver sa pensée, de dire
que la détermination dans la ligne BI est com-
posée en partie de celle qui fait aller le mobile
de haut en bas, comme étoit celle qui le faisoit
auparavant mouvoir vers le même côté dans la
ligne AB. Il y a en cela de l'équivoque; et encore
qu'on remarque toujours une détermination de
haut en bas, la seconde est autre que la première,
de même que dix écus sont une autre quantité
d'écus que quinze écus, encore que ce soit tou-
jours des écus.
Article sixième. Mais donnons que, etc.
Après que M. de Fermât semble avoir accordé,
comme par forme de passe-droit, une chose qu'il
auroit eu tort de contester, il s'efforce de prouver
que M. Descartes ne s'est pas aperçu que la déter-
mination de gauche à droite étoit aussi bien
changée que celle de haut en bas; ce qui vérita-
blement rendroit nulle sa démonstration. La raison
qu'il en apporte, c'est parce, dit-il, qu'on ne sau-
roit dire que la détermination de haut en bas soit
changée, sinon parceque depuis que le mobile se
meut dans la ligne BI, sa quantité n'a plus la même
4l6 LETTRES.
raison avec celle de gauche à droite qu'elle avoit
quand il étoit porté dans la ligne AB. Je ne sais si
M. de Format parle ici tout de bon, d'autant qu'il
raisonne à peu près comme feroit une personne
qui, après avoir mis quinze écus dans l'une de ses
pochettes, et trente dans l'autre, et en ayant perdu
par je ne sais quel accident quelques uns des
quinze , reconnoîtroit cette perte par cela seule-
ment que ce qui lui reste des quinze n'est plus
la moitié de la somme qu'il a de l'autre coté, et
qui , après cela , pour se consoler de sa perle ,
viendroit à croire que la somme qu'il avoit de
l'autre côté est augmentée, parcequ'elle fait en ré-
compense plus du double de l'autre. M. Descartes
raisonne d'une autre façon , et à peu près comme
pourroit faire un jeune homme qui, sans avoir
jamais appris ce que c'est que proportion, sauroit
simplement compter : car, comme celui-ci jugeroit
qu'il auroit perdu une partie de ses quinze écus
en comparant ce qui lui resteroit avec ce qu'il avoit
auparavant dans la même pochette, sans se soucier
de les comparer avec les trente de l'autre, de même
M. Descartes juge du changement arrivé en la dé-
termination de haut en bas, parceque sa quantité
n'est plus la même, depuis que le mobile est au-
dessous de la surface CBE, qu'elle étoit quand il
étoit au-dessus. Et il a raison d'assurer que la dé-
termination de gauche à droite n'est pas changée,
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LETTRES. /jl^
parceque sa quantité est la même, le mobile étant
dans la ligne BI, qu'elle étoit quand il étoit porté
dans la ligne AB. .
Article septième. Mais donnons encore , etc.
M. de Fermât semble encore accorder ici gratui-
tement une chose qu'il auroit aussi tort de con-
tester, comme il se voit par la remarque précé-
dente. Ce qu'il y a de plus dans cet article n'est
que le propre texte de M. Descartes.
Article huitième, Voyez comme il retombe, etc.
M. Descartes est ici accusé de tomber pour la
seconde fois dans une même faute, pour ne s'être
pas souvenu de la différence qu'il y a entre la dé-
termination et le mouvement; mais cette accusa-
tion n'est fondée que sur ce que M. de Fermât
prend ici un peu rigoureusement les paroles de
M. Descartes. Car quand il dit que la balle doit
faire deux fois autant de chemin vers le même côté,
cela ne signifie pas que la balle doive se mouvoir
dans une ligne deux fois aussi grande qu'aupara-
vant; mais que, quelle que soit la longueur de
cette ligne, la détermination vers la droite doit
tellement s'accommoder avec la vitesse qui lui
reste, que la balle avance de ce côté-là deux fois
autant qu'elle avoit fait : c'est là le sens qu il falloit
donner aux paroles de M. Descartes, et non pas
celui par lequel on prétend qu'il confond deux
choses diverses : et cela étoit assez évident, puis-
4l8 LETTRES.
que là même il suppose que le mouvement total
de la balle est diminué de moitié. Ce qui suit de
cet article, et l'absurdité que M. de Fermât y con-
clut, ne fait rien contre M. Descartes, qui nieroit
tout franc que la détermination de haut en bas
demeure la même, suivant ce qui a été remarqué
sur l'article troisième , et ainsi tout cet appareil de
raisonnement s'en va en fumée.
Articles neuvième, dixième , onzième , douzième.
Je passe pour vrai tout ce qui est contenu dans
ces articles ; mais cela ne fait rien du tout au sujet,
et n'a servi qu'à tromper M. de Fermât, qui y
parle du mouvement composé en autre sens que
n'a fait M. Descartes.
Article treizième. Cela ainsi supposé , etc.
M. de Fermât estime que dans la page 23 de la
Dioptrique, la supposition de M. Descartes est
que l'accroissement d'un tiers de mouvement qui
arrive à la balle soit simplement de haut en bas,
ou selon la ligne BG , au lieu que c'est à le mesurer
dans la ligne qu'elle a à décrire ou parcourir ac-
tuellement, et cela est assez aisé à entendre ; par-
ceque si cela étoit, M. Descartes n'auroit pas
supposé, comme il a fait, que la force du mouve-
ment de la balle est augmentée d'un tiers, mais
auroit supposé que la détermination de haut en
bas est augmentée d'un tiers, et n'auroit pas parlé
du mouvement total. Il ne faut donc pas dire
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LETTRES. 4*9
qu'au sens de M. Descartes la balle qui se meut
en BI s'y meuve d'un mouvement composé de
celui qu'elle avoit vers BD, et d'un nouveau vers
BG , qui augmente d'un tiers la force quelle avoit
déjà en ce sens-là; mais bien que le mouvement ac-
tuel de la balle est d'un tiers plus vite qu'aupara-
vant, laissant au raisonnement à définir quel chan-
gement doit suivre de là en la détermination de
haut en bas.
Article quatorzième. Imaginons ensuite, etc.
Ce que M. de Fermât conclut dans cet article
est vrai dans sa supposition , laquelle ( comme je
viens de remarquer) étant différente de celle de
M. Descartes, il ne faut pas s'étonner s'ils éta-
blissent tous deux des proportions différentes,
Pune desquelles par conséquent ne sauroit détruire
l'autre. ) .
Article quinzième. D'ailleurs la principale rai-
son, etc.
Il est vrai que M. Descartes entend que le mou-
vement d'un mobile accroît toujours d'une pareille
quantité, en pénétrant un même milieu , quoiqu'il
tombe sur sa surface avec des inclinaisons diffé-
rentes: et cela est bien raisonnable, puisque l'aug-
mentation de vitesse, ou la facilité à se mouvoir,
que le mobile acquiert au point de rencontre qui
sépare les deux milieux, dépend de la nature du
second milieu, laquelle ne change point, mais est
a7.
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4^0 LETTRES.
toujours la même dans toutes les inclinaisons. Et
la principale faute que commet ici M. de Fermât
est fondée sur ce qu'il croit que le mouvement
composé en BI n'est pas toujours également vite,
comme s'il dépendoit de la direction ou détermi-
nation des deux forces mouvantes; au lieu que
c'est à elleà s'accommodera la force du mouvement,
lequel est composé, et non pas la détermination:
et c'est ce qui a trompé M. de Fermât, et qui lui
a fait faire tous ses faux raisonnements; et c'est
peut-être encore ce qui l'empêche à présent de
recevoir la démonstration de M. Descartes. Aussi
ce quïl ajoute ensuite, et qu'il dit avoir démontré
être faux, n'est vrai que dans sa supposition, qu'il
croyoit être celle de M. Descartes, mais qui pour-
tant, comme j'ai montré, en est fort différente.
Article seizième. Ce n'est pas que, etc.
M. de Fermât avoue qutf l n'est pas assuré qu'il
faille suivre sa proportion plutôt que celle qu'il
tâche de combattre; mais je ne fais pas difficulté
d'avouer qu'il faudroit r*ienir la sienne , si l'accé-
lération ou le ralentissement du mouvement dé-
pendoit ici dç l'angle compris sous les lignes de
direction dçs deux forces mouvantes; mais parce»
qu'il dépend de la nature du second niilièu que le
corps a à parcourir de faciliter ou de retarder
son mouvement , il est évident, ce me semble, que
l'on doit retenir celle, de M. Descartes.
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LETTRES. 421
Nous saurons, quand il plaira à M. de Fermât, les
pensées qu'il a touchant la réfraction; mais je puis
déjà dire ici par avance que ce que j en ai vu dans
sa lettre à M. de la Chambre m'a paru fort ingé-
nieux et digne de lui.
Si vous lui faites voir ceci , je vous prie de lui
taire mon nom , ou si vous trouvez à propos de
lui déclarer, je vous prie aussi qu'il sache que ce
n'est pas d'aujourd'hui que le bruit de son nom
est venu jusques à moi; que j'estime beaucoup
son mérite, et que je tiendrai à honneur s'il
daigne me faire la grâce de me mettre au rang de
ses très humbles serviteurs.
4^2
LETTRES
RÉPLIQUE DE M. DE FERMAT
A M. CLERSELIER.
(Lettre 47 du tome III.)
Du a juin i658.
Monsieur,
Je suis si passionné pour la gloire de M. Descartes,
que vous ne pouvez m obliger plus sensiblement
qu'en combattant les opinions du sceptique qui
s'oppose à ses sentiments. Mais prenez garde,
monsieur, qu'il importe de conduire votre travail
jusques au bout, et de renverser entièrement sur
leurs auteurs tout ce que vous appelez ou para-
logisme ou sophisme. Il ne suffit pas de dire que
le sens de M. Descartes a été mal pris par ceux qui
le reprennent ; il faut prouver que l'explication
que vous lui donnez va droit et sans détour à sa con-
clusion, et qu'enfin sa preuve est démonstrative.
Nous avions cru que la balle qui conserve sa di-
rection et sa route ne perd point sa détermination ,
et nous l'avions avec quelque raison inféré de la
différence que M. Descartes établit entre le mou-
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LETTRES. 425
vement et la détermination. Mais, sans nous em-
presser davantage à prouver la conséquence que
nous tirions de son raisonnement, nous nous te-
nons pour suffisamment avertis de sa pensée, et
de la vôtre , qui veut que la détermination d'un
mobile soit réputée changer, non seulement quand
il quitte la ligne dans laquelle il se mouvoit aupa-
ravant, ou quand il se meut à contre-sens dans
la même ligne, mais encore en se mouvant du
même sens dans la même ligne droite, pourvu que
ce soit plus ou moins loin qu'il n'étoit déterminé
d'aller en ce sens-là. Et c'est en cette troisième fa-
çon, dites- vous, que la quantité de la détermina-
tion de la balle est devenue moindre autant que le
mouvement , lorsqu'elle se meut sur la ligne HBG
de la page 20 de la Dioptrique. Mais prenez garde
que ce ne soit tomber dans la pétition du principe.
Vous entendez donc dans la page 20 que la toile
n'étant aucunement opposée à la détermination de
gauche à droite, ces paroles veulent dire que cette
détermination avance autant vers la droite qu'elle
faisoit auparavant ; c'est ce que je nie, et qu'il faut
prouver. Car bien que la toile n'empêche point
que la balle n'avance toujours vers la droite, elle
ne laisse pas d'avancer vers la droite, soit que ce
progrès soit plus lent, soit qu'il soit plus vite
qu'auparavant. Or, de cela seul que la toile n'em-
pêche pas le progrès vers la droite, vous en inférez.
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I<ETTAES.
que ce progrès doit être justement le même, c est-
à-dire ni plus ni moins vite qu'auparavant; c'est
donc ouvrira aÎTvjjxaToç. Et il faut de deux choses
l'une, ou que le médium soit le même que la
conclusion , ou que la conclusion en soit mal tirée.
Peut-être direz-vous que le mot aucunement fait
tout le mystère , et qu'en disant que la toile ne lui
est aucunement opposée en ce sens-là, tout le
reste s'en déduit aisément; mais il en faut toujours
revenir là : si par le mot aucunement vous en-
tendez que la toile n'empêche pas que la balle ne
continue sa marche vers la droite , et que son
progrès ne se fasse également , et en temps égal ,
je le nie, et c'est ce qu'il faut prouver. Si vous en-
tendez que la toile ne lui est aucunement opposée,
c'est-à-dire quelle n'empêche pas que la balle ne
continue d'avancer vers la droite, sans assurer en-
core si son progrès doit se faire en temps égal ,
vous ne trouverez jamais votre compte dans la
conclusion. D'où il suit clairement que M. Des-
cartes a voulu donner des paroles pour des choses ;
et qu'en traitant deux propositions différentes sur
le sujet de la réflexion et de la réfraction , il a
voulu accommoder son raisonnement à la première
qu'il savoit, et à la seconde qu'il a peut-être trop
légèrement crue. Ce n'est pas , comme je vous ai
déjà souvent protesté, que sa proportion des ré-
fractions ne puisse être vraie : mais j'ai du moins
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LETTRES. /f2^
à vous dire que je ne la tiens du tout point prou-
vée ; et qu'en tout cas vous avez trop de complai-
sance en faisant semblant d'approuver ma pensée
sur ce même sujet, puisque si ce que j'ai écrit là-
dessus à M. de la Chambre est véritable, ce que
M. Descartes croit avoir démontré est nécessaire-
ment faux, ces deux opinions étant tout-à-fait
contradictoires et incompatibles. Mais supposons,
si faire se peut, que la proposition de M. Descartes
soit véritable, il faut du moins pourvoir à ce que
rien ne se démente dans les suites, et c'est aux amis
du défunt à prévoir tous les cas qui pourroient
faire de la peine à ia vérité supposée de cette pro-
position. En voici un par exemple qu'il faut tâcher
de résoudre.
Supposez dans la page 20 que la balle rencontre,
au lieu delà toile ou de l'eau, un corps dur et im-
pénétrable , et que lorsque la balle arrive au point
B elle ne laisse pas de perdre la moitié de sa vi-
tesse (car cette supposition est possible), et quoique
le corps CBE ne contribue rien à la diminution de
la vitesse , comme il fait en l'exemple de INI. Des-
cartes , lorsque c'est de la toile ou de l'eau , néan-
moins nous pouvons imaginer et supposer que
lorsque la balle arrive au point B elle perd juste-
ment la moitié de sa vitesse , sans nous mettre en
peine d'où provient cette diminution , puisque le
même M. Descartes, en la page a3 de la Dioptri-
4^6 LETTRES.
que, suppose ou imagine au point B une nouvelle
puissance qui augmente le mouvement ou la vitesse
de la balle ; de sorte que je ne crois pas que les amis
de M. Descartes soient assez injustes pour nier que
cette supposition puisse être non seulement ima-
ginée, mais réduite en acte: cela supposé, il ' ne
faut que transférer le raisonnement de M. Descartes
au-dessus du plan, et on pourra dire avec lui que
pour savoir le chemin que la balle doit prendre
il faut considérer que son mouvement diffère en-
tièrement de sa détermination à se mouvoir plutôt
vers un côté que vers un autre : d'où il suit que
leur quantité doit être examinée séparément. Con-
sidérons aussi que des deux parties dont on peut
imaginer que cette détermination est composée, il
n'y a que celle qui faisoit tendre la balle de haut
en bas qui puisse être changée par la rencontre
du plan CBE, et que pour celle qui la faisoit ten-
dre vers la main droite , elle doit toujours demeu-
rer la même quelle a été, à cause que ce plan ne
lui est aucunement opposé en ce sens-là. Puis ayant
décrit du centre B le cercle AFD , et tiré à angles
droits sur CBE les trois lignes droites AC , HB , FE ,
en telle sorte qu'il y ait deux fois autant de distance
entre FE et HB qu'entre HB et AC, nous verrons
que cette balle doit tendre vers le point du cercle
où la ligne FE coupe le cercle au-dessus du plan ,
c'est-à-dire au point O : car puisque la balle perd
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LETTRES. 427
la moitié de sa vitesse en rencontrant le plan au
point B , et qu elle ne peut point le traverser par
la supposition , elle doit employer deux fois autant
de temps à passer au-dessus depuis B jusques à
quelque point de la circonférence du cercle AFD
qu'elleafait venirdepuis A jusques àB, etpuisqu'elle
ne perd rien du tout de la détermination qu'elle
avoit à s'avancer vers le côté droit , en deux fois
autant de temps quelle en a mis à passer depuis
la ligue AC jusques à HB , elle doit faire deux fois
autant de chemin vers ce même côté-là, et par con-
séquent arriver à quelque point de la ligne droite
FE au même instant qu'elle arrive aussi à quelque
point de la circonférence du cercle AFD, ce qui se-
roit impossible si elle n'alloit vers O , d'autant que
c'est le seul point au-dessus du plan CBE où le cercle
AFD et la ligne droite F s'entrecoupent. Si ce raison-
nement, qui est justement le même que celui de
M. Descartes , en le transférant seulement au-des-
sus du plan, ne conclut pas, pourquoi de grâce ce-
lui de M. Descartes conclura-t-il? ce qui est une
démonstration au-dessous de viendra-t-il un paralo-
gisme au-dessus ? Je ne crois pas que vous soyez
de ce sentiment, et que vous vouliez donner tout
au seul nom et à l'inspiration, s'il faut ainsi dire,
de M. Descartes.
Cela étant , passons à la figure de la page 22 ,
et supposons de même que le plan CB est un corps
428 LETTRES.
dur et impénétrable , et que la balle arrivant au
point B diminue sa vitesse, en telle sorte que la
ligne FE , étant tirée comme en l'exemple pré-
cédent, ne coupe point le cercle AD; cette balle
par la supposition ne peut point pénétrer au-des-
sous du plan ; elle ne peut non plus se réfléchir
à angles égaux , car sa détermination vers la droite
ne seroit point la même ; enfin quelque angle que
vous preniez pour sa réflexion au-dessus du plan,
son progrès vers la droite sera toujours moindre
qu'auparavant ; voire même quand vous la feriez
rouler sur le diamètre CB, sa détermination vers la
droite changeroit encore , comme il se voit à l'oeil,
et comme il se déduit clairement de la supposition;
car il faudroit qu'au même tempsque la balle arrive
à quelque point de la circonférence, elle arrivât
aussi à quelque point de la droite FE , ce qui est
impossible. Que deviendra donc cette balle ? C'est à
vous, monsieur , et aux amis de M. Descartes , à lui
fournir un passe-port , et à lui marquer sa route,
en la faisant sortir de ce point fatal. J'en dirois da-
vantage , si je n'appréhendois de passer dans votre
esprit pour un homme qui auroit envie de
barbam vellerc mortuo leoni.
J'attends , monsieur, votre réplique, ou celle de
M. Rohault , que j'estime comme je dois , et je vous
assure par avance que je ne cherche que la vé-
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LETTRES.
rite sans chicane, et que je suis de tout mon
cœur , etc.
AUTRE RÉPLIQUE DE M. DE FERMAT
A M. CLERSELIER.
(Lettre /,8 du tome III.)
• • * ■
m *
Du 16 juin [<i:'> s.
: . . . • •
»
Monsieur,
■ •
Nous laissâmes dernièrement la balle de M. Des-
cartes en grande peine; c'est dans la page 22 de
la Dioptrique , où elle faisoit tous ses efforts pour
sortir du point B à l'honneur de M. Descartes ;
mais elle y trouva toutes les issues fermées en sui-
vant le raisonnement de cet auteur; et nous ne
pouvons même lui donner présentement de se-
cours , si nous ne faisons changer de biais à sa lo-
gique.
Reprenons la figure de la page 1 6 , et supposons
que la balle qui va dans la droite AB diminue sa
vitesse de moitié en arrivant au point B. Si elle
continuoit dans le même milieu , et que le plan CBE
430 LETTRES.
ne lui fût point opposé, elle iroit toujours en ligne
•
nu
r
r
d
•lil
•
qu'elle avoit mis depuis A jusques à B. Mais si en
supposant la même diminution de vitesseau pointB,
nous supposons que le plan CBE impénétrable à la
balle se trouve maintenant entre deux et empêche
que la balle ne passe au-dessous , je dis qu'elle se ré-
fléchira aussi bien à angles égaux que si la vitesse et
lemouvement demeuroientles mêmes; car puisque
l'interposition du plan n'empêche que l'une des
parties dont la détermination est composée, et que
celle de gauche à droite demeure la même , donc
la balle avancera autant vers la droite qu'elle eût
fait au-dessous, si le plan n'eût pas empêché sa
route. Or si le plan CBE ne faisoit point d'obstacle,
la balle, qui diminue sa vitesse de moitié au point
B , mettroit le double du temps depuis B jusques
à D qu'elle avoit mis depuis A jusques à B 5 et
lorsqu'elle seroit au point D, elle auroit avancé
vers la droite jusques en E : elle mettroit donc le
double du temps à s'avancer depuis B jusques à E
qu'elle avoit fait à s'avancer depuis C jusques à B;
et il y a même raison de AB à BC que de BD à
BE, parceque les angles ABC, DBE sur les deux
droites AD et CE sont égaux , et par conséquent
les triangles ABC , DBE semblables. Nous pouvons
faire le même raisonnement au-dessus, si du point
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LETTRES. 43»
E nous élevons la perpendiculaire EF , et dire que
lorsque la balle sera à l'un des points de la circon-
férence , comme F , elle y aura mis le double du
temps qu'elle avoit mis depuis A jusques àB , puis-
que le plan que nous supposons maintenant entre
deux ne fait rien de nouveau qu'empêcher la dé-
termination de haut en bas ; et partant la déterrai-
nation de gauche à droite sera pour lors marquée
par le même point E ; et par conséquent comme
FB sera à EB , ainsi la droite AB sera à BG ; d'où
il suit que les angles ABC, FBE seront toujours
égaux , de quelque manière et en quelque propor-
tion que la vitesse ou le mouvement changent. Si
M. Descartes eût pris garde qu'en quelque manière
que la vitesse change au point B la réflexion ne
laisse pas de se faire à angles égaux , il n'eût pas
été en peine ni ses amis non plus de tirer la balle
du point B , où ils l'ont vue malheureusement en-
gagée dans l'exemple de ma dernière lettre; il n'eût
pas soutenu que la vitesse venant à changer au
point B , la balle ne laisse pas d'avancer vers la
droite autant qu'elle faisoit auparavant; il n'eût
pas déduit d'un fondement non seulement incer-
tain , mais encore faux , sa proportion des réfrac-
tions; et enfin il n'eût pas esquivé dans la figure
de la page 22 de déterminer sous quel angle la
balle étant au point B se réfléchit vers le point L.
Car quoiqu'il paroisse par son discours , et par
4^2 LETTRES.
l'inspection même de la figure , qu'il a entendu
que cette réflexion se fait à angles égaux, il a laissé
un petit scrupule dans l'esprit des lecteurs , qui
peuvent raisonnablement douter si dans l'exemple
de M. Descartes la balle diminue sa vitesse au
point B, ou non. Si elle diminue, la réflexion ne
se pourroit pas faire à angles égaux en suivant le
raisonnement de M. Descartes. Que si la balle ne
diminue point sa vitesse au point B, y a-t-il rien
de plus contraire aux lois inviolables de la pure
géométrie , qui ne veut point qu'on puisse aller
d'un extrême à l'autre sans passer par tous les de-
grés du milieu. Or, M. Descartes et ses amis sou-
tiennent que la balle qui est poussée sur l'eau , ou
sur la toile , diminue sa vitesse également en toutes
les inclinations , lorsqu'elle la traverse , et que cette
diminution se fait dès le point B. Gomment donc
peut-on concevoir que, dès le premier angle où
elle se réfléchit, sa vitesse ne diminue point du
tout, et qu'il n'en puisse pourtant être pris aucun
plus grand auquel elle diminue d'une certaine
quantité qui soit toujours la même? Ne seroitil
pas plus géométrique et plus naturel de soutenir,
dans le sentiment de M. Descartes , que la dimi-
nution de la vitesse se fait également ; que cette
diminution est la plus grande de toutes dans la
chute perpendiculaire d'H vers B, et qu'elle se rend
toujours moindre à mesure que les inclinations va-
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LETTRES. 453
rient, jusqu'à ce quelle devienne nulle; ce que
M. Descartes a peut-être cru arriver lorsqu'elle se
réfléchit. Mais , parceque nous venons de prou-
ver que, soit que la vitesse augmente ou qu'elle
diminue au point B, la réflexion ne laisse pas de
se faire à angles égaux , nous ne devons pas nous
mettre en peine de rechercher plus soigneusement
la conduite secrète dont se sert la nature en affai-
blissant la vitesse de la balle ou également ou iné-
galement à mesure que les inclinations viennent à
changer.
Mais que deviendra le raisonnement qui se doit
faire au-dessous du plan CBE en la page 20 par
exemple? il sera le même que le précédent; car que
la vitesse diminue au point B, ou par la rencontre
de la toile, ou par quelque autre voie qui vienne
d'ailleurs , c'est toute la même chose. Et puisqu'en
Ja figure de la page 20 la balle perce la toile, et
qu'au point B la vitesse diminue de moitié, elle
ne peut jamais avoir la détermination vers la droite
pareille à celle qu'elle auroit s'il n'y avoit point de
toile , et que pourtant sa vitesse diminuât de moi-
tié au point B, qu'en continuant toujours sa route
dans la droite ABD. Vous répliquerez : mais à ce
compte-là, la détermination de haut en bas ne
changeroit pas non plus par la rencontre de la
toile ; je l'avoue. Et pour ôter et éclaircir pleine-
ment cette difficulté , il ne faut que dire que vous
lu. 28
434 LETTRES.
ne tirerez jamais autre chose du raisonnement
des mouvements et déterminations composées de
M. Descartes, sinon que la réflexion se fait toujours
à angles égaux, et que la pénétration du second mi-
lieu se doit toujours faire en ligne droite ; à quoi
même se rapporte ce que vous dites dans votre
dernier écrit , que la balle a toujours une même
aisance à pénétrer le second milieu en toutes sortes
d'inclinations. D où il doit suivre, dans l'application
du raisonnement de M. Descartes , qu'en toutes
sortes de cas la réflexion se fera à angles égaux ,
et que la pénétration se fera de même en tous les
cas en ligne droite ; le mouvement de dessous en
ligne droite suivant les mêmes lois, et répondant
justement au mouvement de dessus à angles égaux.
Mais il n'y aura donc point de réfraction, me di-
rez-vous? Je réplique que le mouvement de la balle
et la réfraction ne se ressemblent guère que par la
comparaison imaginaire de M. Descartes; et qu'au
pis aller, si le détour de la balle en passant par le
second milieu est véritable, il en faut chercher la
raison ailleurs que dans la composition des mou-
vements, qui ne produira jamais en cette rencontre
qu'un cercle dialectique, de quelque biais que vous
la preniez; il faudra examiner les principes secrets
dont se sert la nature en produisant la réfraction ;
et si celui que j'ai touché dans ma lettre à M. de la
Chambre ne vous plaît pas, je souhaite qu'il vous
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LETTRES.
en vienne un meilleur en l'esprit, et que cette
vieille dispute aboutisse enfin à la pleine et en-
tière découverte de la vérité. Je suis de tout mon
cœur , etc.
RÉPONSE DE M. CLERSELIER
AUX DEUX PRÉCÉDENTES DE M. DE FERMAT.
( Lettre 49 du tome III. )
Du ai août i658.
Monsieur,
Je me trouve aujourd'hui plus empêché à ré-
pondre que je n'étois la dernière fois; aussi avez-
vous changé de condition, et déjuge que vous étiez,
vous êtes devenu partie. Quand je n'avois qu'à dé-
fendre devant vous la cause de M. Descartes contre
votre sceptique , je ne me promettois pas un suc-
cès moins favorable que celui que j'ai eu; j'avois
une bonne cause à défendre , des subtilités à éclair-
cir, et un juge clairvoyant pour m'entendre et
prononcer. Mais quand je vous considère descendu
de votre siège, pour vous porter vous-même partie
contre celui que je défends, le respect que je vous
28.
436 LETTRES.
dois en quelque état que vous paraissiez , la grande
estime que j'ai toujours conçue de vous, et qui
s'augmente en moi à mesure que vous vous faites
davantage connoître, et le peu d'usage que j'ai
dans la matière que nous agitons, à comparaison
de celui que vous vous y êtes acquis, tout cela
m étonne, et fait que je ne sais encore quelle issue
me promettre de tout ce démêlé. Je vous dirai
pourtant d'abord que si je voulois agir avec moins
de franchise que ne m'oblige l'honnête procédé
que vous gardez avec moi, je pourrais user d'une
exception, qui paraîtrait peut-être assez légitime
et recevable, en vous accordant tout ce que vous
dites, et prétendant que tout cela ne fait rien
contre M. Descartes, et ne combat en aucune
façon sa doctrine touchant la réflexion et la ré-
fraction.
Car je veux que la balle de la figure de la page
22 de la Dioptrique, selon la supposition que vous
faites dans votre première lettre, se trouve empê-
chée (comme vous dites sans doute agréablement)
à trouver quelque issue pour prendre sa route; et
je veux même que le passe-port que vous lui avez
donné par avance en votre seconde, de peur que
nous n'eussions pas assez de crédit pour lui en
obtenir un, et même que la route que vous avez
eu la bonté de lui marquer en cet endroit lui fut
si aisée et si commode qu'elle ne fît point de dif-
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LETTRES. 4^7
ticulté de la suivre, que pourroit-on conclure delà
contre M. Descartes? lequel n'ayant apporté en ce
Heu-là les exemples de la balle que pour expliquer
certains effets particuliers de la lumière, à savoir,
celui de la réflexion , qui se fait toujours à angles
égaux , et celui de la réfraction , qui se fait toujours
de la même sorte dans un même milieu , et qui
change selon la proportion qui est entre le milieu
d'où elle sort et celui où elle entre, ce qui fait que
tantôt elle s'approche et tantôt elle s'éloigne de
la perpendiculaire; qui, dis-je, n'a eu aucune oc-
casion d'expliquer le cas que vous proposez, pour-
cequ'il n'a aucun rapport à son dessein.
Il n'y en avoit que trois qui y pussent servir,
et il les a tous trois expliqués, et, à mon avis, d'une
manière si claire et si simple, qu'il n'y a que ceux
qui veulent trop subtiliser qui y puissent trouver
de la difficulté.
Le premier cas, qui explique la réflexion, est
celui d'une balle qui, étant poussée suivant la ligne
AB, rencontre de biais dans son chemin un corps
dur, impénétrable et inébranlable; qu'y a-t-ii de
plus simple et de plus clair que cette balle, qui
ne perd rien de sa vitesse, doit rejaillir à angles
égaux , c'est-à-dire remonter aussi vite qu'elle est
descendue, et avancer autant qu'elle faisoit vers
le côté où ce corps dur n'est point du tout op-
posé.
438 LETTRES.
Le second , qui se rapporte à la réfraction lors-p
quelle s'éloigne de la perpendiculaire, est celui
de la même balle qui , étant poussée comme dessus,
rencontre aussi de biais un autre milieu dans le-
quel elle pénètre , et qui lui fait perdre une partie
de sa vitesse. Quoi de plus clair et de plus simple
que de dire que cette balle , ne pouvant plus aller
si vite qu'elle faisoit auparavant, doit pourtant
conserver toute la détermination qu'elle avoit à
avancer vers le côté, à laquelle ce milieu n'est au-
cunement opposé, et à quoi la perte qu'elle a
soufferte en sa vitesse ne résiste point et se peut
accommoder. Pourquoi vouloir obliger cette balle à
faire plus qu'elle ne doit, puisque la nature ne fait
rien en vain.
Enfin le troisième cas , qui se rapporte à la ré-
fraction lorsqu'elle s'approche de la perpendicu-
laire , et le seul qui restoit à M. Descartes à éclair-
cir, s'explique heureusement par la même balle,
qui, étant poussée comme auparavant, rencontre
aussi de biais dans son chemin un autre milieu ,
dans lequel elle pénètre avec une égale facilité
de tous côtés, et qui augmente sa vitesse d'une
certaine quantité. Que peut-on penser de plus
simple et de plus naturel que de dire que cette
balle devant aller plus vite qu'elle ne faisoit au-
paravant , n'avance pourtant pas davantage , selon
cette détermination à laquelle ce corps, par qui
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LETTRES. 4^9
sa vitesse a été augmentée, n'est point du tout
opposé.
Le cas que vous proposez outre cela dans votre
première lettre est superflu , et ne peut servir à
expliquer aucun de ces phénomènes de la lumière,
et par conséquent il n'est ici d'aucune considération;
et , quelque inconvénient qui en pût suivre , cela
ne pourroit préjudicier à ce que M. Descartes a
auparavant prouvé, et par quoi il a expliqué si in-
telligiblement ces effets merveilleux de la lumière,
qui ne laisseroient pas d'être vrais, et tels qu'il les
a démontrés, quand votre supposition seroit difficile
à expliquer par ses principes , ce que je ne déses-
père pourtant pas de faire , et quand elle se devroit
expliquer suivant les vôtres, ce que je n'estime pas.
Mais pourceque c'est en ceci que consiste toute
notre dispute , il faut que j'éclaircisse une fois pour
toutes un point qui vous semble n'avoir pas été
prouvé par M. Descartes, à cause que sa preuve
n'est pas purement géométrique, mais qu'elle est
en partie fondée sur quelques principes de la na-
ture, si clairs qu'ils ne demandent aucune expli-
cation. Ces principes sont, premièrement, que
chaque chose demeure en l'état qu'elle est pen-
dant que rien ne la change. Secondement, que
lorsque deux corps se rencontrent qui ont en eux
des modes incompatibles , il se doit véritable-
ment faire quelque changement en ces modes pour
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44° LETTRES.
les rendre compatibles, mais que ce changement
est toujours le moindre qui puisse être. Troisiè-
mement, qu'un corps ne peut résister, ou causer
du changement dans un autre, qu'en tant qu'il lui
est opposé.
Ainsi donc, si une balle se meut d'A vers B,
dans la figure de la page 16 de la Dioptrique,
avec une certaine vitesse, elle continuera tou-
jours d'aller avec la même vitesse dans la même
ligne , si rien ne la change. Mais si vous lui op-
posez le corps dur , impénétrable et inébranlable
CBE, pourceque' les modes de ces deux corps,
l'un qui tend de B vers D, et l'autre qui s'op-
pose à cette route, sont incompatibles, mais qui
ne s'oppose point à sa vitesse , il faut qu'il arrive
du changement en l'un de ces modes, mais le
moindre qui puisse être; c'est pourquoi la balle
changera de détermination , et gardera sa vitesse ;
et d'autant que le corps CBE n'est opposé qu'à
l'une des deux déterminations, dont il est vrai que
celle de la balle est composée, eu égard au corps
CBE sur lequel elle tombe, à savoir, à celle qui
la faisoit descendre, et non point à celle de gauche
à droite, ce corps ne peut apporter de changement
qu'à celle-là, et non point à l'autre, à laquelle il
n'est point opposé; c'est pourquoi il oblige la
balle de remonter, et la laisse continuer à s'avancer
vers la droite comme elle faisoit auparavant , à quoi
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LETTRES. 44 1
il ne change rien, le mode de son corps n'ayant
rien d'incompatible et d'opposé à celui-là. Il ne
faut plus ajouter à ce raisonnement que ce qui ap-
partient â la géométrie , et la preuve sera achevée.
Si vous n'appelez pas cela une preuve démonstra-
tive , je ne sais plus de quelles raisons il faudra se
servir pour en composer une ; mais, pour moi, je
me contente de pareilles démonstrations. Or, le
même raisonnement que je viens de faire se peut
accommoder à la figure de la page 20 et à celle de
la page 22, et à tous les cas qui se peuvent proposer,
et je n'y vois rien de différent que les différentes
suppositions ; à savoir , que le corps CBE tantôt
est dur et tantôt liquide, tantôt pénétrable et
tantôt impénétrable; que la vitesse tantôt diminue,
tantôt augmente , et tantôt demeure la même; et
que la balle tantôt continue de descendre, et tan-
tôt est obligée de remonter, et même que tantôt
on peut opposer un corps au cours de la balle , et
tantôt non.
Examinons maintenant ces cas l'un après l'autre
suivant ces principes , et voyons ce qui doit ar-
river, et je m'assure que l'on ne trouvera point
que la chose doive aller comme vous dites, mais
bien comme dit M. Descartes, et cela répondra
en même temps à toutes vos nouvelles diffi-
cultés.
Premièrement, vous dites au commencement de
/|4^ LETTRES.
votre seconde lettre que si l'on suppose que la
balle qui va dans la ligne droite AB diminue sa vi-
tesse de moitié en arrivant au point B, elle ira
toujours en ligne droite vers D si elle continue
daller dans le même milieu et que le plan CBE ne
lui soit point opposé, avec cette différence seule-
ment , quelle emploiera depuis B jusqnes à D le
double du temps qu'elle avoit mis auparavant de-
puis A jusques à B, et cela à cause qu'un corps
doit toujours demeurer dans le même état où il
est, ou auquel on suppose qu'il soit , si rien ne le
change. Or, n'y ayant rien qui change en la balle,
que la vitesse, ni rien par quoi la détermination
doive être altérée plus d'un côté que d'un autre ,
tout cela fait qu'elle doit continuer dans la même
ligne, aller seulement moins vite selon cette dé-
termination ; de même que lorsqu'un corps tombe
perpendiculairement de l'air dans l'eau il continue
d'aller suivant la ligne de sa chute , et va seulement
d'autant moins vite que sa vitesse est diminuée à
la rencontre de l'eau.
Si pourtant j'eusse été d'humeur à vouloir chi-
caner ( ce qui ne m'arrivera jamais lorsque j'au-
rai affaire à une personne d'honneur et de mérite
comme vous), j'aurois pu nier que le cas que vous
proposez fût concevable et admissible, à savoir,
qu'un mobile sans changer de milieu puisse tout
d'un coup passer d'une vitesse à une autre sans
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LETTRES. 4'|3
passer par les degrés qui sont entre deux ; ce que
vous dites vous-même être contraire aux lois invio-
lables de la pure géométrie , et qui même est con-
traire à cette loi de la nature qui est que cha-
que corps continue toujours de demeurer dans
le même état autant qu'il se peut , et que jamais il
ne le change que par la rencontre des autres. Le
moyen donc de concevoir qu'un corps puisse tout
d'un coup, étant arrivé au point B, perdre la moitié
de sa vitesse, lorsqu'il ne se rencontre rien qui la
lui puisse faire perdre. Mais je veuxbien vous accor-
der toutes vos suppositions, et ne vous rien nier
que ce qui ne se pourra absolument admettre , à
moins de renverser toutes les lois de la nature,
et toutes les notions claires et simples qui sont en
nous.
Passons à votre seconde supposition , qui est à
mon gré une des plus adroites que Ton pût faire en
ce genre , et dont sans doute j'aurois eu peine à
apercevoir la subtilité, n'étoit qu'étant accoutumé
à suivre des voies fort simples dans mes raisonne-
ments , je me défie de tout ce que je vois qui s'en
écarte.
Vous supposez après cela que la balle perdant
comme auparavant la moitié de sa vitesse au point
B, le plan CBE impénétrable se trouve entre deux,
et empêche que la balle ne passe au-dessous ; et
vous dites que la balle réfléchira aussi bien à angles
/|44 LETTRES.
égaux que si la vitesse ou le mouvement demeu-
roit le même : et certainement je confesse que vous
le prouvez d'une manière la plus ingénieuse qu'il
est possible; mais permettez-moi aussi de vous
dire qu'elle est captieuse , et souffrez que je vous
fasse voir en quoi je pense que vous vous êtes mé-
pris.
Quand en l'exemple ci -dessus je suis demeuré
d'accord que la balle , perdant au point B la moitié
de sa vitesse, ne laissoit pas de continuer son che-
min suivant la ligne BD, avec cette seule différence
qu elle alloit de moitié moins vite , cela a été parce-
que, ne changeant point de milieu, et aucun plan ne
lui étant opposé , on ne pouvoit pas dire que la dé-
termination de laballe suivant la ligne AB fût com-
posée de deux déterminations , non plus que lors-
qu'une balle tombe perpendiculairement sur un
plan. Mais ici, où vous supposez que le plan CBE
lui est opposé, il est certain qu'à son égard la dé-
termination de la balle sur la route AB est com-
posée de deux autres , l'une qui la fait descendre
vers lui , et l'autre qui la fait avancer vers la droite ,
ou horizontalement, et que ce plan s'oppose à
celle-là et non point à celle-ci.
Maintenant, de deux choses l'une, ou vous sup-
posez qu'après que la balle est venue avec deux
degrés de vitesse depuis A jusques à B , étant
au point B elle rencontre le plan CBE , qui lui fait
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LETTRES.
perdre la moitié de sa vitesse; ou bien vous su jv
posez que , saus que ce plan y contribue , ayant
perdu la moitié de sa vitesse au point B , elle ren-
contre le plan CBE : et si j'ai bien compris le sens
de votre seconde lettre , c'est principalement à ce
dernier cas qu'elle se rapporte. Mais remarquez
encore ici en passant que je vous accorde pins
que je ne devrois; car le moyen de concevoir qu'une
balle perde la moitié de sa vitesse au point B ,
» sans la rencontre d'aucun corps qui la lui fasse
perdre ?
Au premier cas, il est aisé de voir qu'il ne faut
( comme vous avez fait dans votre première lettre)
que transférer le raisonnement de la figure de la
page 20 au-dessus du plan, et dire que, puisque
la balle ne perd rien du tout de la détermination
qu'elle avoit à avancer vers la droite, elle doit
( toutes les autres conditions étant gardées) arri-
ver au point O , ainsi que vous avez fort bien re-
marqué. C'est pourquoi je n'aurois garde de dire,
comme vous faites, pourquoi de grâce le raison-
nement de M. Descartes conclura- t-il au-dessous,
s'il ne conclut pas au-dessus ? Ce qui est une dé-
monstration en un cas deviendra-t-il un paralo-
gisme en l'autre? Non sans doute; l'un et l'autre
conclut également bien.
Au second cas , la balle peut suivre la route que
vous avez marquée dans votre seconde lettre , et
Digitized by Google
/|4(> LETTRES.
réfléchir toujours à angles égaux * de quelque ma-
nière et en quelque proportion que la vitesse ou
le mouvement change au point B ; mais non pas
à la vérité par la raison que vous dites , car la
même proportion ne doit pas être gardée par une
balle qui, rencontrant de biais un plan impéné-
trable, est obligée de réfléchir, que celle qui est gar-
dée par une autre balle que l'on suppose n'en point
rencontrer: à cause qu'une balle qui ne rencontre
aucun plan n'a qu'une seule détermination, elle ne
va ni à gauche ni à droite; au lieu qu'une balle qui
tombe de biais sur un plan y va toujours avec deux
déterminations , à l'une desquelles ce plan est op-
posé, et à l'autre non; et cette circonstance en doit
changer l'effet , selon les principes ci-devant posés.
Mais voici comme la balle peut suivre la route
que vous avez marquée, et réfléchir à angles égaux:
à savoir, il faut supposer que la balle étant au
point B , et ayant perdu la moitié de sa vitesse ( ou
telle autre quantité qu'il vous plaira ), commence
là à suivre la route qu'elle suivroit si elle avoit com-
mencé à ce point-là à se mouvoir avec la vitesse
qui lui reste ; or il est constant que si , sans avoir
égard à la ligne AB, qu'elle a parcourue avec deux
degrés de vitesse , elle commençoit à se mouvoir
en B avec la vitesse qu'on suppose qui lui reste ,
et suivant la direction qu'elle a véritablement au
point B, elle iroit vers D avec un degré dè vitesse,
Digitized by
LETTRES.
et y arriverôiten deux fois autant de temps qu'il
lui en a fallu pour venir d'A en B , si rien ne s'op-
posoitàson mouvement. Et si, au lieu de lui oppo-
ser le plan CBE au point B, on le lui opposoit au
point D , il est évident, par ce que nous avons dit
ci- dessus, que ce plan l'empêchant seulement de
passer outre , et non point d'avancer vers la droite ,
etne diminuant ni n'augmentant la vitesse avec la-
quelle elle seroit venue vers lui depuis B , elle re-
jailliroit vers G , et feroit un angle de réflexion DR,
égal à celui d'incidence BDG, lequel se trouveroit
égal à celui de la première incidence ABC. Or est-
il dit qu'il doit arriver au point B le même chan-
gement en la détermination de la balle que celui
qui arriveroit au point D si le plan CBE lui étoit
opposé en ce point-là , puisque dès le point B la balle
a toute la même vitesse et la même détermination
qu'elle auroit au point D après avoir parcouru la
ligne BD? et partant, la balle, selon votre supposi-
tion, doit au point B rejaillir suivant un angle égal
à celui d'incidence; non point, comme j'ai dit, par
la raison que vous dites, car il n'est pas vrai que
l'interposition du plan CBE n'empêchant que l'une
des parties dont la détermination est composée ,
celle de gauche à droite reste la même qu'elle étoit
quand la balle n'avoit aucun plan qui lui fut op-
sé ; car, en ce dernier cas , la balle n'avoit qu'une
détermination, et l'on ne peut pas dire qu'elle avan»
/|48 LETTRES.
çoit vers la droite. C'est pourquoi la conclusion
que vous en tirez n'est pas non plus véritable. Donc ,
dites-vous, la balle a dû avancer autant au-dessus
vers la droite qu'elle eût fait au-dessous si le plan
n'eût pas empêché sa route; et comme lorsqu'elle
seroit au point D au-dessous elle auroit avancé en
deux moments vers la droite depuis B jusques en
E , et de même aussi pour avancer en deux mo-
ments autant au-dessus vers la droite elle doit al-
ler au point F, qui est autant avancé vers la droite
que le point D, et qui coupe le cercle au-dessus
en même proportion que D le coupe au-dessous ,
et fait un angle de réflexion égal à celui d'incidence.
Car toute cette proportion de gauche à droite que
vous dites devoir être gardée au-dessus comme
elle eût été au-dessous si le plan CBE n'eût pas
empêché sa route , n'est qu'une proportion imagi-
naire, puisque au-dessous, quand il n'y a aucun
plan interposé , la balle n'a aucune direction vers
la droite, cette direction ou détermination vers la
droite étant toujours relative au plan qu'on lui in-
terpose : et , par exemple , si le plan CBE lui eût
été opposé d'un autre sens , comme en cette figure,
où seroit tout votre raisonnement vers la droite ?
Mais cela doit arriver dans votre su pposi lion même,
et dans toute autre, par la raison que j'ai dite, qui
est conforme aux lois de la nature et aux prin-
cipes ci-devant établis.
Digitized by
LETTRES. 44g
Pour éclaircir ceci encore davantage , suppo-
sons pour troisième cas , comme a fait M. Des-
cartes à la page al , ligne 14 de la Dioptrique , que
la balle ayant été premièrement poussée d'A vers
B , rencontre au point B le plan CBE , qui aug-
mente la force de son mouvement , ou sa vitesse ,
d'un tiers , en sorte qu elle puisse faire par après
autant de chemin en deux moments quelle en fai-
soit en trois auparavant : et il suit manifestement
qu elle doit rejaillir en F , puisque la détermination
vers la droite ne peut être augmentée par le pian
CBE , à laquelle il n'est aucunement opposé; et
non pas en K , comme elle devroit faire, si votre
raisonnement étoit véritable, mais qui ne le peut
être, puisqu'il est contraire aux lois de la nature ,
et même contre l'expérience, qui nous montre que
la réflexion d'une balle et celle des autres sembla-
bles corps qui ne sont pas parfaitement durs , ou
qui tombent sur d'autres qui affoiblissent leur
mouvement, ne se fait jamais à angles égaux: ainsi
les balles les plus molles ne rebondissent pas si
haut , ni ne font pas des angles de réflexion si
grands que celles qui sont plus dures.
Et remarquez que puisqu'il est naturellement
aisé de concevoir que, pour faire que la réflexion
se fasse à angles égaux, le mouvement ne doit en
aucune façon être augmenté ni diminué par la ren-
contre du plan , il semble que la raison nous doive
n
Digitized by Google
/pQ LETTRES.
aussi naturellement porter à croire que, lorsque ce
plan l'augmente ou la diminue, l'angle de réflexion
doit être à proportion ou plus grand ou plus petit
que celui d'incidence , et non pas qu'il doive être
toujours égal , comme il suit de votre raisonnement,
qui pour cela vous doit être suspect , quoiqu'il soit
très ingénieux.
Mais, me direz- vous, que deviendra donc la balle
dans la supposition que j'ai faite à la fin de ma
première lettre, à l'occasion de la figure de la
page 22 ; car c'est ici le point de la difficulté, et enfin
il la faut tirer de ce point fatal, où elleparoit mal-
heureusement engagée : c'est aussi ce que je pré-
tends faire maintenant à l'honneur de M. Descartes,
et sans faire changer de biais à sa logique, en me
servant, dans le cas que vous proposez ici, du même
raisonnement dont je me suis déjà servi quand
j'ai passé à votre seconde supposition.
Si donc la balle étant arrivée au point B ren-
contre de biais le plan dur, impénétrable et iné-
branlable CBE, et qu'elle perde à ce point B une
telle partie de sa vitesse que la ligne FE étant tirée
comme aux exemples précédents soit hors du cercle
AD» je dis °iue' ou vous enten(^ez <lue *e P*an
contribue à la perte de sa vitesse , ou vous enten-
dez qu'il n'y contribue rien. S'il n'y contribue rien ,
on ne peut pas concevoir autre chose , sinon que la
balle, après avoir perdu les deux tiers de sa vitesse,
Digitized by Googl
LETTRES. 45 1
et ayant dans cet état une direction déterminée à
aller vers D en un certain temps, à proportion de
la force ou de la vitesse qui lui reste , et par con-
séquent d'avancer aussi selon cette force d'une
certaine quantité vers la droite à l'égard du plan
CBE qu'on lui suppose, lequel pourtant n'est point
opposé à cette direction vers la droite , elle doit
rejaillir étant au point B, comme elle feroit au
point D, ainsi que j'ai dit ci-dessus. Et voilà là
route que je lui aurois marquée , qui se trouve
conforme à la vôtre ; mais par une autre raison ,
qui ne m'oblige point à changer de logique.
Mais remarquez que cette supposition même est
impossible, qu'une balle perde les deux tiers de sa
vitesse sans la rencontre d'aucun corps qui la lui
fasse perdre.
Que si maintenant le corps CBE contribue à la
perte de la vitesse, cela ne se peut faire en suppo-
sant le corps CBE parfaitement dur, impénétrable
et inébranlable. Car le mouvement de la balle ne
peut être diminué par la rencontre d'un corps,
qu'en tant que la balle lui transfère de son mou-
vement , et si elle lui en transfère , cela ne se peut
faire que du sens auquel le corps CBE lui est op-
posé ; et par conséquent elle ne lui peut transférer
de son mouvement que selon cette partie de sa
direction qui la fait tendre vers lui, et jamais la
rencontre du corps CBE (que Ton doit supposer
*9-
45?, LKTTKES.
parfaitement uni) ne peut diminuer sa direction
vers la droite, ou parallèle : or, il est aisé de con-
clure que si la balle au point B a transféré au corps
CBE tout le mouvement qui la faisoit tendre en
bas, elle doit continuer son mouvement parallèle,
et rouler sur lui en avançant autant vers la droite
qu'elle faisoit auparavant.
Que si nonobstant cela vous voulez, contre toute
raison, faire cette supposition impossible qu'elle
perde une telle partie de sa vitesse au point B
qu'elle ne puisse avancer autant vers la droite
qu'elle faisoit auparavant, et par conséquent
qu'elle ait aussi perdu une partie du mouvement
qui la faisoit avancer vers la droite, alors je vous
dirai qu'elle roulera sur le diamètre avec la vitesse
qui lui reste; tout de même que, lorsque vous
supposez que sans rencontrer aucun plan elle vient
à perdre de sa vitesse, elle doit continuer son che-
min dans la même ligne droite qu'elle avoit com-
mencé à parcourir; et ainsi il arrivera la même
chose à cette balle que si, ayant été mue avec une
certaine vitesse le long du plan CBE, il arrivoit
qu'étant au point B (par une supposition impos-
sible et sans aucune cause) elle vînt à perdre une
partie de sa vitesse : elle continueroit son chemin
sur le même plan avec la vitesse qui lui resteroit.
Mais remarquez que pour trouver quelque chose
de défectueux aux raisonnements de M. Descartes
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LETTRES. 453
il en faut venir à des suppositions impossibles, et
partant ce ne seroit pas merveille quand d'une
impossibilité posée il s ensuivrait une absurdité.
Par tout ce que dessus, il paroît que ce que
vous dites dans votre seconde lettre tombe de soi-
même, et n'a pas besoin de réponse; à savoir, que
si M. Descartes eût pris garde qu'en quelque ma-
nière que la vitesse change , c'est-à-dire augmente
ou diminue au point B, la réflexion ne laisse pas
de se faire à angles égaux, il n'eût pas été en peine,
ni ses amis non plus, de tirer la balle du point B ,
où ils l'ont vue malheureusement engagée dans
l'exemple de ma dernière lettre; il n'eût pas sou-
tenu que la vitesse venant à changer au point B ,
la balle ne laisse pas d'avancer vers la droite au-
tant qu'elle faisoit auparavant, et n'eût pas déduit
d'un fondement, non seulement incertain, mais
encore faux , sa proportion des réfractions Tout
cela, dis-je, n'étant plus appuyé d'aucunes raisons
valables, se détruit de soi-même; aussi bien que ce
que vous ajoutez à la fin de la même lettre, à sa-
voir, que le second milieu se pouvant, comme j'ai
dit, ouvrir avec une égale facilité de tous cotés
pour faire passage à la balle, et que la balle ayant
toujours une même aisance à pénétrer le second
milieu en toutes sortes d'inclinations, il doit suivre,
dites-vous, dans l'application du raisonnement de
M. Descartes , qu'en toute sorte de cas la réflexion
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434 LETTRES.
se fera de même à angles égaux, et que la pénétra-
tion se fera de même en tous les cas en ligne droite,
le mouvement de dessous en ligne droite suivant
les mêmes lois, et répondant justement au mouve-
ment de dessus à angles égaux. Car si je me suis
assez fait entendre, vous devez maintenant tirer
d'autres conclusions que celles-là des principes de
M. Descartes, et devez aussi , si je ne me trompe
moi-même, avoir reconnu Terreur du raisonnement
duquel vous les aviez tirées; et partant ne dites
plus que le mouvement de la balle et la réfraction
ne se ressemblent que par la comparaison imagi-
naire de M. Descartes , car c'est peut-être la plus
juste et la plus claire que Ton puisse apporter pour
l'expliquer : mais pour cela il faut considérer la
balle sans pesanteur, sans grosseur, sans figure,
et sans changement en sa vitesse dans toutes les
lignes quelle parcourt; toutes lesquelles choses
peuvent causer une infinité de variétés dans la ré-
flexion et la réfraction d'une balle : mais pource-
qu'elles n'ont point de lieu en l'action de la lu-
mière, à laquelle se doit rapporter tout ce qu'il dit,
M. Descartes ne les a point considérées dans le
mouvement de cette balle dont il parle; et princi-
palement il n'a point considéré cette circonstance
que je vous prie de remarquer, qui est la plus
commune et qui peut donner le plus d'occasion
de douter de ce qu'a dit M. Descartes : c'est à sa-
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LETTRES. 4^
voir, que d'autant que le milieu que parcourt une
balle lui ôte pour l'ordinaire à tous moments une
partie de sa vitesse par le transport qu'elle lui en
fait, de là arrive qu'une balle peut avoir perdu au
point de la réflexion la moitié, par exemple, de
la vitesse qu'elle avoit au commencement, qu'elle
ne laissera pas de réfléchir à angles égaux, à cause
qu'au moment qu'elle vient à toucher le plan, la
vitesse a déjà été diminuée par le milieu qu'elle a
parcouru, et que la direction qu'elle a alors ne
laisse pas de la déterminer d'aller suivant la même
ligne, où sa première direction la portoit quand
elle est sortie de la main ou de dessus la raquette
(pourvu que sa pesanteur ou sa grosseur, sa figure,
n'aient rien changé en cela). Et ce que je dis de
la vitesse quand le milieu la diminue se doit aussi
entendre quand elle est augmentée à tous moments
par sa pesanteur; comme lorsqu'une balle tombe
le long d'un plan incliné, elle rejaillira aussi alors
à angles égaux, encore que sa vitesse se trouve
augmentée au point de la réflexion, et cela par la
même raison, à savoir, que cette augmentation ne
lui vient pas du plan, mais quelle lavoit avant
que de le rencontrer; et ainsi vous voyez combien
les principes de M. Descartes sont fermes, et ses
raisonnements bien suivis. Ce qui montre que la
véritable raison des réfractions se doit tirer du
mouvement et des déterminations composées , en
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456 LETTRES.
les examinant comme M. Descartes a fait; et sans
mentir, M. Descartes étoit un homme de trop de
bon sens, et qui prenoit garde de trop près aux
choses, pour tomber dans des fautes ou visibles,
ou grossières; et il me semble qu'il nous a donné
sujet d'avoir assez bonne opinion de lui, pour croire
plutôt que nous nous méprenons en ne compre-
nant pas son sens et ses raisons, que non pas de
croire qu'il se soit trompé, au moins quand l'er-
reur où nous croyons qu'il soit tombé est appa-
rente et grossière. A quoi j'ajouterai seulement
que puisque les diverses expériences qu'a faites ici
M. Petit (que vous connoissez) en toutes sortes de
corps transparents s'accordent toutes avec la pro-
portion que M. Descartes a trouvée, il est à croire
que les raisons qui la lui ont fait trouver sont vé-
ritables : car le moyen d'arriver en tant de diffé-
rents cas si justement au vrai par un même rai-
sonnement, si ce raisonnement étoit faux.
Que si après tout cela vous ne voulez pas admettre
les conclusions que j'ai tirées des principes que
M. Descartes a établis, recevez au moins pour vraie
la conclusion de cette lettre , et croyez que si mes
raisonnements sont fautifs, les protestations de
mon cœur sont sincères , quand je vous assure que
je veux être , etc.
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LETTRES.
LETTRE DE M. DE FERMAT
A M. DE LA CHAMBRE,
TOUCHANT LA DIOPTRIQUE-
(Lettre 5o du tome III.)
A Toulouse, le mois d'août 1657.
*
Monsieur,
Je n'avois garde de vous obéir lorsque vous
m'ordonniez de recevoir votre livre sans le lire;
le présent que vous m'en avez fait est une marque
trop précieuse de l'amitié dont vous m'honorez;
mais sa lecture m'a fait concevoir l'idée de cette
amitié, comme un bien qui mérite d'être conservé
avec soin, avec respect et avec estime. Et pour
vous le faire voir, je ne vous parlerai point de vos
autres spéculations de physique, quoiqu'elles
soient pleines d'un raisonnement très solide et très
subtil; il me suffira de vous entretenir un peu sur
la matière de la réflexion et de la réfraction , quand
ce ne seroit que pour réparer par cette lettre la
perte d'un discours que je vous avois adressé il y
458 LETTRES.
a déjà quelques années sur ce même sujet, et que
j'ai su n'être point venu en vos mains. Ce qui m'y
confirme est que j'entre par là dans quelque so-
ciété d'opinion avec vous ; et j'ose même vous as-
surer par avance que si vous souffrez que je joigne
un peu de ma géométrie à votre physique, nous
ferons un travail à frais communs qui nous mettra
d'abord en défense contre M. Descartes et tous
ses amis.
Je reconnois premièrement avec vous la vérité
de ce principe, que la nature agit toujours par les
voies les plus courtes. Vous en déduisez très bien
légalité des angles de réflexion et d'incidence ; et
l'objection de ceux qui disent que les deux lignes
qui conduisent la vue ou la lumière dans le miroir
concave sont très souvent les plus longues n'est
point considérable, si vous supposez seulement,
comme un autre principe indisputable , que tout
ce qui appuie ou qui fait ferme sur une ligne
courbe, de quelque nature qu'elle soit, est censé
appuyer ou faire ferme sur une droite qui touche
la courbe au point où la rencontre se fait; ce qui
peut être prouvé par une raison de physique,
aidée d'une autre de géométrie. Le principe de
physique est que la nature fait ses mouvements
par les voies les plus simples; or, la ligne droite
étant plus simple que la circulaire, ni que pas une
autre courbe , il faut croire que le mouvement du
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LETTRES. 4^9
rayon qui tombe sur la courbe se rapporte plutôt
à la droite qui touche la courbe, qu'à la courbe
même; premièrement, parceque cette droite de
l'attouchement est plus simple que la courbe ; secon-
dement (et c'est ce qui s'emprunte de la géométrie),
parcequ'aucune droite ne peut tomber entre la
courbe et la touchante , par un principe d'Euclide ;
de sorte que le mouvement est justement le même
sur la droite qui touche que sur la courbe qui est
touchée. Et cela supposé, on ne peut jamais dire
que les deux droites qui conduisent la lumière ou
le rayon soient quelquefois les plus longues aux
miroirs concaves, parcequ'en ce cas même elles se
trouvent les plus courtes de toutes celles qui peu-
vent se réfléchir sur la droite qui touche la courbe;
et par conséquent il ne faut ni supposer que la
nature agisse par contrainte en ce cas , ni conclure
qu'elle suive une autre manière du mouvement
que celle qu'elle pratique aux miroirs plans, et en
toute autre espèce de miroirs, de sorte que voilà
votre principe pleinement établi pour la réflexion.
Mais puisqu'il a servi à la réflexion, pourrons-
nous en tirer quelque usage pour la réfraction ? Il
me semble que la chose est aisée, et qu'un peu de
géométrie nous pourra tirer d'affaire. Je ne m'é-
tendrai point sur la réfutation de la démonstration
de M. Descartes, je la lui ai autrefois contestée, à
lui, dis-je, vivenli algue sentienti, comme disait
460 LETTRES.
Martial, mais il ne rae satisfit jamais. L'usage de
ces mouvements composés est une matière bien
délicate, et qui ne doit être traitée et employée
qu'avec une très grande précaution. Je les com-
pare à quelques uns de vos remèdes, qui servent
de poison s'ils ne sont bien et dûment préparés.
Il me suffit donc de dire en cet endroit que
M. Descartes n'a rien prouvé, et que je suis de
votre sentiment, en ce quev ous rejetez le sien.
Mais il faut passer plus outre, et trouver la
raison de la réfraction dans notre principe com-
mun, qui est que la nature agit toujours par
les voies les plus courtes et les plus aisées. Il
semble d'abord que la chose ne peut point réus-
sir, et que vous vous êtes fait vous-même une
objection qui paroît invincible; car puisque,
dans la page 5i5 de votre livre, les deux lignes
CB, BA, qui contiennent l'angle d'incidence et
celui de réfraction, sont plus longues que la droite
ADG qui leur sert de base dans le triangle ABC, le
rayon de C en A, qui contient un chemin plus
Court que celui des deux lignes GB, BA, devroît au
sens de notre principe être la seule et véritable
route de la nature, ce qui pourtant est contraire
à l'expérience. Mais on peut se défaire aisément de
cette difficulté, en supposant avec vous, et avec
tous ceux qui ont traité de cette matière, que la
résistance des milieux est différente, et qu'il y a
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LETTRES. 4°l
toujours une raison ou proportion certaine entre
ces deux résistances, lorsque les deux milieux sont
d une consistance certaine, et qu'ils sont uniformes
entre eux.
Ne vous étonnez pas de ce que je parle de ré-
sistance, après que vous avez décidé que le mou-
vement de la lumière se fait en un instant, et que
la réfraction n'est causée que par l'antipathie na-
turelle qui est entre la lumière et la matière; car,
soit que vous m'accordiez que le mouvement de la
lumière sans aucune succession peut être contesté
et que votre preuve n'est pas entièrement démons-
trative, soit qu'il faille passer par votre décision,
à savoir que la lumière suit l'abondance de la ma-
tière qui lui est ennemie, je trouve même en ce
dernier cas que puisque la lumière fuit la matière,
et qu'on ne fuit que ce qui fait peine et qui ré-
siste, on peut, sans s'éloigner de votre sentiment ,
établir de la résistance où vous établissez de la
mite et de l'aversion.
* » • • * *
Soit donc par exemple en votre figure le rayon
CB, qui change de milieu au point B, où il se
rompt pour se rendre au point A; si ces deux mi-
lieux étoient les mêmes , la résistance au passage
du rayon par la ligne CB seroit à la résistance au
passage du rayon par la ligne BA comme la ligne
CB à la ligne BA; car les milieux étant les mêmes,
la résistance au passage seroit la même en chacun
46» LETTRES.
d'eux , et par conséquent elle garderoit la raison
des espaces parcourus; d'où il suit que les milieux
étant différents, et la résistance par conséquent
différente , on ne peut plus dire que la résistance
au passage du rayon par la ligne CB soit à la ré-
sistance au passage du rayon par la ligne B A comme
la ligne CB à la ligne BA; mais en ce cas la résistance
par la ligne CB sera à la résistance par la ligne BA
comme CB à une autre ligne dont la raison à la ligne
B A exprimera celle des deux résistances différentes.
Comme si la résistance par le milieu A est dou-
ble de la résistance par le milieu C, la résistance
par CB sera à la résistance par BA comme la ligne
CB au double de la ligne BA; et si la résistance par
le milieu C est double de la résistance par le mi-
lieu A , la résistance par CB sera à la résistance par
BA comme la ligne CB à la moitié de la ligne BA;
de sorte qu'en ces deux cas , les deux résistances
par CB et par BA étant jointes , pourront être ex-
primées, ou par la ligne CB jointe à la moitié de
la ligne BA , ou par la ligne CB jointe au double
de BA.
Vous voyez déjà sans doute la conclusion de ce
raisonnement; car, soient donnés, par exemple, les
deux points C et A, en deux milieux différents,
séparés par la ligne DB, et qui soient de telle na-
ture que la résistance de l'un soit double de celle
de l'autre , il faut chercher le point B , auquel le
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LETTRES. 4^3
rayon qui va de C en A , ou cTA en G , soit coupé
ou rompu.
Si nous supposons que la chose est déjà faite ,
et que la nature agit toujours par les voies les plus
courtes et les plus aisées , la résistance par CB ,
jointe à la résistance par BA, contiendra la somme
des deux résistances , et cette somme , pour satis-
faire au principe , doit être la moindre de toutes
celles qui se peuvent rencontrer en quelque autre
point que ce soit de la ligne DB ; or, ces deux ré-
sistances jointes sont en ce cas, comme uous avons
prouvé , représentées , ou par la ligne CB , jointe
à la moitié de BA, ou par la même ligne CB, jointe
au double de BA.
La question se réduit donc à ce problème de
géométrie : étant donnés les deux points C et A ,
et la droite DB , trouver un point dans la droite
DB, auquel, si vous conduisez les droites CB et AB,
la somme de CB et de la moitié de BA contienne
la moindre de toutes les sommes pareillement pri-
ses , ou bien que la somme de CB et du double de
BA contienne la moindre de toutes les sommes
pareillement prises , et le point B qui sera trouvé
par la construction de ce problème sera le point
où se fera la réfraction.
Vous voyez par là qu'il faut que le rayon se coupe
et se rompe lorsque les milieux sont différents; car
bien que la somme des deux lignes CB et BA soit
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4(54 LETTRES.
toujours plus grande que la somme des deux lignes
CD et DA , ou que la toute CA , néanmoins la ligne
CB jointe à la moitié ou au double de BA peut
être plus courte que la ligne CD jointe à la moitié
ou au double de DA.
Je vous avoue que ce problème n'est pas des plus
aisés ; mais puisque la nature le fait en toutes les
réfractions pour ne se départir pas de sa façon d a-
gir ordinaire, pourquoi ne pourrons-nous pas
l'entreprendre?
Je vous garantis par avance que j'en ferai la so-
lution quand il vous plaira , et que j'en tirerai
même des conséquences qui établiront solidement
la vérité de notre opinion. J'en déduirai d'abord
que le rayon perpendiculaire ne se rompt point ,
que la lumière se rompt dès la première surface
sans plus changer le biais qu'elle a pris ; que le
rayon rompu s'approche quelquefois de la perpen-
diculaire, et qu'il s'en éloigne quelque autre fois, à
mesure qu'il passe d'un milieu rare dans un plus
dense , ou au contraire ; et , en un mot , que cette
opinion s'accorde exactement avec toutes les appa-
rences. De sorte que si elle n'est pas vraie, on peut
dire ce que disoit Galilée en un sujet différen t,
que la nature semble nous lavoir inspirée, per pi-
gliarsi gioccon ostri ghiribizzi.
Mais j'ai tort de ne songer pas que le sujet de
cette lettre ne devoit être qu'un remerciement. Je
Digitized by
I
LETTRES. 465
vous conjure , monsieur , d'excuser sa longueur,
quand ce ne seroit que par l'intérêt que vous y
avez, et de la recevoir en tout cas comme un té-
moignage de l'estime que j'ai pour votre savoir, et
du respect avec lequel je suis, etc.
— -------- ■ t- tii%\~m.tvt)%jmm
LETTRE DE M. DE FERMAT
é
A M. DE LA CHAMBRE,
TOUCHANT LA IHOPTRIOIÎF..
»
(Lettre 5i du tome III.)
A Toulouse , \v irr jour de Tan rfifir*.
Monsieur,
11 est juste de vous obéir, et de terminer enfin
par votre entremise le vieux démêlé qui a été de-
puis si long-temps entre M. Descartes et moi, sur
le sujet de la réfraction , et peut-être serai-je assez
heureux pour vous proposer une paix que vous
trouverez avantageuse à tous les deux partis.
Je vous ai dit autrefois dans ma première lettre
que M. Descartes n'a jamais démontré son principe;
qu'outre que les comparaisons ne servent guère à
Digitized by dooQlc
466 LETTR ES.
fonder des démonstrations, il emploie la sienne à
contre-sens , et suppose même que le passage de la
lumière est plus aisé par les corps denses que par
les rares , ce qui est apparemment faux. Je ne vous
dis rien du défaut de la démonstration en elle-
même, quand bien la comparaison dont il se sert
seroit bonne et admissible en cette matière, pour-
ceque j'ai traité tout cela bien au long dans mes
lettres à M. Descartes pendant sa vie , ou dans celles
que j'ai écrites à M Clerselier depuis sa mort. J'a-
joute seulement qu'ayant vu le même principe de
M. Descartes dans plusieurs auteurs qui ont écrit
après lui , leurs démonstrations, non plus que la
sienne , ne me paroissent point recevables , et ne
méritent point de porter ce nom. Herigone se sert
pour le démontrer des équipondérants, et de la
raison des poids sur les plans inclinés; le père
Maignan y veut parvenir d'une autre manière:
mais il est aisé de voir qu'ils ne démontrent ni l'un
ni l'autre, et qu'après avoir lu et examiné avec soin
leurs démonstrations , nous sommes aussi incer-
tains de la vérité du principe qu'après avoir lu
M. Descartes.
Pour sortir de cet embarras, et tâcher de décou-
vrir la véritable raison de la réfraction , je vous in-
diquai dans ma lettre que si nous voulions em-
ployer dans cette recherche ce principe si commun
et si établi , que la nature agit toujours par les voies
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LETTRES. 4O7
les plus courtes 9 nous pourrions y trouver facile-
ment notre compte. Mais parceque nous doutâmes
d'abord que la nature , en conduisant la lumière
parles deux côtés d'un triangle, puisse jamais agir
par une voie aussi courte que si elle la conduisoit
par la base ou par la sous-tendante , je m'en vais
vous faire voir le contraire de votre sentiment,
ou plutôt de votre doute , par un exemple aisé.
Soit en la figure le cercle ACBG, duquel le dia-
mètre soit AOB , le centre O, ejt un autre diamè-
tre GOC; des point G et C soient tirées les per-
pendiculaires sur le premier diamètre GH , CD.
Supposons que le premier diamètre AOB sépare
deux milieux différents, dont l'un qui est celui de
dessous AGB soit le plus dense , et celui de dessus
ACB soit le plus rare, en telle sorte, par exemple,
que le passage par le plus rare soit plus aisé que
celui par le plus dense en raison double. Il suit
de cette supposition que le temps qu'emploie le
mobile , ou la lumière de C en O , est moindre
que celui qui les conduit d'O en G; et que le temps
du mouvement de C en O, qui se fait dans le mi-
lieu le plus rare, n'est que la moitié du temps du
mouvement d'O en G ; et par conséquent la me-
sure du mouvement entier parles deux droites CO
et OG peut être représentée par la somme de la
moitié de CO et de la totale OG. De même, si vous
prenez un autre point comme F, le temps du mou-
3o.
Digitized by Google
/|68 LITTR1S.
vement par les deux droites CF et FG peut être
représenté par la somme de la moitié de CF et de
la totale FG. Supposons maintenant que le rayon
CO soit 10, et par conséquent le diamètre total
COG sera 20 ; que la droite IlO soit 8 , la droite
OD soit aussi 8 , et qu'enlin la droite OF ne soit
que 1 : je dis qu'en ce cas le mouvement qui se fait
par la droite COG se fera dans un temps plus long
que celui qui se fait par les deux côtés du triangle
CF, FG.
Car si nous prouvons que la moitié de CO jointe
à !a totale OG contient plus que la moitié de CF
jointe à la totale FG , la conclusion sera manifeste ,
puisque ces deux sommes sont justement la me-
sure du temps de ces deux mouvements ; or la
somme de la moitié de CO et de la totale OG fait
justement i5. Et il est évident par la construction
que la droite CF est égale à la racine carrée de j 17,
et que la droite FGest égale à la racine carrée de 85.
Mais la moitié de la première racine jointe à la se-
conde fait moins que 69 et 4 , et 59 et 4 sonttencore
moindres que 1 5. Donc la somme de la moitié de
CF et de la totale FG est moindre que la somme
de la moitié de CO et de la totale OG, et partant
le mouvement par les deux droites CF, FG se fait
plus tôt et en moins de temps que par la base ou
sous-tendante COG.
Je suis venu jusque là sans beaucoup de peine ;
Digitized by Cooqic
LETTRES. 4 $9
mais il a fallu porter la recherche plus loin ; et
parceque, pour satisfaire à mon principe, il ne
suffit pas d'avoir trouvé un point comme F , par
où le mouvement naturel se fait plus vite , plus
aisément et en moins de temps que par la droite
COG, mais qu'il faut encore trouver le point qui
fait la conduite en moins de temps que quelque
autre que ce soit , pris des deux côtés, il ma été
nécessaire d'avoir en cette occasion recours à ma
méthode De maximis et minimis , qui expédie ces
sortes de questions avec assez de succès.
Dès que j'ai voulu entreprendre cette analyse ,
j'ai eu deux obstacles à surmonter : le premier, que
bien que je fusse assuré de la vérité de mon
principe , et qu'il n'y ait rien de si probable ni de
•Il
Jf
toujours par les moyens les plus aisés, c'est-à-dire,
ou par les lignes les plus courtes lorsqu'elles
n'emportent pas plus de temps , ou en tout cas
par le temps le plus court, afin d'accourcir son
travail et devenir plus tôt à bout de son opération
( ce que le présent calcul confirme d'autant plus,
qu'il paroît par là que la lumière a plus de diffi-
culté à traverser les milieux denses que les rares,
puisque vous voyez que la réfraction vise vers la
perpendiculaire dans mon exemple, ainsi que l'ex-
périence le confirme, ce qui pourtant est contraire
à la supposition de M. Descartes ), néanmoins j'ai
47° LETTRES.
été averti de tous côtés , et principalement par
M. Petit, que j'estime infiniment, que les expé-
riences s'accordent exactement avec la proportion
que M. Descartes a donnée aux réfractions ; et que ,
bien que sa détermination soit fautive , il est à
craindre que je tenterai inutilement d'introduire
une proportion différente de la sienne , et que les
expériences qui se feront après que j'aurai publié
mon invention la pourront détruire sur l'heure.
Le second obstacle qui s'est opposé à ma recher-
che a été la longueur et la difficulté du calcul , qui ,
dans la résolution du problème dont je vous parlai
dans ma lettre , et que je vous témoignois n'être
pas des plus aisés , présente d'abord quatre lignes
par leurs racines carrées , et engage par conséquent
en des asymétries qui aboutissent à une très grande
longueur.
Je me suis défait du premier obstacle par la con-
noissance que j'ai qu'il y a infinies proportions ,
différentes de la véritable , qui approchent d'elle
si insensiblement, qu'elles peuvent tromper les
plus habiles et les plus exacts observateurs. Ainsi
n'y ayant que le second obstacle à vaincre , je m'é-
tois résolu très souvent d'employer la bien-aimée
géométrie], c'est ainsi que Plutarque l'appelle , pour
vous satisfaire, et pour me satisfaire moi-même»
mais l'appréhension de trouver, après une longue
et pénible opération , quelque proportion irrégu-
LETTRES. 4/1
lière et fantasque , et la pente naturelle que j'ai
vers la paresse, ont laissé la chose en cet état, jus-
qu'à la dernière semonce que M. le président de
Mi remont vient de me faire de votre part , que je
prends pour une loi plus forte que ni mon appré-
hension ni ma paresse ; si bien que je me suis ré-
solu de vous obéir sans autre retardement.
J'ai donc procédé sans remise, en vertu de l'o-
bédience, comme parlent les moines, à l'exécution
de vos ordres ; et j'ai fait l'entière analyse en forme,
dans laquelle le désir passionné que j'ai eu de vous
satisfaire m'a inspiré une route qui a abrégé la
moitié de mon travail , et qui a réduit les quatre
asymétries que j'avois eues en vue la première fois
à deux seulement, ce qui m'a notablement sou-
lagé.
Mais le prix de mon travail a été le plus extraor-
dinaire, le plus imprévu et le plus heureux qui
fut jamais ; car après avoir couru par toutes les
équations, multiplications, antithèses, et autres
opérations de ma méthode, et avoir enfin conclu
le problème que vous verrez dans un feuillet sé-
paré, j'ai trouvé que mon principe donnoit juste-
ment et précisément la même proportion aux ré-
fractions que M. Descartes a établie.
J'ai été si surpris d'un événement si peu attendu,
que j'ai peine à revenir de mon étonnement; j'ai
réitéré mes opérations algébriques diverses fois,
47 ar LETTRES.
et toujours le succès a été le même, quoique ma
démonstration suppose que le passage de la lu-
mière par les corps denses soit plus malaisé que
par les rares; ce que je crois très vrai et indispu-
table, et que néanmoins M. Descartes suppose le
contraire.
Que devons-nous conclure de tout ceci ? Ne suf-
fira-t-il pas, monsieur , aux amis de M. Descartes
que je lui laisse la possession libre de son théorème?1
N aura-t-il pas assez de gloire d'avoir connu les
démarches de la nature dans la première vue , et
sans l'aide d'aucune démonstration ; je lui cède
donc la victoire et le champ de bataille, et je me
contente que M. Clerselier me laisse entrer du
moins dans la société de la preuve de cette vérité
si importante, et qui doit produire des consé-
quences si admirables.
J'ajoute même, en faveur de son ami, qu'il
semble que cette grande vérité naturelle n a pas
osé tenir devant ce grand génie, et qu'elle s'est ren-
due et découverte à lui sans s'y laisser forcer par
la démonstration, à l'exemple de ces places qui,
quoique bonnes d'ailleurs, et de difficile prise, ne
laissent pas, sur la seule réputation de celui qui les
attaque , de se rendre à lui sans attendre le canon.
Je vous annonce donc, monsieur, j'annonce à
M. Clerselier, et à tous les amis de M. Descartes r
qu'il ne tiendra plus à l'incrédulité des géomètres r
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LETTRES.
qu'on ne doive attendre ces merveilles que M. Des-
cartes a fait espérer avec raison de ses lunettes
elliptiques et hyperboliques , pourvu qu'on puisse
trouver des ouvriers assez habiles pour les faire
et pour les ajuster.
Il resteroit encore une petite difficulté, que la
comparaison de M. Descartes semble produire:
c'est qu'il ne paroît pas encore pourquoi la balle
qui est poussée dans l'eau n'approche pas de la
perpendiculaire, ainsi que la lumière ; mais outre
qu'on pourroit soupçonner que la réflexion se
mêle dans cet exemple à la réfraction, et que la
figure ou la pesanteur peuvent contribuer à la dif-
férence de ce mouvement, je n'ai garde d'entrer
dans une matière purement physique : ce seroit
entreprendre sur vous, monsieur, qui en êtes le
maître, et faire irruption dans votre domaine. Je
finis donc , après vous avoir déclaré que je con-
sens , si vous le trouvez à propos , que l'accommo-
dement entre les cartésiens et moi soit publié dans
les académies ; et après vous avoir conjuré de re-
cevoir au moins l'effet de ma prompte obéissance
pour une preuve certaine et plus que démonstra-
tive de la passion avec laquelle je suis, etc.
Si vous persistez toujours à n'accorder pas un
mouvement successif à la lumière, et à soutenir
qu'il se fait en un instant, vous n'avez qu'à com-
parer ou la facilité , ou la fuite et résistance plus
474 LETTRES.
ou moins grande, à mesure que les milieux chan-
gent ; car cette facilité ou cette résistance étant
plus ou moins grande en différents milieux , et ce
en une proportion diverse, à mesure que les mi-
lieux diffèrent davantage , elles pourront être con-
sidérées en une raison certaine, et par conséquent
tomber dans le calcul, aussi bien que le temps du
mouvement , et ma démonstration y servira tou-
jours d'une même manière.
Je n'ai pas étendu mon opération tout en-
tière : il n'a pas été nécessaire, puisque ma mé-
thode est imprimée tout au long dans le sixième
tome du Cours mathématique d'Hèrigone , et que
j'en ai assez dit pour être entendu. Si vous m'or-
donnez de parcourir tous les détours de l'analyse
en forme, je le ferai; et je n'aurai pas même
beaucoup de peine à faire la démonstration par
la composition, c est-à-dire en parlant le langage
d'Euclide.
ANALYSE POUR LES RÉFRACTIONS.
(Version.)
Soit le cercle ADBI 1 , dont le diamètre ADB
sépare deux milieux de diverse nature , le plus
rare desquels soit du côté ACB, et le plus dense
du coté À1B. Que le centre du cercle soit 1), où
tombe le rayon CD du point donné C; il est
» Figure i \.
LETTRES.
question de chercher le rayon diaclastique DI,
c'est-à-dire de trouver le point I, où tend Je rayon
rompu.
Pour le faire soient menées sur le diamètre les
deux lignes droites perpendiculaires CF, IH. Et
puisque le point C est donné, avec le diamètre
AB , et le centre D , le point F est aussi donné , et
la ligne droite FD.
De plus, que la raison des milieux, c'est-à-dire
que la raison de la résistance du milieu le plus
dense soit à la résistance du milieu le plus rare
comme la ligne droite donnée DFà une autre mise
hors le cercle, à savoir M, laquelle sera plus pe-
tite que la ligne droite DF, puisque, par une raison
plus naturelle, la résistance du milieu le plus rare
est moindre que celle du plus dense.
Nous avons donc à mesurer les mouvements qui
se font par les lignes droites CD et DI, par le
moyen des deux lignes droites M et DF, c'est-à-
dire que le mouvement qui se fait par les deux
lignes droites CD et HI est représenté par la
somme des deux rectangles, dont l'un est contenu
sous les lignes CD et M, et l'autre sous les lignes
DI et DF.
La question se réduit donc à ce point, de cou-
per tellement le diamètre AB au point H, qu'ayant
mené de ce point-là la perpendiculaire HI, et ayant
joint du centre D au point I la ligne DI, il arrive
47° lut rats.
cjue la somme des deux rectangles sous CD et M
et sous DI et DF contienue le moindre espace.
Et, afin d'en venir à bout par notre mé-
thode, qui a déjà eu cours parmi les géomètres,
et qu'Hérigone a rapportée dans le sixième tome
de son Cours de mathématique , il y a près de
vingt ans :
Que le rayon CD qui est donné soit nommé N,
le rayon DI sera aussi N; que la droite DF soit
nommée B, et soit supposé que la ligne droite
DH soit A; il faut donc que NM f NB soit la
moindre quantité.
Concevons que la ligne droite DO prise à dis-
crétion est égale à l'inconnue E, puis joignons les
deux lignes droites Cl), OI. Le carré de la ligne
droite CO, parlant en termes analytiques, sera N
2 -j- E 2-2 BE; et le carré de la droite 01 sera
N 2 f E 2 f 2 AE, par conséquent le rectangle con-
tenu sous les deux lignes CO et M sera, selon ces
mêmes termes analytiques, la racine carrée de M 2
N 2 -f- M 2 E 2 - 2 M 2 BE, et le rectangle contenu
sous les deux lignes 01 et B sera la racine carrée
deB2N2fB2E2f2B2 AE. Or, ces deux
rectangles doivent, selon les préceptes de l'art,
être égaux aux deux rectangles MN et BN.
Après cela il faut carrer le tout, afin d'en ôter
l'asymétrie, et après avoir retranché les termes
communs , et avoir mis d'un côté le terme asy-
LETTRES.
métrique, on carrera derechef le resle, après
quoi, ayant ôté les termes communs, et divisé les
autres par E, et ayant enfin retranché les termes
homogènes qui sont affectés de la lettre E , selon
les préceptes de notre méthode, qui est connue
depuis long-temps de tout le monde, puis ayant
fait un parabolisme, il arrive enfin une équation
très simple entre A et M; c'est-à-dire que depuis
le premier jusqu'au dernier, et ayant ôté tous les
obstacles des asymétries, il se trouve enfin que la
ligne droite DH dans la figure est égale à la ligne
droite M.
D'où Ton voit que le point diaclastique se trouve
de la sorte. Si après avoir mené les deux lignes
droites DC et CF, l'on fait que comme la résis-
tance du milieu dense est à la résistance du milieu
rare, ou bien comme B est à M, ainsi la droite
FD soit à la droite DH, et que du point H l'on
élève sur le diamètre la perpendiculaire HI, qui
rencontre le cercle au point I, ce point sera celui
où la réfraction portera le rayon. Et partant le rayon
passant d'un milieu rare dans un dense, se rompra
en approchant de la perpendiculaire. Ce qui s'ac-
corde entièrement et généralement avec le théorème
de M. Descartes, dont notre analyse a fait voir la
démonstration très exacte tirée de notre principe.
M. Descartes, très savant géomètre, a proposé
une raison des réfractions, laquelle, à ce que Ton
47$ LETTRES.
dit, est conforme à l'expérience; mais pour en faire
la démonstration, il a demandé qu'on lui accordât,
et on a été obligé de le faire, que le mouvement
de la lumière se faisoit plus facilement et plus
vite par un milieu dense que par un rare; ce qui
toutefois semble contraire à la lumière naturelle.
Or, cela nous ayant porté à tâcher de déduire la
vraie raison des réfractions d'un axiome tout con-
traire, savoir est que le mouvement de la lumière
se fait plus facilement et plus vite par un milieu
rare que par un dense, il est arrivé néanmoins
que je suis tombé dans la même proportion que
M. Descartes. Cependant je laisse aux plus subtil set
sévères géomètres à voir si Ton peut par une voie
tout opposée rencontrer la même vérité sans
tomber dans le paralogisme; car pour moi, pour
parler sans feintise, j'aime beaucoup mieux con-
noîlre certainement la vérité que de m'arrêter
plus long-temps à des débats et contentions su-
perflues et inutiles.
La démonstration que j'avance est appuyée sur
ce seul postulat ou fondement , savoir est , Natu-
ram per vias breviores operari , c'est-à-dire que la
nature agit par les moyens ou par les voies les
plus faciles et les plus promptes; car c'est ainsi
que j'estime que l'on doit entendre cet axiome ,
et non pas comme font plusieurs , que la nature
agit toujours par les lignes les plus courtes.
L F.TTRE S.
Car tout de même que quand Galilée examine
le mouvement naturel des corps pesants, il ne le
mesure pas tant par l'espace que par le temps ;
de même je ne considère point ici l'espace plus
petit ou la ligne la plus courte , mais ce qui se
peut parcourir plus promptement , plus commo-
dément, et en moins de temps.
Cela posé , supposons deux milieux de diverse
nature dans cette première figure1, et que le dia-
mètre ÀNB du cercle AHBMV sépare ces deux
milieux, dont l'un , qui est du côté de M, soit le plus
rare , et l'autre , qui est du côté de H , soit le plus
dense ; et du point M vers H soient menées les
lignes droites MN, NH, MR, RH, qui se rompent
dans le diamètre aux points N et R , puisque la
vitesse du mobile par le milieu MN , qui est sup-
posé rare , est plus grande , selon notre axiome
ou postulat, que celle du même mobile par le mi-
lieu NH, et que les mouvements sont supposés uni-
formes dans chacun de ces milieux, la raison du
temps du mouvement par le milieu MN , au temps
du mouvement par le milieu NH , est composée,
comme tout le monde sait , de la raison de l'es-
pace MN à l'espace NH , et réciproquement de la
raison de la vitesse par le milieu NH à la vitesse
par le milieu MN.
Si donc l'on fait que comme la vitesse par le
1 Figure i5.
4^0 LETTRES.
milieu MN est à la vitesse par le milieu NH , ainsi
la ligne droite MN est à NI ; le temps par le milieu
MN au temps par le milieu NH sera comme IN
à NH.
De même Ton démontrera que si Ton fait que
comme la vitesse par le milieu plus rare est à la
vitesse parle milieu plus dense , ainsi la ligne MR
est à RP , le temps du mouvement par le milieu
MR sera au temps du mouvement par le milieu RH
comme la ligne PR est à la ligne RH.
D où il suit que le temps du mouvement par les
deux lignes MN , NH , est au temps du mouvement
par les deux autres MR , RH , comme l'agrégé des
deux lignes IN , NH , est à l'agrégé des deux au-
tres PR, RH.
Quand donc la nature dirige un rayon de lu-
mière du point M vers le point H, il faut chercher
un point quel qu'il soit, commé N, par lequel la
lumière puisse parvenir par inflexion pu réfrac-
tion du point M au point H en moins de temps.
Car il est très probable que la nature , qui avance
toujours le plus qu'elle peut ses opérations, tendra
d'elle-même vers ce point-là. Si donc l'aggrégé ou
la somme des deux lignes droites IN , NH , qui est
la mesure du temps du mouvement par la ligne
rompue MNH, se trouve être la moindre quantité*
on aura ce que Ton cherche.
Or cela suit du théorème proposé par M. Des-
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LETTRES. 4^1
cartes , comme je vais vous faire voir par ma bonne
géométrie.
Car M. Descartes dit que si du point M on mené
le rayon MN , et que du même point M on abaisse
la perpendiculaire MD, et si avec cela Ton fait que
comme la plus grande vitesse est à la moindre ,
ainsi la ligne DN est à NS , et que du point S
soit élevée la perpendiculaire SH , et mené le rayon
NH, pour lors le rayon de lumière, qui vient du
milieu rare M au point N, se rompt à la rencontre
du milieu dense , et va au point H , en approchant
de la perpendiculaire.
Or notre géométrie ne répugne en façon quel-
conque à ce théorème, comme l'on verra parla pro-
position suivante , qui est purement géométrique.
Soit le cercle AHBM dont le diamètre soit ANB,
le centre N, dans la circonférence duquel ayant
pris un point à discrétion comme M, soit mené
le rayon MN , et soit abaissée sur le diamètre la
perpendiculaire MD ; que Ion sache outre cela la
proportion qui est entre le plus ou moins de facilité
que les différents milieux donnent au passage de
la lumière, et qu'ainsi Ton fasse DN à NS. Que DN
soit plus grande que NS, et que du point S soit
élevée la perpendiculaire SH qui rencontre la cir-
conférence du cercle au point H , duquel soit mené
au centre le rayon UN ; puis soit fait comme DN
est à NS , ainsi le rayon MN soit à la ligne droiet
10. 3i
48^ LETTRES.
NI. Je dis que la somme des deux lignes droites
IN, NH , qui est la mesure du temps par les deux
lignes MN , NH, comme il a été prouvé ci-dessus,
est la moindre de toutes ; c'est-à-dire que si , par
exemple, Ton prend un point tel que Ton voudra,
comme R, du côté du semi-diamètre NB, et si
l'on joint les deux lignes droites MR , RH , et que
l'on fasse que comme DN est à NS , ainsi MR soit
à RP , pour lors la somme des deux droites PR et
RH , qui est aussi la mesure du temps par les deux
lignes MR , RH , comme il a été aussi prouvé ci-
dessus , sera plus grande que la somme des deux
autres droites IN et NH.
Or , pour le prouver , soit fait comme le rayon
MN est à DN , qu'ainsi RN soit à NO; et comme
DN est à NS * qu'ainsi NO soit à N V. Il paroît par
la construction que la ligne NO est plus petite que
la ligne NR, d'autant que la ligne DN est plus pe-
tite que le rayon MN ; il est évident aussi que la
ligne NV est plus petite que la ligne NO , puisque
la ligne NS est moindre que la ligne ND.
Cela étant posé , le carré de la ligne MR est
égal au carré du rayon MN, plus au carré de la
ligne NR , et à deux fois le rectangle sous DN et
NR par la 1 2 du 2. Mais puisque par la construc-
tion , comme MN est à DN , ainsi NR est à NO ,
il s'ensuit que le rectangle fait de MN , NO , est
égal au rectangle de DN , NR, par la 16 du 6. Et
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LETTRES. 485
partant le rectangle de MN , NO, pris deux fois ,
est égal à deux fois le rectangle de DN, NR.
Par conséquent le carré de la ligne MR est
égal aux deux carrés MN et NR , et a deux fois
le rectangle sous MN , NO. Or, le carré de la ligne
NR est plus grand que le carré de la ligne NO,
puisque NR est plus grand que NO. Partant le
carré de la ligne MR est plus grand que les deux
carrés MN , NO avec deux fois le rectangle sous
MN, NO. Or est-il que ces deux carrés MN, NO
avec deux fois le rectangle sous MN , NO, sont
égaux au carré qui est fait des deux lignes MN,
NO comme d'une seule ligne droite, par la t\ du 2.
Donc la ligne droite MR est plus grande que la
somme des deux lignes droites MN et NO.
Mais puisque par la construction comme DN est
à NS , ainsi MN est à NI , et ainsi aussi NO est st
NV , partant comme DN est à NS , ainsi sera la
somme des deux lignes MN, NO, à la somme des
deux lignes IN , NV , par la 12 du 5. Or, comme
DN est à NS , de même aussi MR est à RP ; par
conséquent comme la somme des deux lignes MN,
NO est à la somme des deux lignes IN , N V , ainsi
la ligne MR est à RP. Or est-il que la ligne MR est
plus grande que la somme des deux lignes MN ,
NO , par conséquent la ligne PR est aussi plus
grande que la somme des deux lignes ÏN , NV, par
la 1 4 du 5.
3i,
^84 LETTRES.
Il ne reste plus qu'à prouver que ia ligne RH
est plus grande ou du moins n'est pas plus petite
que la ligne HV , après quoi il sera constant que
la somme des deux lignes droites PR, RH est plus
grande que la somme des deux lignes droites IN,
NH
Dans le triangle NHR , le carré RH est égal
aux deux carrés HN et NR , moins deux fois le
rectangle sous SN, NR par la i3 du 2. Mais puis-
que par la construction , comme le rayon M N , ou
son égal NH, est àDN , ainsi NR est à NO ; et que
comme DN est à NS , ainsi NO est à NV ; il s'en-
suit qu'en raison égale comme HN est à NS , ainsi
NR est à N V , par la 22 du 5 , où l'on voit que NR
est plus grande que NV. Et partant le rectangle
des deux lignes HN et NV est égal au rectangle
de SN et NR, par la 16 du 6. Par conséquent le
rêctangîé sous HN et NV pris deux fois est égal à
deux fois le rectangle sous SN et NR. C'est pour-
quoi le carré de HR est" égal aux deux carrés
HN , NR , moins deux fois le rectangle sous HN ,
NV. Mais le carré NR a été prouvé plus grand
que le carré NV, partant le carré HR est plus
grand que les deux carrés HN , NV, moins deux
fois le rectangle sous HN , NV. Mais les deux car-
rés HN, NV, moins deux fois le rectangle sous
HN , NV, sont égaux au carré de la droite HV,
par la 7 du 2. Par conséquent le carré de HR
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LETTRES.
est plus grand que le carré de HV, et partant la
ligne HR est plus grande que la ligne HV. Ce qui
nous restoit à prouver.
Que si Ton prend le point R 1 du côté du semi-
diamètre AN , quoique les deux lignes droites MR
et RH se rencontrent directement , et ne consti-
tuent qu'une seule ligne droite , comme dans la
seconde figure, la même chose arrivera (car la dé-
monstration est générale et pour toute sorte de
cas), c'est-à-dire que la somme des deux lignes
droites PR , RH sera plus grande que la somme des
deux lignes droites IN, NH. Et pour le prouver,
soit fait comme ci-devant, comme le rayon MN est
à la ligne DN , ainsi RN soit à NO, et comme DN
est à NS , ainsi NO soit à NV. Il est évident que
la ligne NR est plus grande que NO , et que la
ligne NO est plus grande que VN. De plus, que
le carré MR est égal aux deux carrés MN , MR ,
moins deux fois le rectangle sous DN , NR , par
1 3 de 29 , ou bien , comme il a été prouvé ci-dessus,
moins deux fois le rectangle MN , NO.
Mais puisque le carré NR est plus grand que le
carré NO , il s'ensuit que le carré MR sera plus
grand que les deux carrés MN , NO , moins deux
fois le rectangle fait sous MN, NO. Or est-il que les
deux carrés MN, NO, moins deux fois le rectan-
gle fait sous MN , NO, sont égaux au carré de la
* Figure 1 6 J»
486 LETTRES.
ligne MO par la 7 du a. Par conséquent le carré
de la ligne MR est plus grand que le carré de la
ligne MO , et partant aussi la ligne MR est plus
grande que la ligne MO.
Mais puisque par la construction , comme DN
est à NS , ainsi MN est à NI , et ainsi aussi NO
est à NV; donc comme MN est à IN , ainsi NO est
à NV; et en permutant , comme MN est à NO, ainsi
IN est à N V. Et en divisant , comme MO est à ON,
ainsi IV est à VN; et en permutant , comme MO
est à IV, ainsi ON est à NN , ou DV à NS, ou MR
à RP.
Or Ton a prouvé auparavant que MR étoit plus
grande que MO , donc PR est aussi plus grande
que IV; partant il ne reste plus qu a prouver, afin
que la preuve soit entière , sinon que la droite RH
est plus grande, ou du moins n'est pas plus petite
que la somme des deux lignes droites HN, NV, ce
qui n'est pas difficile.
Car le carré RH est égal aux deux carrés de
NH et NR joints à deux fois le rectangle sous SN
et NR, ou bien , par ce qui a été prouvé ci-devant,
joints à deux fois le rectangle sous HN et NV; mais
le carré RN est plus grand que le carré NV,
donc le carré HR est plus grand que les deux
carrés HN et NV, avec deux fois le rectangle sous
HN et NV;mais le carré de NN, NV, comme une
seule ligne droite, est égal aux deux carrés de
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LETTRES. 4^7
HN , NV, avec deux fois le rectangle sous HN, NV,
par la 4 du â : donc le carré de HRest plus grand
que le carré de HN, NV, comme une seule ligne;
et partant la ligne droite HR est plus grande que
la somme des deux lignes droites HN , N V, ce qui
restoità prouver. D'où il suit, par ce qui a été
montré ci-devant , que la ligne droite HR est plus
grande que la somme des deux lignes droites HN,
NV.
Partant il est évident que les deux lignes droites
PR et RH, ou la seule ligne droite PRH (quand il
arrive que ce ne soit qu'une seule ligne droite),
sont toujours plus grandes que les deux lignes
droites IN et NH; ce qu'il falloit démontrer.
488
LETTRES
LETTRE DE M. CLERSELIER
A M. DE FERMAT,
a l'occasiox de sa derhière a m. de la chambre,
ad sujet de la dioptrique.
(Lettre 5a du tome III.)
Du 6 mai i66a.
Monsieur,
Ne croyez pas que ce soit à dessein de troubler
la paix que vous présentez à tous les descartistes*
que je prends aujourd'hui la plume à la main : les
conditions sous lesquelles vous la leur offrez leur
sont trop avantageuses, et à moi en particulier
trop honorables, pour ne la pas accepter; et si
tous ceux qui ont jamais eu des démêlés avec leur
maître étoient aussi sincères que vous, vous la ver-
riez bientôt établie partout au contentement de
tous les partis. Il y avoit encore deux sortes d'es-
prits à satisfaire au sujet de la réfraction ; les uns
peu versés dans les mathématiques, qui ne pou-
uiyi
xJ by Google
LETTRES.
voient comprendre une raison prise de la nature
des mouvements composés ; et vous leur avez fait
entendre raison, en leur proposant un autre prin-
cipe, plus plausible en apparence , et plus propor-
tionné à leur portée, à savoir, que la nature agit
toujours par les voies les plus courtes et les plus
simples; les autres qui y étoient trop adonnés, et qui
ne pouvoient se rendre aux raisons pures et simples
de la métaphysique, qu'il faut pourtant nécessai-
rement joindre avec celles-là , pour leur donner la
force de la conviction ; et vous leur avez ôté cet
obstacle, en conduisant votre principe par un rai-
sonnement purement géométrique : et comme ces
deux sortes de personnes étoient sans doute beau-
coup plus en nombre que les autres , vous méritez
aussi sans difficulté une plus grande part dans la
gloire qui est due à une si belle et si importante
découverte. Je ne vous l'envie point, monsieur,
et vous promets de le publier partout, et de con-
fesser hautement que je n'ai rien vu de plus ingé-
nieux ni de mieux trouvé que la démonstration que
vous avez apportée. Permettez-moi seulement de
vous dire ici les raisons qu'un descartiste un peu
zélé pourroit alléguer pour maintenir l'honneur et
le droit de son maître, et pour ne pas relâcher
sitôt à un autre la possession où il est , ni lui cé-
der le premier pas.
1 . Le principe que vous prenez pour fondement
490 LETTRES.
de votre démonstration, à savoir que la nature agit
toujours par les voies les plus courtes et les plus
simples, n'est qu'un principe moral, et non point
physique , qui n'est point et qui ne peut être la
cause d'aucun effet de la nature. Il ne l'est point,
car ce n'est point ce principe qui la fait agir, mais
bien la force secrète et la vertu qui est dans chaque
chose, qui n'est jamais déterminée à un tel ou tel
- effet par ce principe, mais par la force qui est dans
toutes les causes qui concourent ensemble à une
même action , et par la disposition qui se trouve
actuellement dans tous les corps sur lesquels cette
force agit; et il ne le peut être : autrement, nous
supposerions de la connoissance dans la nature;
et ici par la nature nous entendons seulement cet
ordre et cette loi établie dans le monde tel qu'il
est, laquelle agit sans prévoyance, sans choix, et
par une détermination nécessaire.
2. Ce même principe doit mettre la nature en
irrésolution, à ne savoir à quoi se déterminer,
quand elle a à faire passer un rayon de lumière
d'un corps rare dans un plus dense. Car je vous
demande s'il est vrai que la nature doive toujours
agir par les voies les plus courtes et les plus sim-
ples, puisque la ligne droite est sans doute et plus
courte et plus simple que pas une autre? quand
un rayon de lumière a à partir d'un point d'un
corps rare pour se terminer dans un point d'un
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LETTRES. 49 1
corps dense , n'y a-t-il pas lieu de iaire hésiter la
nature, si vous voulez qu'elle agisse par ce prin-
cipe , à suivre la ligne droite aussitôt que la rom-
pue, puisque si celle-ci se trouve plus courte en
temps, l'autre se trouve plus courte et plus simple
en mesure? Qui décidera donc, et qui prononcera
là-dessus?
3. Comme le temps n'est point ce qui meut, il
ne peut être non plus ce qui détermine le moiw
vement; et quand une fois un corps est mû et dé-
terminé à aller quelque part, il n'y a nulle appa-
rence de croire que le temps plus ou moins bref
puisse obliger ce corps à changer de détermination,
lui qui n'agit et qui n'a nul pouvoir sur lui. Mais
comme toute la vitesse et toute la détermination
du mouvement de ce corps dépendent de sa force
et de la disposition de sa force , il est bien plus na-
turel , et c'est à mon avis parler plus en physicien ,
de dire, comme fait M. Descartes , que la vitesse
et la détermination de ce corps changent par le
changement qui arrive en la force et en la disposi-
tion de cette force, qui sont les véritables causes
de son mouvement , que non pas de dire , comme
vous faites, qu'elle change par un dessein que la
nature a d'aller toujours par le chemin qu'elle
peut parcourir plus promptement ; dessein qu'elle
ne peut avoir, puisqu'elle agit sans connoissanee*
et qui n'a nul effet sur ce corps.
LETTRES.
4. Gomme il n'y a que la ligne droite qui soit
déterminée, il n'y a aussi que cette ligne-là seule
où la nature tende dans tous ses mouvements; et
bien que parfois un corps par son mouvement
décrive actuellement une autre ligne, néanmoins,
à considérer l'un après l'autre tous les points qu'il
a parcourus, ils sont plutôt les points d'autant de
lignes droites qu'il quitte successivement, que
ceux d'une ligne courbe qu'il tende à décrire; et
il les a plus tôt parcourus comme tels qu'autre-
ment, puisque, sitôt que ce corps est laissé et aban-
donné à la force qui le meut en chaque point, il
se porte à suivre la ligne droite à laquelle ce point
appartient, et point du tout la ligne courbe qu'il
a décrite. Cela étant, s'il est question de porter un
rayon de la lumière du point M au point H, il
est certain que la nature l'enverra tout droit par la
ligne MH , si cela se peut. Et de fait quand le mi-
lieu est semblable et égal , elle n'y manque jamais;
mais quand le milieu par où la lumière passe
change de nature, et oppose plus ou moins de
résistance à son passage et a son cours, qui fera
changer sa direction à la rencontre de ce milieu?
Que peut-on soupçonner qui en soit la cause? La
brièveté du temps? nullement. Car quand le rayon
MN est parvenu au point N, il lui doit être indif-
férent, suivant ce principe, d'aller à tous les points
de la circonférence BHA, puisqu'il lui faut autant
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LETTRES. 4<P
île temps à parvenir aux uns qu'aux autres; et
cette raison de la brièveté du temps ne le pouvant
emporter alors vers un endroit plutôt que vers un
autre, il y auroit raison qu'il dût plutôt suivre la
ligne droite; car pour choisir le point H plutôt
que tout autre, il faudrait supposer que ce rayon
MN, que la nature n'a pu envoyer vers là sans une
tendance indéfinie en ligne droite, se souvînt qu'il
est parti du point M, avec ordre d'aller chercher,
à la rencontre de cet autre milieu, le chemin
qu'il pût parcourir en moins de temps, pour de là
arriver en H. Ce qui, à vrai dire, est imaginaire, et
-nullement fondé en physique. Qui fera donc chan-
ger la direction du rayon MN (quand il est par-
venu au point N) à la rencontre d'un autre milieu,
sinon celle qu'allègue M. Descartes? qui est que
la même force qui agit et qui meut le rayon MN ,
trouvant une autre disposition à recevoir son ac-
tion dans ce milieu que dans l'autre, ce qui change
la sienne à son égard , conforme la direction de
ce rayon à la disposition qu'elle a pour lors. Et
pourcequ'au point de rencontre de cet autre mi-
lieu, c'est la seule force qui porte le rayon en bas
qui se ressent de la diversité à recevoir son action ,
qui est entre le milieu d'où il sort et celui où il
entre (celle qui le porte à droite ne s'en ressentant
point, à cause que ce milieu ne lui est aucunement
opposé en ce sens-là), le changement qui arrive à
494 LETTRES.
la façon dont l'action de la force qui le porte en
bas est reçue dans ce point de rencontre change
aussi la direction du rayon , et le fait détourner
du côté où il est attiré, selon la proportion qui se
trouve alors entre l'action de cette force et celle de
l'autre; et cela me semble si clair , qu'il ne doit plus
rester aucune difficulté.
5. S'il semble apparemment plu3 raisonnable de
croire que la lumière trouve plus aisément passage
dans les corps rares que dans les denses, ainsi que
vous le supposez, fondé sur l'expérience de tous
les corps sensibles, qui l'ont sans doute plus libre
dans ces sortes de milieux, il est aussi , ce me sem-
ble, plus raisonnable de croire que les corps qui
entrent dans des milieux qui font plus de résis-
tance à leur passage que ceux d'où ils sortent,
comme vous supposez que les corps denses font
à la lumière, s'efforcent de s'en éloigner, et ne s'y
enfoncent que le moins qu'ils peuvent; ce que
l'expérience confirme. Ainsi quand une balle est
poussée de biais de l'air dans l'eau , bien loin de
continuer son mouvement en ligne droite, et beau-
coup plus de s'enfoncer davantage en approchant
de la perpendiculaire, elle s'en éloigne autant
quelle peut en s'approchant de la superficie. Et
vous avez fort bien reconnu la force de cette ob-
jection, que vous appelez pourtant légère, mais
que vous ne sauriez résoudre que par le principe
LETTRES. 4<)5
de M. Descartes , qui ruine entièrement le vôtre :
car si par votre principe même la balle doit s'éloi-
gner de la perpendiculaire, pourquoi la lumière
s'en approche-t-elle? Et si la balle ne suit pas votre
principe, comme en effet elle ne le suit pas, pour-
quoi la lumière le suivra-t-elle ? Cela ne fait-il pas
plutôt voir que, dans l'un et dans l'autre exemple,
la nature n'agit pas par votre principe ?
6. Cette voie que vous estimez la plus courte,
parcequ'elle est la plus prompte, n'est qu'une voie
d'erreur et d'égarement, que la nature ne suit
point, et ne peut avoir intention de suivre; car
comme elle est déterminée en tout ce qu'elle fait ,
elle ne tend jamais qu'à conduire ses mouvements
en ligne droite; et ainsi si vous voulez que d'abord
elle tende de M vers H, elle ne peut s'aviser de
dresser un rayon vers N, pourceque ce rayon de
soi n'y tend nullement; mais elle dressera son
rayon vers R , et ce rayon étant là une fois par-
venu, qui est le plus droit, le plus court, et le plus
bref de tous ceux qui peuvent tendre à ce point.
Pour aller maintenant d'R en H , le plus droit en-
core, le plus court, et le plus bref, est d'aller tout
droit vers H. Et ainsi si la nature agissoit par votre
principe même, elle devroit aller directement de M
vers H ; car d'un côté elle est nécessitée à diriger
d'abord son rayon vers R , et de là votre principe
même le porte vers H.
/|90 LETTRES.
7. Et bien que vous ayez très clairement dé-
montré, suivant votre supposition, que le temps
des deux rayons MN , NII , pris ensemble, est plus
bref que celui de deux autres quels qu'ils soient,
pris aussi ensemble, ce n'est pourtant pas la raison
de la brièveté du temps qui porte ces deux rayons
par ces deux lignes. Car seroit-il bien possible
qu'un rayon qui est déjà dans l'air, qui a déjà sa
direction toute droite , et qiû ne tend nullement
ailleurs, sitôt qu'on lui oppose de l'eau ou du verre,
s'avisât de se détourner ainsi qu'il fait, pour le
seul dessein d'aller justement chercher un point
où son mouvement composé soit le plus bref de
tous ceux qui y peuvent aller du lieu de son dé-
part? cette raison seroit bien métaphysique pour
un sujet purement matériel. Ne doit-on pas plu-
tôt croire, ainsi que j'ai déjà dit, que comme c'est
la force du mouvement et sa détermination qui
ont conduit ce rayon dans la première ligne qu'il
a décrite, sans que le temps y ait rien contribué,
c'est le changement qui arrive dans cette force et
dans cette détermination qui lui fait prendre la
route de l'autre qu'il a à décrire , sans que le temps
y contribue, puisque le temps ne produit rien.
8. Enfin la différence que je trouve entre M. Des-
cartes et vous, est que vous ne prouvez point, mais
que vous supposez pour principe , que la lumière
passe plus aisément dans les corps rares que dans
LETTRES. 497
les denses ; au lieu que M. Descartes prouve , et ne
suppose pas simplement, ainsi que vous dites, que
!a lumière passe plus aisément dans les corps den-
ses que dans les rares. Car, posé votre principe, et
posé que la nature agisse toujours par les voies les
plus courtes, ou les plus promptes, vous concluez
fort bien que la lumière doit suivre le chemin
qu'elle tient dans la réfraction; là où M. Descartes,
sans rien supposer , se sert seulement de l'expé-
rience même, pour conclure que la lumière passe
plus aisément dans les corps denses que dans les
rares, et donne en même temps le moyen de me-
surer la proportion avec laquelle cela se fait. Et
pourcequ'il jugeoit bien que l'expérience jour-
_ • • •
nalière que nous avons du contraire pourroit nous
donner lieu de nous en étonner, il en rend la rai-
son physique dans la vingt-sixième page de saDiop-
trique , à laquelle on peut avoir recours. -
Mais s'il est vrai que la lumière passe plus diffici-
lement dans les corps rares que dans les denses,
comme la raison alléguée en ce lieu-là par M. Des-
cartes semble le prouver; et s'il est vrai aussi que la
nature n'agisse pas toujours par les voies les plus
promptes , comme l'exemple de la balle qui passe
de l'air dans l'eau le justifie, adieu toute votre dé-
monstration ; et même, comme vous dites avoir au-
trefois proposé vos difficultés à M. Descartes , à
lui, dites- vous, viventi alquc sentienli , sans que ni
IO. 3 2
4f)8 LETTRES.
lui ni ses amis vous aient jamais satisfait , ne pour-
roit-on pas aussi dire qu' il vous a fait réponse de
son vivant , et ses amis depuis sa mort , tibi, in-
quam , vivenli , et nisi dicere ne fus esset , adderem
et non intelligenti , puisqu'il y en a qui se persua-
dent de la bien entendre. Et enfin , comme vous
dites que la nature semble avoir eu cette déférence
et complaisance pour M. Descartes, que de s'être
rendue à lui, et lui avoir découvert ses vérités sans
s'y laisser forcer par la démonstration , ne peut-on
pas dire que vous avez forcé la géométrie , toute
sévère qu'elle est , à vous en fournir une , par le
moyen de cette double fausse position. Après quoi
je laisse aux plus sévères et plus clairvoyants natu-
ralistes à juger qui de vous deux a le mieux ren-
contré dans la cause qu'il a assignée à la réfrac-
tion.
Cela n'empêche pas qu'à considérer les choses
d'une autre façon , je ne sois d'accord avec vous
que la nature agit toujours par les voies les plus
courtes et les plus promptes : car comme elle n'a-
git que par la force, qui l'emporte nécessairement,
et qu'elle est toujours déterminée dans son action ,
elle fait toujours tout ce qu'elle peut faire , et ainsi , ,
quelque route qu'elle prenne, c'est toujours la plus
courte et la plus prompte qui se pou voit, eu égard
à toutes les causes qui l'ont fait agir et qui l'ont
déterminée.
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LETTRES. 4l)9
Après vous avoir ainsi proposé ce qui me fait
persister dans mes premiers sentiments , je ne laisse
pas de me sentir obligé de me rendre, et d'acquies-
cer en quelque façon aux vôtres ; et , bien loin de
vous disputer la gloire d entrer dans la société de
la preuve d'une vérité si importante , je pense avoir
trouvé un moyen qui vous doit mettre tous deux
d'accord , en laissant à chacun la part qui lui ap-
partient. Il semble que, comme la lumière est la
plus noble production de la nature, elle la laisse
aussi agir d'une manière la plus régulière et la
plus universelle , et qu'elle a fait que, dans son ac-
tion , tout ce qu'elle emploie de principes dans
toutes les autres causes se rencontrent tous ensem-
ble dans celle-ci. Ainsi, pourceque les mouvements
des autres corps dépendent de la force qui les meut
et de la détermination de cette force , la lumière ,
suivant ces lois, tantôt se continue en ligne droite,
et tantôt s'en écarte en s'approchant ou s éloignant
de la perpendiculaire. Mais pourceque nous voyons
aussi que la nature agit toujours par les voies les
plus courtes , il falloit que la lumière s'accommodât
à cette loi. M. Descartes a fait voir que la lumière
suit dans la réfraction les lois ordinaires du mou-
vement de tout le corps ; et vous , monsieur, avez
fait voir que quoique la lumière semble dans la rô
fraction prendre un détour, et oublier qu'elle doit
agir par les voies les plus courtes, elle observe
32.
30O LETTRES.
néanmoins cette loi avec une exactitude si grande
qu'on n'y sauroit rien désirer : et ainsi on peut dire
que vous avez travaillé conjointement avec M. Des-
cartes à justifier en cela la nature, et à rendre rai-
son de son procédé : lui par des raisons naturelles
et communes à tous les corps; et vous, monsieur,
par des raisons mathématiques , tirées de la plus
pure et plus fine géométrie ; et même , comme
cette preuve géométrique étoit la plus difficile à
trouver et à démêler, je veux bien que vous l'em-
portiez par-dessus lui ; et dès à présent je signe et
souscris à une éternelle paix avec vous, et neveux
plus désormais contester sur l'inefficacité de votre
principe , et sur la différence qui est entre le vôtre
et le sien , puisqu'il conclut une même chose , et
nous enseigne une même vérité. Je suis , etc.
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LETTRES. 501
# *
AUTRE LETTRE DE M. CLERSELIER
A M. DE FERMAT
SUR LE SUJET.
(Lettre 53 du tome III.)
# *
Du i3 mai 166a.
Monsieur,
C'est par Tordre de l'assemblée qui se tient toutes
les semaines chez M. de Montmort que jevous écris
aujourd'hui , pour vous faire une amende honora-
ble d'un méchant mot latin que j'ai mis dans la
lettre que je me donnai l'honneur de vous écrire il y a
huit jours , dont je lui fis la lecture mardi dernier.
Ce fut la seule chose quelle y trouva à redire ; et
je l'avois bien senti moi même en l'écrivant, aussi
avois-je tâché de l'adoucir par le correctif qui le
précède ; cependant nonobstant cela j'en reçus une
réprimande publique , et aussitôt je me proposai
de vous en faire mes excuses au premier ordinaire ,
ce que je fais aujourd'hui d'autant plus volontiers
qu'outre que par cette soumission je vous ferai
f)02 LETTRES.
connoître l'ingénuité de mon procédé, cela me
donnera aussi occasion de vous dire quelque chose
que je fus obligé de répliquer à quelques objec-
tions qui me furent faites par quelques uns de ras-
semblée , afin de rendre la pensée de M. Descartes,
touchant la réfraction, plus claire, par un exem-
ple familier, et qui est tout-à-fait propre au sujet.
Si je n'avois point été si impatient que de vous en-
voyer une chose qui étoit prête il y avoit plus de
quinze jours , et que l'engagement que j'avoism'a-
voit obligé de faire voir dès lors à M. de La Cham-
bre , j'aurois évité le reproche de la compagnie, et
ne serois pas tombé dans cette faute.
Mais j'eus peur qu'il me fallût encore différer
plus long-temps d'en parler à l'assemblée, qui avoit
déjà remis par deux fois la lecture que je lui en
vouiois faire, pourcequ'elle vouloit aussi avoir
en même temps les sentiments de M. Petit , qui
lui avoit fait connoître, dès la première fois que
votre lettre parut devant elle, qu'il avoit plusieurs
choses à dire , et contre ce que vous écrivez à
M. de La Chambre, et contre ce que M. Des-
cartes a écrit.
Pour moi, qui nem'étois pas trouvé à l'assemblée
quand votre lettre y fut lue la première fois , et
qui me dispensois alors souvent de m'y trouver,
à cause de quelques affaires plus importantes que
la détention de M. de La Haye, mon gendre, me don-
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e
LETTRES. ,r)o3
noit , pour poursuivre à la cour sa liberté , je ne
l'eus pas plus tôt vue que je crus être obligé d'y faire
réponse , comme étant une suite des petits démê-
lés que nous avions déjà eus autrefois ensemble sur
la même matière , et parce aussi que vous me faites
l'honneur de me nommer par trois fois dans votre
lettre, et de sembler m'y convier.
J'avois donc préparé ma réponse le plustôt que
j'avoispu, et pensois la faire voir à la compagnie,
mais elle ne le jugea pas à propos pour ne point
prévenir M. Petit dansla repartie qu'il avoit promis
de vous faire; mais, craignant que cela n'allât trop
en longueur, je me résolus de moi-même , samedi
dernier, de vous l'envoyer, avant que de l'avoir
fait voir à la compagnie , de qui j'ai reçu les avis
trop tard pour m'empêcher de tomber dans cette
faute, mais non pas pour vous en faire mes excu-
ses , et vous en demander le pardon.
Et , pour le mériter en quelque façon , souffrez
que je m'explique un peu plus au long que je ne
le fis la dernière fois , pour vous faire comprendre
ce que je pense de la pensée qu'a eue M. Descartes
touchant la réfraction.
Il est certain qu'à considérer tout seul le rayon
AB , en tant qu'il est dans l'air, il ne va ni à gauche
ni à droite, ni en haut ni en bas, mais toute sa
tendance est d'aller vers D, et n'a qu'une seule di-
rection. Mais sitôt qu'on lui oppose un autre mi-
5o4 LETTRES.
lieu , par exemple CEE , dans lequel il soit obligé
de passer, on peut dire, et il est vrai, qu'à 1 égard
de ce milieu il a diverses tendances ; car si on le
lui oppose directement, sa chute est perpendicu-
laire , et n'a qu'une direction à son égard ; mais si
on le lui oppose de biais comme il est dans la
page 20 de la Dioptrique , alors ce rayon à son
égard a une double direction, l'une qui le fait
tendre vers lui , qui est de haut en bas , et l'autre
qui le porte de gauche à droite, à laquelle ce mi-
lieu n'est point du tout opposé ; et si on le lui op-
posoit d'une autre façon , la même direction, qui
maintenant est de gauche à droite, pourroit être
celle qui le porteroit vers lui , et l'autre , celle à
laquelle ce milieu ne seroit point opposé; et selon
que ce milieu est plus ou moins incliné à ce rayon,
les deux tendances ou directions qu'il a à son égard
sont diverses, et peuvent avoir, l'une à l'égard de
l'autre diverses proportions.
Mais quand je parle de tendance, de direction ,
ou de détermination , ne vous allez pas imaginer
que j'entende parler d'une direction sans force et
sans mouvement , ce qui seroit chimérique et im-
possible , ne pouvant y avoir de direction sans
mouvement ou sans effort ; mais j'entends par ce
mot de direction ou de détermination vers quel-
que endroit toute la partie du mouvement qui est
déterminée à aller vers cet endroit-là*
LETTRES. 5o5
Donc, selon que le milieu est plus ou moins in-
cliné au rayon , la force, qui à son égard le porte
vers un certain endroit, peut être plus ou moins
grande que celle qui le porte vers l'autre. Par
exemple, si l'angle ABC est égal à l'angle ABH, les
deux parties du mouvement , dont lune le porte
en bas et l'autre à droite , sont égales , s'il est
moindre sa force est moindre, et s'il est plus grand
elle est plus grande ; mais, quelle que soit l'incli-
nation du rayon sur le milieu, il y a toujours
une partie de la force de son mouvement à la-
quelle ce milieu est opposé , et une autre à la-
quelle il ne l'est point. Or, tandis que le rayon est
dans l'air , la proportion , quelle qu'elle soit , qui
est entre ces deux parties du mouvement, que
nous supposons uniforme , le porte dans la ligne
AB; et tandis que rien ne la change, ou tandis
qu'elles changent, en gardant toujours entre elles
une même proportion , le rayon va toujours en
ligne droite.
Mais lorsque le rayon AB de la page 20 étant
parvenu au point B rencontre un autre milieu , si
ce milieu ne présente pas au rayon la même fa-
cilité à se laisser pénétrer qu'avoit l'air, il doit
arriver du changement au cours du rayon , à cause
que ce milieu n'est opposé qu'à la détermination ,
ou à la partie du mouvement qui le porte vers lui,
et non point à l'autre ; et s'il présente moins de
5o6 LETTRES.
facilité au passage du rayon queue fait l'air, la ré-
sistance qu'il apporte à la partie du mouvement
qui tend vers lui , et non point à l'autre, laquelle
en ce point de rencontre demeure précisément la
même , fait que n'y ayant plus la même propor-
tion entre ces deux parties du mouvement , qui
toutes deux ensemble portoient auparavant le rayon
dans la ligne AB , elles doivent lui faire changer
de détermination , et le porter vers le point où tend
la direction qui s'ajuste avec la proportion qui se
trouve alors entre elles , et ainsi le faire éloigner
de la perpendiculaire.
Que si au contraire le milieu qu'on oppose au
rayon AB présente plus de facilité à son passage
que ne faisoit l'air, cette nouvelle facilité qu'il ap-
porte, et qui n'est ressentie que par la partie du
mouvement qui tend vers lui, et non point par
l'autre , comme j'ai déjà dit, doit changer sa direc-
tion, à cause que cela change la proportion qui
est entre les deux parties, dont le mouvement
entier de la balle est composé, et le détourner
par conséquent vers la perpendiculaire; ce qui
arrive quand un rayon de lumière passe de l'air
dans de l'eau ou dans du verre.
Et pour faciliter la compréhension de tout ceci
par un exemple aisé, représentez-vous un corps
sphérique bien dur et bien poli, mis sur une
planche très dure aussi et très polie, dont le bout
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LETTRES. 507
s'appuie sur l'extrémité d'une table, en sorte que
la planche soit inclinée sur la table et fasse un
angle aigu avec elle. Il est certain que ce mobile
roulera sur cette planche , et ce d'autant plus ou
moins vite que la planche sera moins ou plus in-
clinée sur cette table. Mais, quel que soit le mouve-
ment du mobile sur cette planche , il est certain
qu'à l'égard de la table il a deux déterminations ;
l'une, qui le porte vers elle, par laquelle il des-
cend ; et l'autre , qui le porte vers l'une des mu-
railles de la chambre, par laquelle il avance de ce
côté-là; et il est si vrai qu'il a ces deux impressions,
qu'il les garde encore toutes deux lorsqu'il est en
l'air hors de la planche; et s'il ne lui en restoit
qu'une quand il est hors de dessus la planche, il
ne suivroit que celle-là seule ; par exemple , il tom-
beroit perpendiculairement à terre , sitôt qu'il a
quitté la planche , s'il ne lui restoit que celle de sa
chute.
Mais considérez ce qui arrive au mobile quand
il est au point où il quitte la planche, et vous
verrez qu'il arrive la même chose à la lumière
quand elle passe de l'air dans l'eau ; et parcequ'a-
lors la partie du mouvement qui porte le mobile
en bas trouve plus de facilité ou moins de résis-
tance à son action quand il est hors de dessus la
planche et dans l'air qu'elle n'avoit quand il étoit
sur la planche , et que celle qui le porte vers la
5o8 LETTRES.
muraille demeure la même (bien que ce soit encore
la même force totale qui pousse en ce point-là le
mobile, et que la force des deux parties de son
mouvement prises séparément soit la même),
néanmoins, parceque la proportion qui étoit aupa-
ravant entre la facilité ou la résistance que pré-
sentoitle milieu à ces deux forces est changée, et
que , dans ce point de sortie , il trouve plus de fa-
cilité pour descendre qu'auparavant, sans qu'il en
trouve ni plus ni moins pour aller vers la muraille,
pour cela il arrive qu'il ne suit plus la direction de
la ligne qu'il avoit parcourue sur la planche , mais
qu'il en prend une autre, laquelle est propor-
tionnée au plus de facilité qui se trouve alors en
l'une de ces forces plus qu'en l'autre; ce qui fait
que le mobile en quittant la planche s'approche
de la perpendiculaire, comme fait aussi la lu-
mière en entrant dans l'eau, pour la même rai-
son.
Et c'est à mon sens une des choses des plus ai-
sées à concevoir qu'il est possible; et c'est aussi à
mon avis tout ce qu'a voulu dire M. Descartes au
sujet de la réfraction. Je ne prétends pas néan-
moins pour cela vous avoir persuadé; il suffit que
je me sois donné à entendre, afin que vous ne
croyiez pas que je suive aveuglément M. Descartes ,
ou que je vous contredise de gaieté de cœur. Je
vous ressemble en ce point , que je n'aime et ne
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LETTRES. 509
cherche que la vérité; et celte conformité que
j'ai avec vous me fait espérer que vous ne me dés-
avouerez pas, quand je m'avouerai partout, etc.
Pour éclaircir davantage cette matière, j'appor-
terai encore ici un exemple, qui résout à mon avis
la plupart des difficultés que l'on peut faire sur
ce qu'a dit M. Descartes touchant la réfraction ,
dans sa Dioptrique.
Il est constant par l'expérience, que, de quelque
façon que la boule A soit poussée au point B, par
les boules C, D, E, F, G, et quelles que soient les
différentes déterminations dont on peut supposer,
que celle de leur route soit composée , elles la
pousseront toujours vers II.
Premièrement, pour la boule E, il est clair
qu'elle la doit pousser vers II , puisque la boule
A s'oppose totalement à sa détermination; mais
ce qui est clair pour la boule E] doit pareille-
ment être entendu des autres, qui, bien qu'elles
viennent de biais vers la boule A, ne la touchent
au point B et ne la poussent qu'en tant qu'elles
descendent vers H, et non point en tant qu'elles
vont vers I (ou vers K); c'est pourquoi elles ne
sauroient imprimer d'autre mouvement à cette
boule, sinon de la faire aller vers II. Or, quoique
les déterminations des boules D et F soient op-
posées, en tant que l'une va à droite et l'autre à
gauche, elles ne le sont point en tant qu'elles des-
5 10 LETTRES.
cendent, et ainsi elles doivent produire sur la
boule A un même effet, qui est de la pousser
vers H.
Mais si nous supposons que la boule A soit dure
et immobile, toutes ces boules, après l'avoir ren-
contrée, seront contraintes de changer la détermi-
nation qu'elles avoient d'aller vers H, en celle
d'aller ou de réfléchir vers L, et garder les autres
si elles en avoient, auxquelles elle ne peut ap-
porter de changement , à cause qu'elle ne leur est
point opposée en ce sens-la : et ceci explique la
réflexion à angles égaux.
Que si nous supposons que ces boules aient
communiqué de leur mouvement à la boule A , ce
ne peut être qu'au sens qu'elle leur est opposée ;
et partant ce ne peut être que le mouvement vers
H qui puisse recevoir de l'altération, et non point
celui vers I (ou vers K), lequel par conséquent
doit demeurer le même et en son entier. Si bien
que ces boules perdant au point B de la force
qui les détermine à aller vers H, et ne per-
dant rien de celle qui les détermine à aller vers
I, elles sont contraintes de se détourner, et de
prendre en ce moment une autre direction, la-
quelle elles gardent toujours, quelque résistance
que le milieu apporte après cela, qui peut bien
les faire aller moins vite, mais non pas changer
leur direction, à cause qu'il peut bien être opposé à
LETTRES. 5 1 1
leur vitesse, mais non point à la direction qu'elles
ont prise, puisque nous supposons qu'il est
également facile ou difficile à s'ouvrir ou pénétrer
de tous côtés; et cela explique la réfraction qui
s'éloigne de la perpendiculaire.
Que si au contraire nous supposons que ces
boules étant au point B, la boule A leur cède plus
aisément, et les entraîne pour ainsi dire vers H,
cela fait que ces boules descendent plus vite ; mais
cela ne change rien à leur mouvement vers la
droite (ou vers la gauche) , auquel elle n est point
opposée; et ainsi ces boules, au moment qu'elles
sont au point B, étant plus disposées à aller vers
H qu'elles n'étoient auparavant, et n'étant ni plus
ni moins disposées qu'elles étoient à aller vers I,
elles doivent changer de direction, et la garder
après l'avoir prise; et cela explique la réfraction
vers la perpendiculaire.
Et pour faire voir que la résistance plus ou
moins grande du corps du milieu n'y fait rien ,
et ne change point la détermination que la boule
prend au point B , considérons ce qui peut arriver
à la boule A , selon les différents cas qu'on peut
s'imaginer. Par exemple, si la boule E tombe per-
pendiculairement sur A, et qu'elle lui commu-
nique la moitié de son mouvement, où ira-t-elle?
Sans doute qu'elle ira vers H, et la force qu'elle
reçoit en ce moment ne la peut déterminer à aller
5 1 2 LETTRES.
que vers là ; mais est-ce à dire qu'en allant vers
H elle décrira en deux moments une ligne aussi
longue qu'a fait E en un moment? Oui, sans doute,
si vous supposez que le milieu quelle parcourt
lui donne passage aussi facilement qu'avoit fait
l'autre; mais si ce milieu lui résiste davantage
elle en décrira une plus courte; comme aussi elle
en peut décrire une égale, ou même une plus lon-
gue, si ce milieu résiste autant ou moins à la force
qu'elle a reçue.
Que si nous supposons que c'est Tune des
autres boules C, D, F, G qui rencontre A au point
B, il s'ensuivra la même chose, à savoir, qu'elle
sera contrainte par la force qu'elle recevra de
prendre sa détermination vers H , comme aupara-
vant, au moment même qu'elle en est touchée; et
la/jualité du milieu ne changera point cette déter-
mination , sinon qu'ayant reçu moins de force,
parceque n'étant touchée que de biais elle n'est
pas poussée par toute la force de la boule qui la
touche, elle ira moins vite.
Que si nous supposons que la boule A étoit dé-
jà en mouvement, et se mouvoit vers 1, la chute de
l'une de ces boules sur elle n'apporte aucun chan-
gement à la détermination quelle avoit à aller vers
là , c'est-à-dire à toute la force de son mouvement
qui la déterminoit à aller vers I , et partant elle
doit continuer d'y aller comme elle faisoit aupa-
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LETTRES. 5 I 3
ravant; mais elle doit aussi aller en même temps
vers le côté où la détermine l'impression qu'elle
a nouvellement reçue par la chute de Tune de ces
boules; si bien que dès ce moment elle doit pren-
dre sa direction.
Mais si nous supposons que le milieu où elle se
trouve après cela lui résiste davantage que ne
faisoit l'autre, cela ne change point la détermina-
tion qu'elle a prise, mais fait seulement qu'elle le
parcourt moins vite qu'elle n'auroit fait; car enfin
la proportion qui étoit en ce moment entre ses
deux forces, l'a déterminée à aller quelque part;
et quelque facilité ou difficulté qu'apporte ensuite
le corps du milieu qu'elle doit parcourir, comme
elle est égale en tout sens, cela ne peut rien changer
à la détermination qu'elle a prise en sa superficie ,et
ne la doit ni plus ni moins détourner; et la même
proportion est ici gardée qu'entre de forts ou de
foibles mouvements également proportionnés.
Par exemple, que la boule À soit poussée par
deux forces égales vers B et vers C en. même
temps, que doit-il arriver, si elle est dans l'air?
Il arrivera que ces deux forces ayant un grand effet
sur elle, la pousseront en un moment jusques en
1): mais si elle étoit dans l'eau, alors ces deux forces
n'ayant pas un si grand effet sur elle, ne la pous-
seront que jusques en E; mais elle ne changera
point pour cela de direction.
io. 33
5 1 4 LETTRES.
Et ce que je dis de la boule A, qui est poussée
par des forces égales dans deux milieux différents,
se doit entendre tout de même de toute autre
sorte de proportion qui soit entre ces deux forces ;
savoir est , que la diversité du milieu ne change
point la direction à laquelle les forces qu'elle a la
déterminent au premier moment, mais peut seu-
lement changer sa vitesse.
Par exemple, que la boule A soit poussée en
même temps par deux forces, dont l'une la pousse
du double plus fort vers C que l'autre ne fait vers B.
Que doit-il arriver si elle est dans l'air? Il arrivera
que ces deux forces , ayant un grand effet sur
elle, la pousseront en un moment jusques en D :
mais si elle étoit dans l'eau , alors ces deux forces
n'ayant pas un si grand effet sur elle, mais ne lais-
sant pas de l'avoir de tous côtés proportionné
à leur force , parceque l'eau s'ouvre également
de tous côtés, ne la pousseront que jusques en
E; mais elle ne changera point pour cela de di-
rection, laquelle elle prend dès le premier mo-
ment.
Et ainsi ayant égard aux premières suppositions
que fait M. Descartes , lorsqu'il se sert de l'exemple
d'une balle pour expliquer la réflexion et la réfrac-
tion dans le chapitre second de sa Dioptrique, c'est-
à-dire supposant que ni la pesanteur ou la légè-
reté de la balle , ni sa grosseur , ni sa figure , ni
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LETTRES. 5 1 5
aucune telle cause étrangère ne change son cours ,
ce qu'il dit ensuite est véritable , c'est à savoir qu'il
ne faut considérer que la détermination que prend
la balle au moment qu'elle est au point B, sans se
mettre en peine de ce qui peut arriver de change-
ment en sa vitesse dans le milieu qu'elle parcourt
par après ; pour ce que c'est seulement au point B
qu'elle est contrainte de changer de direction , à
cause du changement qui arrive en ce point dans
la proportion qui est entre les deux forces qui com-
posent tout son mouvement; et la direction qu'elle
a une fois prise au point B, elle la garde par après,
et la suit plus ou moins vite, selon le plus ou moins
de résistance du milieu.
RÉPONSE DE M. DE FERMAT
A M. CLERSELIER.
( Lettre 5/t du tome III. )
Du u mai i66a.
Monsieur,
Vos deux lettres des sixième et treizième de mai
m'ont été rendues eu même temps; elles me font
33.
5 1 6
LETTRES
plus d'honneur que je n'en devois raisonnable-
ment attendre; et bien loin que vos mots latins
m'aient choqué/je suis persuadé que, dans la sup-
position de votre sentiment sur le sujet de la dé-
monstration de M. Descartes , il n'y en a point de
plus véritables en aucun endroit de vos lettres; car
si cette démonstration est dans les règles des dé-
monstrations certaines et infaillibles , il n'est rien
de plus vrai, sinon que ceux qui n'en sont pas
convaincus ne l'entendent point. La qualité essen-
tielle d'une démonstration est de forcer à croire ;
de sorte que ceux qui ne sentent pas cette force
ne sentent pas la démonstration même, c'est-à-dire
qu'ils ne l'entendent pas. Je n'attribue donc , mon-
sieur , qu'à un excès de courtoisie et de civilité cet
adoucissement que MM. de votre assemblée vous
ont inspiré, et je vous en rends très humbles grâces.
Pour la question principale, il me semble que j'ai
dit souvent , et à M. de la Chambre et à vous, que
je ne prétends ni n'ai jamais prétendu être de la
confidence secrète de la nature ; elle a des voies
obscures et cachées que je n'ai jamais entrepris de
pénétrer: je lui avois seulement offert un petit se-
cours de géométrie au sujet de la réfraction si elle
en eût eu besoin ; mais puisque vous m'assurez ,
monsieur , qu'elle peut faire ses affaires sans cela,
et qu'elle se contente de la marche que M. Descartes
lui a prescrite, je vous abandonne de bon cœur
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LETTRES. 5lJ
ma prétendue conquête de physique, et il me suffit
que vous me laissiez en possession de mon pro-
blème de géométrie tout pur, et in abstracto;par
le moyen duquel on peut trouver la route d'un
mobile qui passe par deux milieux différents , et
qui cherche d'achever son mouvement le plus tôt
qu'il pourra. Et je ne sais pas même si la merveille
ne sera point plus grande , en supposant que j'aie
mal deviné le raisonnement de la nature; car peut-
on s'imaginer rien de plus surprenant que ce qui
m'est arrivé? J'écrivis, il y a plus de dix ans, à M. de
La Chambre, que je croyois que la réfraction se de-
voit réduire à ce problème de géométrie, etj'étois
pour lors tout-à-fait persuadé que l'analyse de ce
problème me donneroit une proportion différente
de celle de M. Descartes; et néanmoins en tentant le
problème, qui est assez difficile, dix ans après, j'ai
trouvé justement la même proportion que M. Des-
cartes. Si j'ai dit un mensonge, n'ai-je pas quelque
raison de prétendre que c'est un de ces mensonges
fameux desquels il est dit dans le Tasse , comme
je vous ai déjà écrit ,
■
Quando sara il vero
Si bello, che si possa à ti preporre.
•
En voilà de reste ; je croise les armes : per-
mettez-moi seulement, s'il vous plaît, d'as-
surer ici M. Ghanut , et M. l'abbé d'Issoire , son
5 1 8 LETTRES.
fils, de mon obéissance très humble; je n'ai pas
l'honneur d'être connu du père, mais pourquoi
serois-je le seul de toute l'Europe qui n'aurois
pas une entière vénération pour lui. Je suis , etc.
a
LETTKE DE M. CLERSELIER,
- •
QUI FUT LUE D ANS l' ASSEMBLÉE DE M. DE MONTMOR , LE I 3 JUILLET
l658, SOUS LE NOM DE M. DESCAETES , ET COMME SI C'EUT ÉTÉ
LUI QUI LEUT AUTREFOIS ÉCRITE A QUELQUUN DE SES AMIS,
SERVANT DE RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS QUE M. DE ROBERVAL Y
AVOIT PROPOSÉES EN SON ABSENCE , TOUCHANT LE MOUVEMENT
DANS LE PLEIN.
>
(Lettre 97 du tome III.)
Monsieur,
J'ai déjà tâché autant que j'ai pu de résoudre
ou plutôt de prévenir les difficultés que vous me
faites, touchant l'impossibilité du mouvement des
parties de la matière dans le plein, ayant éclairci*
ce me semble, assez nettement , en divers endroits
de mes Principes, selon que mon sujet m'y a porté,
toutes les choses qui pouvoient y faire concevoir
de la répugnance ou de la difficulté : mais pource-
que je vois que , quelque soin que j'aie pris , je n'ai
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LETTRES. 5ig
pourtant pu faire que des personnes très habiles
ne soient tombées dans les mêmes difficultés, je
veux ici faire mon possible pour les ôter entière-
ment; et pourceque je juge que cela ne procède
que faute de bien comprendre toute l'économie de
mon système, et la suite des raisons qui servent
à faire concevoir comment cela est possible, je vous
remettrai ici devant} les yeux tout ce que je ju-
gerai nécessaire à cet effet , et qui m'a fait avoir
des pensées toutes contraires aux vôtres, et trouver
de la facilité où vous ne trouvez que de la répu-
gnance. Si tous ceux qui ont quelque chose à
m'objecter vouloient en user comme vous , je me
suis assez déclaré pour les obliger à croire que je
ferois tout mon possible pour les satisfaire; mais
la plupart se contentent de me condamner sans
m'ouïr et faute de m'entendre; et quelques uns se-
roient bien aises de se divertir par des disputes
sans fin , et par des discours dont le sens s'évanouit
aussitôt que le son des paroles, à quoi je vous
confesse que je ne me suis jamais voulu soumettre;
ce qui sans doute aura pu foire croire ces jours
passés , à l'un des plus savants et des plus estimés
mathématiciens de la France , que je n'avois eu
aucune réponse à faire à ses difficultés (qui res-
sembloient entièrement aux vôtres), pour n'avoir
pas voulu entrer en contestation avec lui chez une
personne de marque, et en assez bonne compagnie;
520 LETTRES.
mais je ne le fis que pour l'obliger à écrire, à quoi
je le conviai , ce que pourtant je n'ai pu encore
obtenir de lui jusques à présent : de sorte que
s'il a lieu de se vanter que je fus lors sans repar-
tie, je puis aussi de mon côté me glorifier que je
l'ai réduit à n'oser écrire. Mais, en attendant qu'il
s'y soit disposé , je veux vous divertir et moi aussi
par la réponse que j'ai à vous faire , arrêtant tantôt
votre esprit sur la considération des êtres de ce
monde, et tantôt le faisant promener dans un
monde tout nouveau.
Premièrement, je remarque que tous les corps
de l'univers sont composés d'une même matière,
et que cette matière ne consiste qu'en l'étendue,
en longueur, largeur et profondeur, qui est telle
que chacune de ses parties occupe toujours un
espace tellement proportionné à sa grandeur,
qu'elle n'en sauroit remplir un plus grand, ni se
resserrer dans un moindre, ni souffrir que pen-
dant qu'elle y demeure quelque autre y trouve
place.
2. J'ajoute que cette matière peut être divisée
en un nombre indéfini de parties, chacune des-
quelles est capable d'une innombrable variété de
figures et de mouvements.
3. Je ne mets aucune différence réelle entre
cette matière et ce que les philosophes ont cou-
tume de nommer espace; à cause que je ne cou-
LETTRES. 521
çois l'un et l'autre que sous la notion d'une chose
étendue en longueur, largeur et profondeur. Et
quand on y en voudroit établir quelqu'une, elle
seroit de nulle importance pour mon dessein , qui
est d'expliquer nettement les raisons de tous les
effets de la nature ; puisque je ne parle jamais de
cet espace que comme d'une chose abstraite, que
mon esprit considère ; et que je suppose cette ma-
tière comme un vrai corps parfaitement solide,
qui remplit entièrement et également toutes les
longueurs, largeurs et profondeurs de ce grand et
immense espace que les philosophes appellent
imaginaire, et qu'ils nous disent être infini: et de
vrai ils doivent bien en être crus, puisque ce sont
eux-mêmes qui l'ont fait.
4- Il est aisé de voir que je ne puis admettre de
vide, puisque ce vide qu'on me voudroit faire
admettre auroit les conditions que je donne à la
matière, et partant, selon moi, seroit un vrai corps;
et de plus, ayant supposé que la totalité de l'espace
est remplie d'un vrai corps, ou d'une matière
parfaitement solide , dont les parties ne se peuvent
ni étendre ni resserrer, il est impossible que je
puisse concevoir aucun vide en la nature.
5. Bien que je suppose que cette matière n'a la
forme ni de la terre, ni du feu, ni de l'air, ni
d'aucune autre chose plus particulière; non plus
que les qualités de chaude, de froide, de sèche %
522 LETTRES.
d'humide, de légère ou de pesante ; et que je ne
suppose aussi en elle aucun goût, ou odeur, ou
son , ou couleur, ou lumière, ou autre chose sem-
blable, dans la nature de laquelle on puisse dire
qu'il y ait quelque chose qui ne soit pas évidem-
ment connue de tout le monde, il ne faut pas .
penser pour cela qu'elle soit cette matière pre-
mière des philosophes, qu'on a si bien dépouillée
de toutes ses formes et qualités, qu'il n'y est rien
demeuré de reste qui puisse être clairement en-
tendu : au lieu que la nature que j'attribue à cette
matière est si claire, et toutes ses propriétés, à
savoir, sa divisibilité, et la grandeur, la figure, la
situation et le mouvement de ses parties, si in-
telligibles, qu'il n'y a rien que le commun même
des hommes conçoive plus clairement et plus
distinctement.
6. Mais, pour éviter toute dispute avec les phi-
losophes de ce monde , permettez maintenant pour
un peu de temps à votre pensée d'en sortir, et de
considérer ce qui pourroit arriver dans un autre
tout nouveau , si je lui en faisois naître un en sa
présence dans les espaces imaginaires , sans y rien
supposer de plus que ce que j'ai déjà dit; et vous
verrez que, sans y recevoir d'autres lois que les lois
ordinaires de la nature, elles seront suffisantes pour
faire que, les parties de cette vaste matière, ou si
vous voulez de ce chaos, se démêlent d'elles-
LETTRES. 525
mêmes , et se disposent en si bon ordre , qu'elles
auront la forme d un monde très parfait, et dans
lequel on pourra voir non seulement de la lumière,
mais aussi toutes les autres choses tant générales
que particulières qui paroissent dans ce vrai monde.
7. Avant que je vous explique ceci plus au long
( ce que je pourrai faire quelque jour , puisque
vous m'en priez, me contentant aujourd'hui de
parler de ce qui peut servir à l'éclaircissement de
vos difficultés présentes), arrêtez-vous un peu à con-
sidérer ce chaos, et remarquez qu'il ne contient au-
cunechose qui ne vous soit si parfaitement connue,
que vous ne sauriez pas même feindre de l'ignorer.
Car pour les qualités que j'y ai mises, si vous y avez
pris garde, je les ai seulement supposées telles que
vous les pouvez imaginer ; et pour la matière dont
je l'ai composé , il n'y a rien de plus simple ni de
plus facile à connoître dans les créatures inani-
mées; et son idée, à savoir l'étendue, est tellement
comprise dans toutes celles que notre imagination
peut former, qu'il faut nécessairement que vous
la conceviez, ou que vous n'imaginiez jamais au-
cune chose.
8. Toutefois, pourceque les philosophes sont si
subtils, qu'ils trouvent des difficultés dans les
choses qui semblent les plus claires aux autres
hommes , et que le souvenir que vous avez de leur
matière première ( qu'ils confessent eux-mêmes être
5^4 LETTRES.
assez malaisée à concevoir ) vous pourroit divertir
de la connoissance de celte dont je parle , il faut
que je vous dise en cet endroit que , si je ne me
trompe , toute la difficulté qu'ils éprouvent dans
la leur ne vient que de ce qu'ils la veulent dis-
tinguer de sa propre quantité et de son étendue
extérieure. Toutefois je veux bien qu'ils croient
avoir raison , car je n'ai pas dessein de m'arrèter à
leur contredire; mais ils ne doivent pas aussi trou-
ver étrange si je suppose que la quantité de la
matière que j'ai décrite ne diffère non plus de sa
substance que le nombre fait des choses nombrées;
et si je considère son étendue , ou la propriété
qu'elle a d'occuper de l'espace , non point comme
un accident^ mais comme sa vraie forme et son
essence ; car ils ne sauroient nier qu'elle ne soit
très facile à concevoir en cette sorte. Et mon des-
sein n'est pas aujourd'hui devons expliquer comme
eux les choses qui sont en effet dans le vrai monde;
mais seulement d'en feindre un à plaisir , dans le-
quel il n'y ait rien que les plus grossiers esprits
ne soient capables de concevoir, et qui puisse tou-
tefois être créé tout de même que je l'aurai feint.
Si j'y mettois la moindre chose qui fût obscure, il
se pourroit faire que parmi cette obscurité il y au-
roit quelque répugnance cachée , dont je ne me
serois pas aperçu , et ainsi que sans y penser je sup-
poserois une chose impossible; au lieu que pou-
LETTRES. 525
vaut distinctement imaginer tout ce que j'y mets,
il n y a point de doute qu'encore qu'il n'y eût rien
de tel dans l'ancien monde, Dieu le pourroit tou-
tefois créer dans un nouveau ; car il est certain
qu'il peut créer toutes les choses que nous pou-
vons clairement et distinctement imaginer.
9. C'est pourquoi je me garderai bien, comme ont
fait quelques uns , de supposer en la composition
d'un système des choses qui soient autant ou plus
difficiles à concevoir que ce qu'ils prétendent ex-
pliquer par elles ; ainsi je n'ai garde de supposer que
le soleil soit extrêmement chaud, ni que la matière
dont le monde est composé soit fluide, liquide,
perméable et diaphane , et qu'avec cela elle a cette
vertu de pouvoir être raréfiée , ou condensée , se-
lon que la chaleur est plus forte ou plus foible; et
beaucoup moins, que toute la matière de l'univers ,
et chacune de ses parties, a une certaine propriété
par la vertu de laquelle toute cette matière s'unit
et s'assemble en un seul corps continu, dont toutes
les parties ont inclination et font effort pour se
joindre les unes aux autres , en s'attirant récipro-
quement l'une l'autre ; en sorte que chaque partie
de la terre , ou de l'air , ou de l'eau , ou de quel-
qu'autre planète , a en soi deux vertus semblables,
l'une qui les joint avec les autres parties de leur
planète , et l'autre qui les unit avec le reste des
parties de l'univers , sans que l'une de ces deux
52Ô LETTRES.
propriétés empêche l'effet de l'autre ; car toutes
ces choses me semblent avoir besoin de grande
explication , et la plupart même me semblent in-
concevables, à moins que d'admettre dans les par-
ties delà matière une intelligence et une puissance
toutes divines ; outre que ceux-là mêmes qui sup-
posent toutes ces qualités dans la matière dont
l'univers est composé n'ont pu encore bien expli-
quer jusques ici ce qu'ils entendent par la matière,
sans quoi néanmoins tout ce qu'ils disent ne sauroit
passer tout au plus que pour de pures suppositions,
qui n'ont point la clarté que doit avoir un prin-
cipe , et qui ne peuvent servir à faire connoître au-
cune chose.
1 o. Mais pour venir à vos difficultés , la première
chose que je désire que vous remarquiez est la dif-
férence qui est entre les corps durs et ceux qui sont
liquides ; et pour cet effet, pensez que chaque corps
peut être divisé en des parties extrêmement petites.
Je ne veux pas déterminer si leur nombre est in-
fini ou non , mais à tout le moins il est certain
qu'au regard de notre connoissance il est indéfini;
et que nous pouvons supposer qu'il y en a plusieurs
milliers dans le moindre petit grain de sable qui
puisse être aperçu de nos yeux. Et remarquez que
si deux de ces petites parties s'entre-touchent sans
être en action pour s'éloigner l'une de l'autre, il
est besoin de quelque force pour les séparer tant
LETTRES. 527
peu que ce puisse être; car étant une fois ainsi
posées , elles ne s aviseroient jamais de s'en ôter
d'elles-mêmes. Remarquez aussi qu'il faut deux fois
autant de force pour en séparer deux que pour en
séparer une , et mille fois autant pour en séparer
mille , de sorte que s'il en faut séparer plusieurs
milliers tout à la fois , comme il faut peut-être
faire pour rompre un seul cheveu, ce n'est pas mer-
veille s'il y faut une force assez sensible ; mais au
contraire, si deux ou plusieurs telles parties se
touchent seulement en passant, et lorsqu'elles sont
en action pour se mouvoir l'une d'un côté, l'autre
de l'autre, il est certain qu'il faudra moins de force
pour les séparer que si elles étoient tout-à-fait sans
mouvement; et même qu'il n'y en faudra point du
tout si le mouvement avec lequel elles se peuvent
séparer d'elles-mêmes est égal ou plus grand que
celui avec lequel on les veut séparer. Or je ne trouve
point d'autre différence entre les corps durs et les
liquides , sinon que les parties des uns peuvent
être séparées d'ensemble beaucoup plus aisément
que celles des autres ; car même celles des corps
les plus durs peuvent être séparées par une force
capable de vaincre leur résistance : de sorte que,
pour composer le corps le plus dur qui puisse être
imaginé, je pense qu'il suffit si toutes ses parties
se touchent sans qu'il reste d'espace entre deux, ni
qu'aucune d'elles soit en action pour se mouvoir.
528 LETTRES.
Car quelle colle ou quel ciment y pourroit-on ima-
giner, outre cela, pour les faire mieux tenir lune
à l'autre. Je pense aussi que c'est assez pour
composer le corps le plus liquide qui se puisse
trouver, si toutes ses plus petites parties se re-
muent le plus diversement Tune de l'autre, et le
plus vite qu'il est possible, encore qu'avec cela
elles ne laissent pas de se pouvoir toucher Tune
l'autre de tous côtés, et se ranger en aussi peu
d'espace que si elles étoient sans mouvement.
1 1. Car souvenez-vous que tous les corps, tant
durs que liquides, sont faits d une même matière;
et qu'il est impossible de concevoir que les parties
de cette matière composent jamais un corps plus
solide, c'est-à-dire qui occupe moins d'espace
qu'elles font lorsque chacune d'elles est touchée
de tous cotés par les autres qui l'environnent.
D'où il suit, ce me semble, que s'il peut y avoir
du vide quelque part, ce doit plutôt être dans les
corps durs que dans ceux qui sont parfaitement
liquides; car il est évident que les parties de ceux-
ci se peuvent bien plus aisément presser et agen-
cer Tune contre l'autre, à cause qu'elles se remuent
sans cesse, que non pas celles des autres qui sont
sans mouvement; et par exemple, si vous mettez
de la poudre dans quelque vase , vous le secouez
et frappez contre, pour faire qu'il y en entre da-
vantage; mais si vous y versez quelque liqueur,
LETTRES.
elle se range incontinent d'elle-même en aussi
peu de lieu qu'on la peut mettre.
1 2. Je me souviens bien de la difficulté que vous
me faites là-dessus, qui est assez considérable; c'est
à savoir que les parties qui composent les corps
liquides ne peuvent pas, ce semble, se remuer
incessamment, comme j'ai dit qu'elles font, si ce
n'est qu'il se trouve de l'espace vide parmi elles,
au moins dans les lieux d'où elles sortent à me-
sure qu'elles se remuent. Mais à cela, j'ai deux
choses à repartir, qui doivent, à mon avis, satis-
faire toute personne qui veut écouter la raison, et
non pas se faire des obstacles invincibles de ses
difficultés. La première est la connoissance parfaite
de la nature des trois éléments de ce monde telle
que je l'ai décrite, et la seconde est la façon que
gardent les corps en se remuant.
13. Pour celle-ci, je n'ai pas seulement connu
par la raison , mais j'ai même reconnu par diverses
expériences que tous les mouvements qui se font
au monde sont en quelque façon circulaires,
c'est-à-dire que quand un corps quitte sa place,
il entre toujours en celle d'un autre, et ainsi de
suite jusques au dernier, qui occupe au même in-
stant le lieu délaissé par le premier; en sorte qu'il
ne se trouve pas davantage de vide parmi eux
lorsqu'ils se meuvent que lorsqu'ils sont arrêtés.
Et remarquez ici qu'il n'est point pour cela néces-
10. 34
530 LETTRES.
saire que toutes les parties des corps qui se meu-
vent ensemble soient exactement disposées en rond
comme un vrai cercle, ni même qu'elles soient de
pareille grosseur ou figure ; car ces inégalités
peuvent être récompensées par d autres inégalités
qui se trouvent en leur vitesse; et par la facilité
que les parties les plus subtiles et les plus déliées
des corps liquides, qui peuvent bien n'être pas
toutes égales, ont à se diviser. Or on ne remarque
pas communément ces mouvements circulaires,
quand les corps se meuvent dans l'air, d'autant
que la plupart sont accoutumés à ne concevoir
l'air que comme un espace vide; mais voyez nager
des poissons dans le bassin d'une fontaine , s'ils ne
s'approchent point trop de la surface de l'eau, ils
ne la feront aucunement branler, encore qu'ils
passent dessous de tous côtés avec une très grande
vitesse: d'où il paroît manifestement que l'eau
qu'ils poussent devant eux ne pousse pas indif-
féremment toute l'autre, mais seulement celle qui
peut mieux servir à parfaire le cercle du mouve-
ment , et rentrer en la place qu'ils laissent ; et
cette expérience seule suffit pour montrer combien
ces mouvements circulaires sont aisés et familiers
à la nature. Et la raison nous montre qu'il ne s'en
peut faire d'autres, à cause que tout étant aussi
plein qu'il sauroit être, un corps ne peut quitter
sa place qu'il n'entre dans celle d'un autre, lequel
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LETTRES. 55 1
doit enfin venir occuper la place abandonnée par
le premier, comme n'y en ayant point d'autre où
il se puisse mettre en tout le reste de l'univers.
14. Enfin, je n'ai plus qu'à expliquer la nature
que j'attribue à chacun des éléments, afin que vous
la puissiez une fois bien concevoir; car toutes vos
difficultés ne viennent que faute de cela. Je conçois
le premier comme une liqueur la plus subtile et
la plus pénétrante qui soit au monde; et ensuite
de ce que je vous ai dit ci-devant, touchant la
nature des corps liquides , je m'imagine que ses
parties sont beaucoup plus petites, et se remuent
beaucoup plus vite qu'aucunes de celles des autres
corps; ou plutôt , pour bannir tout-à-fait le vide
de la nature , et pour ôter même toutes les chi-
canes que les plus difficiles et les plus scrupuleux
me pourroient faire là-dessus , je n'attribue à ses
parties aucune grosseur ou figure déterminée,
mais je me persuade que l'impétuosité de son
mouvement est suffisante pour faire qu'il se divise
en toutes façons et en tous sens par la rencontre
des autres corps, et que ses parties changent de
figure à tous moments, pour s'accommoder à celles
des lieux où elles entrent; en sorte qu'il n'y a ja-
mais de passage si étroit, ni d'angle si petit entre
les parties des autres corps, où celles de cet élé-
ment ne pénètrent sans aucune difficulté, et
qu elles ne remplissent exactement. Pour le second
34.
532 LETTRES.
élément 9 je le conçois bien aussi comme une li-
queur très subtile, en le comparant avec le troi-
sième; mais pour le comparer avec le premier,
il est besoin d'attribuer quelque grosseur et quel-
que figure à chacune de ses parties, et de les ima-
giner à peu près toutes rondes, et jointes ensem-
ble ainsi que des grains de sable ou de poussière;
en sorte quelles ne peuvent si bien s agencer, ni
tellement se presser Tune contre l'autre, qu'il ne
demeure toujours autour d'elles plusieurs petits
intervalles , dans lesquels il est bien plus aisé au
premier élément de se glisser, que non pas à elles
de changer de figure tout exprès pour les remplir:
et ainsi je me persuade que ce second élément ne
peut être si pur en aucun endroit du monde, qu'il
n y ait toujours avec lui quelque peu de la matière
du premier. Après ces deux éléments, je n'en reçois
qu'un troisième, duquel je juge que les parties sont
d'autant plus grosses, et se meuvent d'autant
moins vite à comparaison de celles du second , que
font celles-ci à comparaison de celles du premier;
et même je crois que c'est assez de le concevoir
comme une ou plusieurs grosses masses dont les
parties n'ont que fort peu ou point du tout de
mouvement qui leur fasse changer de situation au
respect Tune de l'autre.
i5. Et remarquez que ce n'est pas sans raison
que je ne reçois point d'autres éléments que ces
igitized by Google
LETTRES. 535
trois que j'ai décrits; car la différence qui est en-
tre eux et les autres corps que les philosophes ap-
pellent mixtes ou composés, consiste en ce que
les formes de ces corps mêlés contiennent toujours
en soi quelques qualités qui se contrarient et qui
se nuisent , ou du moins qui ne tendent point à
la conservation l'une de l'autre, au lieu que les
formes des éléments doivent être simples, et n'a-
voir aucunes qualités qui ne s'accordent ensemble
si parfaitement , que chacune tende à la conserva-
tion de toutes les autres. Or c'est ce qui se ren-
contre dans les formes de ces trois éléments. Mais
si vous examinez toutes les formes que les divers
mouvements, grosseurs, figures et arrangement
des parties de la matière peuvent donner aux corps
mêlés, je m'assure que vous n'en trouverez aucune
qui n'ait en soi des qualités qui tendent à faire
qu'elle se change, et en se changeant qu'elle se ré-
duise à quelqu'une de celles de ces éléments.
Mais de plus, comme je ne reçois que trois élé-
ments, de même aussi, si nous considérons géné-
ralement tous les corps dont l'univers est com-
posé, nous n'en trouverons que de trois sortes
qui puissent être appelés grands et nombres entre
ses principales parties, à savoir, le soleil et les
étoiles fixes pour le premier, les cieux pour le
second, et la terre avec les planètes et les comètes
pour le troisième. C'est pourquoi nous avons
534 LETTRES.
grande raison de penser que le soleil et les étoiles
fixes n'ont point d'autre forme que celle du pre-
mier élément tout pur ; les cieux, celle du second,
et la terre avec les planètes et les comètes, celle du
troisième. Et pour les corps mêlés, nous n'en
apercevons en aucun autre lieu que sur la super-
ficie de la terre ; et si nous considérons que tout
l'espace qui les contient, à savoir, tout celui qui
est depuis les nues les plus hautes jusques aux
fosses les plus profondes, est extrêmement petit
à comparaison de toute la terre et des immenses
étendues du ciel, nous pourrons facilement nous
imaginer que ces corps mêlés ne sont tous ensem-
ble que comme une petite écorce qui s'est engen-
drée au-dessus de la terre, par l'agitation et le
mélange de la matière du ciel qui l'environne; de
sorte qu'il ne peut y avoir de corps mêlés ailleurs
que sur les superficies de ces grands corps; mais
il semble que là il faille de nécessité qu'il y en ait :
car les éléments étant chacun de nature fort con-
traire , il ne se peut faire que deux d'entre eux s'en-
tretouchent, sans qu'ils agissent contre les super-
ficies l'un de l'autre, et donnent ainsi à la matière
qui y est les diverses formes de ces corps mêlés.
16. C'est assez pour ce coup vous entretenir du
gros de mon système : je reviens à vos difficultés
qui doivent, ce me semble, être maintenant levées.
Je demeure d'accord avec vous que chaque partie
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LETTRES. 535
de la matière du premier élément, la plus petite
qui soit , considérée dans l'état qu'elle est au mo-
ment qu'on la considère, est figurée , et aussi solide
qu'elle puisse être ; mais vous ne devez pas con-
fondre la notion de solide avec celle de dur. Car,
par exemple, le soleil est très solide, et néanmoins
il est le corps le moins dur, et le plus liquide qui
soit, puisqu'il est composé de la matière la plus
subtile, la plus fluide et la plus pénétrante que
nous puissions imaginer; et dont chaque partie
prise à part, et considérée toute seule, ne doit pas
non plus être appelée dure, à cause qu'elle n'a
point de grosseur ni de figure déterminée, mais
qu'elle se peut diviser à tous moments en plusieurs
diverses façons ; ce qui est le propre des corps li-
quides et non pas des corps durs. J'accorde aussi
que chaque petite partie du premier élément ne
se pourroit mouvoir , au moins d'un mouvement
direct , si toutes celles qui la touchent immédia-
tement étoient dans le repos , et ne lui pouvoient
faire passage. Mais il ne faut pas simplement con-
sidérer chaque partie dans l'état présent où elle est,
il faut aussi que vous considériez celles entre les-
quelles elle est, dans l'état présent où elles sont;
et poureeque toutes ensemble elles composent
un corps parfaitement liquide , toutes sont dans
le mouvement, toutes disposées à céder leur place,
et toutes sans aucune figure déterminée; de sorte
536 LETTRES.
que si chaque petite partie a quelque figure dans
le moment auquel vous la considérez , comme de
vrai elle en a une, elle n'est point pour cela
obligée de la garder dans le moment suivant, si
la détermination où son mouvement la porte l'o-
blige à changer sa figure pour s'accommoder à
celle des lieux où elle doit entrer. Car, si vous
vous en souvenez, je vous ai dit que chaque partie
de la matière du premier élément étoit si petite,
et d'ailleurs se mouvoit si vite, que la seule im-
pétuosité de son mouvement étoit suffisante pour
faire qu'elle se divisât, rompît, brisât, ou s'éca-
chât en toutes façons et en tous sens par la ren-
contre des autres corps. Il n'est donc pas besoin
d'aller jusques au bout du monde pour trouver le
cercle qui se doit faire, afin que la moindre partie
de la matière du premier élément se meuve ; car
sans être obligée d'imprimer aucun mouvement
dans pas une autre , elle se peut mouvoir à son
aise dans la place même que ses voisines sont dis-
posées à lui céder en se remuant; et pour rendre
la chose plus intelligible par un exemple sensible,
quand vous faites mouvoir un bâton en ligne
droite , il est certain que lorsque sa première partie
A se remue et qu'elle a avancé d'un pouce, sa
seconde partie B en même temps a aussi avancé
d'un pouce, et a justement rempli sa place, la-
quelle a été occupée par celle marquée C, et ainsi
LETTRES. 557
de suite jusques au bout du bâton ; et l'espace
délaissé par la dernière du bâton a été aussi en
même temps rempli par autant d'air que la pre-
mière avoit chassé vers là quand le bâton a com-
mencé à se mouvoir; non qu'il soit nécessaire que
le bâton ait donné aucun mouvement à l'air, mais
seulement il a pu déterminer celui que l'air avoit
déjà à faire pour qu'il s'allât ranger à la place que
l'extrémité du bâton délaissoit. De sorte que si vous
avez bien compris la nature que j'attribue à la
matière subtile; et comment se font les mouve-
ments circulaires, qui ne doivent point nécessai-
rement être ni des ovales ni de vrais cercles , mais
qui ne sont appelés circulaires qu'à cause que
leur mouvement finit où il avoit commencé , quel-
que irrégularité qui se trouve dans le milieu; et
aussi que toutes les inégalités qui peuvent être
dans la grosseur et dans la figure des parties
peuvent être récompensées par d'autres inégalités
qui se trouvent en leur vitesse, et par la facilité
que les parties de la matière subtile, ou du pre-
mier élément, qui se trouvent mêlées partout,
ont à se diviser et à accommoder leur figure à
celle de l'espace qu'elles doivent remplir, je m'as-
sure qu'il ne vous restera plus aucune difficulté
touchant le mouvement des parties de la matière
dans le plein. J'aurois poussé la chose plus avant ,
si j'eusse eu affaire à quelque personne moins
55S LETTRES.
docile que vous, et plus résolue a contredire; mais
j'aime mieux vous laisser cela à méditer un peu ,
pour y accoutumer votre esprit , et pour délasser
le mien , à qui il ne reste plus de force ni d'haleine
que pour vous dire que je suis , etc.
A M. DE LA FORGE,
MÉDECIN A SAUMUR.
OBSERVATIONS DE M. CLERSEL1ER ,
TOUCHANT LACTION DE LAME SUR LE CORPS.
(Lettre 125 du tome III.)
A Paris , le 4 décembre i6Go.
Monsieur ,
Je ne sa vois pas encore que vous fussiez un si
bon maître d'escrime ; car je vois que vous ne vous
contentez pas d'esquiver ou de parer aux coups de
civilité qu'une juste connoissance que j'ai de votre
mérite m'avoitfait vous porter ; vous les repoussez
contre moi si vivement , que vous me mettez tout
hors de garde , et m'ôtez le moyen de m'en défen-
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LETTRES. 539
dre; mais je veux bien recevoir en moi les coups
d'une main si adroite , si officieuse et si agréable
que la vôtre , et me confesser à présent vaincu ,
pour n'avoir pas la honte de l'être plus d'une fois.
Trêve donc, s'il vous plaît, désormais de tout com-
pliment entre nous.
Ce que j'ai maintenant à vous dire est que je
vois fort peu de différence entre ce que vous
pensez de la façon dont 1 ame et le corps agissent
l'un sur l'autre , et ce que je vous ai fait voir que
je pensois là-dessus. Je trouve comme vous que la
force qui meut, et même celle qui ne fait que dé-
terminer à son gré et comme il lui plaît le mou-
vement , ne dit rien en soi de corporel , et partant
je ne trouve point d'inconvénient qu'elle puisse
appartenir à l'âme. Bien plus, je trouve que cette
force n'est point du tout du ressort du corps, mais
qu'elle doit nécessairement venir d'ailleurs , pour
avoir son effet dans le corps : car l'essence du
corps ne consistant que dans l'étendue en longueur,
largeur et profondeur , je trouve ensuite que cette
étendue a bien de sa nature d'être divisible en plu-
sieurs parties, et ces parties d'être capables de
mouvement; si bien qu'un corps en particulier est
de soi capable d'être mû, mais non pas de se mou-
voir soi-même , ni de mouvoir un autre corps, si-
non en tant que déjà il est mû ; et ainsi le principe
du mouvement est hors du corps.
540 LETTRES.
Mais comme nous ne connoissons que deux
sortes de substances, lune spirituelle et l'autre
corporelle , il est nécessaire que toutes les proprié-
tés que nous reconnoissons avoir quelque existence
appartiennent à lune ou à l'autre de ces deux sub-
stances , et partant que celles que nous reconnois-
sons ne point appartenir à la substance corporelle,
comme celle de donner le premier mouvement au
corps , ou de lui en imprimer un tout nouveau
qui augmente la quantité de celui qui est déjà
dans le monde , appartiennent à la substance spi-
rituelle.
Mais à quelle substance spirituelle ? A la finie ,
ou à l'infinie ? Je dis qu'il n'y a que l'infinie seule
qui soit capable d'imprimer le premier mouvement
au corps ; mais que la finie , comme l'âme de
l'homme , peut seulement être capable de déter-
miner le mouvement qui est déjà. Dont la raison
est que je ne reconnois point d'autre puissance
capable de créer, ou de faire qu'une chose qui n'est
point soit et existe, que celle de Dieu; à cause
que la distance infinie qu'il y a du néant à l'être
ne peut être surmontée que par une puissance qui
soit actuellement infinie.
Vous me direz peut-être que le mouvement n'é-
tant qu'un mode de la matière, lequel suppose déjà
son sujet, au moins par un ordre de nature, il
n'est pas besoin d'une si grande puissance pour l'y
LETTRES. 54l
introduire; la matière de sa nature étant divisible ,
et sans répugnance à le recevoir.
Mais à cela je réponds que comme, avant que la
matière fût , il falloit la voix toute-puissante du
Créateur pour la faire sortir du néant où elle étoit;
de même , pour mouvoir ou animer cette matière,
et faire sortir de son néant le principe général et
universel de toutes les formes , il ne faut pas moins
que la même voix; et celle d'aucun autre esprit ne
sauroit être assez forte pour se faire entendre et
obéir, à moins que la volonté du Créateur ne se
trouve jointe avec la sienne. Car quelles que puis-
sent être les propriétés de cette matière , elles ne
sauroient être autres que Dieu Ta voulu ; et ainsi
quand il seroit vrai qu'à la voix d'un ange , c'est-
à-dire au désir de sa volonté , la matière auroit
été mue et divisée la première fois , sa voix n'au-
roit été que l'instrument de celle de Dieu , de qui
la vertu seule auroit opéré cette merveille, n'étant
pas possible que le néant du mouvement obéisse
qu'à une puissance infinie.
Il n'en est pas de même de la détermination
du mouvement , qui n'ajoute rien de réel dans la
nature , et qui ne dit rien de plus que le mouve-
ment même , lequel ne peut être sans détermina-
tion. Si bien que ce n'est pas merveille que l'âme
ait la faculté de le déterminer, ainsi que notre
propre expérience nous convainc qu'elle a; car
542 LETTRES.
cela n'empêche pas que Dieu ne soit l'auteur de
toutes les formes qui arrivent successivement à la
matière , qui sont toutes des effets, des suites et
des dépendances du mouvement qu'il y a introduit
et qu'il y conserve, et qu'ainsi il ne soit véritable-
ment créateur de toutes choses.
De savoir maintenant comment se fait cette dé-
termination , il est vrai que nous n'avons pas con-
noissance de quelle façon notre âme envoie les
esprits animaux dans les nerfs, et ensuite dans les
muscles, pour mouvoir nos membres conformé-
ment à nos volontés : mais, comme nous enseigne
notre maître, il ne faut pas s'en étonner; car cette
façon ne dépend de lame seule, mais de l'union
qui est entre 1 ame et le corps; union qui ne dé-
pend pas non plus d'elle, et dont tous les effets ou les
suites sont pour cela même en quelque façon con-
fuses et obscures à 1 ame ; d'où vient qu'il appelle
nos sensations des pensés confuses. Et néanmoins,
si nous y voulons prendre garde , nous avons con-
noissance de toute cette action par laquelle l'âme
meut les membres , en tant qu'une telle action est
dans l'âme, et dépend d'elle; puisque ce n'est rien
autre chose en elle que l'inclination de sa volonté
k un tel ou tel mouvement, laquelle inclination
lui est claire , et n'a rien d'obscur. Mais que cette
inclination de sa volonté soit suivie du cours des
esprits dans les nerfs et dans les muscles, et de
LETTRES. 543
tout ce qui est requis pour ce mouvement, cela
n'arrive pas simplement parcequ'elle le veut, au-
trement notre volonté seroit toujours exécutée, et
le corps ne seroit jamais paralytique (car quand
est-ce que notre Ame a jamais plus de volonté de
faire mouvoir le corps auquel elle est jointe , que
lorsqu'il n'est pas en état de lui obéir); mais cela
arrive à cause de la convenable disposition où le
corps se trouve quand notre âme veut et se dé-
termine à quelque mouvement , de laquelle dispo-
sition elle peut bien n'avoir point de connoissance.
Mais ce n'est pas tout ; car il faut outre cela
que l'âme soit unie à ce corps qui est bien dis-
posé; d'autant que 1 ame n'a point de pouvoir sur
le corps le mieux disposé du monde auquel elle
n'est point unie. Mais quoique notre âme ne con-
noisse pas la manière de son union , elle ne peut
pourtant pas méconnoître l'union qui est entre son
corps et elle; ce qu'elle témoigne assez par les dé-
terminations de sa volonté, qui se portent toutes
à mouvoir le corps auquel elle sait être jointe, et
non pas les autres.
Ce n'est pas encore assez que le corps soit bien
disposé, ni que notre âme lui soit jointe , afin que
de l'inclination de notre volonté il s'ensuive un
mouvement dans le corps ; il faut de plus que ce
mouvement soit joint naturellement avec la vo-
lonté que nous avons (ce qui montre que cette
544 LETTRES.
liaison ne vient pas de nous , puisque nous n'en
sommes pas les maîtres, et partant qu'elle vient
de l'auteur de cette union ) : car nous pouvons
avoir moins de volontés qui ne seront point suivies
de leurs effets , quoique notre corps ne manque
pas de disposition pour les exécuter; par exem-
ple , ayons , tant qu'il nous plaira , la volonté d'ex-
citer dans notre corps cette disposition qui cause
en nous le sentiment de la joie ou de la tristesse ,
nous n'en viendrons jamais à bout, quoique notre,
corps ne manque pas de disposition pour cela,
puisqu au moindre sujet qui se présente, c'est-à-
dire à la moindre pensée à laquelle ce mouvement
ou changement du corps est naturellement joint r
il ne manque pas d'en prendre aussitôt la disposi-
tion.
On ne peut pas dire aussi que notre âme soit
jointe et unie à un corps , quoiqu'il se meuve con-
formément à sa volonté, à moins que ce mouve-
ment ne suive immédiatement de sa volonté, et
que l'âme avec cela ne connoisse qu'elle lui est
unie par un sentiment ou perception qu'elle ne
peut pas ne point connoître. Car, par exemple,
quand je remue un bâton , ou une plume, comme
je fais à présent, quoique cette plume se remue
conformément à ma volonté, son mouvement ne
vient pourtant pas immédiatement de ma volonté,
puisque ce n'est que par l'entremise de ma main
LETTRES.
qu elle se remue ; et si un chien vient quand on
l'appelle , quoique en cette rencontre il fasse ce
que notre volonté veut , nous savons pourtant bien
par notre propre expérience que notre âme n'est
pas unie au corps de ce chien; aussi faut-il em-
ployer ou la main ou la voix, ou quelque autre
signe extérieur pour le faire venir vers nous , et
non pas seulement la pensée, ou l'acte intérieur
de notre volonté, laquelle suffit pour mouvoir le
corps bien disposé auquel notre âme est jointe,
quand ce mouvement est naturellement joint avec
la pensée ou la volonté que nous avons.
Ce n'est pas que je ne croie que l'âme peut être
unie à un corps sans qu'il y ait aucune apparence
extérieure de cette mutuelle correspondance d'ac-
tion et de passion qui est entre l'un et l'autre, et
sans qu'il en reste aucun souvenir; cela se recon-
noît dans la léthargie, où nous ne pouvons pas
désavouer que pour lors l'âme ne laisse pas d'être
unie au corps , quoique le commerce qui a cou-
tume d'être entre l'un et l'autre semble presque
tout interrompu, et que nous n'ayons aucune sou-
venance de tout ce qui s'est alors passé dans notre
âme à l'occasion du corps. Mais je ne puis pour-
tant croire que l'âme ne s'aperçoive toujours de
l'union qu'elle a avec le corps auquel elle est
jointe, quand elle y fait réflexion. Et de cette per-
ception résulte en l'âme une connoissance que ce
35
546 LETTRES.
corps lui appartient d'une autre manière, plus
proche et plus particulière, que tous les autres
qui sont au monde; elle connoît que cette union
le rend et le fait sien, et que c'est par elle et à
cause d'elle seulement que ce corps est en effet
et réellement son propre et véritable corps.
Que si après cela nous voulions aller plus avant,
pour savoir comment notre âme, qui est incorpo-
relle, peut mouvoir le corps, M. Descartes ajoute
fort judicieusement au même lieu qu'il n'y a ni
raisonnement ni comparaison tirée des autres
choses qui nous le puisse apprendre , mais que
néanmoins nous n'en pouvons douter, puisque
des expériences très certaines et très évidentes ne
nous en convainquent que trop tous les jours.
Et il faut bien prendre garde que c'est là une de
ces choses qui sont connues par elles-mêmes, et
que nous obscurcissons toutes les fois que nous
les voulons expliquer par d'autres. Et la raison
qui me fait acquiescer à ce sentiment de M. Des-
cartes est que je trouve que nous ne devons et
ne pouvons non plus connoitre comment le spiri-
tuel agit sur le corporel, ou le corporel sur le spi-
rituel, que nous pouvons connoitre comment Dieu
a créé toutes choses, comment il s'est fait enten-
dre et obéir par le néant, bref comment il agit hors
de lui; car ce sont des effets de sa toute-puissance
et de sa sagesse, qui sont au-dessus de la portée
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LETTRES. 5^7
de nos esprits; n'étant pas possible que des esprits
finis comme les nôtres puissent connoître la ma-
nière d'agir de l'esprit infini, ni que la créa-
ture puisse comprendre comment elle est sortie
des mains de son créateur. La créature peut bien
connoître et admirer l'effet de sa toute-puissance
en se voyant et se regardant quand elle est, mais
elle n'a pu connoître avant qu'elle fut la manière
dont il s'est servi pour la faire être ; de même aussi
l'âme peut bien connoître et admirer l'effet de son
union avec le corps, et le pouvoir réciproque
qu'ils ont l'un sur l'autre, mais elle ne peut pas
rendre raison de son union ni de ses effets; car
n'y ayant aucun rapport ou affinité entre les pro-
priétés de l'un et de l'autre, c'est-à-dire entre les
mouvements du corps et les pensées de l'âme,
l'union qui est entre les uns et les autres ne peut
avoir d'autre cause que la volonté de celui qui les
a joints et unis ensemble, et il n'y a que la seule
expérience qui nous puisse apprendre quelle est
cette union. Je suis , etc.
FIN DU TOME DIXIÈME.
55.
• 9
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«.-».■». %.-*. •».».».•».».-%.•%». t^. w»^». v»^». %.-v» «
TABLE
DES LETTRES CONTENUES DANS LES TOMES VI A X.
f
« • c
Rxiubqvi. Lei lettres de Descarte* te trouvant classées suivant l'ordre de date dans cette
nouvelle édition , il a paru nëceuaîre d'établir, par une table, la concordance de ce nouve
ordre avec celui qui a été tuivi dan* la première édition in-4°f imprimée en 1666. Le* chif-
fre* entre parenthèces sont les numéros du volume et de la page de celte première édition.
- — — -
ANNÉE 1629.
A M. Febbibb, sur les lunettes. ( III, 98. ) Tome VI , page 5
Au même, idem. ( III , 99. ) -
De M. Fbbbieb, idem. (III» 100.) 13
A M. FxaRtcB, idem. (III, 10a. ) ag
An mèjif , idem. (III, ,02.) 45
A M.***, sur divers sujets de physique et de mathématiques.
(III, 100. ) 47
Ao R. P. Mbesenwb, questions diverses. (II, lia.) 53
Ad même , sur la proposition d'une nouvelle langue. ( 1 , 11 1. ) 6 s
Au m 8MB , questions diverses. ( II, io5. ) yt
ANNÉE 1 630l
99
112
Au R. P. Mbeskjcne, questions diverses. (II, 104. )
Au même , idem. (II, x 10. )
Au msue , idem. ( I , 113.) tg0
A M.***, ( Isaac Bekcmanx ) , touchant son indiscrétion. (II, a.) i£i
Au même, sur divers sujets de physique. (II, ia. )
Au R. P. Mkbskwwb, questions divergea. (II, 61.)
A M.*** (Ferbieb), réponse à quelques plaintes. ( II , 6a,) 16a
A on R. P. de l'Oeatqibe, même sujet. (II, 63. )
Ao R. P. Mebskhhe, questions diverse». ( H, 74. ) ,^6
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55o
TABLE.
AN-NÉE 1 63 1 .
Ad K. P. Mkbsbhnb , questions diverses. ( H , 65. ) J79
Ad même, idem. ( II, 66. ) i£5
A M.*f* , jugement sur quelques lettres de Balzac. (I, ioo.) 189
A M. de Balzac, lettre d'amitié. (I, 101. ) 197
Ad même , idem. ( 1 , 102. ) 2oo
A M.**', sur divers sujets de physique. ( III, 1 11. ) ao4
ANNÉE l632.
Ad R. P. Mfksewwe, questions diverses. (Il, 67. ) 108
Au même, idem. (11, 68.) aia
A M.*** (Goûts), sur la géométrie. ( II, 69. )
Ad MâMR,idem. (II, 70..) 220
ANNÉE 1 633.
Ad R. P. Mbbjehhe, questions diverses. \llt 71.) aaj
Ao même, idem. ( 1 1, ga. ) 226
Al mi'mk , idem. (II, 73 .) 2Z0
Av MftME,idcm. (II, 7}.) 355
Ao même, idem. (II, 75.) 225
Ad même, idem. (II, 76. ) ' ' afa
Ap mêmk, idem. (II, 77.) afo
Ad mêmk, idem. (II, 80. ) a5o
Ad même, idem. ( IJ, lof. ) 25~
A M.***, question astronomique. (II, 17.) 26i
années 1 655 et iô36:
À M. Mobi.-v, sur la lumière. (I, 57. ) 270
Ao R. P. Meeseknb , questions diverse?. (II, m.) 275
A M.*** ( Va« 11 r or, helant) h: ) , sur ics cercles qui paraissent
autour d'une chandel'e. ( IF, 102. ) 279,
A M.*" (Myoobgb), questions diverses. (II, io3. ) a8a
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TABLE. 55 1
ANNÉE l637.
Au R. P. Mbbsbnnb, question de physique. (III, 73.) 394
A M. ob Zuitlichen, consolations sur la mort de sa femme.
(I, 306.) 3 3
A M. questions diverses. (I, 110.) 3o5
A M."* (db Zuitlichen ?), présent de ses ouvrages au roi et au
cardinal de Richelieu. (I, 104.) 3i3
A in R. P. Jésuite, envoi de sa Géométrie. (III, 36. ) 3i6
A M.'", idem. (III, 37.) 3i8
A un R. P. Jésuite, idem. (11,78.) 3ao
A UN GBNTILHOMMB DE M. LB PBINCE d'ObANGB , idem. (II, ;<_).) 331
A M.*** (Pollot?) questions de physique. (11, 81.) 323
A M.*** (de Zuitlicben) , questions diverses. (II, 82.) 5*9
A un R. P. Jésuitb , remerciements de ses objections. (II, 83.) 33a
A M. Plbhpius, sur les objections de M. Fromondus. (II, 7.) 354
Au même, réponse aux mêmes objections. (II, 8.) 338
Au même , sur le même sujet. (11,9.) 56a
De M. de Febmat au R. P. Mebsenne , sur la Dioptrique.
(111, 36.) 365
Du mi' me au même, idem. ( III, 77. ) 368
Au R. P. Mebsbnne , idem. ( III , 78. ) 07!
Au même, réponse aux objections de M. de Febmat, sur la
Dioptrique. (III, 79. ) 376
ANNÉE l658.
De M. db Fbbmat au R. P. Mbbsbnnb, sur la Dioptrique. (III, 4<>.) 38 f
Au R. P. Mebsbnne, idem. ( III , £i. ) 393
A M . M ydobcb, idem. ( III , 4a. ) 4oa
Db M. de Febmat a M. Clebselibb, idem. ( III , 43. ) 410
Du même idem , idem. ( 111 , 44* ) 4ia
De M. Clbbselieb a M. db Febmat , idem. ( III , 45. ) 431
De M. Rohault a M. db Febmat, idem. ( III , 46. ) 433
Db M. db Febmat a M. Clkbsrmeb, idem. (III , 47* ) 44s
Du même au même , idem. (III , 48. ) 449
De M. Clbbsklirb a M. db Febmat, idem. (III, ^9.) 455
De M. db Fbbmat a M. db la Chambre , idem. ( III , 5o. ) 477
Du mêmb aumêmb, idem. (III, 5i. ) 485
55 a TABLE.
Du M. CLEifiKLiBB a M. de Fbbmat, idem. ( III , 5a. ) 5o8
Dr mkmk ai jii'mf., idem. ( J1I , 5JL ; 5 -x i
Réponse de M. db Fumât. (III, 5^.) 556
ANNÉE lG58.
Ai IL P. Mebsehhb , sur la Dioptriquc. (IIIt, ) Tome VII. 5
Au m i m k | sur le livre de De tnaximis et minimis de M. de Fermât.
(111, 56. ) fi
A M*** (Mvdobcb) , rép. à un écrit des amis de M. de Fermât.
(111,5*) !i
Écbit de quelques amis de M. de Fermât , servant de réponse à
la précédente. ( III , 5JL ) 25
Au R. P. Mbbseknb, sur l'écrit précédent. (111,59.) 25
Al m&mb, sur les questions numériques proposées par M. de Sainte-
Croix. (111,740 4o
Au m£me , sur les mathématiques. (III, dû. ) 5 î
A M. Habdy, idem. (III, 6i. ) 6a
Au R. P. MaBiEKM , idem. ( III , 6a. )
A M. de Febhat, idem. (III , ) 8_£
Au même, idem. ( 111,64. ) &5
Au R. P. Mbbsbbkb, idem. ( 111 , 65. ) £8
Au même , idem. ( III , 6JL ) î m
Du R. P. Mebsenkb , idem. ( III , 67. ) ipj.
Au R. P. Mbbsbhse , idem. ( III , 6JL ) 1^0
Au mêhe, idem. ( III, 6g. ) iS^
Au même , idem. ( III , 70^ ) 170
ÏVin R. P. Jésuite , idem. ( 1 , 55. ) l8j
A uk R. P. Jésuite , idem. ( 1 , 5JL ) ujo
De M. Mobik , sur la lumière. ( 1 , 58* ) 202
A M. Mobis , idem. ( 1 , 59. ) aôo
Au u km h , idem. ( 1 , 60. ) a5S
Db M. Mobiit , idem. ( Lt 6'- ) a5g
A M. MoBirr , idem. (J , fii. ) »2§
De M. Mobi!» , idem. ( 1 , 6JL ) icp
Au R. P. MEnsEïiifB , question de physique. ( I , tJï. ) ùûâ
AU M KM K , idem. (I, 74.) 3a8
De M. Plempius, sur le mouvement du cœur. ( 1 , 22± ) 558
A M. Pi.empius , réponse à ce sujet. ( 1 , 6JL ) 5Jj2
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TABLE. 555
Du mi- me , même sujet. ( 1 , 79. ) 36i
Au m k me , même sujet. ( I , So. ) 365
A un R. P. Jésuite , diverses questions. ( 1 , 1 i4- ) 076
A un a ut de M. Dbscabtbs, objections contre la Métbode et les
Météores. (II, 1. ) 384
Réponse de M. Dbscabtbs aux objections de la précédente. ( II , 2. ) 390
Au R. P. Mrbshîsue , diverses questions. ( II , 8|. )
A M. Zuitlichbw, sur la taille des verres. : 11,85.)
4o5
410
A M. Pollot, même sujet, fil, 86.)
4»4
A M.*** (Zuitlichbn), diverses questions. ( II, 87.)
4i7
Au R. P. Mkesbitnb , idem. (11,88.)
4aa
Au mêmb, idem. (II, 89.)
427
Au même, idem. (II, 91.)
434
Au même , idem. ( II, ga.)
Tora. VIII.
3
A M.*** , sur la taille des verres. ( II, 93. )
Ad R. P. Mkiiskiïxb, questions diverses. (11, g4» )
33
A M. Fbbiciclb, question arithmétique. (II, 95.)
4i
A M. Plkmpics, sur des objections. (II, 99. )
47
A M."**, sur le dessein d'une science universelle. (II
, 100.)
5o
A M.***, sur les eaux fortes. (II, 101.)
53
A M.***, sur la méthode. ( I, 34. )
57
A M.***, pour obtenir la grâce d'un pavsan. (1, 108.)
59
A M.***, sur la Physique. (III, iu4-)
63
Ac R. P Mbiisbunb, idem. (III, io5.)
65
ANJVEE IDjp.
A M.*** (Dbsargubs), question de physique. (II, a
7.)
€7
Au R. P. Mkbsenne , questions diverses. (11,96.)
7°
Au mi-mk, idem. (II, 97.)
83
Al mP.uk, idem. (II, g8.)
S»
A M. db Bkau.nb, idem. (III, 91.)
101
Au R. P. Merskn.tk , idem. (111,84.)
11a
A M.*** (db Bbaurb), idem. (11, aS. )
îaa
Au même, sur l'impression de sa Physique. (H, 36.)
ia6
Au R. P. MiiiisRflisK , questions diverses. ( 1 1, 28. )
12S
Au même , idem. (II, 29. )
Au même, idem. (II, 3o. )
i58
A M. Schooten, mathématiques. (III, 8a. )
1 i 2
554 TABLE.
A M.**' , idem. (III, 72.) ,4,
Ad R. P. Mbbsbkhb, questions diverses. (II, 52. ) 159
Ao même, idem. (II, 33.) 170
Au mêju , idem. ( II, 34.) 17-
ANNÉE l640.
Ao R. P. M bb sbkh b , questions diverses. (11,35.) 190
A M. Meissoioueb, sur la glande conarion. (II, 36. ) 200
Ad R. P. Mkbsbkrb , questions diverses. (11,37.) 202
Ad même, idem. (11,38.) ai3
A M. Régics , sur la circulation du sang. ( I, 81 . ) 219
Ad R. P. Mbbsenkb, diverses questions. (11,33.) 229
A M. Dbscabtes, objections sur les Méditations. (II, i5.) 242
De M. Dbscabtes, réponse à ces objections. (II, 16 ) 26G
Ad R. P. Mbbsehwb, sur la Dioptrique. (111,3.) 286
Ao R. P. Recteur du collège de Clermont, idem. (III, 4.) 288
A M.*** (Ziituchbh ) , idem. (111,107.) 294
Ao R. P. Mbrsbnnb , questions diverses. (II, 4o.) 298
Ao même, idem. (II, 4*0 3i8
Ao MEMB, idem. (111,7.) 322
Ao même, idem. ( 111, 9. ) 33o
Ao R. P. Boordin. ( III, 16. ) 358
Ad R. P. Mbbsbnrb , questions diverses. (II, 43* ) " I 1
Ao même, idem. (II, 43. ) 346
A M. Rbcios ", sur la circulation du sang. (I, 82. ) 356
Au R. P. Mbbsbhhb , sur la Dioptriquc. (III, i3. ) 358
Ao mêmb, idem. (III, 2.) 366
Ao même, questions diverses. (Il, 440 JJ7
Ao même, idem. ( II, 45. ) 387
A en R. P. docteur de Sorbonne (Mbbsb.knb ) , idem. (11,46.) 3g3
Ao R. P. Mbbsbkhb , idem. (H, 47*) 3g5
Ao même, idem. (11,48.) 397
Au mT.mk, idem. (II, 49-) 4ul
Ao même, idem. (III, i4>) 4o9
A M.***, touchant sa Philosophie. (II, 117.) 4*3
A M.'", questions diverses. (II, 118. ) 4*7
A M.**' (Zoitucdbh), en faveur de MM. Barxics et Bloembrt.
(II, Si.) 44
TABLE.
555
AU 11. J • :MkBSE1>fc , (JUtïSllUIii> UAVeraKS» ^ Al, .MJ. ;(
A mm
ANNÉE 1 64 * •
Au même, idem. (II, 5i.)
454
Au Htm , idem. (II, 5a. )
440
A M***, consolation sur la mort d'an frère. (I, 107. )
445
Ao R. P. Mkhskhhe , sur la Dioptrique. (III, 3o. )
448
Au même, réponse de M. Hobbcs à la précédente. (III, 3a. )
455
Au R. P. Mbbsbjihb , sur la Dioptrique. (III, 34.)
474
Au mîmr, réponse à la lettre de M. Ilobbes. (111, 55.)
481
Au memb, questions diverses. ( H, 58.)
49 1
Au mémb, idem. (III, 109.)
498
Au uêub, idem. (11, 54»)
5o4
A M. Rbgius, questions diverses. (1 , 84* )
5n
Au m£mb, idem. ( 1 , 85. )
5i8
Au R. P. Mbbsbhhi , idem. ( III , 1 aa. )
519
Au uêmb, idem. ( III , ia5. )
5a4
Au R. P: Mbbsbkhb , idem. ( II , 55. )
55 1
A M. *** (l'abbé Delauïiay), sur l'A me. ( 11 , 56. )
555
Au R. P. Mkbsbsne, questions diverses. ( II , 5y. )
538
Aumêmr, idem. ( II , 58.)
54i
A M. *** , sur l'éducation de son fils. ( Il , go. )
546
A M. Rbgius, questions diverses. (I, 86. )
549
Au 11ÊMB , idem. ( 1 , 87. )
55 1
■ • 1 /I OU \
Au même , idem. 1 1 , 00. J
0 r> à
Au même , idem. ( I , o5. )
556
Au R. P. Mbrsbbkb, idem. (III, 28. )
5 60
ANNÉE l6'|2.
A M. Regius, sur la défense d'enseigner ses principes. ( 1,91.)
56a
Au R. P. Mbbsenne, questions de physique. (III, n4«)
564
A un R. P. db l'Obatoihk , questions de m étaphysique. (I, io5.) 568
A M. Rbgius , idem. ( 1 , 90* )
576
Au m 1* mf, , idem .( 1 , 89. )
579
Au même, idem. (I, 9a. )
607
Au R. P. Mebsbnnb , questions diverses* (Il ,60.)
609
A M. Rbgius, sur les persécutions qu'il éprouve. (I, g5.)
614
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556 TABLE.
A »| anr la drmissiim do II TiTrnv ( 111 mfi ^
- V lli • f OUI la \A\ , LU lOO IUII Ul/ Ml • Uv 1 \J J • 1111-, I Uv • F
ix ifi . i\fcu i us 5 ui » t rs gii ] f . es. v 1 > 9 r * >
fi*1*
0 /
A J . , ^ dr zjLirLiLiiE!i j , s UT son livre uc nmnuo . ( 1 1 1 , i 20. )
Au R. P. DinsT) à l'occasion des septièmes objections. Tome IX.
•r
A en R. P. .1 1 s 1 1 t e ( le P. Vatibb ) , diverses questions. ( 1 , 116.)
62
Au R. P* Mkrsrnke, idem. ( III» ii3. )
7°
Au même, idem. (II, 109.)
Du R. P. Mrhskunk a M. Vœtius , sur les Méditations, etc.
Si
ANNEE IO4.}.
.'v M. ^ de /jUitlicheh j , questions ue pnysique. (11} 110. y
»7
Au n. 1. Mersk>->k , mcni. (11, lit». )
10a
A n u £ u v î t ] t » m ( W i r i NI \
/VU MhMK j J U L III • ^ Ll , I UO . j
A \T *** ciir cri m T1 1* ** 1 1 ô flr»c Mi*criif*0. il f An ^
/\ 1T1 • ^ 9 1 J I > U 1 1 JL i il 11 L Uc* (M ^Uvs* ^ 1 1 1 j IUO» J
1 20
A M \ D i M V 1,1 ]7>P,VTH PRITf ritQfllC PAT.ATtKfK Hlir l'iiniofl llp l'une
avec te corps. ^ 1 9 2Q« ^
1 2.)
A VA u £ v i r ■ ni * * m p emof II 'i Ar ,
1» I#* HRNK ) Illt-IilC oUILl. V 1 î OWJm J
1 29
A M. de IkiTKHDicTT, sur l'existence de Dieu, etc. ( Il , 10. )
x35
A M. •**, questions de mathématiques. (III, 7Q.)
l5q
A la paiNCBisB Elizabbth, idem, fil, 8o. )
143
A la Mf.MK, idem. (III , 8i. )
»4'9
ANNEE 1044-
A on R. P. Jésiitr, (III, 17.)
Db M. Bevebovic, sur la circulation du sang. (I, 7S.
i57
A M. Bevebovic , réponse à la précédente. (I, 76.)
i5S
A uwR. P. JésuiTB (lb P. Mbslakd) , diverses questions. ( 1, n5.) 162
A un R. P. JésuriB, idem. ( III , 18. )
•74
A un R. P. Jésuite ( le P. Ghablet), envoi de sa Philosophie.
( m, »9-) >76
A un R. P. Jescitb (lb P. Dihbt) , idem. ( III , ao. ) 178
A un R. P. J*soitb, idem. ( III, ai.)
179
Au R. P. Ghablbt, sur sa Philosophie. ( III , 32. )
180
A un R. P. Jésuite, idem. ( III, %Z»)
• 83
A un R. P. JiisuiTB, (III, 34. )
i85
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TABLE.
A i.a prikcr3sr Élizabbth, questions de physique. ( I, 5i.)
ANNÉE l645.
A M. l'abri* Picot , idem. (III) 1 1 5. )
Au R. P. Mbsland , sur ses principes de philosophie. (III, a5 . )
A M. Clbrsblibb, questions de physique. ( 1 , 117. )
A LA PRIfICBSSB KLIZAR8TH , SUr SA Milité. (I, 30.)
A la mP.mk , même sujet. 1 , 34. )
A la même, idem. (1*5.)
A la mbms , divers sujets de philosophie. (1,4.)
A la h me, idem. ( I » 5. )
A la même, idem. (1,6. )
A la même, idem. ( ït7«)
A la même , idem. (1,8. )
Lrttrb apologétique aux magistrats de la ville d'Utrecht , contre
MM. Vobtius père et fils. (II, i. ) a5o
A M. Rbgios , sur son ouvrage. ( I , 96. ) 3a5
Au même , idem. ( 1 , 97. ) 5a5
Au même , idem. ( 1 , 98. ) 5a8
A vh sRiGifBca, questions diverses. ^ I, 5a. ) 53i
A un sbigrbur, idem. ( 1 , 53. ) 336
A M."* , idem. ( I, 109. ) 54a
A M.'" , questions de mathématique et de physique. ( 11 , a3. ) 5^5
A M.'", idem. 354
A M.'", idem. (III, 110. ) 36a
ANNÉE l640.
A la princesse Éuzabbtii, questionsde Métaphysique et de morale.
(1,9) ' 366
A la même, idem. (I, 10. ) 071
A la même . idem. 1 , 1 1. ) 378
A la même, idem. ( I , ta. ) 585
A la même, idem. ( I , a5. ) 587
A LA PRINCESSE LoUISB. ( I , l4 • ) 3q6
A la princbsjb Élizarrth , idem. ( 1 , 2.5. ) 097
A LA PRINCRSSR LoUISR. ( I , l6.) fai
A la princesse Élizarrtit , sur sa santé. ( I , 17. )
557
186
189
19a
195
200
204
307
an
ai5
22a
a3o
a36
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558 T A. BLK.
A t* fbincbssb Louisb. ( I , 18. ) 4o6
A M. Chahut. ( 1 , 3a. ) 4o8
Al/ MÊME. (I , 33. ) 4tL
Ao MÊME. (I, 34.) 4»3
A vx sBiGKEi b, questions de physique. ( 1 , 54. ) 4 «8
A es R. P. Jésuite ( le P. Noël ) , sur la Physique. ( I , n3. ) 4*7
Au même. ( 111 , 5. ) 429
Au msmb, idem. ( III , 6 .) 43a
A M.***, réponse à un imprimé qui a pour litre, De duohut cir-
cuits. (Il, 18. ) 4^4
A M.*'*, questions diverses. (II, n3. ) 4^8
A M. Clebsbmeb , sur sa Philosophie. (1, 1 18. ) 44l
A M. Dbscartes, objections contre ses Principes. II. l T. 446
Réponsi: aux objections de M. Lecomte. ( 11, i4« ) 4q4
Au R. P. MBBdBRAB , questions de mathématique et de physique.
(111,85.) 5o7
A M. de Caveh dish , idem. ( III , 86. ) 5ia
AM'M, réponse à la précédente. ( III , 88. ) 53o
Au R. P. Mersbkhb , questions de mathématique et de physique.
(111,89.) 534
A M.' M ( de Cavbsdish ) , idem. ( III , 90. ) 539
Au même , idem. ( III , 91. ) 54a
Au R. P. Mrbsbhhe, idem. ( III , 9a. ) 547
Au même , idem. (III, 93. ) 55o
Au msmb , idem. ( III , 95. ) 555
Au même , idem. ( III , 96. ) 563
AM."' ,idem. (III, 99.) 57i
ANNÉE l647.
A M. Chakut, questions diverses. ( 1 , 35. ) Tome X. 5
A Madabb idem. ( II , aa.) aa
A M. Descabtbs ( de MM. les Curateurs dé l'Académie de Leyde}.
(H,l9.) ' a6
Au même ( de M. WBTBucnovBK , secrétaire ). ( 1 1 , ao. ) a;
A MM. lbs Ccbatbubs db l'académie, réponse aux deux précé-
dentes. ( II, ai. ) a9
A M. Wbvbmchovbr , idem. ( II , a a .) 35
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TABLE. 559
A M.*** , au sujet des précédentes. ( II , 114. )
36
A la pbikcbssb Elizabktb, idem. ( I, 1 >. )
4o
A M. Choit , questions diverses. ( 1 , 36. )
45
A LA PHMCKSSB ÉlIZABBTH. I , 20. )
55
A LA MÊMB. M , 21. )
57
A la h i- 1 > h DiStitfDS, questions de philosophie, ( I, 1.)
A M. Chanut, idem. ( I , a. )
65
Dl. LA PRI>f hS*»E DUS IBETII , 1 Ut: 111 [l t •' 1 • J
fit
°7
A M.*** , remarques sur un placard imprimé en 10^7. ( I , 99. )
70
A M. db Zoitlicbbb , questions de physique. ( III , 112. )
1 12
Au R. P. Mbbsk.nne, questions diverses. (III, 118. )
n5
A"\"VÉF l(5i8.
A la PimcBSSE Élizabbth , sur un Traité de l'érudition. ( 1 , 25. )
120
A M. Chahut , sur les écrits envoyés à la reine de Suède. ( 1 , 57. )
123
A M."*, questions diversesé ( III , 12A.)
127
A M. Chanut. ( I, 4o« )
A Là PBincBSSB Élizadbtb. ( I , il. )
i3>
A M. Dbscabtbs . questions de physique et de philosophie. (11,3.)
l37
REPONSE A LA PRKCBDKHTB, ( II. 4* )
\L6
RÉPLIQUE A LA PRKC KDK.VTK. (11,5.)
i5o
Rirons b de M. Dbscabtks. (11,6.)
i56
r
A LA PBINCBSSB ElIZABBTH. ( 1 , 26. )
164
A M*** , questions de mathématiques. (II, S?.. )
168
Db M. Mobos , métaphysique ( 1 , 66. )
178
Rkponsb dbM. Dbscabtks, iJem. ( 1 , 67.)
l<;3
Réplique db M. Morts, idem. (1 , 68. )
209
Réponse de M. Dbscabtbs , idem. ( 1 , 60. )
2Ô5
Db M. Mobus, idem. ( I , 70. )
246
Du kAhk , idem. ( 1 , 71. )
272
*
A M. Mobus , idem. ( 1 , 72. )
2Q1
A la princesse Élizabbtb, sur la mort du roi d'Angleterre, etc.
(I,27.)
297
A la pbihcbssb Élizabith , sur son indisposition. (I , 28. )
302
A M. Chabot, sur une réponse à la reine de Suède. ( 1 , 38. )
307
A la bri. ne db Suedb , sur le souverain bien. ( 1 , 3q. )
3i 1
Dr M. Scbootbb, mathématiques. (III, 116. )
3i3
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560 TABLE.
Rkporsf db M. Di cartes, idem. ( III ,117. ) 3i6
A M. Chahut, sur son appel en Suéde. (I, 4a , 43. ) 3ao
A la pbircessb Élizabetb , idem. ( I , 44. ) 327
A M. Chahot, idem. (1,45, 46»47« ) 3*9
A la pbpicessb Élizabbth , idem. ( 1 , 48. ) 333
A M. Fbbirsiibmius , idem. ( 1 , 49. ) 335
A M. Clbrselibb , sur la troisième méditation. ( I , 119. ) 338
A M. db Cabcavi , mathématiques. ( III , i5. ) 545
Dr M. de Cabcati , idem. (III, 76. ) 545
A M. db Cabcavi , idem. ( III, 77. ) 55 1
De M. de Cabcavi , idem. ( III , 78. ) 56a
A la pbihcbssb Élizabbth , sur son arrivée en Suède. ( 1 , 5o. ) 5;3
Db M. Clbbsblieb a M. H. Moaos, philosophie. ( 1 , 64. ) 379
Db M. Morts a M. Clebselikb , idem. ( III , 65. ) 38a
Db M. db Fbbhat a M. Clebselieb , sur la Dioptrique. (111,43,44-) 38o
RrpohsbdbM. Clebselikb, idem. ( 111,45. ) 4oo
De M. Rohaolt a M. db Fermât , Dioptrique. ( III , 46. ) 4 1 2
Db M. de Pkbmat a M. Clbrselibb, idem. ( 111 ,47, 48.) 422
Rrponsb de M. Clebselieb, idem. (III , 49* ) 4^5
De M. de Fbbmat a M. de la Chambbb, idem. ( 111 , 5o, 5i. ) 457
De M.'Clbbselieb a M. de Fbbmat , idem. ( III , 5a , 53. ) 488
Réponse de M. de Febmat, idem. ( III , 54. ) 5i5
Dr M. Clkbselieb, physique. ( III, 97. ) 5i8
Du même a M. db la Force, métaphysique. ( III, ia5.) 538
PIM DE LA TABLE.
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